Polyradiculonévrite aiguë idiopathique chez une chienne - Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004
Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004

NEUROLOGIE DU CHIEN

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Sébastien Behr*, Laurent Cauzinille**

Fonctions :
*Clinique Frégis
43, avenue Aristide Briand
94110 Arcueil
**Clinique Frégis
43, avenue Aristide Briand
94110 Arcueil

Chez une chienne aphone et tétraparétique, une analyse du liquide céphalorachien, associée à une électromyographie et à une électroneurographie, permettent d’établir un diagnostic de polyradiculonévrite aiguë idiopathique.

Une chienne fox-terrier présente des difficultés locomotrices, sans douleur apparente.

Les prises de nourriture et d’eau ne peuvent plus se faire de manière spontanée.

Cas clinique

1. Anamnèse

Une chienne fox-terrier à poils durs âgée de six ans (PHOTO 1) est référée en consultation de neurologie pour une difficulté locomotrice généralisée.

Aucun antécédent médical ou chirurgical n’est rapporté et la dernière vaccination de rappel a été effectuée six mois auparavant (valences CHPLR).

Une semaine avant la consultation, une chute dans les escaliers est survenue. Elle est rétrospectivement considérée comme étant consécutive à un état de faiblesse en cours d’installation depuis quelques jours. L’animal est alors devenu aphone. Les difficultés locomotrices ont progressé depuis les membres postérieurs vers les antérieurs. Aucun épisode algique n’a été signalé.

Le praticien qui réfère la chienne a réalisé un bilan hématologique et biochimique qui n’a pas mis en évidence d’anomalies (numération et formule sanguine, concentrations sériques d’urée, de créatinine, de glucose, de PAL et d’ALAT dans les valeurs usuelles). Un traitement d’une semaine à base d’un anti-inflammatoire non stéroïdien n’a pas apporté d’amélioration. Les prises alimentaires et d’eau ne peuvent plus se faire de manière spontanée. La continence urinaire et fécale est préservée.

2. Examen clinique

Examen général

La palpation, l’auscultation, ainsi que la température (37,9° C), sont normales. Aucune difficulté respiratoire n’est mise en évidence. Aucun signe clinique de déshydratation n’est observé.

Examen neurologique

L’animal est alerte, non-ambulatoire et tétraparétique. La parésie est davantage marquée sur les antérieurs qui flanchent sous son poids. La proprioception est très diminuée sur les quatre membres. Le retrait antérieur est absent, alors qu’il est diminué sur les postérieurs. L’ensemble des réflexes appendiculaires (extenseur radial du carpe, patellaire et tibial crânial) sont diminués.

La présentation clinique est considérée comme étant de type motoneurone périphérique sur les quatre membres.

Aucune modification des réponses et des réflexes des nerfs crâniens n’est mise en évidence.

L’aphonie ne semble pas liée à une atteinte des nerfs crâniens ni du nerf laryngé récurrent. Elle serait plutôt la conséquence d’une incapacité à effectuer des mouvements respiratoires suffisants.

Aucun caractère algique de l’affection n’est retrouvé lors de l’examen clinique.

La sensibilité est normale.

La neurolocalisation est périphérique multifocale ; elle pourrait être plus précisément radiculaire, nerveuse périphérique, jonctionnelle ou musculaire.

3. Diagnostic différentiel

Compte tenu du signalement du chien (fox-terrier âgé de six ans), de la présentation clinique de type motoneurone périphérique et de la durée d’installation, il est logique de suspecter principalement :

- une polyradiculoneuropathie : consécutive à un état d’hypothyroïdie, inflammatoire (polyradiculonévrite) ou dégénérative idopathique ;

- un syndrome myasthénique ;

- un botulisme (intoxination) ou une intoxication ;

- une myopathie.

4. Examens complémentaires

Analyses sanguines

Une mesure de l’activité plasmatique de la créatine kinase (CK) et un dosage de la T4 libre sont réalisés afin d’explorer une éventuelle hypothyroïdie ou une myopathie à l’origine des signes cliniques observés. Ces deux analyses se révèlent dans l’intervalle des valeurs usuelles : CK = 82 UI/l (norme : 0 à 50) et T4 libre = 24 nmol/l (norme : 10 à 50).

Analyse du liquide céphalorachidien

La ponction du liquide céphalorachidien (LCR) est réalisée en région lombaire sous anesthésie générale volatile (isoflurane). Le comptage en cellule de Malassez ne met pas en évidence de pléocytose (trois cellules mononuclées /mcl, norme < cinq cell/mcl). En revanche, une protéinorachie est retrouvée : 0,8 g/l (norme < 0,45 g/l).

L’absence de pléocytose associée à une protéinorachie constitue une dissociation albumino-cytologique. La réalisation d’une électrophorèse du LCR et du sérum permet d’évaluer le quotient albuminique : les concentrations plasmatiques sont exprimées en g/l et les concentrations dans le LCR en mg/l.

Le QA est augmenté : 1,33 (norme < 0,3), ce qui traduit une altération de la perméabilité de la barrière hématoméningée. L’analyse comparée des profils électrophorétiques du liquide céphalorachidien et du sérum ne révèle pas d’anomalies FIGURES “Électrophorèse haute résolution du liquide céphalo-rachidien non concentré” et “Électrophorèse haute résolution du sérum”.

Étude électrodiagnostique

• L’électromyographie met en évidence une activité spontanée marquée de dénervation FIGURE “Électromyogramme du triceps” sur les muscles interosseux et l’ensemble des muscles appendiculaires, ainsi qu’au niveau du cou. Les muscles de la tête sont indemnes.

• Les principales anomalies mises en évidence par l’électroneurographie sont TABLEAU “Résultats de l’électroneurographie” : une diminution systématique de l’amplitude des potentiels d’action musculaires (CMAP) FIGURE “Électroneurogramme de l’ulnaire”, une diminution de la vitesse de conduction nerveuse, en particulier pour le sciatique droit, et une absence d’onde F FIGURE “Tracé de l’étude de l’onde F”. La réponse décrémentale est normale.

L’ensemble des investigations est en faveur d’une polyradiculonévrite aiguë idiopathique (PAI) ou syndrome de Guillain-Barré chez l’homme.

5. Traitement

Il n’existe pas actuellement de traitement spécifique efficace pour la PAI. Les corticoïdes ne sont pas préconisés car ils ne permettent pas une amélioration des signes cliniques ni une récupération plus rapide [2, 6]. Ils aggravent en outre l’atrophie musculaire.

L’hospitalisation de l’animal est conseillée afin d’assurer une surveillance durant les premiers jours d’évolution car une paralysie des muscles respiratoires peut survenir dans certaines formes sévères.

Le traitement entrepris consiste principalement en un nursing pendant la phase la plus aiguë de la maladie. Il est en effet essentiel de prévenir la formation d’escarres en utilisant un matelas ou des coussins, et de bouger l’animal (paralysie flasque) dans diverses positions qui sont changées régulièrement (alternativement d’un décubitus à la position sternale, à l’autre décubitus).

La physiothérapie durant l’hospitalisation et à domicile est un aspect fondamental du traitement afin de limiter l’amyotrophie, de prévenir une ankylose consécutive à un décubitus prolongé et de faciliter la récupération. Une physiothérapie passive par mobilisation des membres en flexion-extension et une physiothérapie active par sollicitation du réflexe de retrait, en pinçant l’espace interdigité, sont pratiquées.

Pendant la phase aiguë de paralysie flasque, l’alimentation et la prise d’eau ne peuvent se faire de manière autonome car l’animal est incapable de lever la tête. Pendant l’hospitalisation, durant laquelle tout signe de paralysie respiratoire est attentivement noté, la pose d’une sonde naso-œsophagienne permet d’assurer une alimentation et une réhydratation liquide (de type Nergycare®). Ce type de produit permet de délivrer la quantité journalière nécessaire d’eau et de calories calculées en fonction du poids de l’animal. L’animal doit être maintenu en position sternale, la tête posée sur un coussin lors de l’administration du repas et pendant les vingt minutes suivantes afin de prévenir une fausse déglutition. La sonde naso-œsophagienne est en général bien tolérée et présente un caractère peu invasif ; avec la coopération du propriétaire, elle peut être utilisée à domicile si l’animal présente toujours des difficultés pour s’alimenter seul.

Dans l’attente des résultats de la concentration plasmatique en T4, une supplémentation thyroïdienne est entreprise (20 µg/kg de Lévothyrox®(1)).

L’animal est rendu à son propriétaire après cinq jours d’hospitalisation durant lesquels aucun signe de dyspnée n’a été noté. Il est encore tétraparétique non ambulatoire, mais présente quelques mouvements volontaires. Deux semaines sont nécessaires pour qu’il fasse ses premiers pas et un mois pour qu’il soit normalement ambulatoire. La voix s’est normalisée depuis. À deux mois, le propriétaire considérait la récupération comme étant de 95 %, l’animal ayant toujours des difficultés à sauter.

Discussion

1. Étiopathogénie

Les premiers cas de polyradiculonévrite aiguë (PA) ont été décrits chez le chien aux États-Unis suite à des morsures par des ratons laveurs, d’où la dénomination anglo-saxone : “coonhound paralysis” ou paralysie du raton laveur. Cette paralysie est reproductible expérimentalement par l’inoculation de salive de raton laveur chez le chien. Des cas de PA ont ensuite été décrits en dehors des zones d’habitat des ratons laveurs [6].

La PAI du chien constitue un modèle animal du syndrome de Guillain-Barré chez l’homme [7]. Le syndrome de Guillain-Barré n’a pas été relié à l’inoculation de salive de ratons laveurs, mais il est plus souvent associé à des infections virales ou bactériennes (Campylobacter jejuni notamment), à des vaccinations ou à des interventions chirurgicales [5]. Plusieurs sous-types sont distingués chez l’homme : la polyrdiculoneuropathie inflammatoire aiguë démyélinisante, le syndrome de Miller Fisher, la neuropathie axonale aiguë motrice et sensitive et la neuropathie axonale aiguë motrice. Il semble que ce dernier sous-type soit le plus proche de la PAI chez le chien [7].

L’étiologie n’est pas parfaitement connue, mais une origine immune est actuellement privilégiée. Aucun antécédent particulier n’a pu être mis en cause dans le cas décrit.

2. Signes cliniques

La présentation clinique est une faiblesse accompagnée d’anomalies de la démarche d’installation subaiguë. Un état tétraparétique s’installe et évolue vers la tétraplégie en quelques jours. L’atteinte nerveuse est de type MNP sur les quatre membres, avec parfois une modification de la voix, ce qui a été retrouvé dans ce cas.

3. Diagnostic

Le diagnostic lésionnel est permis par l’étude électrodiagnostique mais le diagnostic étiologique reste souvent impossible en l’absence de facteur déclenchant évident. Il convient de questionner les propriétaires sur un éventuel épisode infectieux ou sur un rappel vaccinal ayant précédé l’apparition des signes nerveux.

L’examen de choix est l’étude électrodiagnostique [1, 3]. L’électromyographie met en évidence une activité de dénervation qui peut être modérée ou marquée. La modification de l’onde F à l’électroneurographie est fréquente lors de PAI, en raison notamment de l’atteinte marquée de l’émergence nerveuse ventrale. L’onde F est un potentiel d’action musculaire tardif et son origine uniquement musculaire permet d’explorer l’émergence nerveuse ventrale. L’onde est étudiée avec une stimulation supramaximale.

Les modifications des ondes vont d’une forte dispersion temporelle associée à une augmentation de la latence, jusqu’à la disparition complète de cette onde. Ceci a été retrouvé dans l’étude électrodiagnostique effectuée sur ce cas. L’étude du décrément permet en partie d’écarter un syndrome myasthénique (diminution de la réponse) et le botulisme (réponse augmentée), du diagnostic différentiel.

La dissociation albumino-cytologique mise en évidence sur la ponction lombaire de LCR est un élément de suspicion supplémentaire de PAI. Elle n’est pas pathognomonique de cette affection mais, lorsqu’elle est présente, elle s’inscrit dans l’ensemble du tableau clinique et électrodiagnostique. Elle reflète une réaction inflammatoire humorale des racines nerveuses qui baignent dans le liquide céphalorachidien, avant leur regroupement en faisceaux nerveux.

4. Traitement et pronostic

Il est nécessaire d’exclure l’ensemble des affections qui peuvent entraîner une présentation clinique similaire [4] car, s’il ne s’agit pas de PAI, un traitement spécifique doit rapidement être mis en place. En revanche, lors de PAI, aucun traitement ne s’est révélé efficace en médecine vétérinaire pour diminuer le temps de récupération.

Une fois la suspicion diagnostique établie, une bonne communication avec le propriétaire en insistant sur la physiothérapie et la réalimentation, éventuellement par sonde naso-œsophagienne, offre des conditions de récupération optimales.

Le pronostic est le plus souvent favorable avec le temps ; il convient donc de rassurer le propriétaire face à une présentation clinique déroutante qui ne justifie pas de traitement spécifique. La durée de récupération varie de trois semaines à plusieurs mois selon les cas.

Une PAI peut être suspectée chez le chien lors d’atteinte symétrique de type motoneurone périphérique sur les quatre membres. Le pronostic est favorable dans la majorité des cas, même si la période de récupération peut s’étendre sur plusieurs semaines.

  • (1) Médicament à usage humain.

Points forts

• Une dissociation albumino-cytologique mise en évidence sur une ponction lombaire de LCR est un élément de suspicion de PAI. Elle n’est toutefois pas pathognomonique.

• Le diagnostic lésionnel de la PAI repose sur l’observation de modifications de l’onde F à l’électroneurographie : disparition de l’onde F ou augmentation de son temps de latence.

• Avant d’entreprendre le traitement non spécifique de la PAI, il convient d’exclure les autres affections susceptibles de provoquer un tableau clinique similaire et pour lesquelles un traitement spécifique pourrait être mis en œuvre.

• Aucun traitement n’accélère la récupération lors de PAI.

• Lors de PAI, la période de récupération peut être longue (de trois semaines à plusieurs mois).

  • 1 - Blot S. Électrodiagnostic des affections neuromusculaires. Point Vét. 1991 ; 23 : 585-595.
  • 2 - Cuddon PA. Acquired canine peripheral neuropathies. Vet. Clin. N. Amer.-Small Anim. Pract. 2002 ; 32(1) : 207-249.
  • 3 - Cuddon PA. Electrophysiologic assessment of acute polyradiculoneuropathy in dogs : comparison with Guillain-Barre syndrome in people. J. Vet. Intern. Med. 1998 ; 12(4) : 294-303.
  • 4 - Duncan ID. Peripheral neuropathy in the dog and cat. Prog. Vet. Neurol. 1991 ; 2(2) : 111-128.
  • 5 - Gehring R, Eggars B. Suspected post-vaccinal acute polyradiculoneuritis in a puppy. J. S. Afr. Vet. Assn. 2001 ; 72(2) : 96.
  • 6 - Northington JW et coll. Acute idiopathic polyneuropathy in the dog. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1981 ; 179(4) : 375-379.
  • 7 - Yates RM. Acute idiopathic polyradiculoneuritis : recent developpement in Guillain-Barré syndrome with possible application to coonhound paralysis in dogs. Aust. Vet. Prac. 2000 ; 30(4) : 168-172.
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