La septicémie du veau : moins d’inconnues - Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004
Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004

MALADIES INFECTIEUSES NÉONATALES

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Philippe Houffschmitt*, Emmanuel Thomas**, François Beaussart***

Fonctions :
*Responsable technique,
Intervet SA (49)
**Clinicien, Intervet Pharma R&D
(Allemagne)
***Route de Domfront
61330 Céaucé

Des études récentes attestent de la fréquence de circulation d’agents pathogènes jusqu’alors insoupçonnés dans le sang des veaux en décubitus et qui présentent une tachycardie.

Les septicémies des veaux restent une zone d’ombre diagnostique et thérapeutique pour le praticien. Les septicémies demeurent également une affection majeure chez l’homme, avec par exemple 251 000 morts aux États-Unis en l’an 2000 [9].

Chez les bovins, peu d’études de prévalence sont disponibles. Les entérobactéries ne seraient pas les seuls germes en cause. Une approche probabiliste recommande l’administration d’un antibiotique à large spectre par voie systémique chez les veaux âgés d’une semaine, couchés et abattus.

Première étape : Suspecter une septicémie face à un tableau clinique multiforme

1. Signes évocateurs

La septicémie se définit comme la circulation de germes pathogènes dans le sang, avec l’atteinte d’un ou plusieurs organes. Les portes d’entrée chez les veaux sont digestives, respiratoires et ombilicales.

Les observations les plus fréquentes chez des veaux septicémiques sont un abattement ou une grande faiblesse, une tachycardie/tachypnée et une inaptitude à se tenir debout. Une communication récente fait état d’une probabilité de 30 % d’atteinte septicémique chez les veaux âgés de sept jours, couchés et abattus [3] (PHOTO 1). De même, sur plusieurs échantillons d’une centaine de veaux présentant plusieurs caractéristiques d’un état septicémique, une équipe canadienne a pu objectiver la circulation de germes pathogènes dans le sang de 24 à 31 % des animaux [4].

La déshydratation n’est pas toujours prononcée, les matières fécales ne sont pas forcément modifiées et la température rectale peut être élevée ou basse [1].

Compte tenu des localisations secondaires des germes dans l’œil, la capsule synoviale ou les méninges, des signes fréquemment associés à l’état septicémique sont une uvéite (PHOTO 2), une (poly)arthrite (PHOTO 3) ou des troubles neurologiques (PHOTO 4) [5].

2. Limites du diagnostic par hémoculture

Le praticien confronté à une septicémie n’a pas systématiquement recours à l’hémoculture. Cet examen présente en outre certaines limites. Les cultures bactériologiques sur prélèvements de sang, réalisées dans le cadre de l’étude française conduite en 2001 sur une centaine de veaux qui présentaient des symptômes évocateurs de septicémie ne se sont ainsi révélées positives que dans 22 % des cas TABLEAU “Signes cliniques observés sur une population de veaux septicémiques de quatre jours d’âge moyen”.

De même, lors d’une étude réalisée en 1993 [1], sur un total de 95 veaux réellement septicémiques, seuls 26 % ont été détectés par cette méthode ; les autres cas l’ont été par culture sur liquide d’épanchement ou sur tissu après autopsie…

La détection des germes dans le sang est améliorée si la taille de l’inoculum est augmentée [2]. Deux prélèvements de sang successifs, espacés d’une journée, sont en outre fréquemment recommandés en médecine humaine pour objectiver une septicémie, ce qui est rarement réalisé dans les enquêtes vétérinaires : la deuxième prise de sang augmenterait pourtant la détection de 25 % [2]. La qualité de la conservation de l’échantillon et de son acheminement joue aussi un rôle dans le résultat final.

En raison des limites de sensibilité de la culture simple pour le diagnostic des septicémies, la médecine humaine recourt de plus en plus à la biologie moléculaire. Cette technique pourrait être employée à l’avenir en médecine vétérinaire dans cette indication diagnostique.

3. Des agents pathogènes atypiques

Les méthodes de laboratoire de routine ne sont pas non plus forcément adaptées. Les recherches de germes anaérobies ou de levures sont ainsi coûteuses et pas toujours demandées par le praticien. Or, chez l’homme [12], comme chez le poulain [13] (chez lequel les septicémies ont été particulièrement étudiées), les entérobactéries (colibacilles, klebsielles, etc.) ne possèdent pas le monopole de l’invasion systémique.

Chez le veau, les études les plus complètes montrent une fréquence non négligeable - près de 25 % - de septicémies dues à des anaérobies Gram négatifs (Bacteroïdes, Prevotella, etc. : germes souvent à l’origine d’omphalites ou de panaris) et à des coques Gram positifs (Staphylococcus, Streptococcus, etc.) [4]. Une étude multicentrique récente, conduite dans le cadre de l’obtention d’une AMM, a identifié un Clostridium perfringens et de nombreux colibacilles (avec en tête les sérotypes CS31A et F41) comme agents responsables de septicémies, chez des veaux âgés de quatre jours en moyenne, recrutés dans douze départements français [10].

Des études sur prélèvements d’organes ont montré jusqu’à 30 % de polymicrobisme associé aux septicémies du veau [1].

Deuxième étape : Traitement

1. Antibiotique(s) : deux choix avec AMM en monothérapie

Une antibiothérapie à large spectre et à bonne diffusion est à privilégier.

Outre d’anciennes combinaisons (pénicillines et aminosides ou pénicillines et colistine) aux indications très larges de type “affections à germes sensibles”, deux antibiotiques ont une AMM spécifique pour le traitement des septicémies des veaux : la cefquinome (Cobactan®) et la gentamicine (Forticine®, Pangram®, G4®, Septigen®, Totamicine®, Vetrigen®).

• La gentamicine, dont la diffusion est restreinte, reste une option possible. La proportion de souches sensibles de colibacilles issus de diarrhées de veaux semble toutefois modeste TABLEAU “Sensibilité à différents antibiotiques de 98 souches d’ Lors de septicémie chez le veau, la gentamicine est préconisée dans l’AMM en trois injections quotidiennes (3 mg/kg toutes les huit heures) pendant trois jours.

• La cefquinome dispose d’une AMM dans cette même indication en une seule injection quotidienne (2 mg/kg) pendant trois jours (AMM validée en 2003).

Pour les colibacilles d’origine digestive (fréquemment impliqués dans les septicémies des veaux), les résistances aux céphalosporines de dernière génération sont extrêmement rares (moins de 1 %) [6]. Cette caractéristique, ainsi que leur activité sur tous les germes Gram positifs (notamment streptocoques) et leur diffusion dans les foyers d’infection secondaire (liquide synovial, uvée, méninges inflammées et liquide céphalorachidien) [11], font des céphalosporines de dernière génération une famille éligible pour le traitement des septicémies des veaux et la prévention des complications.

• En médecine humaine, en raison de la variété des germes en cause et de la fréquence des résistances lors d’infection nosocomiale, il n’est pas rare que les pédiatres prescrivent des associations de type céphalosporines + gentamicine en milieu hospitalier [7].

2. Un traitement d’appoint contre l’état de choc

La plupart des traitements entrepris chez des veaux septicémiques prennent en compte la composante endotoxémique de la maladie [8]. Un anti-inflammatoire et une fluidothérapie par voie injectable sont souvent administrés en plus du traitement antibiotique. L’état de choc septique est une complication fréquente lors de septicémie et l’administration de corticoïdes est alors recommandée.

La réhydratation est à moduler selon les besoins. Chez les veaux septicémiques, la déshydratation est fréquente, mais pas systématique et plus ou moins prononcée.

3. Mettre l’accent sur la prévention

Souvent, les cas de septicémie ne sont pas isolés dans une même exploitation [1]. Une mesure essentielle de prévention consiste à assurer la prise précoce et en quantité suffisante d’un colostrum de qualité. Il convient de vérifier les protocoles vaccinaux, l’alimentation des mères, et la conduite des vêlages. Les mesures hygiéniques associées sont les mêmes que celles généralement recommandées dans la lutte contre les diarrhées ou les omphalites néonatales : hygiène au vêlage et hygiène du bâtiment.

Congrès

3 - Bezille P. Le veau couché. Journées Nationales GTV Nantes. 2003 : 87-88.

6 - Guérin-Faublée V, Carret G, Pichat C et coll. Sensibilité aux antibiotiques de colibacilles isolés lors de diarrhées néonatales chez le veau. Réunion Interdisciplinaire de chimiothérapie anti-infectieuse. Paris le 5 décembre 2003.

8 - Navetat H, Schmitt E, Rizet C et coll. Septicémie colibacillaire du veau nouveau-né : approche du praticien. SFB. Paris 5 et 6 novembre 2003 : 142-144.

10 - Thomas E, Skowronski V, Roy O et coll. Septicémie néonatale des veaux : efficacité comparée de la cefquinome et de la gentamicine. Journées Nationales GTV Tours. 2002 : 801.

11 - Thomas E, Allan M, Boettner A. Pharmacokinetics of cefquinome in porcine cerebrospinal fluid. Congrès de l’International Pig Veterinary Society, 2002.

  • 1 - Aldridge BM, Garry FB, Adams R. Neonatal septicemia in calves : 25 cases (1985-1990). J. Amer. Vet. Assn. 1993 ; 203 : 1324-1329.
  • 2 - Aronson MD, Bor DH. Blood cultures. Ann. Intern. Med. 1987 ; (106) : 246-253.
  • 4 - Fecteau G, Pare J, Van Metre DC et coll. Bateriological culture of blood from critically ill neonatal calves. Can. Vet. J. 1997 ; (38) : 95-100.
  • 5 - Gay CC, Besser TE. Escherichia coli septicaemiain calves. In : Escherichia coli in domestic animals and humans. Editor CL Gyles. CAB international, Wallingford, Oxon, UK. 1994 : 75-90.
  • 7 - Kim YK, Pai H, Lee HJ et coll. Bloodstream infections by extended-spectrum ß-lactamase-producing Escherichia coli and Klebsiella pneumoniae in children : Epidemiology and clinical outcome. Antimicrobial agents and chemotherapy. 2002 ; 46(5) : 1481-1491.
  • 9 - Russo TA, Johnson JR. Medical and economic impact of extraintestinal infections due to Escherichia coli : focus on an increasingly important endemic problem. Microbes and Infections. 2003 ; 5 : 449-456.
  • 12 - Weinstein M, Reller L, Murphy J et coll. The clinical significance of positive blood cultures : a comprehensive analysis of 500 episodes of bacteremia and fungemia in adults : I. Laboratory and epidemiologic observations. Rev. Infect. Dis. 1983 ;(5) : 35-53.
  • 13 - Wilson W, Madigan J. Comparison of bacteriological culture of blood and necropsy specimens for determining the cause of foal septicaemia : 47 cases (1978-1987). J. Amer. Vet. Med. Assn. 1989 ; 195 : 1759-1763.
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