Conduite à tenir devant une obstruction urétrale - Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004
Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004

URO-NÉPHROLOGIE DU CHAT

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Cécile Soyer

Fonctions : Clinique vétérinaire
176, boulevard Charles de Gaulle
92700 Colombes

L’obstruction urétrale féline est une urgence médicale. Il convient d’abord de lever l’obstacle et de soulager la douleur. La correction des déséquilibres hydroélectrolytiques et de l’insuffisance rénale constitue la seconde mesure.

La maladie du bas appareil urinaire du chat (MBAU) est étudiée dans cet article en se limitant à sa seule forme obstructive. Elle concerne majoritairement les chats mâles adultes, âgés de deux à six ans, castrés, peu actifs, qui présentent une prédisposition à l’embonpoint et reçoivent un régime constitué uniquement d’aliments secs [2, 9, 10].

L’origine de la MBAU du chat est plurifactorielle (voir l’ENCADRÉ “Étiologie de la forme obstructive de la MBAU chez le chat”)

La prévention passe par l’analyse urinaire et la distribution d’une ration adaptée, avec une préférence pour les aliments humides.

La MBAU constitue une urgence médicale, qui nécessite dans certains cas une intervention chirurgicale : l’urétrostomie périnéale. Cette dernière peut cependant être différée ou évitée, par un sondage urétral ou, le cas échéant, par la mise en place d’une sonde de cystotomie antépubienne.

Première étape : diagnostiquer l’obstruction urétrale

1. Recueil des commémoratifs

• Le propriétaire signale presque toujours un changement du comportement urinaire du chat (pollakiurie, strangurie) ou consulte parfois pour une “constipation” qui est confondue avec la dysurie.

Selon la durée d’évolution, d’autres symptômes peuvent aussi être décrits : anorexie, vomissements, hypothermie et abattement.

• L’évolution vers une insuffisance rénale aiguë post-rénale est possible en 48 heures. En l’absence de traitement, la mort du chat survient dans les trois à six jours qui suivent l’obstruction.

2. L’examen clinique

• Un globe vésical est presque toujours palpable et plus ou moins douloureux. Une déshydratation et souvent une hématurie sont observées, associées à une bradycardie lors d’hyperkaliémie. Une éventuelle hypothermie est un élément péjoratif pour le pronostic.

• Lorsque la vessie n’est pas palpable, et/ou si un épanchement abdominal est suspecté, une rupture pariétale est à envisager. La paracentèse abdominale confirme alors la rupture vésicale et l’urgence d’une intervention chirurgicale réparatrice.

3. Les examens complémentaires

• Une cystocentèse permet la réalisation d’un examen physique et cytobactériologique urinaire précoce (l’analyse du culot urinaire est un examen simple qui peut être pratiqué à la clinique). Ce geste permet également de soulager l’animal.

Il n’est toutefois entrepris en première intention que lorsque des commémoratifs précis sont en faveur d’une obstruction récente et il est réalisé sous anesthésie ou non, en fonction de l’état de l’animal. Les risques de rupture pariétale sont élevés et le prélèvement n’est entrepris que sur un animal dont la contention est parfaitement assurée.

• D’autres examens complémentaires permettent d’apprécier le pronostic vital.

L’insuffisance rénale post-rénale induite par l’obstruction est appréciée (dosage de l’urémie et de la créatininémie), ce qui permet de mesurer le risque anesthésique.

La mesure de la kaliémie et de la réserve alcaline permet également d’évaluer le risque anesthésique. Toutefois, elle n’est pas toujours facilement accessible en pratique courante et les résultats sont en outre rapidement modifiés après la levée de l’obstacle urétral.

L’électrocardiogramme peut permettre d’estimer la kaliémie en urgence, lorsque le dosage sérique n’est pas immédiatement disponible. Lors d’hyperkaliémie sévère (au-delà de 6 mEq/l), une bradycardie et des modifications caractéristiques de l’électrocardiogramme sont en effet généralement observées. Ces anomalies électrocardiographiques et biochimiques ne sont toutefois pas toujours corrélées entre elles TABLEAU “Signes électrocardiographiques associés à différentes valeurs de kaliémie supérieures à 5 mEq/l”).

• La radiographie permet de vérifier l’intégrité de la vessie et surtout de mettre en évidence d’éventuels calculs qui peuvent nécessiter une cystotomie. Si la vessie est palpable, cet examen peut être différé.

Lorsque le diagnostic d’obstruction urétrale est établi, la seule urgence est de soulager l’animal en levant l’obstacle urétral.

Deuxième étape : réanimation médicale

1. La levée de l’obstacle

• Si les paramètres biologiques et l’état clinique du chat le permettent, un sondage urétral est tenté sous anesthésie, afin de vidanger et de rincer la vessie (PHOTOS 1 ET 2). La sonde urinaire est introduite sans son mandrin, puis deux ou trois injections-aspirations de 30 ml de solution stérile non-irritante (NaCl ou lactate de Ringer) sont réalisées et permettent de diminuer au maximum la cristallurie.

Une anesthésie gazeuse (cage, puis masque) suffit souvent à la pose du cathéter et de la sonde urétrale. Si des agents anesthésiques injectables sont utilisés, il convient de diminuer les doses de kétamine de 50 % (1 à 2 mg/kg par voie intraveineuse) et de l’associer au diazépam(1) (Valium®(1)) pour la myorelaxation (0,1 à 0,2 mg/kg). Les α-agonistes (xylazine et médétomidine) bradycardisants sont à proscrire chez les chats qui présentent une hyperkaliémie.

Toutes les manipulations sont arrêtées s’il existe un risque d’endommager l’urètre.

• Lorsque le sondage urétral n’est pas possible, une cystocentèse permet de relâcher la pression exercée sur l’urètre et de soulager l’animal. Elle peut parfois être entreprise sur le chat vigile. Le praticien doit toutefois évaluer au cas par cas le rapport bénéfice/risque de ce geste et la nécessité d’anesthésier ou non l’animal.

Afin de limiter les risques de déchirure de la paroi vésicale fragilisée, l’aiguille est inclinée à 45° vers l’arrière par rapport à la ligne blanche, de sorte que la vessie glisse le long de l’aiguille lorsqu’elle se vide.

• L’utilisation d’un cathéter (type Vasocan®, bleu) sans mandrin, introduit après une anesthésie locale à la xylocaïne par exemple, peut permettre une hydropulsion rétrograde. De grandes quantités de fluide (200 à 300 ml de lactate de Ringer par exemple) sont injectées dans le cathéter. L’extrémité du pénis est comprimée lors de l’injection afin de créer une surpression et une dilatation urétrale, puis l’extrémité distale du pénis est libérée, pour laisser s’écouler le liquide et le matériel qui obstruent l’urètre. Lors de cette manipulation, le pénis est tiré vers l’arrière et vers le haut pour supprimer son inflexion anatomique.

Une autre approche consiste à essayer de mobiliser ou de désagréger le matériel obstructif par massage transrectal de l’urètre.

• Lorsque malgré toutes les tentatives, le sondage urétral se révèle impossible, la pose d’une sonde de cystotomie antépubienne ou une urétrostomie périnéale peut être envisagé(e). L’intervention chirurgicale n’est envisagée que sur des animaux stabilisés (biologiquement et cliniquement).

Si une voie de drainage à demeure ne peut être mise en place, le recours à des cystocentèses répétées pendant 24 heures peut parfois être nécessaire. Un sondage urétral brutal et/ou forcé ne donne jamais un résultat satisfaisant : il provoque des lésions définitives de l’urètre (qui peuvent aller jusqu’à la rupture) qui compromettent les chances de guérison du chat.

• Une fois la sonde urétrale en place, elle est fixée à demeure pour 48 heures et reliée par une tubulure de perfusion à une poche fermée, ce qui permet d’évaluer précisément la diurèse et de limiter les infections ascendantes. Quatre rinçages quotidiens sont effectués. Certains auteurs [3, 4] préfèrent retirer la sonde après les premiers rinçages, afin d’éviter les risques de surinfection bactérienne et les lésions urétrales iatrogènes. Une récidive survient toutefois dans la plupart des cas, après 24 à 48 heures [9].

2. Corriger les déséquilibres hydroélectrolytiques

En première intention, une solution de chlorure de sodium, exempt de potassium, est administrée en perfusion avec, si nécessaire, une correction qui correspond à la déshydratation. Il convient ensuite de corriger les déséquilibres électrolytiques.

L’hyperkaliémie

Dans la plupart des cas, la levée de l’obstruction urétrale conduit à une normalisation rapide de la kaliémie (dans les quatre heures qui suivent la levée de l’obstacle).

Lorsque la kaliémie est supérieure à 8 mEq/l ou si elle induit des modifications électrocardiographiques, une prise en charge spécifique est toutefois nécessaire [2] TABLEAU “Correction de l’hyperkaliémie”).

L’hypokaliémie

L’hypokaliémie est caractérisée cliniquement par une faiblesse musculaire et une ventroflexion de la nuque. Elle survient après la levée de l’obstruction urétrale et la reprise de la diurèse. Elle est liée, entre autres, à une perte momentanée de la capacité rénale à concentrer les urines et réabsorber le potassium.

Il convient de réaliser la correction dans les 24heures qui suivent le cathétérisme urétral, grâce à l’apport de solutés complémentés en potassium TABLEAU “Correction de l’hypokaliémie”).

L’acidose métabolique

L’acidose métabolique (baisse des bicarbonates sanguins et hypocapnie) est secondaire à l’insuffisance rénale post-rénale. Elle peut se traduire par des vomissements et de l’anorexie ou être asymptomatique.

Son évaluation passe par la mesure de la réserve alcaline (pH, pCO2, [HCO3-]sérique). La correction est nécessaire si [HCO3-]total < 15 mmol/l ou si le pH < 7,2 (voir l’ENCADRÉ “Correction de l’acidose métabolique”).

3. Traiter l’insuffisance rénale

L’insuffisance rénale est traitée par une fluidothérapie classique : 60 ml/kg/j de soluté de lactate de Ringer, à corriger en fonction de la déshydratation et de la diurèse de l’animal [2, 10]. Il convient de ne pas sous-estimer le risque de surcharge volumique, élevé chez le chat.

4. Traiter l’infection urinaire

La présence d’une infection urinaire initiale est rare chez les chats qui présentent une obstruction. Afin de limiter sa survenue, il convient de veiller à la pose aseptique du cathéter urétral et de recontrôler la bactériurie lors du retrait de la sonde urétrale [9, 10]. À défaut, un traitement antibiotique de couverture est généralement instauré, ce qui peut conduire à la sélection des germes résistants aux antibiotiques.

5. Lutter contre la douleur

La levée du spasme urétral permet souvent de soulager l’animal. L’efficacité des antispasmodiques pour lutter contre la douleur n’a pas été démontrée.

La corticothérapie de courte durée (prednisolone 0,5 à 1 mg/kg/j pendant 24 à 48 heures) est utile dans les cas d’urétrites sévères qui empêchent une reprise correcte de la diurèse [10].

Si la fonction rénale du chat est correcte, le recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (par exemple acide tolfénamique, Tolfédine® : 2 à 4 mg/kg/48 heures par voie sous-cutanée) est intéressant pour leur rôle antalgique [11].

Les morphiniques (Morphine(1) : 0,1 à 0,2 mg/kg/trois fois par jour, par voie sous-cutanée) sont également utilisables [11].

6. Complications neurologiques de la vidange vésicale

Les complications neurologiques peuvent être de deux ordres :

- la vessie peut devenir atone en raison d’une distension mécanique des plexus nerveux intramusculaires ;

- des spasmes urétraux peuvent également apparaître secondairement à l’urétrite traumatique (liée à l’obstruction et au cathétérisme urétral).

Le plus souvent, les vessies atones retrouvent une contractilité normale en trois à cinq jours, sous réserve que la vessie soit maintenue vide (par vidange manuelle ou par sondage), afin de laisser le détrusor au repos.

Des traitements médicaux peuvent favoriser la contraction vésicale et lever le spasme urétral [3, 6] TABLEAU “Traitement des complications neurologiques”).

Le traitement est poursuivi dix jours, au-delà desquels une atonie persistante peut être considérée comme irréversible [2].

Il convient de prendre en charge précocement l’obstruction urétrale du chat, en veillant à limiter au maximum les lésions traumatiques de l’urètre. La réanimation médicale est mise en place en première intention, mais une intervention chirurgicale peut être nécessaire et le pronostic est nettement plus favorable si la muqueuse urétrale a été épargnée lors des premières phases de traitement. Les indications de l’urétrostomie périnéale et la chronologie des interventions seront exposées dans un second article.

  • (1) Médicament à usage humain.

Étiologie de la forme obstructive de la MBAU chez le chat

La réduction du diamètre urétral dans sa partie pénienne semble favoriser l’apparition des obstructions : le diamètre de l’urètre pubien est en effet de 5 mm alors que celui de l’urètre pénien est inférieur à 1 mm.

Les phénomènes infectieux ne sont quasiment jamais présents initialement lors d’obstructions urétrales félines. Les facteurs en cause sont les sécrétions des glandes prostatiques du chat mâle, les aliments riches en minéraux, les variations de pH urinaire, une diminution de la diurèse avec une hyperosmolarité des urines. Une origine virale (calicivirus) est actuellement suspectée. Les facteurs de risques sont donc représentés par :

-une ration qui induit une cristallurie importante et une saturation des urines ;

- un apport en eau insuffisant qui entraîne une diminution du volume urinaire et favorise la concentration des urines ;

- l’inactivité et l’embonpoint (souvent liés à la castration et à la sédentarité).

L’ensemble de ces facteurs aboutit à une diminution des mictions et à une saturation des urines. Une matrice protéique enrichie de concrétions minérales donne alors naissance aux bouchons qui obstruent l’urètre post-prostatique du chat mâle ; une urétrite primitive ou secondaire est souvent présente. L’obstruction urétrale est donc le résultat de la synergie de phénomènes inflammatoires et des facteurs qui favorisent la cristallurie [7].

Au cours des années 80, la plupart des MBAU du chat étaient liées à un régime riche en magnésium et phosphore, et à un pH urinaire basique : les cristaux isolés étaient alors surtout des struvites. Depuis vingt ans, une augmentation de la proportion des cristaux d’oxalates de calcium dans la composition des calculs urinaires est toutefois constatée : l’utilisation inadéquate des régimes struvitolytiques sous forme sèche serait à l’origine de cette évolution. Les agrégats minéraux associés aux bouchons restent toutefois majoritairement composés de struvites [12] TABLEAU « Évolution de la composition chimique des bouchons et des calculs urinaires chez le chat »).

En savoir plus

- Cotard J-P. L’obstruction urinaire. Point Vét. 1998 ; 29 (n° spécial « Les urgences chez les carnivores domestiques ») : 521-523.

- Gaschen F. Maladies du bas appareil urinaire du chat. Actualités sur les urolithiases félines. Point Vét. 2001 ; 32(n° spécial « Urologie et néphrologie des carnivores domestiques ») : 104-107.

- Jacques D. Bouvy B. Geste de base. L’urohydropropulsion chez les carnivores domestiques. Point Vét. 2001 ; 32(220) : 56-57.

- Péchereau D. Analyse d’urine. Une fenêtre sur le système urinaire, Point Vét. 2001 ; 32(n° spécial « Urologie et néphrologie des carnivores domestiques raquo) : 16-21.

Correction de l’acidose métabolique

La correction de l’acidose métabolique est nécessaire si :

[HCO3-] < 15 mmol/l.

Du bicarbonate de sodium est apporté suivant la formule :

Quantité de NaHCO3 à apporter (en mEq/l) : = poids (kg) x 0,3 x (23 – [HCO3-]mesuré (mEq/l))

Si les dosages peuvent être réalisés sur place : le quart de cette dose est administré en deux heures, puis la réserve alcaline est réévaluée et la dose à apporter est alors recalculée.

Si les dosages ne sont pas effectués sur place : la moitié de la dose nécessaire est administrée en douze heures, puis le quart dans les douze heures suivantes. Une nouvelle mesure de [HCO3-] est alors réalisée (après 24 heures).

  • 1 - Cotard JP. Néphrologie et urologie du chien et du chat. Éditions Prat. Méd. Chir. Paris. Anim. Comp. 1993 : 373 p.
  • 2 - Cotard JP. L’urolithiase féline. Point Vét. 1992 ; 24(146) : 53-65.
  • 3 - Cotard JP. Troubles neurologiques de la miction chez le chien et le chat. Point Vét. 1989 ; 21(121) : 199-210.
  • 4 - Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of veterinary internal medicine. 5e ed. WB Saunders, Philadelphia. 2000 : 1710-1747.
  • 5 - Lees GE. Use and misuse of indwelling urethral catheters. Vet. Clin. N. Amer.-Small Anim. Pract. 1996 ; 26 : 499-505.
  • 6 - O’Brien D. Les troubles de la miction d’origine nerveuse. Point Vét. 1991 ; 23(n° spécial « neurologie ») : 193-202.
  • 7 - Osborne CA, Lulich JP, Thumchai R et coll. Feline urolithiasis, etiology and physiopathology. Vet. Clin. N. Amer.-Small Anim. Pract. 1996 ; 26 : 217-231.
  • 8 - Osborne CA, Lulich JP, Kruger JM and coll. Feline urethral plugs, etiology and physiopathology. Vet. Clin. N. Amer.-Small Anim. Pract. 1996 ; 26 : 233-253.
  • 9 - Péchereau D. Obstruction urétrale chez le chat. Point Vét. 2001 ; 32(217) : 40-41.
  • 10 - Ross L. FUS : a new look at an old feline affliction. Vet. Med.1990 ; 85(11) : 1193-1222.
  • 11 - Troncy E, Kéroack S. Bien gérer la douleur. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1999 ; 34(3 : supplément « pathologie féline ») : 405-419.
  • 12 - Vedrenne N. L’urolithiase féline : actualités épidémiologiques. Point Vét. 2003 ; 34(232) : 44-48.
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