Petite douve : l’albuminémie évolue avec l’infestation - Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004
Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004

CESTODOSES DES BOVINS

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Raphaële Juliard

Fonctions : 84, rue Jean-Jacques-
Rousseau
18100 Vierzon

La mesure de l’albumine, comme outil de diagnostic de la dicrocœliose chronique, a été étudiée et comparée à la coproscopie dans un troupeau charolais.

Malgré sa symptomatologie relativement fruste chez les bovins, la pathogénicité de la petite douve (Dicrocoelium lanceolatum) dans l’espèce bovine est désormais connue. La forme chronique classique de la dicrocœliose est la plus fréquente, avec une altération de l’état général, un amaigrissement et une parésie puerpérale, probablement dus à un mauvais fonctionnement hépatique. La prévalence de cette maladie reste sous-estimée, en raison des difficultés de diagnostic. En effet, l’excrétion parasitaire d’œufs d Dicrocoelium (PHOTO 1) est peu abondante et irrégulière chez les bovins, contrairement aux ovins. Seul un animal infesté sur trois est détecté grâce à la coproscopie.

L’existence d’une hypo-albuminémie chez les individus infestés a été signalée [2]. Ce paramètre biochimique a été suivi chez les cent quarante bovins d’un même troupeau afin d’évaluer la fiabilité d’un diagnostic fondé sur ce dosage.

Dosages au printemps

Trois lots ont été constitués : un lot témoin, un lot d’animaux traités contre les petites douves avec du nétobimin (lot 1) et un lot d’animaux traités à la fois contre les petites douves avec du nétobimin et contre les paramphistomes avec de l’oxyclozanide (lot 2). Tout le troupeau étant infesté par les paramphistomes, cette étude a pour objectif de vérifier que la présence de ces parasites n’influe pas sur le taux d’albumine des animaux. L’excrétion parasitaire pour les petites douves et les paramphistomes a été suivie tout au long de l’essai.

Les premiers prélèvements coproscopiques sont réalisés en janvier (P) afin d’évaluer l’infestation parasitaire des animaux du troupeau inclus dans l’étude. Le traitement antiparasitaire des individus qui appartiennent aux lots traités est effectué début mars (J0). Les prélèvements suivants ont lieu fin mars, trois semaines après le traitement (J21), et fin avril (J53).

Les dosages d’albumine sont réalisés début mars (J0), afin d’évaluer l’albuminémie des animaux avant l’administration du traitement antiparasitaire, fin mars (J21) (délai d’action des antiparasitaires respecté) et fin avril (J53).

Le paramphistome n’influe pas sur l’albuminémie

Une baisse significative de l’albuminémie(0,01< 0,02) est observée dans le lot témoin entre J0 et J21 (voir la FIGURE“Comparaison de l’évolution de l’albuminémie dans les trois lots”), alors que ce paramètre est stable dans les lots 1 et 2. Ces résultats semblent confirmer l’existence d’une hypo-albuminémie chez les animaux infestés par les petites douves.

L’absence de différence de ce dosage entre les lots 1 et 2 à J21 semble indiquer que les paramphistomes n’ont aucune influence sur l’albuminémie des individus infestés (ce sont des parasites du rumen et non du foie).

Interprétation cinétique

Une augmentation de l’albuminémie est observée chez tous les animaux en avril. Or, les prélèvements sont réalisés alors que ces derniers sont remis à l’herbe. Cette hausse est attribuée à un changement d’alimentation, le troupeau étant nourri au fourrage, sans compléments alimentaires, pendant l’hiver. Les résultats obtenus au mois d’avril ne sont donc pas interprétables en fonction du parasitisme car des facteurs externes (ici l’alimentation) ont modifié l’albuminémie de tous les individus inclus dans l’étude.

À J0, alors qu’aucun traitement antiparasitaire n’a encore été mis en œuvre, la différence entre l’albuminémie du lot témoin et celle du lot 2 est significative. Ce paramètre est donc une valeur délicate à interpréter à partir d’un seul dosage. Le dosage d’albumine pour un diagnostic individuel de la dicrocœliose chronique à un moment donné paraît d’une utilisation difficile. Toutefois, cette méthode semble utilisable pour le suivi de l’infestation d’un troupeau, notamment dans le cadre d’études d’efficacité d’un dicrocœlicide. Il convient de rester prudent lors de l’interprétation des valeurs de l’albuminémie car celle-ci est soumise à d’importantes variations, dues à de nombreux facteurs externes et internes.

Paradoxe coproscopique

Il a été impossible de mettre en évidence un effet du traitement antiparasitaire sur l’excrétion d’œufs de petites douves par la coproscopie. Le pourcentage de réduction de l’excrétion parasitaire des lots traités (lots 1 et 2) n’est que de 33 % à J21, contre 14 % dans le lot témoin (voir la FIGURE “Comparaison du taux d’animaux excréteurs d’œufs de ). Cette réduction n’est pas significative pour les lots traités (au risque d’erreur de 5 %), alors qu’elle l’est pour le lot témoin (0,04 < p < 0,05). En avril, à J53, l’excrétion parasitaire est plus élevée dans les lots traités que dans le lot témoin. Le pourcentage de réduction de l’excrétion parasitaire à J53 n’est toujours pas significatif pour le lot traité, alors qu’il l’est pour le lot témoin (p < 0,001). Ces résultats semblent donc paradoxaux. En avril (à J53), l’excrétion parasitaire se révèle plus faible dans les deux lots (cela avait déjà été mis en évidence dans de précédentes études [11, 12]), et la baisse d’excrétion spontanée dans le lot témoin montre que l’interprétation de ces résultats est délicate. Avril n’est pas un mois propice à la réalisation de coproscopies pour la recherche de petites douves.

La coproscopie ne semble donc pas constituer une méthode de suivi de l’infestation adaptée à un parasite qui présente une excrétion aussi irrégulière que la petite douve.

Pas de mélange de sérums

Dans cette étude, l’efficacité du traitement a été montrée lors du suivi de l’albuminémie par une baisse de la concentration moyenne d’albumine sérique dans le lot témoin, alors que les lots traités avec du nétobimin présentent une concentration stable. Cette méthode semble donc plus adaptée que la coproscopie pour le suivi de l’infestation d’un troupeau, notamment dans le cadre d’essais sur l’efficacité d’un dicrocœlicide. L’albuminémie étant soumise à des variations individuelles importantes (la concentration sérique moyenne d’albumine à J0 est relativement différente dans les trois lots), elle ne constitue pas un témoin fiable lors de diagnostic individuel à un moment donné. Le mélange des sérums de différents individus est en outre contre-indiqué.

Il convient de se méfier de l’influence de paramètres externes sur l’albuminémie, telle l’alimentation. Il est également difficile d’établir des valeurs usuelles de l’albuminémie car les dosages sont variables selon la méthode utilisée.

Le praticien ne dispose donc pas, actuellement, d’une méthode de diagnostic individuel de la dicrocœliose chronique fiable pour l’espèce bovine.

Un risque de contamination automnale

Dicrocoelium lanceolatum nécessite deux hôtes intermédiaires, un mollusque et une fourmi, pour se développer et pour contaminer les ruminants hôtes définitifs. Cette contamination est facilitée par la paralysie du second hôte intermédiaire, qui reste fixé sur un brin d’herbe par la crispation de ses mandibules, provoquée par la présence d’un kyste métacercarien de Dicrocoelium dans le ganglion sous-œsophagien. Ces fourmis parasitées contiennent les formes infestantes de la petite douve pour le ruminant qui les ingère.

Le traitement antiparasitaire des animaux contre les petites douves – dont le coût est élevé – se justifie par la baisse des performances et l’atteinte hépatique des individus infestés. La présence, dans le cycle externe de Dicrocoelium lanceolatum, d’hôtes intermédiaires qui hibernent permet aux formes immatures du parasite de survivre en hiver. Un traitement systématique de tous les bovins pendant la période de stabulation diminue l’excrétion d’œufs de petites douves à la mise à l’herbe. Cependant, si ces animaux sont relâchés au printemps sur une pâture qui héberge des hôtes intermédiaires parasités ayant survécu à l’hiver, ils s’infestent de nouveau lors de la reprise d’activité des mollusques et des fourmis. Cette infestation, bien que faible, est responsable du rejet d’œufs de parasite sur les pâtures huit à douze semaines après la contamination des hôtes définitifs. L’excrétion d’œufs de Dicrocoelium permet l’infestation de la jeune génération de mollusques. Le risque de contamination des bovins à l’automne n’est alors pas négligeable, bien qu’inférieur à ce qu’il aurait été sans traitement hivernal. Les molécules prescrites (hors AMM) sont le nétobimin et l’albendazole, à la dose élevée de 20 mg/kg. Les traitements doivent être poursuivis pendant plusieurs années de suite afin de rompre le cycle de contamination.

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