Mise au point sur les marqueurs tumoraux sériques chez le chien - La Semaine Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004
La Semaine Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004

CANCÉROLOGIE CANINE

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Cécile Soyer

Fonctions : Clinique vétérinaire
176, bd Charles de Gaulle
92700 Colombes

Les marqueurs tumoraux sont des protéines produites par les cellules tumorales, dont le dosage est utilisé pour le suivi des individus atteints de cancers.

Les marqueurs tumoraux actuellement connus sont les marqueurs tissulaires utilisés en immunohistochimie et qui permettent de prévoir la chimiosensibilité d’une tumeur (ki 67) ou d’en préciser le type histologique(marqueurs lymphocytaires). Cet article décrit une autre catégorie de marqueurs : les marqueurs tumoraux sériques, dosables à partir d’une prise de sang. Leur découverte en médecine humaine a conduit à un faux espoir : celui de “dépister un cancer sur une prise de sang” (voir l’ENCADRÉ “Historique”). Les intérêts et les limites de leur utilisation chez l’homme et les perspectives d’application qui peuvent être attendues chez le chien sont exposés.

Des antigènes produits par les cellules tumorales

Les marqueurs tumoraux sériques sont des antigènes circulants produits en faible quantitéparles cellules normales et en qualité élevée par les cellules tumorales. Leur expression dans les cellules tumorales résulte d’altérations des mécanismes cellulaires (mutation et/ou dysrégulation). Ce sont le plus souvent des glycoprotéines complexes, de fonction variable : molécule d’adhésion, transporteur, enzyme ou hormone [10].

Pour pouvoir être détecté dans le sang, le marqueur doit posséder certaines propriétés :

- il doit être produit en quantité suffisante pour être détectable, puis dosé ;

- il doit pouvoir franchir les structures membranaires tumorales et les cellules endothéliales (mécanismes qui s’apparentent à la dissémination métastatique) ;

- les sites antigéniques de ces marqueurs doivent résister aux enzymes protéolytiques tissulaires et circulantes.

Limites du dosage

Les marqueurs existent en faible quantité chez les sujets sains et en quantité parfois élevée lors d’affections bénignes(carbohydrates antigènes ou CA, dans les maladies inflammatoires, et antigène carcino-embryonnaire ou ACE, chez les fumeurs). Il convient donc de connaître le comportement de chaque marqueur, y compris lors d’affections bénignes, pour éviter les conclusions faussement positives.

Les marqueurs sont en outre produits proportionnellement à la masse tumorale : ils ne peuvent donc pas être utilisés pour le dépistage de cancers débutants.

La concentration circulante des marqueurs n’étant pas régulée, aucun système ne permet de maintenir leur concentration entre des valeurs seuils (comme la glycémie régulée par l’insuline).Aussi, pour deux malades atteints du même type de cancer au même stade, la variation de concentration du même marqueur peut s’exercer dans un rapport de 1 à 100, d’où une grande complexité des techniques de dosage (les valeurs seuils et les courbes d’étalonnage sont difficiles à obtenir).

Dépistage des cancers

En médecine humaine, quelques rares marqueurs sont utilisés en dépistage : l’antigène spécifique de la prostate (PSA) pour le cancer de la prostate et l’AFP pour le cancer du foie [2].

Ce dosage n’est toutefois jamais utilisé seul ; il est associé à d’autres examens, d’imagerie notamment, et est destiné à des populations prédisposées.

C’est la synthèse des résultats des différents examens qui permet de conclure.

Bilan initial et après traitement

Une concentration élevée de marqueurs lors du bilan initial permet de préciser le pronostic et de choisir une orientation thérapeutique.

Une concentration élevée de marqueurs à la fin du traitement initial signale la présence d’une maladie résiduelle.

Suivi du cancer

Chez un patient en rémission, le dosage régulier des marqueurs permet de détecter précocement les récidives (plusieurs mois avant les signes cliniques).

Lors du traitement des récidives, le maintien d’une concentration élevée de marqueurs traduit un échappement au traitement.

État des lieux et perpectives chez le chien

Actuellement, l’inventaire des marqueurs tumoraux décrits chez l’animal, notamment chez le chien, est très incomplet.

Un seul marqueur a été purifié et dosé chez le chien : l’alphafœtoprotéine (AFP). D’autres marqueurs ont été détectés PSA [1] et ACE [11]) et leur existence sérique chez le chien est confirmée. Cependant, aucune méthode de dosage n’est actuellement disponible en médecine vétérinaire.

La difficulté tient à la spécificité étroite des anticorps utilisés dans les trousses humaines de dosage et à l’absence de réactions croisées interspécifiques. Les marqueurs sériques canins ne peuvent ainsi pas, pour la plupart, être détectés par les méthodes de dosage utilisées actuellement en routine chez l’homme.

Les seuls « marqueurs » dosables avec les trousses humaines sont les hormones qui peuvent avoir, par extension, un rôle de marqueur tumoral.

L’alphafœtoprotéine

L’alphafœtoprotéine est une alphaglobuline produite par le foie, le tube digestif et le vitellus. Sa concentration diminue au cours des premières semaines de vie. Chez l’homme, l’AFP est élevée chez les patients atteints de cirrhose, d’hépatite et de carcinome hépatique.

L’AFP a été purifiée chez le chien par deux équipes différentes [7, 12] et deux méthodes de dosage sont décrites : radio-immunologie (RIA) et immuno-enzymologie (Elisa) [4].

L’AFP est un bon marqueur de la régénération hépatique chez le chien [5, 6] ; sa concentration sérique est élevée lors d’hépatocarcinome [3, 13]. Les caractéristiques moléculaires de l’AFP canine sont très proches de celles de l’AFP humaine [8, 9].

Par extension : les marqueurs “hormonaux”

Les seuls marqueurs circulants connus et dosés chez le chien sont des marqueurs qui sont aussi des hormones. En médecine humaine, ces molécules ne sont pas classées comme des marqueurs car leur rôle principal est leur fonction hormonale. Cependant, par extension, elles peuvent, dans certains cas très précis (et malheureusement restreints), être utilisées comme marqueurs tumoraux.

Les hormones peuvent être dosées avec des trousses de dosage humaine pour deux raisons : ce sont de petites molécules et leur structure est conservée dans les différentes espèces.

L’hypothèse est émise qu’une molécule qui a un rôle important au sein de l’organisme (comme une hormone) est conservée au cours de l’évolution. La parenté de structure de molécules comme l’insuline, par exemple, est connue dans les différentes espèces. Il est donc possible de doser des hormones canines avec des trousses de dosage humaines.

Les hormones dosées en médecine vétérinaire avec des kits humains de dosage disponibles en France sont :

- l’ACTH : marqueur des tumeurs hypophysaires corticotropes ;

- la parathormone (PTH) : marqueur des adénomes parathyroïdiens sécrétants ;

- l’insuline : marqueur des insulinomes ;

- la gastrine : marqueur des gastrinomes ;

- le glucagon : marqueur des glucagonomes (il n’est plus disponible en France) ;

- la PTHrP : marqueur de l’hypercalcémie maligne rencontrée dans les lymphomes, certains adénocarcinomes et carcinomes mammaires et thyroïdiens (dosage aux États-Unis uniquement).

Ces hormones sont dosables avec des kits humains en raison également de leur petite taille : enchaînement d’un petit nombre d’acides aminés (AA), donc moins de degré de liberté possible pour les structures spatiales de la protéine, d’où une parenté de structure plus facilement conservée d’une espèce à l’autre. L’ACTH compte 39 AA, la PTH 84 AA, l’insuline 51 AA (pour un poids moléculaire de 5 700 Da), alors que les marqueurs non hormonaux sont de plus grosses molécules : l’AFP compte 590 AA, le PSA 237 AA ; l’ACE a un poids moléculaire de 180 000 Da et les CA de 200 000 à 1 000 000 Da.

Les perspectives d’avenir dans ce domaine sont l’isolement et la purification des antigènes canins utilisables comme marqueurs tumoraux ou séquençage des sites antigéniques intéressants. Ces méthodes nécessitent une sérothèque canine représentative et la mise en œuvre de moyens financiers. Il est à souhaiter que l’industrie pharmaceutique soit convaincue de l’existence d’un marché réel de la cancérologie canine (chimiothérapie vétérinaire) et de l’intérêt de parrainer le développement de ces nouvelles méthodes de diagnostic biologique.

Historique

Le premier marqueur décrit est une protéine urinaire découverte par Bence Jones dans les urines de patients atteints de myélome en 1848. Depuis, plus de 5 000 marqueurs ont été décrits, en étroite liaison avec les progrès des technologies de dosage [10].

La première étape technologique a été la radio-immunologie. Ces dosages utilisent la compétition entre deux anticorps polyclonaux pour doser le marqueur tumoral (antigène) (voir la FIGURE “Méthode de radio-immunologie”). Cette méthode a permis le dosage de l’alphafœtoprotéine (AFP) lors de cancer du foie, de l’antigène carcino-embryonnaire (ACE) lors de cancer du côlon, et de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) lors de cancer prostatique.

La seconde étape a été l’avènement des anticorps monoclonaux qui, dans les années 1970, a permis le dosage des carbohydrates antigènes (CA) (voir la FIGURE “Méthode IRMA utilisant des anticorps monoclonaux”) : par exemple, le CA 15-3, classiquement dosé lors de cancer du sein chez la femme.

En médecine humaine, l’utilisation d’anticorps monoclonaux de spécificité de plus en plus étroite est un handicap pour leur extrapolation à la médecine vétérinaire. Les anticorps utilisés n’admettent en effet aucune réaction croisée interspécifique et sont donc inutilisables en médecine vétérinaire.

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