Incongruence articulaire et FPCM chez le chien - Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004
Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004

ORTHOPÉDIE DU CHIEN

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IMAGERIE

Auteur(s) : Laurent Blond*, Luc Breton**

Fonctions :
*Faculté de médecine vétérinaire
Service de radiologie
3200, rue Sicotte, CP 5000
J2S 7C6 Saint-Hyacinthe
Québec, Canada

Des images radiographiques du coude en projection médiolatérale permettent d'évaluer la congruence des articulations lors de fragmentation du processus coronoïde médial de l'ulna.

Chez le chien, la fragmentation du processus coronoïde médial (FPCM) est une composante fréquente de la dysplasie du coude [20], syndrome qui englobe également l'ostéochondrite disséquante (OCD) de la portion médiale du condyle huméral, la non-union du processus anconé (NUPA), l'incongruence articulaire et, selon certains auteurs, la non-union de l'épicondyle huméral médial [1, 4].

L'objectif de cette étude est de décrire l'aspect radiographique des articulations du coude dans une population de chiens atteints ou fortement suspectés de FPCM, afin d'évaluer la proportion de coudes incongruents.

Caractéristiques de la FPCM

1. Épidémiologie

Les chiens de races de taille moyenne à géante sont plus souvent affectés. Le bouvier bernois, le rottweiler, le berger allemand, le golden retriever et le labrador sont prédisposés. D'autres races, telles que le terre-neuve, le saint-Bernard, le mastiff, le springer spaniel, le berger australien, le chow-chow, le sharpeï, le shetland et quelques terriers, peuvent aussi être atteintes [10].

L'affection se déclare habituellement chez un animal en croissance, entre l'âge de quatre et huit mois, et peut s'avérer invalidante, car elle est souvent suivie d'ostéoarthrose [22].

La FPCM a une forte incidence héréditaire [24, 25] et est souvent bilatérale (33 à 80 % des cas) [26].

Les mâles sont, semble-t-il, plus souvent atteints que les femelles : de 65,8 % [23] à plus de 75 % des cas [26] selon les études.

2. Étiologie

L'origine de la FPCM est encore hypothétique. La première cause proposée a fait de cette affection une manifestation d'ostéochondrose, altération de l'ossification sous-chondrale [11] qui aboutit à un épaississement puis à une dégradation du cartilage.

En 1982, A. Wind décrit, à partir de radiographies de coudes de plusieurs bouviers bernois atteints de FPCM, un déplacement proximal de l'incisure trochléaire de l'ulna et un élargissement des articulations huméroradiale et huméro-ulnaire, cette dernière prenant alors l'apparence d'un croissant de lune ouvert dans sa portion proximale. L'hypothèse d'une croissance asynchrone entre l'ulna et le radius est alors émise. Celle-ci aboutirait à un raccourcissement duradius et serait responsable d'une incongruence articulaire au niveau du coude [8, 12]. Cette observation est confortée par la description de chiens qui présentent une fragmentation du processus coronoïde suite à une fermeture prématurée de la plaque de croissance distale du radius [6]. Le raccourcissement du radius semble donc entraîner une surcharge de poids appliquée au processus coronoïde, surtout dans sa portion médiale qui est la plus large, d'où les dommages subis par celle-ci [14].

Un autre type de malformation du coude suspecté est une forme inadéquate de l'incisure trochléaire ulnaire. Au lieu d'épouser parfaitement le contour de la trochlée du condyle huméral, celle-ci serait plutôt de forme elliptique, ce qui entraînerait un amincissement de l'espace articulaire au niveau du processus coronoïde et du processus anconé [8, 9]. L'articulation huméro-ulnaire prend alors l'apparence d'un croissant de lune fermé dans ses portions proximale et distale (voir la FIGURE “Trois principaux types d'incongruence…”). Cette dernière hypothèse permettrait d'expliquer la coexistence d'une non-union du processus anconé et d'une FPCM sur un même coude.

3. Diagnostic

Lors de FPCM, un diagnostic et un traitement précoces permettent d'espérer un pronostic satisfaisant.

• L'incidence radiographique latérale en flexion extrême du coude donne la meilleure évaluation de l'ostéoarthrose précoce [13], qui apparaît généralement dès l'âge de six à sept mois [10].

• Plusieurs incidences radiographiques sont décrites pour identifier la FPCM :

- une incidence craniocaudale ;

- une incidence craniolatérale-caudomédiale oblique ou caudomédiale-craniolatérale oblique ;

- une incidence médiolatérale en extension avec une supination à 15° [22] ;

- plus récemment, une projection distomédiale-proximolatérale oblique à 35°, qui facilite la mise en évidence d'un processus coronoïde médial anormal [21].

L'affection peut ainsi être détectée, mais pas sa cause.

• Pour la congruence articulaire, un premier protocole propose une vue craniocaudale et une vue médiolatérale en légère flexion, avec le faisceau centré sur le coude. Une légère pronation du bout de la patte permet alors de mieux visualiser si le processus coronoïde latéral est déplacé dans une direction proximale, ce qui donne un effet de “marche d'escalier”, signe d'incongruence [9].

Il a été avancé que la vue médiolatérale en position neutre (90°) est la plus sensible pour évaluer la congruence articulaire. Sur cette projection et sur un coude normal, les articulations entre l'humérus, le radius et l'ulna apparaissent symétriques et en parfaite continuité, formant un arc de cercle [7]. L'angle peut être plus ouvert (110° ou 120°) à condition d'obtenir une vue latérale parfaite et de prendre soin de diriger le faisceau de rayons X sur l'axe de rotation du coude, c'est-à-dire le centre du condyle huméral [19, 22].

Il est également possible d'identifier le processus coronoïde médial sur une projection médiolatérale. Après l'âge de six mois, sa minéralisation est complète. Il se superpose sur l'aspect caudal de la tête du radius et son rebord crânial apparaît lisse et concave. Même si un fragment n'est pas visible, ce qui est fréquent [2, 23], la perte de visualisation de l'aspect proximal du PCM, une forme convexe ou aplatie de son rebord crânial ou une irrégularité corticale, suggèrent fortement une anomalie de ce processus coronoïde [5]. Il est aussi possible, chez des cas chroniques, de noter une sclérose de l'os sous-chondral ulnaire en regard du processus coronoïde. Cette observation reste toutefois subjective et est sujette à variation selon la technique radiographique utilisée.

D'autres techniques d'imagerie (scanner, imagerie par résonance magnétique) sont sensibles. Cependant, elles ont été plus souvent décrites pour établir le diagnostic de FPCM que lors d'incongruence [2, 3]. Elles restent néanmoins peu accessibles en pratique. L'arthroscopie est, en revanche, un moyen diagnostique de plus en plus répandu et s'avère particulièrement précise pour les cas complexes.

Matériel et méthode

Les clichés radiographiques des chiens présentés de 1992 à 2002 au Centre hospitalier universitaire vétérinaire de l'Université de Montréal, à Saint-Hyacinthe, et qui ont révélé la présence d'une FPCM, sont examinés (vue médiolatérale en position neutre : angle ( 90°). Les cas sélectionnés présentent :

- un processus coronoïde médial anormal (irrégulier ou non visible) sur au moins deux vues ;

ou

- un fragment provenant du processus coronoïde médial sur au moins une vue ;

ou

- un processus coronoïde médial anormal sur une seule vue, mais avec une confirmation chirurgicale de la FPCM.

La race, l'âge, le sexe et les résultats de l'examen orthopédique des individus sont répertoriés.

L'ensemble des radiographies est évalué par deux radiologues et les articulations du coude sont décrites à partir de la vue médiolatérale en position neutre. L'objectif est de déterminer si ces articulations sont congruentes ou non. Les critères d'évaluation retenus sont les suivants :

- coude normal : les articulations huméroradiale et huméro-ulnaire sont symétriques, alignées et forment un arc de cercle (PHOTO 1) ;

- coude incongruent : articulation huméro-ulnaire en forme de croissant de lune, soit aminci au niveau du processus anconé (PHOTO 2), soit élargi (PHOTO 3), ou toute autre asymétrie entre les articulations huméroradiale et huméro-ulnaire (PHOTO 4) ;

- évidence ou non d'une “marche d'escalier” sur les coudes déclarés incongruents.

Les dossiers des cas sélectionnés sont ensuite revus afin de noter si le coude de l'animal a subi une intervention chirurgicale et quelle était alors l'apparence du processus coronoïde médial.

Le groupe des coudes qui ont été opérés constitue la population de référence pour tester la précision diagnostique des radiologues lors de l'observation de la FPCM. Les proportions sont évaluées statistiquement à l'aide d'un test exact binomial, avec un p < 0,1.

Résultats

• Quatre-vingts chiens répondent aux critères d'inclusion précités. La répartition par races est la suivante (voir la FIGURE “Répartition de l'effectif par races”) :

- vingt-quatre bouviers bernois (30 %) ;

- dix-neuf labradors (23,75 %) ;

- neuf golden retrievers (11,25 %) ;

- six rottweilers (7,5 %) ;

- cinq mastiffs (6,25 %) ;

- cinq croisés ;

- trois bergers allemands (3,75 %) ;

- trois terre-neuve ;

- deux chow-chow (2,5 %) ;

- un léonberg (1,25 %), un pitt-bull, un saint-Bernard et un shetland.

Sur cette période, les bouviers bernois ne représentent que 12,4 % des cas d'interventions chirurgicales qui concernent l'articulation du coude. Cette race est donc surreprésentée dans la population des quatre-vingts chiens.

• Les animaux présentent tous, à des degrés divers, une boiterie d'un ou des membres thoraciques, une douleur et/ou des crépitations à la manipulation du ou des coudes (flexion, extension), une distension et/ou une fibrose articulaire.

• Cinquante-trois (66,2 %) sont des mâles (dont vingt-trois stérilisés) et vingt-sept (33,8 %) sont des femelles (dont vingt stérilisées) (voir la FIGURE “Répartition de l'effectif par sexe”). Les mâles sont significativement plus nombreux que les femelles (p = 0,002).

• La médiane d'âge lors de la première présentation est de douze mois, avec un minimum de cinq mois et un maximum de cent trente-deux mois. Quarante-six (57,5 %) animaux sont âgés de douze mois ou moins et soixante-neuf (86,25%) de vingt-quatre mois ou moins.

• Quarante et un (51,25 %) chiens sont atteints de façon bilatérale, soit un total de cent vingt et un coudes examinés, cinquante-huit coudes droits et soixante-trois gauches (voir la FIGURE “Répartition uni- ou bilatérale de l'affection dans l'effectif”).

• Sur ces cent vingt et un coudes, huit (5,6 %) apparaissent congruents à la radiologie et cent treize (93,4 %) montrent des signes d'incongruence. Les coudes incongruents sont donc significativement plus nombreux (p = 0,00001) dans cette population pour laquelle une FPCM a été diagnostiquée.

• Pour les types d'incongruence répertoriés, cent (82,6 %) articulations huméro-ulnaires ont une forme de croissant de lune :

- soixante-cinq (53,7 %) sont élargies en portion proximale, parmi lesquelles quarante-six présentent une “marche d'escalier” ;

- trente-cinq (28,9 %) sont amincies, dont seize avec une “marche d'escalier”.

Dans cette étude, une articulation huméro-ulnaire en forme de croissant de lune élargi en portion proximale est donc la présentation radiographique la plus fréquente de l'incongruence. Ce résultat est statistiquement significatif (p = 0,00001).

Pour les autres coudes, il n'est pas possible de reconnaître une forme de croissant de lune, mais :

- cinq (4,1 %) ont l'articulation huméroradiale plus large que l'articulation huméro-ulnaire, dont un avec une “marche d'escalier” ;

- deux (1,7 %) ont l'articulation huméro-ulnaire plus large que l'articulation huméroradiale, dont un avec une “marche d'escalier” ;

- quatre (3,4 %) présentent une asymétrie articulaire difficile à définir ;

- un chien présente deux coudes pour lesquels seule une “marche d'escalier” est visible.

Au total, soixante-quatre (52,8 %) coudes présentent une “marche d'escalier”.

• Soixante et un (50,4 %) coudes sont explorés chirurgicalement. Tous révèlent un processus coronoïde médial anormal, fragmenté pour cinquante-quatre d'entre eux et endommagé pour les sept autres.

La limite inférieure de l'intervalle de confiance est de 94,1 %. Il est donc statistiquement possible d'envisager qu'au moins 94 % des coudes qui n'ont pas été explorés chirurgicalement ont réellement un processus coronoïde médial anormal.

Dix-huit ostectomies proximales dynamiques de l'ulna sont réalisées (29,5 % des coudes explorés), dont seize sur des coudes avec une “marche d'escalier” visible sur les radiographies.

• Chez le bouvier bernois, race la plus représentée, vingt-quatre individus sont affectés, dont dix-sept (70,8 %) de façon bilatérale.

Neuf (37,5 %) sont des femelles (dont huit stérilisées) et quinze (62,5 %) des mâles (dont huit stérilisés).

La moyenne d'âge est de quatorze mois, avec un maximum de vingt-six mois et un minimum de six mois. Quinze (62,5 %) individus sont âgés de douze mois ou moins lors de la première présentation.

Sur les quarante et un coudes de bouviers bernois examinés, tous apparaissent incongruents.

Trente-huit (92,7 %) articulations huméro-ulnaires ont une forme de croissant de lune dont :

- trente-trois (80,5 %) sont élargies en portion proximale, trente-deux avec une “marche d'escalier” ;

- cinq (12,2 %) sont amincies, quatre avec une “marche d'escalier”.

Trois coudes (7,3 %) ont l'articulation huméroradiale plus large que l'articulation huméro-ulnaire, avec une “marche d'escalier”.

Au total, trente-neuf coudes (95,1 %) présentent une “marche d'escalier”. Une articulation huméro-ulnaire en forme de croissant de lune élargi en portion proximale, avec une “marche d'escalier”, est l'aspect radiographique significativement le plus fréquent de l'incongruence (p = 0,00001) chez le bouvier bernois.

• La deuxième race la plus représentée est le labrador, avec dix-neuf individus dont douze atteints de façon bilatérale pour un total de trente et un coudes. Dix-neuf (61,3 %) coudes présentent une articulation huméro-ulnaire en croissant de lune aminci en portion proximale, dont huit avec une “marche d'escalier”. Ce type d'incongruence est significativement plus fréquent que les autres (p = 0,00007).

Discussion

• Les résultats de cette étude montrent une forte proportion de coudes incongruents dans une population canine atteinte de fragmentation du processus coronoïde médial, ce qui conforte l'hypothèse selon laquelle une malformation articulaire pourrait être à l'origine de cette maladie.

En raison du fort pourcentage de processus coronoïdes médiaux anormaux découverts lors de l'intervention chirurgicale qui a suivi le diagnostic radiographique, les cas sélectionnés sans confirmation chirurgicale étaient probablement atteints de FPCM selon les critères cliniques et radiologiques utilisés. Il est peu probable que l'incongruence notée ait été créée lors de la prise du cliché puisque le degré de rotation (supination ou pronation), ainsi que le centrage de la radiographie sur le radius, ne modifient pas l'apparence d'un coude congruent [9].

• La population obtenue est représentative de ce qui a été décrit auparavant : ce sont des animaux jeunes, souvent atteints de façon bilatérale et avec une forte proportion de mâles. Les races représentées sont également connues comme étant prédisposées, avec une majorité de bouviers bernois, ce qui rejoint les observations d'autres études [23, 24].

• La mise en évidence d'une articulation huméro-ulnaire en croissant de lune, caractérisée par l'amincissement de l'espace articulaire dans sa portion distale et par l'élargissement de celui-ci en portions proximale et moyenne, représente l'anomalie la plus fréquemment observée. Le premier signe est la conséquence d'un contact plus étroit entre l'humérus et le processus coronoïde et le second pourrait être associé à un déplacement caudal et proximal de l'ulna suite au stress excessif imposé au processus coronoïde. Une “marche d'escalier” entre le radius et l'ulna est souvent associée à ce type d'incongruence et l'ensemble de ces anomalies permet de suspecter un radius trop court. Une “marche d'escalier” est aussi retrouvée dans le groupe qui présente une articulation huméroradiale plus large que l'articulation huméro-ulnaire.

• L'observation d'une articulation huméro-ulnaire en croissant de lune aminci au niveau du processus anconé pourrait conforter l'hypothèse d'un développement insuffisant de l'incisure ulnaire. Pour les coudes qui ont cette apparence et qui présentent une “marche d'escalier”, en revanche, l'articulation huméro-ulnaire est amincie dans ses portions proximale et distale, mais cela n'implique pas que le processus coronoïde se retrouve au-dessus de la tête du radius. En outre, dans une autre étude, les courbes des incisures ulnaires d'une population de rottweilers ont été comparées avec celles d'une population de greyhounds (race qui montre peu d'anomalies orthopédiques de développement) : une différence notable a été observée entre ces deux races, mais un lien entre des courbes des incisures ulnaires anormales et la FPCM n'a pu être établi [18].

Cette apparence de l'incongruence pourrait aussi s'expliquer par une moindre différence de longueur entre le radius et l'ulna, qui amène un déplacement moindre de ce dernier. La position du coude par rapport au faisceau de rayons X, inconstante dans cette étude, peut également donner un aspect différent des espaces articulaires lors d'obliquité. Ces deux dernières hypothèses valent pour les autres types d'incongruence.

• Les coudes de bouviers bernois présentent pratiquement tous une incongruence huméro-ulnaire en croissant de lune élargi en portion proximale avec une “marche d'escalier”. L'apparence des coudes de cette race semble donc constante et renforce l'hypothèse d'un seul type d'incongruence (celui trouvé majoritairement dans toute la population). La possibilité d'un type d'incongruence spécifique à une race ne peut pas être éliminée et expliquerait la prévalence de l'incongruence huméro-ulnaire en croissant de lune aminci en portion proximale dans la population de labradors. Cependant, la coexistence de plusieurs types d'incongruence dans cette race et dans les autres pourrait traduire une incongruence réelle unique qui prend différents aspects radiographiques pour les raisons précédemment mentionnées.

• Le fait qu'une “marche d'escalier” n'ait pas été identifiée sur tous les coudes incongruents peut aussi s'expliquer par des écarts entre le radius et l'ulna non détectables à la radiographie. En effet, seule la portion osseuse du processus coronoïde est visible, ce qui ne tient pas compte des écarts possibles entre les parties cartilagineuses. En outre, selon notre expérience, il a été remarqué, lors d'autopsie de certains coudes atteints de FPCM, que le rebord du processus coronoïde est éburné en raison du contact anormalement étroit avec l'humérus. Cette éburnation pourrait contribuer à une atténuation de l'effet de “marche d'escalier”. La position du coude lors de la prise du cliché ou de l'ostéoarthrose sévère associée à la FPCM pourrait aussi masquer cet effet.

• Sur les huit coudes congruents avec une FPCM, cinq ont été confirmés en chirurgie et trois ont présenté un fragment sur au moins une radiographie avec, pour l'un, confirmation de la FPCM du coude controlatéral par arthrotomie. Là encore, le degré d'incongruence n'était peut être pas assez marqué pour être détecté par la radiographie. Il se peut aussi que la différence de développement entre le radius et l'ulna, assez marquée pour provoquer une FPCM précocement, soit corrigée au cours de la croissance comme il a été suggéré par certains auteurs [10, 22].

• Quelle est la sensibilité de la technique diagnostique de l'incongruence du coude en radiologie ? Une étude qui vise à évaluer les effets du raccourcissement du radius sur les surfaces de contact dans l'articulation du coude a montré qu'un défaut de 0,8 mm modifiait ces dernières. En effet, le raccourcissement du radius diminue l'aire de contact radiale, réduit ou élimine l'aire de contact ulnaire proximale et déplace l'aire de contact du processus coronoïde en région latéromédiale [17]. Sans savoir si ces modifications sont suffisantes pour engendrer l'affection, la radiographie est-elle assez sensible pour détecter d'aussi faibles degrés de difformité ? Selon Wind et Packard [27], la radiographie permet de voir une différence de longueur de 3 à 4 mm entre le radius et l'ulna. Une étude récente qui a raccourci progressivement le radius de cadavres de chiens normaux a conclu qu'un écart d'au moins 4 mm entre la tête du radius et le processus coronoïde est nécessaire afin d'avoir une sensibilité et une spécificité acceptables pour la détection de cette incongruence. Ce résultat semble surprenant et en contradiction avec les données de cette étude dans laquelle il est peu probable que tous les animaux dont l'incongruence était visible aient une telle difformité. En outre, trois des quatre radiologues de notre étude sont capables de reconnaître les coudes incongruents avec un raccourcissement de 2 mm, ce qui est plus vraisemblable et déjà décrit [9].

Des études in vitro supplémentaires permettraient de préciser le rôle de la radiologie dans le diagnostic de cette affection et de définir l'influence de la position du faisceau radiologique par rapport au coude dans l'apparence des articulations incongruentes.

La détection de cette incongruence permettrait d'établir un diagnostic précoce de la maladie et de traiter la cause, et pas seulement les conséquences, lors du choix d'un traitement. En effet, plusieurs études tendent à montrer que l'ostectomie proximale dynamique de l'ulna donne de meilleurs résultats dans le traitement de la FPCM que la seule exérèse du fragment qui provient du coronoïde [15, 16]. Ainsi, une ostectomie préventive de l'ulna pourrait être envisagée sur des coudes incongruents avant même l'apparition d'une FPCM.

Cette étude semble confirmer l'hypothèse selon laquelle l'incongruence du coude serait impliquée dans la pathogénie de la fragmentation du processus coronoïde. Il est possible qu'un seul type d'incongruence existe, mais que, pour des raisons non encore élucidées, il présente plusieurs aspects à l'examen radiographique. La caractéristique majoritairement rencontrée pour un coude incongruent est toutefois une articulation huméro-ulnaire en forme de croissant de lune. Le fait que le processus coronoïde soit déplacé dans une direction proximale est aussi un facteur prédisposant à la FPCM et peut être facilement reconnu sur une radiographie par la mise en évidence d'une “marche d'escalier”. Il est donc important de reconnaître l'incongruence du coude en radiologie afin de conforter une suspicion de FPCM et de guider le traitement chirurgical : une vue médiolatérale centrée sur le condyle huméral avec un coude ouvert selon un angle d'au moins 90° est nécessaire. Il est aussi utile de détecter précocement la maladie chez les chiens des races prédisposées avant l'apparition d'arthrose, soit autour de l'âge de six mois. Cependant, une inconnue demeure concernant le degré d'incongruence décelable à l'examen radiographique et d'autres études sont donc nécessaires.

Remerciements : Les auteurs remercient M. Maxim Moreau pour l'analyse statistique des résultats.

Points forts

Le raccourcissement du radius semble être à l'origine d'une surcharge de poids appliquée au processus coronoïde, surtout sur sa portion médiale qui est la plus large, d'où les dommages subis par celle-ci qui entraînent une fragmentation.

La projection médiolatérale, avec le coude ouvert au moins à 90° et le faisceau centré sur le condyle huméral, est l'incidence radiographique qui permet la meilleure évaluation de la congruence articulaire.

La présence d'une “marche d'escalier” entre le radius et l'ulna sur une radiographie médiolatérale est en faveur d'une incongruence causée par un retard de croissance du radius.

Une articulation huméro-ulnaire en forme de croissant de lune est un signe radiologique fréquent d'incongruence du coude.

L'incongruence du coude est un facteur qui prédispose à la fragmentation du processus coronoïde médial.

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