Commémoratifs et examen clinique - Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004
Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004

L’ÉVALUATION PRÉ-ANESTHÉSIQUE DU CHIEN ET DU CHAT

Se former

EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Stéphanie Kéroack*, Stéphane Junot**, Franck Brissaud***, Sophie Cuvelliez****, Éric Troncy*****

Fonctions :
*Hôpital des petits animaux
**ENVL
Département des Animaux
de Compagnie
Unité de Chirugie-Anesthésiologie
1 avenue Bourgelat, BP 83
69280 Marcy-l'Étoile
***ENVL
Département des Animaux
de Compagnie
Unité de Chirugie-Anesthésiologie
1 avenue Bourgelat, BP 83
69280 Marcy-l'Étoile
****Unité d'Anesthésiologie
Faculté de Médecine Vétérinaire
C.P. 5000
St-Hyacinthe, Québec
J2S7C6, Canada
*****Unité d'Anesthésiologie
Faculté de Médecine Vétérinaire
C.P. 5000
St-Hyacinthe, Québec
J2S7C6, Canada

Une évaluation attentive du chien ou du chat est nécessaire avant toute anesthésie. Le recueil des commémoratifs et l’examen clinique général apportent des informations indispensables à cette évaluation.

Anesthésier un animal pour une procédure chirurgicale ou médicale est un acte quotidien, mais jamais anodin. S’il existe des actes chirurgicaux de routine, toute anesthésie peut révéler une (mauvaise) surprise. L’évaluation pré-anesthésique est fondée sur les commémoratifs, l’examen clinique et les résultats d’analyses de laboratoire. Elle a pour objectif principal de déceler toute anomalie du statut clinique de l’animal, susceptible d’engendrer des perturbations ou des complications pré-, per- ou post-anesthésiques. L’ensemble de ces éléments permet de formuler un risque anesthésique (ou pronostic) qui justifie le choix du protocole, mais aussi la mise en place d’une surveillance adaptée à la situation. Le consentement du propriétaire informé n’en est que plus éclairé.

Ce premier article détaille l’anamnèse et l’examen clinique général qu’il convient de réaliser systématiquement et leurs enseignements pour l’évaluation du risque avant une anesthésie. Les examens complémentaires à entreprendre et des utilisations pratiques pour le déroulement de l’anesthésie, qui découlent des données recueillies lors de cette évaluation pré-anesthésique, sont présentés dans un second article.

Comment évaluer le risque associé à une anesthésie ?

Le risque anesthésique est double.

• Il existe un risque lié aux qualités de l’anesthésie avec, comme facteur déterminant, les agents anesthésiques utilisés et, comme facteurs aggravants, l’état de santé de l’animal et l’environnement anesthésique (matériel et anesthésiste). La majorité des accidents anesthésiques sont liés à des erreurs humaines [9] (mauvaise préparation ou appréhension des difficultés, choix du protocole, etc.). Les affections des systèmes cardiovasculaire et respiratoire et les atteintes multisystémiques aggravent considérablement ce risque. Les atteintes rénales et hépatiques ont des répercussions sur le métabolisme des médicaments, mais aussi sur l’état général des animaux atteints.

• Le second risque est lié aux effets indésirables. Ces derniers peuvent être dus :

- à la réponse individuelle de l’animal : risques d’hypoperfusion tissulaire (7 % chez le chien, 8,5 % chez le chat), risques d’hypoventilation pulmonaire (1,3 % chez le chien, 1 % chez le chat), risques d’hypoxémie ou d’hypotension et dysrythmies cardiaques, par exemple [6] ;

- au suivi de l’animal (environnement de l’anesthésie) : connaissance et expérience de l’anesthésiste, qualité du matériel anesthésique et surveillance au cours de l’anesthésie.

Ce risque anesthésique peut être chiffré en utilisant le système de classification de la société américaine des anesthésiologistes (American society of anesthesiologists ou ASA [1, 4, 11]). L’évaluation du risque anesthésique permet d’établir un pronostic (pourcentage de mortalité en fonction du risque évalué, fondé sur des données épidémiologiques) par rapport à l’état de l’animal et à la procédure anesthésique prévue (voir le TABLEAU “Classification ASA du risque anesthésique”).

Quels éléments de l’anamnèse sont à considérer pour choisir un protocole ?

L’espèce, la race, l’âge, le sexe, le statut reproducteur et le poids exact sont des données qui influencent le choix du protocole anesthésique [1, 10].

• Les protocoles anesthésiques ne sont pas les mêmes pour les espèces canine et féline. Les réactions aux anesthésiques sont en effet différentes en raison des particularités anatomiques (taille des vaisseaux et du pharynx par exemple, PHOTOS 1a, b ET c), physiologiques (normes biologiques distinctes), pharmacologiques (sensibilité et métabolisme de la kétamine par exemple) et les affections diffèrent généralement [4, 10].

• Il existe en outre des différences intraspécifiques marquées, en particulier chez le chien :

- les lévriers ont une capacité réduite à redistribuer et à métaboliser les thiobarbituriques, ce qui peut entraîner un réveil prolongé [2] ;

- les animaux brachycéphales ont un tonus vagal augmenté et des anomalies du système respiratoire supérieur plus ou moins marquées et souvent compensées, mais l’anesthésie peut provoquer une détérioration brutale (voir le TABLEAU “Particularités raciales à considérer lors du choix du protocole anesthésique”) ;

- certaines races ont en outre un potentiel agressif (rottweiler, berger allemand, chow-chow, etc.) qu’il convient de prendre en compte ;

- certaines lignées de boxer semblent très sensibles aux effets de l’acépromazine. Ce phénomène a surtout été rapporté en Grande-Bretagne : les chiens ont présenté, au mieux un réveil très prolongé (jusqu’à 48 heures), au pire un collapsus cardiovasculaire fatal ;

- certaines réactions idiosyncrasiques ont été décrites par des éleveurs de sharpeïs, de colleys et apparentés, de bergers allemands, de boxers, de golden retrievers, de bergers belges, de grands danois, de mâtins napolitains, de chats siamois, d’himalayens, de Maine coons, etc. [10]. Aucune étude scientifique n’étaye toutefois (à ce jour) de telles affirmations.

• Les animaux très jeunes ont des systèmes métaboliques immatures, des capacités d’adaptation diminuées (pour l’homéothermie, la volémie, la glycémie, etc.) et peuvent être atteints d’anomalies congénitales non diagnostiquées (comme un shunt portosystémique ou une anomalie cardiaque) [11]. Il convient donc d’employer un protocole anesthésique particulier qui comprend une prémédication minimale, une induction et un réveil rapides ; les agents volatils sont préférés aux injectables.

Les animaux âgés sont susceptibles de présenter des défaillances organiques compensées : malgré un état de santé apparemment correct, une procédure anesthésique mal adaptée peut précipiter un déséquilibre [7].

• L’appareil urogénital peut présenter des particularités pathologiques ou physiologiques (gestation, œstrus, pyomètre, syndrome urologique félin, etc.) susceptibles d’influencer le déroulement de l’anesthésie en altérant l’hémodynamie ou l’équilibre hydro-électrolytique. Une femelle gestante nécessite ainsi des doses d’agents inhalés de 25 à 40 % inférieures [11].

• Les animaux de très petite taille, en particulier lorsqu’ils sont jeunes, sont prédisposés à l’hypoglycémie. Une mesure précise du poids de l’animal est indispensable pour adapter les doses d’agents anesthésiques : une estimation grossière peut être la cause d’un surdosage, en particulier chez un animal jeune, âgé ou de petite taille. Dans certains cas, comme l’obésité ou la cachexie, il est préférable de se fonder sur le poids métabolique (P0,75) pour calculer la dose d’agent anesthésique à administrer [10].

Les chiens de races de grande taille nécessitent des doses relativement plus faibles que ceux de plus petite taille. Leur tempérament est généralement plus calme et la fréquence d’hypothyroïdie (chez le terre-neuve en particulier) est plus élevée. Cette dysendocrinie peut être associée à des troubles cardiaques (insuffisance congestive, hypertension, thrombo-embolie pulmonaire), respiratoires (hypoxémie, diminution de la compliance thoracique et tachypnée en relation avec l’état d’obésité), susceptibles d’être aggravés par un protocole anesthésique inadapté. En outre, les hypothyroïdiens sont caractérisés par un métabolisme plus lent, une anémie et une prédisposition à développer des myopathies (muscles respiratoires, paralysie laryngée, méga-œsophage) [8].

Le tempérament de l’animal intervient dans le choix des agents : potentiel agressif ou état de stress susceptible d’interférer par les modifications humorales engendrées (cortisol, catécholamines, acidémie) avec les réponses pharmacologiques classiques.

• Il convient de réaliser une anamnèse complète sur l’état de santé de l’animal et sur la durée et la nature de l’affection qui justifie l’intervention [1, 9, 10]. Des questions précises, qui concernent particulièrement les systèmes respiratoires et cardiovasculaires (présence d’une toux, intolérance à l’exercice, etc.) peuvent mettre le praticien sur la piste d’une anomalie non-suspectée par les propriétaires.

Il convient également de les interroger sur une éventuelle maladie coexistante et sur les traitements en cours. Des interactions médicamenteuses délétères peuvent en effet survenir (voir le TABLEAU “Liste des interactions médicamenteuses possibles avec les agents anesthésiques”) et certaines affections nécessitent des précautions lors de la procédure anesthésique :

- un animal atteint d’arythmie traitée par les digitaliques peut ainsi être anesthésié sans que son traitement soit interrompu, mais doit faire l’objet d’un suivi particulier (pression artérielle, PHOTO 2, électrocardiographie, gaz sanguins artériels) ;

- chez un animal diabétique traité avec de l’insuline, il convient de suivre un protocole de préparation adapté et d’être en mesure de contrôler la glycémie au cours de toutes les étapes de l’anesthésie [3] ;

- un animal épileptique traité avec un anticonvulsivant risque de métaboliser les thiobarbituriques plus rapidement et il convient d’éviter les molécules qui peuvent abaisser le seuil des convulsions (acépromazine) ou augmenter la pression intracrânienne (kétamine ou morphiniques(1) lors d’absence de prise en charge de la ventilation). Il est parfois préférable de référer le cas à une structure spécialisée.

• Toute information qui concerne une anesthésie antérieure est également utile. Les effets indésirables ou les complications lors d’une intervention précédente peuvent influencer le choix du protocole et les précautions pré-anesthésiques. En cas de réveil prolongé par exemple, il est possible de justifier la réalisation d’autres examens complémentaires et l’élaboration d’un protocole qui exclut l’administration des agents suspects.

Quel examen clinique pré-anesthésique convient-il de réaliser ?

L’examen clinique complet de chaque animal est réalisé le jour même de l’anesthésie, au moment de l’admission ou de la préparation. Cet examen est entrepris lorsque l’animal semble le plus calme, afin d’éviter les biais liés à l’excitation (tachycardie, pouls bondissant, hyperthermie, etc.) et avant de débuter la pré-anesthésie. Les agents anesthésiques peuvent induire des modifications cardiovasculaires et respiratoires marquées (souffle cardiaque, tachycardie ou bradycardie, arythmies, halètements, etc.), qui biaisent les résultats de l’examen clinique.

• L’existence d’une hyperthermie ou d’une hypothermie peuvent révéler la présence d’une affection concomitante. La température rectale normale est de 37,9 à 39,9 °C chez le chien et de 38,1 à 39,2 °C chez le chat.

• L’état d’embonpoint de l’animal (gras ou maigre) nécessite d’adapter les doses d’agents anesthésiques en prenant en compte le poids métabolique.

• L’examen du système cardiovasculaire permet d’évaluer la fréquence cardiaque et ainsi, la pertinence d’utilisation d’un anticholinergique. Les valeurs usuelles sont de 70 à 180 battements par minute (bpm) chez le chien et de 145 à 200 bpm chez le chat [9].

Les anticholinergiques sont évités lorsque la fréquence cardiaque excède 100 bpm chez le chien de race de grande taille, 120 bpm chez le chien de race de petite taille et 140 bpm chez le chat. Un anticholinergique peut toutefois être utile afin de contrecarrer un tonus vagal augmenté (brachycéphales) ou pressenti (procédures viscérales), et afin de réduire la production salivaire lors d’administration d’agents dissociatifs chez le chat ou d’intervention chirurgicale oropharyngienne, par exemple.

Le rythme cardiaque, la présence d’un souffle, la qualité du pouls et sa correspondance avec le choc précordial et le temps de remplissage capillaire (normalement inférieur à 1,5 à 2 secondes) sont également notés.

Certaines races sont en outre prédisposées à des affections cardiaques :

- chez les races de taille géante, chez les chiens de races de petite taille et les brachycéphales, comme chez les chiens âgés, les cardiomyopathies et les anomalies congénitales cardiaques sont plus fréquentes ;

- l’irish wolfhound et le boxer présentent plus fréquemment une tachycardie atriale et le dobermann une fibrillation atriale, les brachycéphales sont souvent sujets aux brady-arythmies, le Sick sinus syndrome survient plus fréquemment chez le schnauzer miniature et est également rencontré chez le cocker spaniel femelle et les teckels.

• Lors de l’examen du système respiratoire, les paramètres mesurés ou évalués sont la fréquence respiratoire (8 à 25 cycles par minute, inversement corrélée à la taille des animaux), la couleur des muqueuses et la présence de toux, la présence de matité pulmonaire ou de bruits respiratoires anormaux. Les muqueuses sont rosées chez un animal sain : des muqueuses pâles révèlent une anémie ou une mauvaise perfusion périphérique ; des muqueuses cyanosées révèlent (mais tardivement) des échanges gazeux défectueux.

• Une palpation abdominale pré-anesthésique attentive vise à estimer la morphologie d’organes comme le foie et les reins ou à détecter la présence d’une affection concomitante (masse abdominale, constipation, etc.) qui peut modifierleprotocoleanesthésiqueou chirurgical.

• L’estimation du tempérament de l’animal est essentielle : un animal calme ne nécessite qu’une pré-anesthésie légère afin d’assurer sa contention, contrairement à un animal excité ou agressif. Les animaux inapprochables font également l’objet d’une planification anesthésique particulière, qui vise à assurer en priorité la sécurité des manipulateurs et de l’animal [4]. L’estimation du risque anesthésique est souvent difficile chez ces animaux, et il convient de toujours le surestimer et d’en avertir le propriétaire.

Quel que soit le motif de l’anesthésie, celle-ci comporte un risque pour l’animal, qui justifie une évaluation pré-anesthésique systématique et minutieuse. L’anamnèse et les informations recueillies lors de l’examen clinique permettent une quantification de ce risque (classification ASA). Des examens complémentaires, qui dépendent de ce risque ASA et de l’âge de l’animal, sont toutefois nécessaires afin d’affiner cette évaluation (détection d’autres anomalies ou précision de celles déjà identifiées). Leur choix et l’utilisation (pour planifier l’anesthésie) de l’ensemble des informations recueillies seront présentés dans un deuxième article.

  • (1) Médicament à usage humain.

Points forts

L’évaluation pré-anesthésique du chien et du chat permet de prévoir un déroulement anesthésique et d’anticiper un certain nombre de complications.

À partir de l’anamnèse et de l’examen clinique, une première évaluation du risque anesthésique est possible. Un pronostic (pourcentage de mortalité) peut ainsi être formulé.

Chez un animal qui reçoit déjà un traitement, des interactions médicamenteuses avec les agents anesthésiques sont possibles : par exemple, chez un animal traité à l’aide de digitaliques, d’insuline ou d’anticonvulsivants, des mesures anesthésiques particulières sont essentielles.

L’examen clinique complet est réalisé le jour même de l’anesthésie. Afin d’éviter les interactions qui pourraient biaiser les résultats de cet examen, il est entrepris lorsque l’animal semble le plus calme et avant de débuter la pré-anesthésie.

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