Les bouses des vaches, reflet de leur alimentation - Le Point Vétérinaire n° 241 du 01/12/2003
Le Point Vétérinaire n° 241 du 01/12/2003

APPRÉCIATION INDIRECTE DE L’ÉQUILIBRE DE LA RATION

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EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Michel Vagneur

Fonctions : 10, rue de Boyse
39300 Champagnole

L’examen des bouses, utilisé à bon escient et avec d’autres critères, en particulier la production, permet d’affiner le diagnostic et d’améliorer le conseil en élevage.

L’examen des bouses est largement employé par le vétérinaire praticien dans la sémiologie « au chevet du malade ». Dans le cadre de l’évaluation du système alimentaire d’un troupeau laitier, au cours d’une visite d’élevage ou encore lors d’un suivi de reproduction, l’examen des bouses donne aussi de précieuses indications sur l’équilibre de la ration, à condition de le confronter à d’autres critères : production, taux, note d’état d’engraissement, calcul de ration, incidence des maladies métaboliques [10, 11]. Ce critère est largement employé dans différents pays, par exemple aux Pays-Bas et en Belgique [7, 10] ainsi qu’aux États-Unis [4].

La bouse reflète l’intensité de la digestion en liaison avec les types d’aliments utilisés et les techniques de distribution. Il convient, bien sûr, de distinguer les causes alimentaires des causes pathologiques de la modification des bouses. En tenant compte des critères habituels de suivi en élevage laitier (production, taux, note d’état d’engraissement, calcul de ration, incidence des maladies métaboliques) et après avoir écarté les altérations de bouses issues de troubles infectieux, parasitaires ou toxiques, l’examen des bouses peut apporter de précieuses informations, ce qui permet une évaluation plus pertinente du système alimentaire et un conseil efficace.

Rappels physiologiques

1. Quantité de bouse

Les bovins adultes expulsent en temps normal 30 à 50 kg d’excréments [8] en 10 à 24 fois par 24 heures. Les fèces sont constitués de 80 à 90 % d’eau selon le type d’alimentation.

La matière sèche est constituée :

- de la fraction non digérée de la ration [5], c’est-à-dire celle qui a échappé successivement à la dégradation microbienne dans le réticulo-rumen, à la digestion dans la caillette et l’intestin grêle et à la fermentation microbienne dans le gros intestin ;

- de produits endogènes (sucs digestifs, débris cellulaires) ou microbiens non digérés.

La digestibilité, qui représente la fraction des aliments disparus dans le tube digestif, est le facteur principal de la variation de la valeur nutritive des aliments mais aussi de l’aspect des bouses. La digestibilité apparente de la matière sèche est la proportion de matière sèche apparemment disparue entre l’aliment et les fèces.

2. Taille des particules dans les bouses

La taille des particules dans les bouses dépend de l’intensité et de la durée de la rumination (donc de la fibrosité et de la taille des particules consommées), de l’activité de la micropopulation ruminale (et de ses éventuels facteurs limitants) et du temps de séjour des particules dans le rumen.

3. Influence du fonctionnement ruminal et de l’ingestion

Le rumen fonctionne comme un fermenteur, avec comme principaux facteurs limitants de son fonctionnement :

1 La stabilité du pH. Le pH doit baisser le moins possible et le moins longtemps possible en dessous de 6. Sa moyenne journalière doit être supérieure à 6,3 [9].

Le pH est sous la dépendance :

- de la vitesse de production d’acides organiques, liée à la digestibilité des rations et à l’ingestion ;

- de la vitesse de sortie de ces acides par les papilles ruminales, dont la taille est en liaison avec la richesse de la ration ;

- du retour salivaire des tampons, lié à la fibrosité de la ration, représenté par le « matelas » ruminal ;

- du pouvoir tampon de la ration.

2 Un niveau minimal d’azote dégradable.

3 Un niveau suffisant d’énergie fermentescible et le moins possible d’éléments indigestibles riches en lignine.

4 Certains minéraux : Na, P, Co, etc.

5 L’absence de facteurs toxiques.

6 L’observation de transitions respectant micropopulation et adaptation digestive.

Quand le niveau d’ingestion augmente, la digestibilité se réduit [8] car le temps de séjour des aliments diminue. Comme la production est liée à l’ingestion, on observe globalement une diminution de la digestibilité des rations avec l’augmentation de la production [4] ou, exprimé autrement, si l’ingestion augmente, la digestibilité diminue.

Lorsque le rumen « fonctionne mal » (c’est-à-dire lorsque le métabolisme de la micropopulation ruminale est perturbé), la digestion de la ration est altérée [1, 4, 5, 8].

4. Présence de grains

Les grains entiers (de maïs et de céréales à paille) consommés ne sont en général pas digestibles pour les bovins adultes. En revanche, les veaux et les petits ruminants les valorisent bien en général. Lors de la présence de grains dans les bouses, il convient de se demander s’il s’agit de grains entiers ou non. Si la réponse est positive, alors le métabolisme ruminal n’est pas défaillant : c’est l’absence de broyage du grain qui est en cause. Dans le cas de céréales à paille, c’est la grille du broyeur qui doit être réglée ; dans le cas d’ensilage de maïs comportant de nombreux grains intacts, il conviendra de conseiller soit un réglage plus fin de la coupe, soit l’utilisation d’un « éclateur » sur l’ensileuse, ce dernier étant de plus en plus fréquemment utilisé.

Quels sont les critères d’appréciation des bouses ?

1. Consistance des bouses

Les bouses doivent avoir la consistance d’une bouillie, ronde, uniformément étalée, du diamètre d’une assiette, sans éclaboussure à l’arrivée au sol, laissant apparaître un creux au milieu et des sillons plus ou moins concentriques (PHOTO 1).

Différentes grilles de notation ont été proposées (voir l’ENCADRÉ « Consistance des bouses ») [10]. Les tendances principales qui s’en dégagent sont les suivantes :

Bouses sèches

Des bouses trop sèches (PHOTOS 2 et 3) indiquent :

- une insuffisance d’abreuvement ;

- une ration trop « encombrante », trop fibreuse (valeur UEL ou UEB trop élevée), par exemple constituée de fourrages peu digestibles ;

- une sous-alimentation ;

- certaines maladies, une cétose en particulier.

Bouses liquides

Des bouses trop liquides (PHOTOS 4 et 5) indiquent :

- une ration trop riche en eau, constituée d’ingrédients à faible teneur en matière sèche : pâturage, betteraves, coproduits humides, ensilage d’herbe faible en matière sèche, etc. ;

- une ration pauvre en fibres, acidogène ;

- un excès d’azote dégradable ;

- une ration dont certains constituants refermentent dans le gros intestin, par exemple une partie de l’amidon non dégradé dans le rumen ;

- une diarrhée non alimentaire ou toxique dont l’origine est à déterminer et qui peut coexister avec une diarrhée d’origine alimentaire.

Si les excès importants en azote dégradable engendrent généralement des bouses « molles », l’inverse n’est pas vrai : un déficit azoté lié à de l’acidose, par exemple, est en général générateur de bouses « molles ». Il ne faut surtout pas, sans indication complémentaire et avant toute investigation précise, diminuer les correcteurs azotés en cas de bouses liquides : c’est souvent le manque de fibres qui est en cause et non l’azote.

Bouses visqueuses ou gélatineuses

Des bouses visqueuses et hyperdigérées évoquent un déplacement de caillette à gauche.

Des bouses « gélatineuses », à l’aspect de « soupe de pois cassé », peuvent parfois s’observer. Cela correspondrait à une proportion importante d’amidon libre due à une ration riche en amidon que l’animal ne peut totalement digérer à cause de la saturation de ses capacités enzymatiques (amylase pancréatique).

2. Couleur des bouses

La coloration des excréments [8] est fortement influencée par la nature des fourrages et des concentrés, en particulier par la teneur en chlorophylle, par la quantité de bile, par la vitesse de transit dans le tube digestif :

- vert foncé (PHOTO 6) : pâturage ;

- brun-olive : normal pour des rations hivernales non exclusivement à base d’ensilage de maïs ;

- brun-noir en surface (PHOTO 7) dans le cas de rations riches en pulpes déshydratées, luzerne, ensilage d’herbe, fourrages grossiers ou lors de certaines maladies (par exemple cétose ou parésie du feuillet) ;

- jaunâtre (PHOTO 8) lors d’acidose du rumen (ensilage de maïs + excès de céréales à paille) ou d’excès de maïs sous toutes ses formes (ensilage de maïs + maïs grain sec ou maïs grain humide ou maïs épi ensilé).

3. Présence de particules non digérées

Les particules non digérées présentes dans les bouses peuvent être des fibres et/ou des grains de maïs ou d’autre céréale.

Méthode d’examen

La méthode d’examen consiste à placer 100 à 200 ml de bouses dans un tamis à maille fine de 1,5 mm environ, de type passoire ménagère pour le riz (mais bien sûr réservée à cet usage), que l’on appellera « bousomètre ». Un lavage au jet d’eau permet de bien visualiser les résidus retenus par le tamis (PHOTO 9).

Le tamis doit retenir normalement :

- un « feutrage » constitué de particules végétales de moins de 5 mm de long, correspondant au broyage des fibres lors de la rumination ;

- le minimum de grains : les grains doivent être examinés pour vérifier qu’ils contiennent de l’amidon et qu’il ne s’agit pas de cuticules vides.

L’interprétation de la présence de particules non digérées est à mettre en relation avec le niveau de production : plus la production est élevée, plus l’ingestion est forte, moins la ration est digeste, plus on observera de résidus non digérés. Par exemple, si l’on distribue à trois vaches de niveaux de production différents (15 l, 30 l et 45 l) la même ration complète (au kg de MS : 105 PDI et 0,95 UFL), les bouses seront respectivement sèches, normales ou molles (voir le TABLEAU « Relation entre l’aspect des bouses et le niveau de production »).

Présence de fibres

La présence importante de particules de plus de 1 cm (PHOTO 10) indique une digestion des fibres insuffisante, dont les causes doivent être recherchées dans un dysfonctionnement ruminal et un défaut de rumination. Il peut s’agir :

- de déficit azoté ;

- d’acidose, en particulier lors de transitions brutales, de ration insuffisamment fibreuse, d’excès de glucides fermentescibles. La présence de fibres longues dans les bouses n’est pas le signe d’une ration trop fibreuse, bien au contraire : ce sont les rations trop peu fibreuses qui génèrent des résidus fibreux dans les bouses ;

- de déficit minéral : P, Na, Co, etc. ;

- de causes pathologiques : réticulo-péritonite traumatique par exemple.

Présence de grains

La présence de grains entiers dans les bouses (PHOTOS 11 et 12) indique qu’ils n’ont pas été broyés, donc pas été rendus suffisamment fermentescibles pour les micro-organismes du rumen. Elle peut témoigner d’un excès de grains ou d’un manque de fibres dans la ration, facteurs de risque d’acidose, ou d’un déficit en azote dégradable.

La présence de grains non digérés dans les bouses indique une perte de la valeur nutritive de la ration, mais aussi que cet amidon n’a pas généré d’acidose. À l’inverse, une ration parfaitement digérée, avec peu de résidus de grain dans les bouses, peut être acidogène.

Avec une ration comportant 10 kg de foin fibreux associé à 5-6 kg de matière sèche d’un ensilage de maïs riche en grains intacts + des concentrés et des minéraux pour rééquilibrer, les bouses ne contiennent pas de grains, alors qu’on aurait pu s’y attendre. En effet, la ration est très fibreuse, le matelas ruminal très fonctionnel, la rumination intense, et les grains ont une forte probabilité d’être broyés lors de la rumination.

Il est donc possible de diminuer la présence de grains dans les bouses en limitant l’ensilage de maïs, en prévenant l’acidose, en augmentant la fibrosité de la ration et le niveau azoté.

Dans le cas de rations non distribuées à volonté, il y a généralement une digestion complète avec peu de résidus ; dans ce cas, la production et/ou les taux de matière utile sont pénalisés.

4. Odeur des bouses

L’odeur des bouses est normalement peu intense et n’est pas désagréable. Une odeur aigrelette évoque l’acidose ruminale ou intestinale. Une odeur putride évoque l’ingestion d’aliments mal conservés ou riches en azote dégradé (ensilages d’herbe putréfiés), ou un excès azoté important.

Comment interpréter les bouses ?

1. Nature du régime

La nature du régime influe sur les bouses, d’une part, par la nature et la quantité des fourrages et des concentrés, d’autre part, par les interférences digestives entre ces derniers.

Très schématiquement, il existe cinq types de rations en France actuellement :

1 Ration EMPE : ensilage de maïs plante entière dominant (+ de 70 % de la matière sèche ingérée) ou ensilage de maïs + maïs grain humide ou épi de maïs ensilé en quantité importante (+ de 4 kg de MS) ou céréales à paille en quantité importante (+ de 3 kg bruts).

2 Ration EMPE + F : ensilage de maïs limité (40-60 % de la matière sèche ingérée) associé à d’autres fourrages (pâture, foin, ensilage d’herbe, luzerne) et coproduits (pulpes, drèches).

3 Ration PAT : pâturage + concentrés et/ou coproduits.

4 Ration F + C : foin + concentrés et/ou coproduits, utilisée en montagne.

5 Ration EH + C : ensilage d’herbe + concentrés et/ou coproduits, utilisée en montagne.

Les deux premiers régimes sont dominants en hiver. Dans chaque régime, il est possible d’observer des rations équilibrées ou non équilibrées (voir plus loin). Des régimes très riches en eau (MS de la ration inférieure à 30 %) conduisent à des bouses liquides. Le tableau « Relation entre l’aspect des bouses et la nature du régime » indique des tendances, qui sont à moduler selon la production et le niveau d’équilibre de la ration.

2. Rations « équilibrées »

Les rations « équilibrées » (voir le TABLEAU « Relation entre l’aspect des bouses et différents types de rations équilibrées ») génèrent peu de maladies métaboliques, assurent aux animaux un statut nutritionnel qui les rend aptes à la reproduction et satisfont l’éleveur dans ses objectifs (production, taux) en cohérence avec ses contraintes. Il existe schématiquement trois types de rations équilibrées couramment rencontrées sur le terrain, à moduler selon les ressources génétiques du troupeau :

• une ration équilibrée avec des performances « moyennes » par rapport aux résultats habituels du contrôle laitier, soit 6 000 à 8 000 kg de lait par vache et par an, ce qui suppose un niveau azoté à la limite inférieure des recommandations et des ingestions moyennes de l’ordre de 18 à 22 kg de MS, les fourrages étant distribués à volonté ;

• une ration équilibrée avec des performances « supérieures » par rapport aux résultats habituels du contrôle laitier, soit 8 500 à 10 000 kg de lait par vache et par an, ce qui suppose un niveau azoté à la limite supérieure des recommandations et des ingestions moyennes de l’ordre de 22 à 26 kg de MS ;

• une ration équilibrée non distribuée à volonté : la production, les taux et la note d’état des animaux sont limités ; l’augmentation de la quantité distribuée permet une augmentation rapide de ces paramètres sans incidence accrue des maladies métaboliques.

3. Rations « déséquilibrées »

Les rations « déséquilibrées » (voir le tableau « Relation entre l’aspect des bouses et différents types de rations déséquilibrées ») génèrent des maladies métaboliques et/ou des préjudices zootechniques (production, taux, gaspillage) et obligent l’éleveur à modifier souvent ses pratiques alimentaires. Il existe schématiquement quatre grands types de rations déséquilibrées couramment rencontrées sur le terrain pour lesquelles l’observation des bouses est caractéristique :

- Les rations acidosiques [9] sont celles qui donnent lieu à une très forte ingestion, très fermentescibles, insuffisamment riches en fibres ou propices à un tri important, ou sans transitions suffisamment longues.

- Les rations déficitaires en azote dégradable ne permettent pas à la micropopulation ruminale d’avoir un métabolisme optimal.

- Les rations excédentaires en azote dégradable conduisent à un taux d’ammoniac ruminal élevé et à des taux d’urée dans le sang ou dans le lait élevés.

- Les rations excédentaires en fibres, trop encombrantes, limitent l’ingestion, donc la production et les taux.

Le déficit énergétique, situation fréquente, peut être la conséquence de l’une ou l’autre de ces rations déséquilibrées. Il n’existe pas de « bouse type » d’une ration engendrant un déficit énergétique.

Il est possible d’observer deux syndromes en même temps, par exemple excès azoté et acidose ou déficit azoté et excès de fibres.

En confrontant l’examen des bouses avec d’autres éléments de confirmation [2, 3, 5, 6, 10, 11], il est possible de proposer des corrections de ration (voir le TABLEAU « Éléments de confirmation et de correction de certains déséquilibres nutritionnels ») à adapter aux réalités du terrain.

Cet article est issu d’une conférence prononcée aux Journées Nationales des GTV à Nantes (du 14 au 16 mai 2003) avec l’aimable autorisation de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires.

Consistance des bouses

Exemple de grille de notation proposée (Zaaijer)

1 très liquide

2 liquide

3 « normal »

4 dure

5 très dure

D’après Rollin F. Tests de terrain pour la mise en évidence des pathologies subcliniques de la vache laitière. SFB Paris, 28-30 novembre. 2001 : 18-32.

Points forts

→ L’état des bouses reflète l’intensité de la digestion en liaison avec les types d’aliments utilisés et les techniques de distribution.

→ Lorsque le niveau d’ingestion est élevé, la digestibilité est relativement plus faible.

→ Les excès importants en azote dégradable engendrent généralement des bouses molles. Toutefois, en cas de bouses liquides, c’est souvent le manque de fibres qui est en cause et non un excès azoté.

→ La présence de fibres longues dans les bouses est le signe d’une ration trop peu fibreuse.

→ La présence de grains entiers dans les bouses peut témoigner d’un excès de grain ou d’un manque de fibres dans la ration, facteurs de risque d’acidose, ou d’un déficit en azote dégradable.

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