Dosage des acides biliaires : un test de la fonction hépatique - Le Point Vétérinaire n° 240 du 01/11/2003
Le Point Vétérinaire n° 240 du 01/11/2003

BIOLOGIE CLINIQUE CHEZ LE CHIEN ET CHEZ LE CHAT

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Cécile Soyer

Fonctions : Clinique vétérinaire
176, bd Charles-de-Gaulle
92700 Colombes

Les acides biliaires sont principalement utilisés pour préciser le diagnostic des atteintes hépatiques, dont les dysplasies congénitales ou acquises.

Les acides biliaires sont connus depuis les années 1950 chez le chien, qui était alors un modèle d’étude de la physiologie hépatique. Leur dosage sérique n’est toutefois utilisé en médecine vétérinaire que depuis les années 1990, notamment pour le diagnostic des dysplasies hépatiques.

Un cycle entérohépatique

Les acides biliaires résultent de la transformation du cholestérol dans l’hépatocyte. Leurs rôles biologiques sont variés (voir l’ENCADRÉ « Rôles biologiques des acides biliaires ») ; ils ont des propriétés tensio-actives et contribuent à l’émulsification des lipides alimentaires, préalablement à leur digestion.

Les acides biliaires, synthétisés et conjugués dans le foie, sont sécrétés dans la bile, stockés et concentrés dans la vésicule biliaire, absorbés par l’intestin, réduits dans l’iléon et transportés par la veine porte jusqu’au foie, où ils sont réabsorbés activement. C’est le cycle dit « entérohépatique » (voir la FIGURE « Cycle entérohépatique des acides biliaires »)

La concentration sérique en acides biliaires circulants est le résultat d’un équilibre entre leur passage dans la circulation et leur sécrétion par le foie. À jeun, leur concentration circulante est physiologiquement faible, sauf après un repas (multipliée par quatre deux heures après l’ingestion d’unerationnormale). Mesurer le taux d’acides biliaires à jeun et deux heures après un repas permet donc d’évaluer la capacité du foie à réabsorber les acides biliaires circulants.

Dosage enzymatique et spectrophotométrique

Il existe des méthodes radio- ou enzymo-immunologiques spécifiques de dosage des acides biliaires, mais elles sont trop onéreuses pour être utilisées en routine. En médecine vétérinaire courante, un dosage des acides biliaires totaux est utilisé sur sérum uniquement et fait appel à une méthode enzymatique.

La méthode de dosage repose sur la présence dans la plupart des acides biliaires, conjugués ou non, d’un groupe hydroxyl en position alpha. Une 3-alpha-hydroxystéroïde déshydrogénase oxyde le groupe 3-alpha-hydroxyl des acides biliaires en ungroupe3-cétone. La réaction s’accompagne de la formation d’un composé, le formazan, de couleur bleue, dont l’absorption maximale est à 540 nm [7]. Elle a été optimisée et validée chez le chien en 1984 [4].

Dans la mesure où la lecture spectrophotométrique se fait dans la couleur bleue, le caractère hémolysé d’un prélèvement gêne l’interprétation des résultats. Un “blanc” (témoin à l’aide du sérum hémolysé pour avoir un référentiel de couleur) doit être réalisé avec le sérum étudié.

Unehyperlipémierend également difficile une lecture précise en méthode photométrique. Selon certains auteurs [3], une réfrigération et des centrifugations multiples permettent de s’affranchir de l’opalescence lipidique, mais ces techniques sont sujettes à controverse. L’hyperlipémie, fréquente lors d’atteinte hépatique, constitue un obstacle majeur pour la technique courante.

Deux mesures : à jeun et en période postprandiale

En raison de leur métabolisme, les acides biliaires reflètent la fonction hépatobiliaire. Lors de cholestase, ils sont ainsi éliminés plus lentement et leur concentration sérique augmente. Lors d’insuffisance hépatocellulaire, leur synthèse et leur recapture par les hépatocytes sont diminuées, d’où des concentrations sériques à jeun souvent aussi basses que les valeurs physiologiques. Lorsque la circulation porte est perturbée (shunt congénital ou acquis ou autre dysplasie hépatique), ils s’accumulent dans la circulation générale [3, 10].

La concentration sérique des acides biliaires ne permet donc pas à elle seule d’identifier la nature de l’atteinte hépatique. Néanmoins, une augmentation modérée des concentrations à jeun doit inciter à mesurer la concentration postprandiale. L’interprétation couplée des concentrations sériques mesurées à jeun et en période postprandiale permet de préciser le diagnostic (voir le TABLEAU « Comparaison des concentrations sériques pré- et postprandiales des acides biliaires »).

Selon l’atteinte hépatique concernée, la spécificité et la sensibilité du dosage des acides biliaires varient. Mais la mesure de la concentration des acides biliaires postprandiaux est toujours plus sensible que la mesure à jeun [2]. En effet, lors d’insuffisance hépatocellulaire, quelle qu’elle soit, la recapture des acides biliaires par les hépatocytes est diminuée et les concentrations postprandiales augmentent. Or, puisque la synthèse des acides biliaires est  aussi souvent diminuée, les concentrations à jeun restent faibles (résultat faussement négatif).

Les valeurs usuelles doivent être précisées par chaque laboratoire. Il est désormais communément admis que la concentration sérique des acides biliaires augmente significativement deux heures après le repas [5]. Statistiquement, aucune différence n’existe en effet entre les concentrations mesurées deux heures et six heures après le repas [5].

Chez le chien et chez le chat, les normes sont [2, 9] :

– à jeun : < 10 µmol/l ;

– en période postprandiale : < 20 à 30 µmol/l.

Lors de shunt portosystémique, la concentration postprandiale est forte : toujours supérieure à 50 µmol/l, avec une moyenne de 133 µmol/l [2].

Des facteurs de variation

• Il existe des contractions physiologiques de la vésicule biliaire non liées à un repas, qui peuvent entraîner une mesure des acides biliaires à jeun supérieure à celle réalisée en période postprandiale, lorsque les valeurs sont basses.

•Ilexistedesfacteurs, notamment digestifs, qui influent sur la cinétique du cycle entérohépatique et qui modifient l’interprétation du test. L’administration d’une ration inadaptée peut ainsi retarder la vidange de la vésicule biliaire ; le volume de la ration doit être au moins celui d’un repas habituel pour l’animal et la composition doit correspondre à une alimentation riche en graisses (qui favorise la sécrétionbiliaire). Les animaux testés sont fréquemment anorexiques et le test nécessite le plus souvent le recours à leur gavage. Il est possible de s’affranchir des difficultés liées au repas, parfois refusé lors du test en clinique, par l’administration d’un analogue de la cholécystokinine [9].

Le dosage des acides biliaires constitue donc une aide diagnostique lors d’une suspicion clinique, à utiliser en corrélation avec d’autres examens. L’interprétation est ainsi affinée lorsque le dosage des acides biliaires est associé avec les autres paramètres d’exploration hépatique (voir le TABLEAU « Interprétation des différents paramètres de l’exploration hépatique »). Il existe aussi des méthodes nouvelles de mesure des acides biliaires urinaires [1].

Sous réserve d’en maîtriser l’interprétation, le dosage sérique des acides biliaires est un outil essentiel de l’exploration biologique de la fonction hépatique en médecine vétérinaire. Ce test présente une grande sensibilité pour la détection des dysplasies hépatiques congénitales ou acquises, des affections hépatiques induites par l’administration de corticoïdes, de la cholestase et de l’hépatite chronique.

Rôles biologiques des acides biliaires

Rôles physiologiques

– Digestion et absorption des graisses digestives

– Digestion des protéines digestives

– Transport du calcium et du fer et absorption intestinale

Physiopathologie

– Auto-entretien de l’inflammation hépatobiliaire : les acides biliaires s’accumulent lors de lésion hépatocytaire et entraînent la détersion des membranes, donc la cytolyse

– Augmentation de la perméabilité de la barrière hématoméningée lors d’encéphalopathie

– Formation d’ulcères gastro-intestinaux auto-entretenus (cytolyse membranaire)

– Diminution de l’agrégation plaquettaire

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