Les intoxications par les tranquillisants - Le Point Vétérinaire n° 238 du 01/08/2003
Le Point Vétérinaire n° 238 du 01/08/2003

TOXICOLOGIE DU CHIEN ET DU CHAT

Se former

CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Hervé Pouliquen*, Jean-Claude Desfontis**

Fonctions :
*Centre antipoison animal de l’Ouest,
Unité de pharmacologie et de toxicologie
École nationale vétérinaire de Nantes
Atlanpôle - La Chantrerie, BP 40706
44307 Nantes Cedex 03

L’ingestion de tranquillisants est la première cause d’intoxication des chiens et des chats par les médicaments humains en France. Le pronostic est toutefois souvent satisfaisant.

Les médicaments qualifiés de tranquillisants sont classiquement divisés en tranquillisants majeurs et mineurs (voir le TABLEAU “Les principaux médicaments tranquillisants en médecine humaine et vétérinaire” ;).

Les tranquillisants majeurs, encore appelés neuroleptiques, regroupent des molécules dotées principalement d’une activité antidopaminergique, à l’origine de propriétés sédatives.

Les tranquillisants mineurs, plus diversifiés, sont principalement représentés par les benzodiazépines, aux propriétés anxiolytiques et hypnotiques, par stimulation des récepteurs au GABA (acide gamma-aminobutyrique).

Les tranquillisants, et plus particulièrement les anxiolytiques, sont les médicaments psychotropes les plus prescrits en médecine humaine. Il n’est donc pas étonnant que la fréquence annuelle des intoxications des chiens et des chats par ces molécules soit élevée (environ 6,5 % selon les appels téléphoniques reçus au Centre antipoison animal de l’Ouest). Le praticien peut être déconcerté lorsqu’il se trouve confronté à l’intoxication accidentelle d’un chien ou d’un chat, car ces molécules sont moins utilisées en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine.

Le diagnostic de l’intoxication par les tranquillisants repose avant tout sur les commémoratifs et doit être le plus précoce possible.

Première étape : recueil des commémoratifs

• Les intoxications par les tranquillisants sont environ dix fois plus fréquentes chez le chien que chez le chat. Le chat est en effet plus méfiant que le chien, ce qui l’expose moins aux risques d’intoxication par ingestion accidentelle de médicament [3, 5].

Les jeunes animaux âgés de moins d’un an, en particulier les chiens, semblent plus fréquemment affectés que les adultes [6].

• Les intoxications par les benzodiazépines sont environ dix fois plus fréquentes que celles par les neuroleptiques, en raison de la fréquence d’utilisation de ces molécules en médecine humaine. Le bromazépam(1) (Lexomil® ;) est la molécule la plus fréquemment à l’origine d’intoxication par les médicaments humains, toutes classes pharmacologiques confondues.

• Les intoxications par les tranquillisants résultent essentiellement de l’ingestion accidentelle de médicaments, principalement de comprimés mal rangés. Les cas les plus fréquents sont celui du jeune chien qui joue avec la boîte ou le tube de tranquillisants de son propriétaire et qui avale une partie ou la totalité du contenu, et celui du jeune chien qui avale les comprimés tombés sur le sol [6, 7].

• Le nombre de comprimés ingérés est plus élevé chez le chien que chez le chat (un comprimé au maximum chez ce dernier). Les doses ingérées s’échelonnent de 0,5 à plus de 100 mg/kg sur l’ensemble des intoxications canines et félines enregistrées au Centre antipoison animal de l’Ouest.

• Les intoxications par les tranquillisants résultent aussi, mais plus rarement, soit d’un acte de malveillance, soit d’un surdosage involontaire de la part du propriétaire ou du praticien (par exemple surdosage lors d’administration d’acépromazine, notamment chez les chiens de races brachycéphales) [2, 4].

• Une erreur sur la nature du médicament à administrer chez un animal (confusion entre différents comprimés) est aussi, dans des cas exceptionnels, à l’origine d’intoxications par les tranquillisants (voir le TABLEAU “Résumé de la conduite à tenir devant une intoxication par les tranquillisants chez le chien et chez le chat” ;).

Deuxième étape : temps de latence et motifs de consultation

• Les signes cliniques apparaissent généralement une demi-heure à deux heures après l’ingestion du médicament. Ils sont presque identiques lors d’intoxications par les neuroleptiques et les benzodiazépines (voir le TABLEAU “Principaux signes cliniques de l’intoxication par les neuroleptiques et les benzodiazépines chez le chien et chez le chat” ;).

• Les intoxications sont le plus souvent dominées par des signes neurologiques “en hypo” ;, qui regroupent ataxie, prostration et, plus rarement, parésie et hypothermie parfois sévère [1, 5].

Toutefois, des signes nerveux “en hyper” ;, qui traduisent des réactions paradoxales, peuvent être observés : agitation, trémulations musculaires, hyperesthésie, voire agressivité [1, 5].

La dépression centrale évolue parfois vers un coma peu profond, calme, hyporéflexique et hypotonique.

Ces signes nerveux sont à mettre en relation avec l’action antidopaminergique des neuroleptiques et l’action agoniste sur les récepteurs au GABA des benzodiazépines.

• Des signes digestifs (hypersalivation, vomissements) peuvent s’ajouter aux signes nerveux. Néanmoins, les vomissements ne résultent pas forcément de l’action des tranquillisants, mais de l’emballage que les chiens avalent parfois avec les comprimés [1, 3].

• D’autres signes (polypnée, bradycardie ou tachycardie, hypotension) sont moins fréquents. La tachycardie et l’hypotension, parfois observées lors d’intoxications par les neuroleptiques, résultent des actions alpha1-lytique et anticholinergique de ces molécules [1, 6, 7].

Troisième étape : traitement

• Le traitement doit être précoce et est uniquement symptomatique et éliminatoire. Il convient d’hospitaliser les animaux intoxiqués pendant au moins vingt-quatre heures.

• Un antidote efficace existe lors d’intoxication par les benzodiazépines (flumazénil(2), Anexate® ;, 0,04mg/kg par voie intraveineuse lente, à répéter toutes les cinq minutes si nécessaire). Néanmoins, l’administration de ce traitement n’est pas conseillée, d’une part parce qu’il s’agit d’un médicament destiné à un usage hospitalier, donc très difficile à obtenir, d’autre part parce que les intoxications par les benzodiazépines chez les chiens et chez les chats sont généralement de faible gravité [1].

• Lorsque l’animal présente des signes nerveux “en hyper” ;, il est possible de lui administrer une faible dose de diazépam(1) (Valium® ;, 0,2 à 0,3 mg/kg par voie rectale ou intraveineuse) [1, 5]. L’administration de ce tranquillisant est possible en raison de son index thérapeutique élevé et de sa demi-vie d’élimination urinaire courte chez le chien et chez le chat [1, 5]. Néanmoins, la simple mise au calme de l’animal suffit souvent à réduire ces signes nerveux “en hyper” ;.

• Lorsque l’ingestion date de moins de quatre heures, il convient de faire vomir l’animal (apomorphine, Apokinon® ;, 0,05 mg/kg par voie sous-cutanée ou intramusculaire chez le chien ; xylazine, Rompun 2 %® ;, 0,1 ml/kg, ou médétomidine, Domitor® ;, 0,1 à 0,2 ml/kg par voie sous-cutanée chez le chat). Les vomissements peuvent toutefois ne pas survenir après l’administration d’apomorphine chez un chien qui a ingéré un neuroleptique ; en effet, cette molécule ne peut alors pas déclencher les vomissements par stimulation de la CTZ (chemoreceptor trigger zone), puisque les récepteurs dopaminergiques sont bloqués par les neuroleptiques [1]. Dans ce cas, il convient de déclencher les vomissements à l’aide d’une solution d’eau oxygénée à 10 volumes (1 à 2ml/kg par voie orale), diluée avant administration pour moitié dans de l’eau.

• L’administration d’un vomitif peut être suivie de l’administration orale de charbon activé. Ce dernier adsorbe efficacement les tranquillisants présents dans le contenu digestif et, donc, diminue leur résorption. Le charbon activé(1) (Charbon de Belloc® ;, etc.) est administré à la dose unique de 1 à 5 g/kg [1]. À défaut d’en disposer, un pansement digestif (Phosphaluvet® ;, etc.) peut être prescrit. L’administration d’un vomitif, de charbon activé ou d’un pansement digestif n’est toutefois pas sans risque chez un animal inconscient en raison de la possibilité de fausses déglutitions à l’origine d’une bronchopneumonie grave. Elle ne doit donc être réalisée qu’après avoir pratiqué une intubation trachéale.

• La mise en place d’une diurèse forcée favorise l’élimination urinaire des tranquillisants et de leurs métabolites, donc diminue le temps de récupération de l’animal. La mise en place d’une perfusion d’une solution cristalloïde (NaCl 0,9 % ou lactate de Ringer : 80 à 140 ml/h), associée à l’administration de furosémide (Dimazon® ; ou Furozénol® ;, 2 à 4 mg/kg par voie intraveineuse ou intramusculaire), permet d’obtenir rapidement l’effet recherché par augmentation de la filtration glomérulaire et de l’élimination urinaire [1, 5].

• Si l’animal présente une insuffisance respiratoire, elle peut être combattue par l’administration intramusculaire ou intraveineuse de doxapram (Dopram® ;, 1 à 10 mg/kg) ou par une intubation trachéale et une ventilation assistée. Lors de bradycardie, il est possible d’administrer de l’atropine (Atropine Sulfate Lavoisier® ;, 0,05 à 0,1 mg/kg) ou du glycopyrrolate (Robinul-V® ;, 0,01 mg/kg par voie intraveineuse) [1, 5].

• Si l’animal présente une hypothermie sévère, il convient de le réchauffer au moyen d’une lampe ou d’une couverture chauffante ou de survie et de chauffer les solutions de perfusion préalablement à leur emploi.

Le pronostic est en général favorable car la guérison est complète et sans séquelles en douze à quarante-huit heures, à condition que l’animal soit traité. En effet, la toxicité aiguë après administration orale ou parentérale unique des tranquillisants, notamment des benzodiazépines, est faible chez le chien et chez le chat (dose minimale mortelle généralement supérieure à 1 g/kg). Cette faible toxicité aiguë s’explique en partie par une demi-vie d’élimination plus courte chez ces espèces (généralement moins de douze heures) que chez les rongeurs et chez l’homme. Le pronostic doit être réservé uniquement lorsque l’animal a accidentellement ingéré un tranquillisant en association avec un ou plusieurs autres médicaments psychotropes.

(1) Médicament à usage humain.

(2) Médicament humain à usage hospitalier.

  • 1 - Bertini S, Buronfosse F, Pineau X et coll. Benzodiazepine poisoning in companion animals. Vet. Human Toxicol. 1995 ; 37(6) : 552-558.
  • 2 - De Leeuw B, Sangster B. Severe extrapyramidal syndrome in a dog caused by a haloperidol (Serenase) intoxication. Tijdschr. Diergeneesk. 1979 ; 104(14) : 134-137.
  • 3 - Maupetit S. Les intoxications des carnivores domestiques par les benzodiazépines. Thèse pour le doctorat vétérinaire, ENV de Lyon. 1996, n° 7.
  • 4 - Meyer EK. Rare, idiosyncrasic reaction to acepromazine in dogs. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1997 ; 210(8) : 1114-115.
  • 5 - Poletti V, Kolf-Clauw M. Principales intoxications médicamenteuses chez les carnivores domestiques. 2. Intoxications par les benzodiazépines. Point Vét. 1998 ; 29(193) : 724-727.
  • 6 - Poletti V. Les intoxications médicamenteuses aiguës chez les carnivores domestiques. Thèse pour le doctorat vétérinaire, ENV d’Alfort. 1996, n° 45.
  • 7 - Vincent J. Les médicaments humains en médecine vétérinaire. Thèse pour le doctorat vétérinaire, ENV de Lyon. 1994, n° 109.
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr