Extraction d’un corps étranger œsophagien - Le Point Vétérinaire n° 238 du 01/08/2003
Le Point Vétérinaire n° 238 du 01/08/2003

GASTRO-ENTÉROLOGIE DU CHIEN

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Cyrill Poncet*, Valérie Freiche**, Gilles Dupré***

Fonctions :
*Clinique Frégis
43, avenue Aristide Briand
94110 Arcueil
**Clinique Frégis
43, avenue Aristide Briand
94110 Arcueil
***Clinique Frégis
43, avenue Aristide Briand
94110 Arcueil

Chez un chien, un corps étranger œsophagien est diagnostiqué grâce à des clichés radiographiques, puis extrait sous fibroscopie. La pose d’une sonde de gastrostomie permet d’obtenir une bonne cicatrisation de l’œsophage.

Un chien shih-tsu âgé de cinq ans est présenté à la consultation de gastro-entérologie pour des régurgitations et des vomissements incoercibles qui évoluent depuis quatre jours.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

Ce chien shih-tsu a déjà reçu un traitement symptomatique prescrit par le vétérinaire traitant (antivomitifs, diète hydrique de vingt-quatre heures) sans amélioration durable. L’animal refuse désormais de s’alimenter.

Les premiers symptômes sont survenus brutalement après une promenade avec les propriétaires.

2. Examen clinique

À l’examen clinique, l’animal est léthargique, avec une déshydratation de 5 %. La température est normale. La palpation abdominale déclenche une douleur abdominale crâniale.

L’auscultation de l’aire pulmonaire ne révèle pas de bruit anormal.

3. Hypothèses diagnostiques

Compte tenu de l’apparition suraiguë des troubles et des résultats de l’examen clinique, l’hypothèse d’un corps étranger digestif est privilégiée.

4. Examens complémentaires

• Un examen radiographique confirme la présence d’un corps étranger radio-opaque au niveau de l’œsophage thoracique caudal (PHOTO 1). L’os ingéré est situé crânialement au diaphragme sur la projection latérale. Il n’y a aucun signe radiographique d’épanchement pleural ou médiastinal. Aucun autre corps étranger radio-opaque n’est visible au niveau de l’appareil digestif. Une exploration de l’œsophage sous endoscopie est décidée.

• L’examen endoscopique est réalisé sous anesthésie générale après des analyses sanguines de routine.

L’animal est tranquillisé deux heures avant l’intervention à l’aide d’acépromazine administrée par voie sous-cutanée (Vétranquil®, 0,05 mg/kg).

L’induction de l’anesthésie se fait au thiopental sodique (Nesdonal®,10 mg/kg) et est entretenue par l’administration d’halothane (Fluothane®).

L’animal est placé en décubitus latéral gauche. L’examen fibroscopique confirme la présence d’un corps étranger situé à la jonction gastro-œsophagienne ; il occupe la quasi-totalité du diamètre œsophagien et semble inséré dans la muqueuse. Son extraction est réalisée à l’aide d’une pince de type “basket” au terme de nombreuses manœuvres (PHOTO 2) : une vertèbre de mouton est retirée (PHOTO 3).

• Un nouvel examen fibroscopique est réalisé. Aucun autre corps étranger n’est mis en évidence au niveau de l’œsophage et de l’estomac. Des lésions d’érosion et de lacération de la muqueuse œsophagienne sont visualisées au niveau de l’œsophage caudal, sans signe apparent de perforation (PHOTO 4).

• En raison de la sévérité des lésions, la pose d’une sonde de gastrostomie percutanée par voie endoscopique est effectuée (voir la FIGURE “Vue schématique de la pose du tube de gastrostomie par voie endoscopique”,FIGURE “Vue schématique de la pose du tube de gastrostomie par voie endoscopique”, FIGURE “Vue schématique de la pose du tube de gastrostomie par voie endoscopique”).

5. Traitement et suivi

• L’animal est réalimenté par la sonde dès son réveil à l’aide d’une préparation commerciale liquide à usage vétérinaire (Nergycare®). L’alimentation entérale est poursuivie de façon exclusive pendant six jours.

• Une antibiothérapie est instaurée : enrofloxacine (Baytril®, à la dose de 5 mg/kg/j en une seule prise) et métronidazole (Flagyl®, à la dose de 15 mg/kg deux fois par jour).

• Un traitement anti-acide est préconisé pour une durée de dix jours (cimétidine : Tagamet®, à la dose de 6 mg/kg trois fois par jour).

• Le traitement médical est administré par la sonde de gastrostomie en même temps que l’alimentation entérale.

Le lendemain de l’intervention, l’animal ne présente aucun vomissement et l’auscultation de l’aire pulmonaire est normale.

Un contrôle radiographique du thorax est réalisé et ne montre pas de signes de pneumomédiastin ou de pneumothorax.

Le chien est rendu à son propriétaire. L’alimentation entérale est poursuivie trois fois par jour par le propriétaire.

Une fibroscopie de contrôle est réalisée six jours plus tard et permet de constater la cicatrisation de la muqueuse œsophagienne (PHOTO 5). L’alimentation par voie orale est autorisée.

Le retrait de la sonde est effectué douze jours après la pose, sans tranquillisation, alors que l’animal ne présente plus aucune anomalie clinique.

Discussion

1. Des signes cliniques variables

La sévérité des signes cliniques dépend étroitement du degré d’obstruction de l’œsophage et des lésions pariétales associées [5, 11].

• Dans le cas d’une obstruction partielle sans perforation de l’œsophage, un animal peut être capable d’ingérer des liquides et des aliments mous sans difficulté. En revanche, des régurgitations sont parfois notées après l’ingestion d’aliments solides. L’animal peut alors survivre plusieurs semaines avant d’être présenté pour une perte de poids progressive [11].

• À l’inverse, un animal qui souffre d’une obstruction complète de l’œsophage présente une salivation abondante et des régurgitations de tous les aliments ingérés, y compris liquidiens. Il en résulte rapidement une anorexie complète de l’animal, accompagnée d’une déshydratation et d’une léthargie. Un état de choc peut être observé.

• Lors de lésions pariétales sévères de l’œsophage, une solution de continuité peut se créer avec le médiastin et être à l’origine de fuites du contenu ingéré, de produits inflammatoires et de bactéries [1]. La médiastinite et la pleurite qui en résultent entraînent alors des signes cliniques majeurs qui incluent un syndrome fièvre, une dyspnée, une respiration abdominale, des bruits respiratoires, etc. [5, 10, 11].

2. Un diagnostic radiographique fiable

• Lorsqu’une ingestion de corps étranger œsophagien est suspectée (anamnèse et signes cliniques), il convient de réaliser des radiographies afin de confirmer le diagnostic, de localiser et d’identifier le type d’élément en cause et d’évaluer l’atteinte médiastinale et pleurale. Bien que de nature variée (os, hameçon, balle, ficelle, etc.), 99 % des corps étrangers sont identifiés par des clichés de bonne qualité [5, 9]. Leur localisation préférentielle est cervicale (sphincter œsophagien supérieur, entrée de la poitrine) ou thoracique (base du cœur, œsophage distal) [1].

• Les signes radiographiques caractéristiques sont : l’identification du corps étranger, la présence d’une densification des tissus mous environnants, l’accumulation d’air crânialement à l’obstruction [6]. Une déviation de la trachée, une densification alvéolaire ou bronchique et un épanchement pleural ou médiastinal sont parfois des signes associés [6].

3. L’extraction par voie endoscopique : une technique sûre et efficace

• Le développement de l’endoscopie flexible vidéo-assistée (ou fibroscopie) et la multiplication des pinces spécifiques ont augmenté significativement le taux de succès d’extraction des corps étrangers par voie endoscopique. Selon les études récentes, environ 90 % des corps étrangers œsophagiens sont retirés par voie endoscopique chez le chien et chez le chat, sans recourir à une intervention chirurgicale [5, 8]. L’acte est généralement beaucoup plus rapide et la durée d’hospitalisation plus courte que lors d’un retrait chirurgical [8, 11].

• Si le corps étranger ne peut être extrait par voie rétrograde, il est alors poussé dans l’estomac où il est digéré par les sucs gastriques ou retiré à la faveur d’une gastrostomie, selon sa nature ou son format.

• Un abord de l’œsophage par thoracotomie est indiqué en présence de signes évidents de pleurite ou de médiastinite, d’une nécrose sévère de la paroi de l’œsophage visualisée par endoscopie ou d’une résistance marquée aux mouvements du corps étranger dans l’œsophage [11].

En l’absence de lésions œsophagiennes sévères, les taux de succès obtenus par le traitement endoscopique sont bons et similaires à ceux obtenus lors d’intervention chirurgicale [1, 5].

4. Les lésions œsophagiennes sont systématiques

Les lésions pariétales de l’œsophage dues à la présence d’un corps étranger sont systématiques, mais de gravité variable [10].

Elles sont liées à la pression mécanique du corps étranger sur les parois, aux spasmes de l’œsophage et aux efforts expulsifs de l’animal. Elles sont entretenues et aggravées par les reflux gastro-œsophagiens qui contiennent des sécrétions acides, des pepsines, des trypsines, des acides biliaires et des lysolécithines, néfastes à la cicatrisation de la muqueuse œsophagienne [10].

La persistance dans le temps de ces facteurs provoque une extension des lésions en surface et en profondeur, qui peut aller jusqu’à une perforation complète de la paroi de l’œsophage, avec, comme conséquence possible, une médiastinite, une pleurésie, un pyothorax ou un pneumomédiastin [1, 5, 6, 9].

Ces complications majeures nécessitent souvent une intervention chirurgicale.

5. Le traitement des lésions œsophagiennes est indispensable

Le traitement des lésions œsophagiennes sans perforation marquée est réalisé par un traitement conservateur.

• Le traitement médical comprend l’administration d’inhibiteurs des sécrétions acides gastriques, comme la cimétidine(1) ou la ranitidine(1). Le métoclopramide prévient les reflux gastro-œsophagiens ; il limite les efforts expulsifs de l’animal et augmente la pression du sphincter gastro-œsophagien caudal [10, 11].

Une antibiothérapie à large spectre contre les germes aérobies et anaérobies limite les risques de médiastinite. Une restriction alimentaire favorise en outre la bonne cicatrisation de la muqueuse œsophagienne [5, 7].

• Lors de déchirures marquées de la paroi ou d’ulcérations importantes, la mise au repos de l’œsophage est indispensable pendant plusieurs jours. L’alimentation entérale assistée prévient la dénutrition de l’individu et favorise ainsi la cicatrisation et les défenses naturelles [2, 10].

• Dans le cas décrit, les sondes de gastrostomie percutanée endoscopique (PEG) sont recommandées [2, a]. En effet, le maintien d’une sonde au travers du cardia (sonde nasogastrique ou d’œsophagostomie) est susceptible de favoriser la régurgitation de jus gastrique, ce qui peut entretenir l’œsophagite peptique [4]. En raison de leur rapidité de mise en place et du faible taux de complications, les sondes de gastrostomie percutanée endoscopique sont préférées aux sondes de gastrostomie chirurgicale ou percutanée non endoscopiques [2, 5, 7]. Ces dernières nécessitent en outre des instruments de pose spécifiques et onéreux. Quelques précautions réduisent au minimum les risques de complication (retrait prématuré, lâchage, infection cutanée locale, obstruction de la sonde) : utilisation d’un pansement de protection, d’une collerette, ancrage solide de la sonde et retrait de la sonde au moins huit jours après la pose [2].

• Un examen fibroscopique des lésions œsophagiennes plusieurs jours après le retrait endoscopique permet de contrôler l’évolution de la cicatrisation pariétale de l’œsophage et de détecter toute complication possible : survenue d’une perforation œsophagienne, persistance d’un ulcère pariétal, absence de motilité sur une portion de l’œsophage [1, 6, 8, 10]. La présence d’une cicatrisation fibreuse aberrante peut conduire à une sténose œsophagienne.

Certains auteurs conseillent l’administration de glucocorticoïdes lors de lésions circonférentielles de la paroi, afin de limiter le risque de sténose [10].

Chez le chien, les signes cliniques associés à la présence d’un corps étranger œsophagien sont variables, mais des clichés radiographiques de bonne qualité permettent le plus souvent d’établir le diagnostic. L’extraction par fibroscopie de ce corps étranger est une technique fiable et peu invasive. Un examen complet de l’œsophage après extraction permet d’évaluer la gravité des lésions. Lors de lacérations de la paroi de l’œsophage sans perforation marquée, la pose d’une sonde de gastrostomie permet la mise au repos de l’œsophage tout en apportant un soutien nutritionnel, ce qui favorise la bonne cicatrisation de la paroi œsophagienne.

Lors de lésions sévères de l’œsophage, la mise en place systématique d’une sonde de gastrostomie, suivie d’un contrôle fibroscopique, limite le taux de complications et améliore le pronostic.

(1) Médicament à usage humain

Points forts

La plupart des corps étrangers œsophagiens sont identifiés à l’aide de clichés radiographiques de bonne qualité.

Plus de 85 % des corps étrangers œsophagiens sont extraits par fibroscopie.

Lors de corps étranger, les lésions œsophagiennes sont systématiques mais de sévérité variable et nécessitent un traitement médical et parfois chirurgical.

La pose d’une sonde de gastrostomie sous fibroscopie est une technique simple qui permet une assistance nutritionnelle et la mise au repos de l’œsophage.

Un contrôle fibroscopique des lésions œsophagiennes permet de détecter d’éventuelles complications.

En savoir plus

- Freiche V. Vidéo-endoscopie chez les carnivores domestiques. Intérêts et applications de la vidéo-endoscopie digestive. Point Vét. 2001 ; 32(219) : 14-15.

- Freiche V. Fibroscopie interventionnelle en gastro-entérologie des carnivores domestiques. Point Vét. 1999 ; 30(196): 9-15.

À lire également

a - Bright RM. Assistance nutritionnelle chez le petit animal par gastrostomie percutanée endoscopique. Waltham Int. Focus. 1992 ; 2(2) : 2-8.

  • 1 - Babin B. Conduite à tenir face aux corps étrangers œsophagiens chez les carnivores : étude rétrospective sur 45 cas. Thèse Med. Vét. Alfort. 1995 ; 107 : 134 pages.
  • 2 - Bouvy B, Richard E, Dupré G. Applications cliniques de l’alimentation entérale assistée chez le chien et le chat : à propos de 85 cas. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1996 ; 31 : 401-409.
  • 3 - Crowe DT. Nutritional support for the hospitalized patient : an introduction to tube feeding. Comp. Cont. Educ. Pract. Vet. 1990 ; 12(12): 1711-1720.
  • 4 - Glaus TM, Cornelius LM et coll. Complications with non-endoscopic percutaneous gastrotomy in 31 cats and 10 dogs : a retrospective study. J. Small Anim. Pract. 1998 ; 39 : 218-222.
  • 5 - Hedlund CS. Surgery of the esophagus. In : Small Animal Surgery. 2nd ed. Ed. Mosby. St Louis. 2002 : 307.
  • 6 - Houlton JEF, Herrtage ME et coll. Thoracic œsophageal bodies in the dog : a review of ninety cases. J. Small Anim. Pract. 1985 ; 26 : 521-536.
  • 7 - Michel KE. Practice guidelines for gastrostomy tubes. Comp. Cont. Educ. Pract. Vet. 1997 : 306-309.
  • 8 - Michels GN, Jones BD et coll. Endoscopic and surgical retrieval of fishhooks from the stomach and esophagus in dogs and cats : 74 cases. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1995 ; 207(9): 1194-1197.
  • 9 - Spielman BL, Shaker EH, Garvey MS. Esophageal foreign body in dogs : a retrospective study of 23 cases J. Amer. Vet. Med. Assn. 1992 ; 28 : 570-574.
  • 10 - Strombeck DR, Guilford WG. In : Srombeck’s small animal gastroenterology. 3rd ed. WB Saunders. Philadelphia. 1996 ; 10 : 202-228.
  • 11 - Zimmer JF. Canine esophageal foreign bodies : endoscopic, surgical and medical management. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1984 ; 20 : 669-677.
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