Le frottis sanguin : ses apports et ses limites - Le Point Vétérinaire n° 235 du 01/05/2003
Le Point Vétérinaire n° 235 du 01/05/2003

HÉMATOLOGIE DU CHIEN ET DU CHAT

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COURS

Auteur(s) : Thomas Chuzel

Fonctions : ENVL, Service de médecine
BP 83 , 69280 Marcy-l’Étoile

La lecture du frottis sanguin permet d’obtenir des informations de manière rapide, simple et précise. Cet examen est complémentaire des numérations cellulaires fournies par les automates hématologiques.

Le frottis sanguin permet le comptage et l’évaluation des variations morphologiques des différentes cellules sanguines. La valeur de ces renseignements, dont la plupart ne peuvent être apportés par les compteurs automatiques actuels, ne doit pas être sous-estimée.

Les techniques de réalisation et de lecture du frottis sanguin, ainsi que les renseignements fournis par cet examen en complément des méthodes automatisées, sont décrits.

Réalisation du frottis sanguin

Les indications de l’examen hématologique sont nombreuses et ne se cantonnent pas à l’exploration d’une anémie. La plupart des maladies systémiques entraînent ainsi des modifications de l’hémogramme et cet examen fait partie du bilan de base dans la conduite diagnostique [1, b] .

1. Recueil du prélèvement

• Le frottis sanguin est réalisé à partir d’une goutte de sang veineux prélevée dans un tube qui contient de préférence un sel d’acide éthylène diamine tétracétique (EDTA), qui permet de préserver la morphologie des cellules sanguines [6, 12]. Il convient de respecter le ratio sang/anticoagulant dans le tube, car l’excès d’EDTA est responsable d’une pseudothrombopénie artefactuelle et de changements morphologiques des cellules (hématies crénelées).

• L’étalement est effectué de manière extemporanée après le prélèvement car un délai trop long est responsable d’altérations des cellules (vacuolisation leucocytaire, pycnose nucléaire) [1, 12].

2. Technique d’étalement

• Une goutte de sang est déposée à l’aide d’une pipette près d’une extrémité de la lame porte-objet posée horizontalement (PHOTO 1). Une autre lame est approchée et placée devant la goutte de sang, sous un angle de 30 à 45° (PHOTO 2). Elle est rapprochée de la goutte de sang qui s’étend le long de son bord par capillarité (PHOTO 3), puis déplacée d’un mouvement uniforme vers l’avant en glissant sur la lame porte-objet. La lame est identifiée avant ou après l’étalement afin d’éviter toute confusion ultérieure [5, 6].

• L’objectif de l’étalement est d’obtenir un frottis homogène, épuisé à son extrémité distale (queue du frottis) avec une monocouche cellulaire, zone où la forme des cellules est respectée et permet leur étude morphologique (PHOTO 4) [6] (voir la FIGURE “Aspect du frottis sanguin après étalement”).

• Si la numération sanguine ne peut être réalisée immédiatement, comme lors d’envoi postal à un laboratoire, il est conseillé de préparer des lames non colorées qui sont envoyées conjointement avec le prélèvement.

• Avant coloration, la fixation des lames est effectuée à l’air libre, en évitant la chaleur susceptible d’entraîner des artefacts de séchage, responsables de déformation et de crénation des hématies. Cette précaution est particulièrement importante si une infection par des parasites intra-érythrocytaires est suspectée (Hemobartonella felis, Babesia canis) car ces artefacts peuvent gêner leur identification.

• La coloration de base en hématologie-cytologie est le May-Grünwald-Giemsa (MGG), qui permet une bonne coloration des détails nucléaires et cytoplasmiques (voir l’ENCADRÉ “Protocoles May-Grünwald-Giemsa”).

Cette technique est longue (plus de 20 minutes) et la détérioration rapide des bains la rend peu aisée à utiliser en clientèle.

Des colorations dites “rapides” (Diff-Quik®, RAL®) permettent d’obtenir des lames en quelques instants en vue d’une analyse immédiate. L’inconvénient principal de ces kits rapides est un manque de nuance des détails intracellulaires (genèse d’artefacts chromatiniens, moins bonne appréciation des nuances cytoplasmiques) qui ne permettent pas une analyse cytologique fine.

Artefacts

• Les artefacts de séchage sont dus à un excès d’EDTA ou à un séchage trop rapide, insuffisant ou trop chaud [12] :

- présence d’érythrocytes crénelés : les échinocytes (à différencier des acanthocytes) ;

- présence de corps réfringents superposés aux hématies (à différencier des piroplasmes) (PHOTO 5).

• Les artefacts de coloration sont dus à des bains anciens ou à une mauvaise méthode de coloration (temps de trempage insuffisant) :

- sous-coloration des cellules, surtout des noyaux ;

- dépôts de colorants (PHOTO 6) ;

- pseudo-inclusions (superposition de deux éléments).

Technique de lecture

La lecture d’un frottis sanguin se fait avec méthode, toujours de la même façon, afin de ne pas oublier une étape. La collecte des informations débute lors de l’étalement pour se finir par l’observation des cellules sanguines à l’objectif à immersion.

1. Observation macroscopique

• L’interprétation commence à l’œil nu, immédiatement après l’étalement.

Durant cette première étape, la qualité du frottis sanguin est notée (extrémité épuisée, homogénéité). La lame est également examinée au niveau de la goutte de sang afin de rechercher une agglutination macroscopique.

• La présence d’une agglutination macroscopique avant séchage et coloration se caractérise par un aspect non uniforme du sang sur la lame, “en amas pointillé”, et correspond à une auto-agglutination ou à la présence de rouleaux érythrocytaires (PHOTO 7).

• Chez le chien, l’auto-agglutination est la conséquence de la sensibilisation des hématies par des anticorps. Elle est fortement évocatrice d’un processus hémolytique à médiation immune, alors que la rouleau-formation s’observe notamment lors de dysprotéinémie [6]. Pour distinguer ces deux phénomènes, le mélange d’une goutte de soluté de chlorure de sodium avec le sang provoque la disparition de l’agglutination dans le cas d’une rouleau-formation ; cette dernière persiste lors d’auto-agglutination [3].

• L’agglutination macroscopique est non spécifique chez le chat et correspond à l’empilement des hématies ; elle ne peut être interprétée [6].

La lame est ensuite séchée et colorée, la suite de la lecture du frottis se réalise à l’aide du microscope.

2. Observation au faible grossissement

• La première étape de l’interprétation microscopique se fait au faible grossissement (objectif x 10 ou x 20). La lame est balayée lors de cette étape qui permet d’apprécier la qualité de l’étalement et de recueillir les premières informations.

• Au niveau de la queue du frottis, l’observation de la richesse leucocytaire donne une première appréciation de la numération blanche (PHOTO 8). Les amas plaquettaires sont recherchés (PHOTO 9) : ils sont responsables de thrombopénies artefactuelles dues à la non-comptabilisation de ces plaquettes par l’analyseur.

• Au niveau de la monocouche cellulaire, le balayage visuel de la lame à faible grossissement (x 40) permet de réaliser une approche de la formule blanche par la reconnaissance du contingent leucocytaire majoritaire.

Il convient de rechercher la présence d’hématies nucléées en grand nombre et celle d’éléments figurés anormaux : microfilaires circulantes ou contingent de cellules anormales. L’observateur s’attache à confirmer la présence, déjà suspectée macroscopiquement, d’hématies agglutinées (PHOTO 10) ou de rouleau-formation (PHOTO 11).

• Une observation au fort grossissement des différentes cellules est ensuite réalisée.

Évaluation érythrocytaire

• L’évaluation érythrocytaire est réalisée à l’objectif à immersion (x 100) dans la partie intermédiaire du frottis, là où les hématies sont en monocouche, bien espacées et non déformées.

• Lors de l’évaluation morphologique, les signes de régénération médullaire ainsi que les changements de taille, de forme, de couleur et la présence d’inclusions sont recherchés [b].

• L’hématie normale chez les carnivores domestiques se présente sous la forme d’une cellule anucléée arrondie, en forme de disque biconcave (discocyte), d’un diamètre d’environ 7 μm chez le chien et 6 μm chez le chat. Dans une zone où elles sont en monocouche, elles apparaissent rondes avec une pâleur centrale (pratiquement absente chez le chat), colorées en jaune orangé (éosinophilie modérée). Une anisocytose modérée physiologique peut être observée [5, 10, 13] (PHOTO 12).

1. Signes de régénération

• Les informations fournies par les analyseurs hématologiques n’indiquent pas la cause de l’anémie ou son caractère régénératif, bien que les valeurs chiffrées apportent des indications. En revanche, elles permettent d’appréhender la sévérité de cette affection par le calcul du nombre de globules rouges, de la concentration en hémoglobine et de l’hématocrite [a].

L’observation du frottis d’un animal anémié associée à l’analyse hématologique par un automate permet l’évaluation de la régénération et, parfois, de trouver la cause de l’anémie.

• Les signes évocateurs d’une régénération sont la présence sur le frottis d’une polychromatophilie, d’une anisocytose, de corps d’Howell-Joly et la présence d’hématies nucléées (érythroblastes) associée à une réticulocytose visible lors de coloration spéciale [5, 8, 10, 11, b].

• La polychromatophilie (PHOTO 13) se définit comme la présence dans le sang de globules rouges de diamètre augmenté d’une coloration violacée, avec une basophilie soutenue qui contraste avec la couleur plus orangée des hématies normales [10, 13]. Ces cellules polychromatophiles correspondent aux jeunes érythrocytes immatures relargués par la moelle osseuse, visibles seulement lors de régénération médullaire [4, 6]. Dans leur cytoplasme, elles présentent des résidus d’ARN ribosomique responsables de leur coloration violette et correspondent, chez le chien et chez le chat, aux réticulocytes observés avec un colorant vital (bleu de Crésyl brillant).

• L’anisocytose (PHOTO 14) correspond à une variation de taille des hématies. Celle-ci est visible lorsqu’un contingent important d’hématies de taille augmentée est présent dans le sang. Les polychromatophiles, par leur grande taille, sont responsables d’une anisocytose [10, 13]. La présence de ces hématies de couleur plus foncée et d’une taille globulaire élevée est fortement évocatrice d’anémie régénérative [6].

• Les érythroblastes ou hématies nucléées (immatures), normalement cantonnés dans le secteur médullaire, apparaissent parfois en faible pourcentage dans le sang circulant à l’état physiologique [10, 13].

Ils se caractérisent par leur grande taille, par un cytoplasme gris violacé qui contient un volumineux noyau rond et foncé [13]. Leur nombre augmente lors d’anémie régénérative, mais la seule présence de ces cellules ne permet pas de diagnostiquer celle-ci. En effet, des érythroblastes peuvent être visibles en grande quantité dans le sang circulant lors d’intoxication par le plomb, de septicémie sévère ou de divers maladies hématologiques (syndrome myéloprolifératif, etc.) [5, 6, b].

• L’affirmation du caractère régénératif d’une anémie nécessite obligatoirement le comptage des réticulocytes circulants après coloration au bleu de Crésyl brillant [1] (voir l’ENCADRÉ “Méthode de calcul du nombre de réticulocytes”). Lors de cette coloration, ils se distinguent des hématies matures par la coloration bleu intense de leur réticulum cytoplasmique. Chez le chien, toutes les cellules porteuses de cette coloration sont prises en compte, alors que, chez le chat, seuls les érythroblastes réticulés (reconnaissables grâce à leur forte charge en granulations cytoplasmiques) sont comptés dans la numération [4, b].

2. Anomalies de taille

• La sphérocytose est l’anomalie de taille la plus fréquente des hématies. Elle témoigne de l’atteinte immunologique des globules rouges lors d’anémie hémolytique. Les sphérocytes résultent de la lyse partielle des hématies recouvertes d’anticorps par les macrophages du foie et de la rate [1, 8].

Ils se reconnaissent par leur petite taille, leur cytoplasme uniformément et intensément coloré et par l’absence de pâleur centrale [10, 13]. Ces cellules sont beaucoup plus difficiles à identifier chez le chat dont les hématies normales ne présentent pas de pâleur centrale.

Lors d’anémie hémolytique immunologique, le frottis révèle un fort contingent de sphérocytes associé à des signes de régénération médullaire (présence de polychromatophiles, corps de Howell-Joly, anisocytose) [4, 5, 6].

• En dehors de signes de régénération médullaire, les hématies de taille augmentée (macrocytes) ou diminuée (microcytes) peuvent être visibles dans le sang circulant. Ces cellules ont les caractères tinctoriaux et morphologiques des hématies normales. Il est alors plus difficile de remarquer cette anomalie et c’est la valeur du volume globulaire moyen (VGM) donnée par l’automate qui confirme l’impression de l’observateur.

Parmi les causes à l’origine de la baisse du VGM, le shunt portosystémique ou l’anémie non régénérative par carence en fer sont cités [1, 10]. Cette anomalie de taille est un signe précoce d’anémie ferriprive ; l’hypochromasie est plus tardive et survient après quelques mois d’évolution [9, 12].

• Quelques individus appartenant à certaines races de chiens (caniche) ont un VGM supérieur aux normes sans que cette variation soit liée à un quelconque état pathologique [5]. Cette macrocytose serait néanmoins rare et difficilement repérable sur le frottis.

3. Anomalies de forme

• Les globules rouges du chien et du chat ont normalement une forme arrondie dans le sang circulant. La présence d’un nombre élevé d’hématies de différentes formes est appelée “poïkilocytose” (PHOTO 15) [10, 13]. Ce terme non spécifique désigne une variation de forme des hématies par rapport à une norme donnée, sans indication sur l’origine ou sur la gravité de l’affection causale [7]. Cette anomalie est artefactuelle ou associée à de nombreuses maladies systémiques [12].

• De nombreux termes, dont certains sont imagés, existent pour décrire les formes anormales des hématies : codocytes, dacryocytes, kératocytes, stomatocytes, etc. [1, 6, 10, a]. La présence d’une forme particulière n’est toutefois pas pathognomonique d’une affection donnée. L’observation de telles hématies n’est qu’un indice qu’il convient de corréler au tableau clinique de l’animal malade. Des désor-dres inflammatoires marqués ou des affections hépatobiliaires doivent être recherchés en priorité lors de poïkilocytose [4].

• Lors de troubles métaboliques, les hématies peuvent être déformées en raison des anomalies membranaires érythrocytaires qui découlent de ces affections. Les acanthocytes sont des hématies déformées par des prolongements en forme de doigt. Ils se forment lors d’anomalies membranaires dues à des troubles hépatiques (shunt, tumeur hépatique, lipoprotéinopathies, hypercholestérolémie) [3, 5, b].

• La fragmentation mécanique des hématies dans le torrent circulatoire forme des schizocytes : ce sont des fragments d’hématies, de taille variable, qui peuvent présenter des formes irrégulières (pointes, croissants, etc.) [13]. Ils sont le résultat de turbulences sanguines comme lors de sténose valvulaire ou de syndrome caval (crise hémolytique sévère chez des individus porteurs de vers Dirofilaria immitis adultes dans la veine cave caudale, due aux troubles rhéologiques secondaires à la présence de ces vers). Ils peuvent également résulter d’agressions immunologiques ou physiques (CIVD, hémangiosarcome, inflammation sévère, etc.) [1, 5, 6].

4. Anomalies de coloration

La densité de la couleur des hématies est proportionnelle à la concentration en hémoglobine.

• L’hypochromie (PHOTO 16) se définit par la présence d’une pâleur centrale marquée dans les hématies, qui résulte d’une baisse de la teneur en hémoglobine, souvent retrouvée lors d’anémie ferriprive [8]. L’hémoglobine ne forme qu’un mince anneau périphérique et ces hématies sont appelées des annulocytes [13].

La majorité de ces anémies par carence en fer ont pour origine une perte sanguine chronique digestive (ulcères, tumeur délabrante, etc.) [4, 11].

• À l’inverse, un certain degré d’hyperchromie (optique), caractérisée par une coloration soutenue du cytoplasme, peut se retrouver lors d’anémie hémolytique, en raison de la présence des sphérocytes, hématies uniformément et intensément colorées [b].

5. Présence d’inclusions

Normalement, les hématies sont de couleur uniforme, sans inclusions particulières. De nombreuses inclusions érythrocytaires ont été identifiées chez le chien et chez le chat. Certaines sont présentes à l’état physiologique [11].

• Les corps de Heinz, qui apparaissent comme des protubérances dans la membrane des hématies, de couleur pâle, à la périphérie ou à l’intérieur, sont le résultat du dommage oxydatif de la molécule d’hémoglobine [10, 13]. Ils sont plus facilement identifiés par des colorations spéciales (bleu de méthylène ou bleu de Crésyl brillant) mais peuvent être observés lors des colorations habituelles pour les plus gros d’entre eux [b].

La présence de corps de Heinz est normale dans l’espèce féline à faible taux (< 3 %) en raison du nombre élevé de groupes sulfhydryl présents sur la molécule d’hémoglobine, ce qui la rend plus sensible aux processus oxydatifs. Néanmoins, devant un grand nombre de corps de Heinz chez le chat, il convient de suspecter en premier lieu une intoxication par des toxiques oxydants (paracétamol, ingestion d’oignons), ainsi que des maladies métaboliques (diabète sucré, hyperthyroïdisme) ou tumorales (lymphome malin) [6, 8, 10]. Lors d’intoxications sévères, l’hémoglobine oxydée peut se condenser dans une partie de l’hématie : le reste du cytoplasme apparaît optiquement vide et forme un eccentrocyte (qui a la même signification que les corps de Heinz).

• L’examen du frottis sanguin permet aussi de diagnostiquer plusieurs hémoparasites responsables de maladies chez le chien et chez le chat, tels que, pour les plus fréquents, Hemobartonella felis et Babesia canis.

• H. felis se présente sous la forme de petites coques ou de bâtonnets à la surface des hématies, parfois difficiles à voir et à différencier des artefacts de préparation.

• Les piroplasmes se caractérisent par des inclusions basophiles en forme de poire dans le cytoplasme des hématies parasitées. Les formes bigéminées sont la présentation la plus classique, mais des formes quadrigéminées ou extracellulaires peuvent être observées sur le frottis [6, 10].

• Des inclusions virales lors de maladie de Carré peuvent aussi se retrouver dans les hématies. Elles se présentent sous la forme d’inclusions cytoplasmiques, rondes, de couleur bleu à rose pâle. Elles sont surtout visibles lors de la phase aiguë de l’infection, quand les symptômes sont encore peu spécifiques et, bien qu’extrêmement rares, ces inclusions peuvent à elles seules suffire à établir le diagnostic de maladie virale [5, 10, b].

Évaluation plaquettaire

• Les plaquettes ou thrombocytes se présentent sous la forme d’éléments ronds ou ovales, de taille inférieure à celle des hématies, au contour mal défini et au contenu rose d’aspect granité [10, 13].

• L’évaluation de ces cellules commence par la recherche d’amas plaquettaires sur le frottis, responsables d’une thrombopénie artefactuelle lors de ponction sanguine difficile à réaliser (activation de l’hémostase primaire, agrégation des plaquettes dans le tube et non-comptage des plaquettes agrégées) ou lors d’excès d’EDTA [a].

• Une estimation de la numération plaquettaire peut être effectuée à l’objectif à immersion (voir l’ENCADRÉ “Formules d’estimation de la numération plaquettaire”).

Cette technique est particulièrement utile chez le chat chez lequel certains automates commettent souvent des erreurs de comptage dues à la faible différence de volume entre les globules rouges et les plaquettes et sous-estiment ainsi le nombre de plaquettes.

• La présence de mégathrombocytes (de taille égale, voire supérieure à celle d’une hématie) est souvent en relation avec une régénération plaquettaire récente, secondaire à une destruction ou à une utilisation périphérique [6, 10]. Plus rarement, ces grandes plaquettes peuvent être la conséquence d’une dysplasie médullaire qui touche la lignée mégacaryocytaire (lors d’infection par le FeLV chez le chat) [12, b].

• À l’inverse, la présence de microthrombocytes sur un frottis évoque des mécanismes de destruction plaquettaire à médiation immune (purpura thrombopénique immunologique). Ces petites plaquettes correspondent aux fragments plaquettaires recouverts d’anticorps. Elles ont la même signification que la présence de sphérocytes lors d’anémie à médiation immune [11].

• La présence d’inclusions plaquettaires est rare, mais se retrouve lors d’infection à Ehrlichia platys, responsable de thrombopénie cyclique [6, 10, b].

Évaluation leucocytaire

• Le contrôle des valeurs de l’hémogramme blanc données par l’automate est la première étape de l’évaluation. Il se réalise par le balayage de la queue du frottis à faible grossissement.

• La densité en leucocytes en bout de frottis et dans le corps de celui-ci permet une approche de la richesse leucocytaire, tandis qu’un comptage différentiel sur cent ou sur deux cents cellules blanches permet la réalisation d’une formule sanguine plus exacte que celle fournie par la plupart des automates actuels. Cette appréciation qualitative de la richesse leucocytaire nécessite le “coup d’œil” de l’observateur : (l’expérience et l’habitude viennent vite).

La numération et la formule leucocytaires observées sur le frottis doivent correspondre aux résultats obtenus par les méthodes automatisées.

• La réalisation d’une formule, ou du moins l’observation de la lignée blanche, permet également la reconnaissance d’un contingent de cellules anormales ou blastiques dans le sang circulant (comme lors d’hémopathie maligne). Les automates actuels de type Coulter ne permettent pas la différenciation entre les leucocytes normaux et les cellules anormales : ces cellules sont comptées comme des leucocytes normaux et leur présence risque d’échapper au praticien (PHOTO 17).

• L’analyse morphologique est ensuite réalisée à un plus fort grossissement (x 40 ou x 100) dans la zone monocouche cellulaire, là où la morphologie des cellules est respectée.

Seuls les granulocytes neutrophiles (ou polynucléaires neutrophiles, PNN), les lymphocytes et les monocytes sont présents en assez grand nombre dans le sang circulant pour permettre une analyse morphologique [b].

Chez les carnivores domestiques, la formule sanguine est dominée par les granulocytes neutrophiles. Chez le jeune, une inversion de la formule (lymphocytes majoritaires) est fréquemment observée jusqu’à l’âge d’un an [6, 7].

• Les modifications les plus fréquentes concernent les changements morphologiques des polynucléaires neutrophiles lors d’états inflammatoires systémiques ou de souffrance cellulaire (lors de sepsis, d’endotoxémie ou de nécrose marquée). On parle alors de polynucléaires neutrophiles “toxiques” [9].

Le premier stade, qui indique une toxicité modérée, est défini par la présence de corps de Dölhe ; ce sont des inclusions grisâtres irrégulières dans le cytoplasme, dues à l’agrégation du réticulum endoplasmique [10, 11, 13]. Ces inclusions cytoplasmiques constituent l’indicateur le plus précoce et peuvent être difficiles à observer. Une basophilie diffuse du cytoplasme survient ensuite dans les cas plus sévères.

Lors de toxicité élevée, outre les deux premiers signes, une microvacuolisation cytoplasmique est visible, qui donne au cytoplasme un aspect spumeux (en “bulles de savon”) [7, 9, 13] (PHOTO 18).

Dans les cas extrêmes, un gigantisme cellulaire et une lyse nucléaire complètent le tableau [12, b].

• L’hypersegmentation des noyaux (ou déviation à droite de la courbe de Arneth), sans être un signe de toxicité, est un changement morphologique souvent retrouvé dans la population neutrophile (PHOTO 19). Cet état, défini par la présence d’une population de polynucléaires neutrophiles dont le noyau est fortement segmenté (lobes > 5), est fréquent chez ces espèces et correspond au vieillissement physiologique des cellules sanguines [6, 13, a]. Un contact prolongé avec l’EDTA (sang conservé trop longtemps avant étalement), une corticothérapie (par diminution de leur passage dans les tissus) ou une inflammation chronique sont les principales causes non physiologiques d’une augmentation de l’hypersegmentation des polynucléaires neutrophiles [12].

• Les stades immatures ou “band form” (PHOTO 20), normalement médullaires, se caractérisent à l’inverse par une hyposegmentation de leurs noyaux en forme de fer à cheval ou de cacahuète [13]. La présence de ces stades immatures en grande quantité, associée à une neutrophilie (déviation à gauche de la courbe de Arneth), indique une granulopoïèse augmentée, le plus souvent suite à leur consommation dans les tissus périphériques, par exemple lors d’inflammation suppurée aiguë [6, 7].

• Les autres classes de leucocytes peuvent aussi subir des modifications qui fournissent des renseignements utiles : les lymphocytes ne développent pas de signe de toxicité, mais peuvent devenir réactionnels en raison d’une stimulation antigénique d’un agent infectieux, d’un processus immun ou d’un néoplasme.

Ces lymphocytes réactionnels, ou “immunocytes”, se caractérisent par une taille augmentée et une basophilie soutenue [7, 9, 12].

D’autres modifications, telles que la présence d’inclusions azurophiles cytoplasmiques, peuvent aussi être retrouvées dans des lymphocytes, qui portent le nom de “lymphocytes à grains” (PHOTO 21). Ils sont visibles dans le sang circulant lors de stimulation non spécifique du système immunitaire (maladie virale, vaccination récente), lors de tumeur et de certaines affections chroniques (ehrlichiose). Ces cellules activées correspondent aux cellules NK (natural killer) [10, 12, b].

• Les inclusions leucocytaires sont extrêmement rares. Elles concernent les morulas d’Ehrlichia canis dans les monocytes et les corps de Lentz lors de maladie de Carré dans les lymphocytes, les monocytes et les granulocytes neutrophiles [7, 9, 10].

• La présence d’érythrophagocytose (monocytes qui phagocytent des hématies) peut être observée lors d’hémolyse à médiation immune extravasculaire, par exemple lors de babésiose [5, 9].

Le praticien dispose désormais d’automates hématologiques qui permettent l’obtention de résultats pendant la consultation et apportent un confort incontestable. Néanmoins, il convient, pour compléter les informations données et, dans une certaine mesure, pour les valider et expliquer les anomalies, de recourir systématiquement à un examen du frottis sanguin.

Protocoles May-Grünwald-Giemsa

→ Protocole normal [2]

- Plonger la lame dans du May-Grünwald et attendre quatre minutes.

- Plonger la lame dans du May-Grünwald dilué pour la moitié de son volume avec de l’eau courante et attendre deux minutes.

- Rincer la lame à l’eau distillée.

- Déposer la lame dans un bain de Giemsa à 5 % dilué dans de l’eau courante et attendre quinze minutes.

- Rincer la lame et la sécher.

→ Protocole simplifié [5]

- Recouvrir le frottis de May-Grünwald (2 à 3 ml), la lame étant posée horizontalement sur un portoir, et laisser agir le colorant pendant cinqminutes.

- Jeter le colorant et recouvrir la lame d’une solution de Giemsa diluée au 1/10e avec de l’eau courante, préparée extemporanément pendant dix minutes.

- Rincer la lame et la sécher.

Remerciements au Dr Patrice Grolier (Cabinet d’anatomopathologie, route de Galice, 13100 Aix-en-Provence) pour le prêt du microscope et au laboratoire de cytohématologie de l’ENVL pour le prêt des lames.

Formules d’estimation de la numération plaquettaire (objectif à immersion)

→ Chien : plaquettes/μl (nombre de plaquettes par champ à l’objectif x 100) x 15 000.

→ Chat : plaquettes/μl (nombre de plaquettes par champ à l’objectif x 100 x) x 20 000.

Un animal normal a 8 à 25 plaquettes visibles par champ en moyenne. Ce comptage identifie avec certitude les thrombopénies (< 3 plaquettes/champ) et les thrombocytoses majeures [6, b]. D’après [1, 6, 9, a].

Méthode de calcul du nombre de réticulocytes

→ Réalisation

- Mélanger 500 µl de sang à 500 µl de bleu de Crésyl brillant solution (dilution de 1 g de bleu de Crésyl brillant poudre et de 0,4 g de citrate de sodium dans 100 ml de soluté isotonique).

- Mettre à incuber pendant dix à vingt minutes au minimum à température ambiante.

- Étaler le mélange comme pour un frottis sanguin.

- Compter le nombre de réticulocytes visibles au fort grossissement (environ 100 hématies sont visibles à l’objectif à l’immersion) et faire la moyenne sur dix champs. Le nombre obtenu est le pourcentage de réticulocytes circulants. Cette valeur relative est transformée en valeur absolue en multipliant ce nombre par le nombre total de globules rouges.

→ Interprétation

Certains auteurs parlent de régénération médullaire à partir de, respectivement, 80 000 et 30 000 réticulocytes/µm3 chez le chien et chez le chat [9], d’autres, à partir de 127 500 et 75 000 réticulocytes/µm3 [4]. Lors de valeurs douteuses ou limites, un autre comptage peut être effectué deux ou trois jours plus tard et la cinétique des réticulocytes aide alors le praticien.

→ Les corps de Howell-Joly (PHOTO 14) sont des petites inclusions uniques, azurophiles et rondes présentes dans les jeunes hématies en voie de maturation [8, 13]. Ils correspondent à une fraction du matériel nucléaire des érythroblastes et sont éliminés lors de la maturation de ces cellules.

Un faible pourcentage (< 1 %) peut être présent chez le chat à l’état physiologique [4]. Leur nombre est augmenté lors d’anémie régénérative, de splénectomie ou chez les animaux qui reçoivent un traitement glucocorticoïde ou de chimiothérapie [12].

D’après [6, 9, 13].

Points forts

→ Le séchage du frottis sanguin s’effectue à l’air libre, sans source de chaleur sous peine de faire apparaître des artefacts qui gênent l’évaluation morphologique des cellules sanguines.

→ L’agglutination macroscopique est physiologique chez le chat. Chez le chien, elle peut correspondre, soit à une rouleau-formation, soit à une auto-agglutination microscopique, fréquente lors d’anémie hémolytique.

→ Il convient de confirmer une thrombopénie détectée lors d’un examen automatisé par une observation attentive du frottis, afin de rechercher la présence d’amas plaquettaires responsables de pseudo-thrombopénie.

→ La présence de polychromatophiles, d’une anisocytose érythrocytaire et de corps de Howell-Joly sur un frottis sanguin sont des signes en faveur d’une anémie régénérative.

→ Lors de la présence d’un contingent élevé de lymphocytes activés, une inflammation chronique doit être systématiquement recherchée.

À lire également

a - Alleman AR. Blood smears: a rapid evaluation, a plethora of information. Proceedings ACVIM, Denver CO, 2001:42-44.

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