Conduite diagnostique devant un épiphora - Le Point Vétérinaire n° 234 du 01/04/2003
Le Point Vétérinaire n° 234 du 01/04/2003

OPHTALMOLOGIE CANINE ET FÉLINE

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Éric Dean

Fonctions : Clinique vétérinaire de Longchamp
81, rue de Longchamp
75116 Paris

L’épiphora peut avoir pour origine une sécrétion lacrymale excessive des voies lacrymales non perméables ou une anomalie de la qualité des larmes.

L’épiphora est un écoulement anormal de larmes au-delà du cul-de-sac conjonctival inférieur.

Le système lacrymal est composé de deux parties : une partie sécrétrice et une partie évacuatrice. L’épiphora peut donc résulter d’une production lacrymale excessive, d’un écoulement défectueux, mais aussi d’une anomalie de la qualité des larmes.

La recherche des causes d’un épiphora commence par le recueil des commémoratifs et par la réalisation d’un examen minutieux de l’œil et des annexes oculaires (voir la FIGURE “Conduite à tenir devant un épiphora”).

Test de Schirmer : mise en évidence d’une sécrétion lacrymale excessive

La sécrétion lacrymale excessive est souvent liée à une irritation et/ou à une douleur oculaire. Les causes sont palpébrales, conjonctivales ou uvéales. Une anomalie de la glande lacrymale accessoire est parfois mise en cause.

1. Causes palpébrales et cutanées

• Les anomalies des plis de peau du nez des races brachycéphales sont responsables d’un trichiasis qui frotte sur la cornée et irrite celle-ci. Ces poils forment en outre une mèche sur laquelle les larmes s’écoulent (PHOTO 1).

Le trichiasis de la caroncule a le même effet. La correction nécessite une exérèse des plis souvent mal ressentie par le propriétaire. Des gels lacrymaux (Ocrygel®, Humiscreen®, etc.) peuvent apporter une protection mécanique partielle de la cornée.

• Les anomalies pilaires telles que le distichiasis (émergence des cils par les orifices des glandes de Meibomius) et les cils ectopiques (PHOTO 2) sont la deuxième origine palpébrale à rechercher. Le ou les cils ectopiques sont souvent situés au milieu et sur la face interne de la paupière supérieure, et émergent au travers de la conjonctive. Ils s’accompagnent régulièrement d’un ulcère cornéen situé “à midi”. Une exérèse chirurgicale de ces cils est le plus souvent nécessaire.

• L’entropion, en raison du frottement des poils sur la cornée, est souvent responsable d’un épiphora. Son traitement chirurgical permet la résolution de l’épiphora.

• De même, toute atteinte des paupières (inflammatoire, tumorale, etc.) peut être responsable d’un écoulement oculaire exacerbé (PHOTO 3).

2. Cause conjonctivale

Une conjonctivite peut s’accompagner d’une production lacrymale excessive. Selon sa nature (infectieuse, dysimmunitaire), un traitement local antibiotique et/ou corticoïde (voire à base de ciclosporine) est nécessaire.

3. Cause cornéenne

Les ulcères cornéens provoquent fréquemment un blépharospasme et un épiphora (PHOTO 4). Le traitement dépend de leur origine (ulcères traumatiques, infectieux, à bords décollés).

4. Cause uvéale

L’uvéite antérieure (inflammation de l’iris et/ou du corps ciliaire) s’accompagne d’un spasme douloureux des muscles du corps ciliaire et est souvent responsable d’un épiphora, d’un blépharospasme et d’une photophobie (PHOTO 5).

Lors d’atteinte aiguë ou subaiguë, l’examen de l’œil révèle une rougeur conjonctivale, un iris terne en myosis, un phénomène de Tyndall dans la chambre antérieure et parfois des précipités kératiques. La pression intra-oculaire est souvent diminuée, en raison de l’inflammation du corps ciliaire.

Une recherche étiologique est nécessaire et le traitement fait appel à l’atropine (sauf lors d’uvéite hypertensive) et aux corticoïdes locaux et généraux lors d’atteinte marquée.

5. Glaucome aigu

Le glaucome est une affection douloureuse qui entraîne parfois une production lacrymale exacerbée.

L’œil est rouge avec de gros vaisseaux épiscléraux, la pupille est en mydriase et la cornée peut présenter un œdème (PHOTO 6).

Le traitement initial est médical : perfusion de mannitol, injections intraveineuses d’acétazolamide(1) (Diamox®), instillation de bêtabloquants et d’inhibiteurs de l’anhydrase carbonique, benzolamide(1) (Azopt®), dorzolamide(1) (Trusopt®) ou dorzolamide(1) + timolol(1) (Cosopt® pour l’association des deux), de myotiques et de prostaglandines (Xalatan® (1)). L’énucléation (et la mise en place d’une prothèse de volume ou «bille»), la cyclocryo-application, voire le laser, sont souvent nécessaires, en particulier lorsque le glaucome est postinflammatoire, car le traitement médical devient rapidement inopérant.

6. Sécrétion lacrymale excessive liée à une hyperplasie de la glande nictitante

Onze cas de sécrétion lacrymale anormale non liée à un défaut de drainage ou à une irritation oculaire ont été décrits [13]. Le test de Schirmer 1 (sans anesthésie locale) est élevé et les glandes lacrymales accessoires sont de taille augmentée. L’application de corticoïdes locaux permet une réduction de la sécrétion dans neuf cas. Dans huit cas, l’ablation de la glande accessoire apporte une amélioration des symptômes. A l’examen histologique, ces glandes présente une hyperplasie du tissu glandulaire.

Exploration de la perméabilité des voies lacrymales

1. Orbite peu profonde

Chez les races brachycéphales, l’orbite est peu profonde, le globe oculaire est de gros volume et proéminent, et les rivières lacrymales du cul-de-sac inférieur sont peu développées : les larmes ont tendance à s’évacuer par le bord libre de la paupière inférieure.

2. Entropion médial

L’entropion de la paupière inférieure au niveau du canthus interne est une cause majeure d’épiphora chez les petites races (caniche, bichon, etc.) (PHOTO 7).

Le point lacrymal inférieur, voie principale de l’évacuation des larmes, est alors situé plus bas que la normale et à l’intérieur en raison de l’enroulement de la paupière ; il est partiellement fermé, ce qui entraîne un débordement des larmes.

Une plastie palpébrale en triangle permet de corriger cette anomalie. L’administration d’antibiotiques excrétés dans les larmes (tétracyclines, métronidazole) limite la prolifération des bactéries sur la peau : la pigmentation marron, souvent mal acceptée par les propriétaires chez des chiens à robe claire, est ainsi (provisoirement) atténuée.

3. Défaut de perméabilité des voies lacrymales

La perméabilité des voies lacrymales peut être évaluée de différentes façons.

• Utilisation de la fluorescéine : l’apparition du colorant au niveau de la truffe traduit une perméabilité des voies lacrymales, mais son absence n’indique pas leur non-perméabilité. L’ouverture peut en effet être située dans la gorge : il convient donc d’ouvrir également la cavité buccale.

• Sondage du point lacrymal et du canalicule (PHOTO 8) et injection d’un liquide : lorsque les voies d’évacuation sont perméables, celui-ci est observé au niveau de la truffe ou, si le liquide se déverse dans la gorge, l’animal présente des mouvements de déglutition.

4. Absence ou obstruction du point lacrymal inférieur

Les points lacrymaux peuvent être absents : non-perforation ou inflammation marquée qui entraîne une obstruction cicatricielle, comme lors de l’atteinte oculaire par l’herpès virus du coryza chez le chat (PHOTO 9).

Un point lacrymal peut également être bouché par un corps étranger de type épillet.

Lors d’imperforation, le point lacrymal inférieur est fréquemment en cause. Le sondage du point supérieur provoque un bombement à l’emplacement de l’émergence du canalicule. Le traitement passe par l’incision de cet endroit (utilisation d’une pince en forme de « queue de cochon » pour le repérer) et par l’intubation bicanaliculaire à l’aide d’un petit tube en silastic (élastomère de silicone) en attendant la cicatrisation.

5. Atteinte des canalicules

Les canalicules sont parfois absents de façon congénitale et ce phénomène est en général associé à l’absence de point lacrymal. Le sondage du point supérieur n’entraîne pas de bombement de la conjonctive, comme lors de l’imperforation isolée du point lacrymal.

Le canalicule peut être obstrué par un corps étranger ou par des débris inflammatoires.

Un cas de kyste du canalicule a été décrit [6].

6. Atteinte du sac lacrymal

Le sac lacrymal fait parfois l’objet d’une infection (dacryocystite) avec déformation molle de l’angle médial et émission de pus au par le point lacrymal (PHOTO 10) lors de pressions externes sur le sac.

L’atteinte est en général unilatérale et peut être provoquée par la pénétration d’un corps étranger, fréquemment d’origine végétale.

7. Atteinte du canal lacrymonasal

L’obstruction du canal lacrymonasal est souvent consécutive à une inflammation ou à une tumeur de la cavité nasale. La partie intra-osseuse, située juste après le sac lacrymal et de diamètre réduit, est plus facilement bouchée. La plupart des obstructions sont dues à l’accumulation de débris inflammatoires et à la présence de corps étrangers.

La dacryocystorhinographie permet de localiser l’obstruction : le point lacrymal supérieur est cathétérisé et 0,5 à 1 ml d’un produit de contraste huileux (Lipiodol®(1)) est injecté jusqu’à ce qu’il ressorte par le point inférieur ou par le nez ; le cliché radiographique de profil est pris immédiatement après.

Le scanner reste l’examen de choix lorsqu’une tumeur est suspectée.

Le traitement est étiologique : tentatives de lavages des voies lacrymales lors de corps étranger, trépanation de la cavité nasale et si possible exérèse, lors de tumeur.

Mesure du temps de rupture du film lacrymal : anomalie de la qualité des larmes

Le déficit des larmes en mucine et/ou en lipide entraîne une diminution de la persistance du film lacrymal sur la cornée et les conjonctives, et donc une sécheresse oculaire relative ainsi qu’un épiphora. Le temps de rupture du film lacrymal est diminué (souvent inférieur à cinq secondes lors de déficit en mucine) et des lésions cornéennes peuvent être présentes (PHOTO 11).

Lors de déficit en lipides, souvent associé à une atteinte des paupières, les larmes ont tendance à se répartir sur le pourtour de l’œil.

Le traitement du déficit en mucine fait appel à un mucinomimétique (chondroïtine sulfate : Lacrypos®(1)) et aux anti-inflammatoires si la biopsie conjonctivale a mis en évidence une inflammation.

Celui du déficit en lipides passe, en général, par le traitement de l’atteinte palpébrale (blépharite) et par l’utilisation de pommades (excipient huileux).

La recherche d’une cause d’épiphora nécessite l’examen rigoureux des paupières, des voies lacrymales et de l’œil lui-même.

  • (1) Médicament à usage humain.

En savoir plus

- Bouhanna L. Ophtalmologie des carnivores domestiques. Chirurgie de la membrane nictitante. Point Vét. 201 ; 32(220) : 24-31.

- Clerc B, Chahory S. Approche pratique du traitement du glaucome chez les carnivores domestiques. Point Vét. 2000 ; 31(210) : 465-469.

- Isard P. Chirurgie du glaucome chez le chien. Ex-press, dispositif de drainage original : étude préliminaire. Point Vét. 2002 ; 33(228) : 12-13.

- Jongh O, Régnier A. Actualités thérapeutiques en ophtalmologie vétérinaire. Point Vét. 1998 ; 29(194) : 791-797.

À lire également

- Dean E. Mise au point sur les insuffisances lacrymales. L’Action Vét. 1993 ; 1249 : 17-22.

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