Intoxication iatrogène à l’iode chez un veau - Le Point Vétérinaire n° 233 du 01/03/2003
Le Point Vétérinaire n° 233 du 01/03/2003

TOXICOLOGIE

PRATIQUER

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Bérangère Ravary

Fonctions : Chirurgie bovine,
Unité de Chirurgie, ENVA,
7, avenue du Général de Gaulle,
94 704 Maisons-Alfort Cedex

Un veau âgé d’un mois développe des signes d’iodisme après une administration unique d’iodure de sodium à la dose normale d’utilisation.

Chez les bovins, les signes d’intoxication à l’iode apparaissent le plus souvent lors d’injections intraveineuses répétées d’iodure de sodium réalisées dans le cadre du traitement de l’actinomycose ou de l’actinobacillose. Ils apparaissent généralement après la deuxième ou la troisième injection d’iodure de sodium et s’estompent progressivement après l’arrêt de l’apport d’iode. De l’iodisme peut aussi être observé dans certains troupeaux dont l’alimentation est complémentée excessivement en iode sous forme de sels iodés ou d’autres produits à base d’iodure. L’apparition des signes cliniques d’iodisme semble influencée par l’intensité et la durée de l’apport en iode, par la forme d’iode utilisée, mais aussi par le statut thyroïdien des animaux, par des sensibilités individuelles et par la présence de stress ou de maladies concomitantes.

Le cas clinique exposé ici décrit le cas d’un jeune veau qui a présenté des signes d’intoxication à l’iode suite à l’apport unique d’une dose intraveineuse d’iodure de sodium.

Cas clinique

Un veau Holstein mâle âgé d’un mois et pesant environ 60 kg est admis au service d’hospitalisation des grands animaux de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA). Il présente une masse d’environ 1 cm de diamètre, dure, non chaude, mais légèrement sensible à la palpation, adhérente à la face latérale de la mandibule gauche. L’examen clinique initial révèle également une fibrose ombilicale, une toux déclenchable (sans autre signe respiratoire), une légère diarrhée et une hyperthermie marginale.

La présence de la masse localisée au niveau de la mandibule conduit à lui administrer une injection intraveineuse lente de 30 ml d’une solution d’iodure de sodium à 16 % (Iodure® Vétoquinol), correspondant à une dose de 80mg/kg d’iodure de sodium (dose préconisée par le fabricant). Le veau est également traité à l’aide d’un anti-diarrhéique (Hémodiarh®) pendant trois jours.

Cinq jours après l’administration de la dose unique d’iodure de sodium, le veau présente soudainement de l’abattement (PHOTO 1) et de l’anorexie, puis, douze heures plus tard, un larmoiement bilatéral important (PHOTO 2), des squames abondantes au niveau de l’encolure et un jetage séreux ainsi qu’une augmentation des bruits respiratoires. Face à ce tableau clinique, une intoxication à l’iode est suspectée, puis vérifiée par dosage de l’iode sérique. L’iode sérique est trois fois plus importante que chez un veau témoin du même âge (voir le TABLEAU “Dosage de l’iode sérique chez deux veaux Holstein hospitalisés à l’ENVA”).

L’installation d’une anorexie et d’un abattement marqués (décubitus) conduisent à placer le veau pendant quinze heures sous perfusion intraveineuse (solution isotonique extemporanée à base de chlorure de sodium et de glucose) et à lui administrer de l’amoxicilline par voie intramusculaire pendant trois jours. Douze heures après le début du traitement, une amélioration de l’état général est notée, le veau se lève spontanément. L’appétit pour le lait revient ensuite progressivement. Toutefois, le veau développe dans les jours qui suivent une affection respiratoire avec polypnée, toux, bruits respiratoires d’intensité augmentée, voire discordance par moments.

Le non-renouvellement du traitement à base d’iode permet aux signes cliniques d’intoxication à l’iode de disparaître progressivement.

Discussion

1. Métabolisme de l’iode chez les bovins

L’iode 131 est un élément vital intervenant dans la synthèse des hormones thyroïdiennes T4 (thyroxine) et T3 (3,5,3’ tri-iodothyrinine). Cet élément, qui est indispensable à de nombreuses fonctions métaboliques, est généralement apporté aux ruminants par l’alimentation. Toutefois, l’iode constitue aussi un traitement médical employé dans un certain nombre de maladies ou d’affections : le fourchet [23, 25], certaines plaies externes [1], l’actinobacillose (ou “langue de bois”) ou l’actinomycose [11, 25], des maladies respiratoires [11], des endométrites, ou encore comme traitement visant à modifier la longueur de l’œstrus (libération intra-utérine de prostaglandines PgF induite par injection intra-utérine d’iode) [11] (voir le TABLEAU “Principales indications thérapeutiques de l’iode chez les bovins”).

Les apports d’iode peuvent se faire sous forme de sels iodés (NaI), d’iodures de potassium (KI), d’iodates de sodium, potassium ou calcium ou encore de dihydroxy-iodure d’éthylènediamine (EDDI) ou de varechs (algues) [11, 26].

L’iode peut aussi être absorbé au travers de la peau lors de l’emploi d’onguents ou de désinfectants cutanés à base d’iode [1, 26].

Suite à la consommation de la ration alimentaire, une grande partie de l’iode contenu dans l’alimentation est absorbé au niveau du rumen et de la caillette (voir la FIGURE “Métabolisme de l’iode chez les bovins”). En plus de cette absorption, la caillette sécrète de grandes quantités d’iodure qui sont réabsorbées principalement au niveau de l’intestin grêle, mais aussi tout le long du tractus intestinal [21, 26].

Une fois absorbé, l’iode – sous forme d’iodure – se distribue librement dans le liquide extracellulaire (à l’état libre ou lié à des protéines) et les sécrétions glandulaires. Il se concentre dans la glande thyroïde (à un taux 50 fois supérieur au taux plasmatique) et, dans une mesure beaucoup plus faible, dans d’autres glandes (glandes salivaires, lacrymales, trachéobronchiques et mammaires) [11]. L’iode est ensuite excrété essentiellement par les reins, mais est aussi éliminé au niveau des fèces et du lait (cette dernière voie d’élimination pouvant être non négligeable chez les vaches laitières hautes productrices) (voir la FIGURE “Métabolisme de l’iode chez les bovins”) [11, 21, 26]. En effet, le lait de vache peut contenir de 100 à 4 000 µg/l d’iode selon, notamment, la forme d’iode ingérée, le stade de lactation, le niveau de production laitière et le statut thyroïdien [4, 10, 21]. Bien qu’il semble exister une certaine variabilité individuelle dans le métabolisme de l’iode et dans la sécrétion d’iode dans le lait, une relation spécifique n’est pas toujours retrouvée entre le taux d’iode contenu dans le lait de vache et le niveau de production lactée ou le nombre de lactations [3]. Toutefois, les bovins sécrètent moins d’iode dans le lait que la plupart des autres espèces et un système de recyclage de l’iode (via le système digestif) relativement efficace leur permet de conserver une bonne partie de l’iode ingéré, donc de se protéger vis-à-vis des rations alimentaires pauvres en iode [21].

2. Tableau clinique de l’iodisme

Un apport excessif d’iode (dans la ration alimentaire ou lors de traitements) peut induire une intoxication. Une consommation journalière et régulière de plus de 50 mg/animal/J d’iode induirait de l’iodisme [11, 26]. Les bovins développent alors un syndrome caractérisé par des squames cutanées abondantes et de grande taille, une alopécie, un larmoiement, une salivation, un jetage (à cause d’une augmentation des sécrétions respiratoires), de la toux (à cause de bronchopneumonies concomitantes), une anorexie et une hyperthermie intermittente. Dans certains cas, une exophtalmie peut être aussi notée et les sujets les plus sévèrement atteints peuvent mourir de bronchopneumonie [15, 18, 20, 24, 25, 26]. Les animaux peuvent aussi présenter une baisse de la production laitière, une diminution du gain moyen quotidien (GMQ), une diminution de la conversion alimentaire ou encore des retards de croissance [9, 13, 15, 17, 26]. L’iodisme pourrait également être à l’origine d’avortements [8, 25] et de troubles de fertilité [13]. Toutefois, des essais cliniques (par apport intraveineux de NaI, solution à 20 %, à la dose de 110 à 156 mg/kg d’iode) chez des vaches en gestation n’ont pas reproduit de tels résultats [22].

Lors d’apport chronique d’iode, une perturbation des systèmes de défense de l’hôte (production diminuée des immunoglobulines, augmentation des neutrophiles, diminution des lymphocytes, diminution de l’immunité à médiation cellulaire et diminution de la capacité phagocytaire des leucocytes) est également notée [13, 15]. Cet affaiblissement des immunités humorale et à médiation cellulaire lors d’iodisme expliquerait la plus grande sensibilité des bovins vis-à-vis des maladies infectieuses (notamment respiratoires) et leur plus faible réponse aux traitements [18].

3. Dose toxique

Malgré des études expérimentales menées spécifiquement chez les bovins, il n’apparaît pas facile de préconiser une dose limite d’iode à ne pas dépasser au risque de voir apparaître des signes cliniques d’intoxication.

Les jeunes animaux semblent plus sensibles que les adultes : un apport journalier de 2 à 11 (voire de 0,4) mg/kg de poids vif pendant plusieurs semaines peut engendrer de l’iodisme chez les veaux [9, 15, 20] alors que la dose toxique chez les adultes serait beaucoup plus élevée. En effet, l’apport expérimental de 4,5 g/bovin/J pendant un an n’a pas permis d’induire l’apparition de signes cliniques d’iodisme [22]. Les adultes ne présenteraient cliniquement des signes d’intoxication qu’à l’occasion d’un stress, d’une maladie ou d’un déséquilibre nutritionnel concomitant.

Dans notre cas, le veau a reçu la dose thérapeutique indiquée par le fabricant. Il est possible de se demander s’il ne présentait pas une sensibilité particulière à l’iode.

4. Diagnostic

Les bovins atteints d’iodisme présentent des concentrations sériques en glucose et en urée augmentées alors que leur taux de protéines sériques et leur hématocrite sont diminués [15]. Toutefois, lors de suspicion clinique, le diagnostic ne peut être véritablement confirmé que par dosage de l’iode dans le lait, le sérum ou l’urine [11, 24]. Les bovins qui ne sont pas en lactation ont des concentrations sériques en iode plus élevées que les vaches en lactation en raison de l’élimination partielle de l’iode par le lait. Les taux d’iode trouvés dans le sérum [11, 15], le lait [11, 24] (voir le TABLEAU “Concentrations en iode mesurées dans le sang ou le lait chez les bovins”) ou l’urine [14] sont directement liés aux taux d’iode présent dans la ration alimentaire. Toutefois, il convient d’être vigilant lors de détermination du taux d’iode dans le lait, car il peut parfois y avoir une contamination iodée du lait lors d’emploi de produits de trempage des trayons à base d’iode.

5. Traitement

Il n’existe pas d’antidote spécifique contre l’iodisme. Le retrait de la source d’iode permet la rémission des symptômes en une à quatre semaines [7, 16, 24], ainsi que la diminution graduelle des concentrations en iode dans le sang [19] et dans les sécrétions glandulaires.

Ovins et équins peuvent être concernés

L’intoxication à l’iode existe aussi chez d’autres espèces, notamment chez les ovins [19] et chez les équins [16, 25].

• Chez les ovins, on retrouve un tableau clinique sensiblement comparable à celui des bovins (avec présence de signes respiratoires, d’hyperthermie, d’anorexie, de diminution du GMQ et de léthargie), sans toutefois que des signes d’exfoliation cutanée, de larmoiement et de salivation soient rapportés [19].

• Chez les équins, l’iodisme se caractérise par une alopécie et la présence de squames abondantes [7, 25]. Il peut aussi exister des avortements ou une hypertrophie de la thyroïde (goitre) [16]. De plus, les poulainsnés de juments nourries avec des excès d’iode peuvent développer eux aussi un goitre [5, 25] ou encore mourir avant la naissance ou peu après. Ils peuvent aussi présenter de la faiblesse, des poils longs, des retards de développement squelettique ou des anomalies importantes des membres en raison de contractures tendineuses [2, 5, 6]. Les mères ne montrent pas toujours de signes d’iodisme [5, 16].

Points forts

• L’intoxication à l’iode ou iodisme est rapportée chez plusieurs espèces animales dont les ovins, les équins et les bovins.

• Suite à un apport excessif en iode, au travers de l’alimentation ou d’un traitement thérapeutique, les bovins peuvent présenter un larmoiement et une salivation marqués, des squames cutanées abondantes, notamment au niveau de l’encolure, une alopécie, du jetage, de la toux, de l’anorexie et de l’hyperthermie.

• Les jeunes veaux semblent plus sensibles au développement de signes cliniques d’intoxication à l’iode que les adultes.

• Suite à l’apparition de tels signes, l’apport en iodure doit être cessé ou au moins diminué faute d’antidote spécifique à l’iodisme.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr