Les lentilles-pansement en ophtalmologie vétérinaire - Le Point Vétérinaire n° 232 du 01/02/2003
Le Point Vétérinaire n° 232 du 01/02/2003

OPHTALMOLOGIE DU CHIEN ET DU CHAT

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Tanguy Lefranc

Fonctions : Clinique vétérinaire
26, avenue de Roosevelt
56000 Vannes

Les lentilles-pansement peuvent être utilisées dans tous les cas pour lesquels la cicatrisation cornéenne s’avère difficile.

La première utilisation de lentilles destinées à l’homme chez un chien est décrite en 1977 [10].

La taille et la courbure de la cornée des carnivores domestiques étant très variables d’une race ou d’une espèce à l’autre et différentes de celles de l’homme, une mauvaise adaptation morphologique des lentilles « humaines » a longtemps constitué le principal obstacle rencontré.

Cet article ne décrit pas l’utilisation des lentilles de collagène à rôle de réservoir de principes actifs tels que les antibiotiques (non commercialisées en France actuellement), ni d’autres utilisations plus anecdotiques : correction optique de l’œil aphaque [11], lentilles colorées pour l’amélioration des performances d’un lévrier de course atteint de dégénérescence rétinienne [6].

Des lentilles souples et hydrophiles

Les lentilles-pansement oculaires sont des lentilles souples, hydrophiles, dites « planes » car sans pouvoir correcteur (PHOTO 1).

Constituées de gels macromoléculaires à base de polyméthacrylate d’hydroxyéthyle et de polyvinylpyrolidone, elles contiennent jusqu’à 70 % d’eau et offrent une bonne perméabilité à l’oxygène et au gaz carbonique [8], d’où une respiration correcte de l’épithélium cornéen. En outre, la stabilité du film lacrymal à leur contact est excellente.

Des lentilles à utilisation spécifiquement vétérinaire sont actuellement disponibles sur le marché, avec une gamme adaptée aux différents diamètres et courbures des cornées du chien, du chat et du cheval.

Une barrière physique efficace

Les lentilles-pansement ne possèdent pas de propriétés curatives spécifiques. Elles constituent néanmoins une barrière physique efficace, à l’abri de laquelle la cicatrisation cornéenne peut se dérouler dans de bonnes conditions : elles protègent notamment la cornée de l’entropion réactionnel qui survient lors de douleur oculaire.

Leur perméabilité autorise en outre l’administration de collyres antibiotiques ou cicatrisants, et leur transparence permet une bonne surveillance de la cornée [2, 9].

Elles ne gênent pas les mesures de pression oculaire et présentent même l’avantage de protéger la cornée fragilisée du contact éventuellement traumatisant du tonomètre [7].

Elles peuvent donc être utilisées dans tous les cas où la cicatrisation cornéenne s’avère difficile.

Lors d’ulcère cornéen

Les ulcères cornéens représentent l’indication majeure des lentilles-pansement. Ils peuvent être classés en fonction de la profondeur de la perte de substance cornéenne [9] :

– ulcère de classe 1 : perte de substance uniquement épithéliale ;

– ulcère de classe 2 : perte de substance épithéliale et stromale, qui ne dépasse pas la moitié de l’épaisseur de la cornée ;

– ulcère de classe 3 : perte de substance qui dépasse la moitié de l’épaisseur de la cornée, sans perforation ;

– ulcère de classe 4 : perforation cornéenne.

Les lentilles-pansement sont indiquées dans les cas d’ulcères suivants [1, 5, 8] :

– ulcères de classe 1 chroniques ou récidivants (type ulcère « torpide » ou « à bords décollés » du boxer notamment), après débridement et éventuellement kératotomie ponctuée ;

– ulcères de classe 2 ;

– ulcères de classe 3 quand la greffe conjonctivale n’est pas réalisable (matériel indisponible, contre-indication à l’anesthésie générale) ;

– temporairement lors de lacération ou de perforation partielle, lorsque la chirurgie n’est pas réalisable immédiatement.

Association avec une chirurgie cornéenne

Les lentilles-pansement sont également utiles lors de certaines interventions chirurgicales sur la cornée :

– après une kératectomie partielle [5] ;

– après le traitement chirurgical du symblépharon chez le chat, afin d’éviter les adhérences postopératoires [8] ;

– avant et après la chirurgie de l’entropion et du distichiasis [4, 8].

La contre-indication majeure est la sécheresse lacrymale [9]: la réalisation systématique du test de Schirmer permet de l’exclure et de dépister ainsi une cause fréquente d’ulcère cornéen.

Choix de la lentille

La lentille doit être adaptée au diamètre et au rayon de courbure de la cornée.

Le diamètre cornéen est mesuré à l’aide d’une réglette graduée en millimètres, sur une ligne horizontale. Le diamètre de la lentille doit être supérieur de quelques millimètres à celui de la cornée, de manière à ce que ses bords chevauchent le limbe de cette dernière (PHOTO 2).

Afin de déterminer le rayon de courbure de la cornée, la réglette est positionnée au plus près de la cornée, dans un plan horizontal, afin de sélectionner le gabarit qui lui correspond le mieux (PHOTO 3).

Préparation de l’animal

Une simple anesthésie topique (Novésine® collyre, spécialité humaine) peut suffire à un praticien expérimenté si l’animal est calme (PHOTO 4). Si nécessaire, une sédation plus ou moins poussée (médétomidine, Domitor®) peut être associée.

Un rinçage abondant à l’aide d’une solution isotonique et antiseptique permet d’éviter de séquestrer des poils, des débris cellulaires, des germes… entre la cornée et la lentille.

Manipulation de la lentille

• Il convient de se laver, de se rincer et de se sécher soigneusement les mains avant de manipuler la lentille.

• La lentille est extraite de son flacon de stockage. Un écouvillon stérile est utilisé plutôt qu’une pince qui risquerait d’endommager la lentille.

• La lentille est glissée sous la paupière supérieure (PHOTO 5).

• Elle est maintenue d’un doigt contre la cornée.

• À l’aide d’une pince, la membrane nictitante est soulevée et positionnée au-dessus du bord libre de la lentille (PHOTO 6).

Le port du carcan est nécessaire dans la plupart des cas.

• Si une sédation est réalisée, un point simple qui réunit les deux bords palpébraux à quelques millimètres du canthus externe permet de réduire la fente palpébrale et de diminuer les risques de perte du pansement. Une tarsorraphie partielle, qui s’appuie sur le bord temporal de la paupière inférieure, peut également être réalisée [2, 9] (PHOTO 7).

La coloration bleue de la lentille permet de vérifier son maintien à la surface de la cornée.

Retrait de la lentille

Le retrait de la lentille est effectué simplement en pressant la paupière inférieure : la lentille saute au-dessus de la paupière supérieure.

La lentille-pansement semble être bien tolérée durant de longues périodes.

Toutes les deux semaines, elle doit être retirée pour nettoyage à l’aide d’une solution de décontamination pour lentilles souples classiques, puis rinçage au sérum physiologique stérile avant remise en place.

Afin d’éviter les contaminations croisées, il est recommandé de ne pas réutiliser la même lentille d’un animal à un autre.

Un coût modéré

Depuis 1997, des lentilles adaptées au chien, au chat et au cheval sont disponibles en centrale (lentilles i-protex®), à l’unité ou en kit qui détaille différents diamètres et rayons de courbure. Les gabarits sont fournis gratuitement sur demande à la centrale d’achat.

Prix d’achat :

– kit de démarrage : environ 180 € HT (six lentilles) ;

– lentille à l’unité : 35 € HT.

Laposed’unelentille-pansement est une alternative intéressante et de coût finalement modéré à certaines options thérapeutiques telle la tarsorraphie.

La perte de la lentille reste l’incident majoritairement rencontré. Ce risque peut être minimisé par une bonne adaptation du pansement au diamètre et à la courbure de la cornée.

Les données biologiques obtenues à partir de prises de sang à la veine jugulaire ont été produites par le service Nutrition-Biochimie du laboratoire IPA à Tarare (69). Les marqueurs plasmatiques de l'inflammation ont été analysés par l'intermédiaire du laboratoire IPA, après centrifugation et congélation des prélèvements sanguins.

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