Les troubles de l’homéostasie sensorielle chez le chaton - Le Point Vétérinaire n° 230 du 01/11/2002
Le Point Vétérinaire n° 230 du 01/11/2002

COMPORTEMENT DU CHAT

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COURS

Auteur(s) : Thierry Habran

Fonctions : Vétérinaire comportementaliste
314, route de Schirmeck,
67200 Strasbourg

Le syndrome d’hypersensibilité-hyperactivité et le syndrome de privation sont deux troubles de l’homéostasie sensorielle dont le pronostic est réservé ; il convient donc de les détecter et de les traiter précocement.

Parmi les troubles du comportement chez le chat, ceux du développement sont fréquents. Le développement comportemental construit l’individu : le patrimoine génétique est façonné par le milieu environnant et les apprentissages précoces. Au cours des premières semaines de vie du chaton, le développement corporel s’accompagne du développement du système nerveux, ce qui permet au jeune animal d’acquérir toutes les compétences motrices et sensorielles nécessaires à sa vie d’adulte. C’est au cours de la dernière période du développement que se met en place un seuil de stimulations sensorielles supportable pour le chaton : on parle d’homéostasie sensorielle. La perturbation de ce niveau de référence génère des troubles comportementaux. Le seuil d’homéostasie sensorielle ne peut s’établir que si le chaton est capable d’explorer et d’interagir de façon cohérente. Ce processus ne peut donc être dissocié de l’acquisition du contrôle moteur ; celui-ci est directement lié à la régulation de la morsure et de la rétraction des griffes par l’intervention d’un animal adulte éducateur. En conséquence, les troubles de l’homéostasie sensorielle regroupent des affections dominées à la fois par l’hyperactivité (déficit des autocontrôles) et par des troubles affectifs (phobies et anxiété dans le syndrome de privation). Les troubles mixtes peuvent également être observés.

Développement comportemental du chaton

À la naissance, le chaton est encore dépendant de sa mère, ses organes sensoriels ne sont pas développés. Le cerveau est immature et le jeune animal fonctionne sur un mode réflexe pendant une quinzaine de jours. Vers la deuxième semaine, les compétences motrices et sensorielles apparaissent. Au cours des premières semaines de vie, le cerveau du chaton se développe de façon considérable. Les cellules nerveuses se multiplient et, surtout, envoient des connexions par milliers : c’est la synaptogenèse. Cette croissance du système nerveux dure jusqu’à la septième semaine. Il en résulte un réseau synaptique très dense, mais immature et non fonctionnel. L’intervention du milieu induit la maturation des synapses et la persistance des connexions interneuronales. Dès que les organes des sens sont fonctionnels (vue, audition, toucher, etc.), leur stimulation par l’environnement entraîne la maturation d’une chaîne de synapses : c’est la maturation synaptique. Au-delà de la septième semaine, les synapses immatures commencent à involuer. Un réseau neuronal ordonné et efficace est obtenu : c’est la stabilisation sélective [5, 9]. L’activation des synapses n’est possible que pendant un temps déterminé : Lorenz a parlé de “période critique” et, plus tard, Bateson a modifié ce concept en parlant de “période sensible” [8]. Pendant celle-ci, de faibles interactions avec l’environnement ont des conséquences bénéfiques ou néfastes sur le comportement ultérieur, et, lorsque cette période est dépassée, l’acquisition des comportements est difficile [5].

Le développement comportemental est divisé en quatre phases clés : périodes prénatale, néonatale, de transition et de socialisation.

1. Période prénatale

Pendant la gestation de la chatte, qui dure de 59 à 63 jours, l’embryon n’est pas complètement isolé. Par l’intermédiaire des facteurs neuro-endocriniens, le chaton est sensible à l’état émotionnel de sa mère. Néanmoins, les conséquences précises du stress de la chatte sur son petit sont difficiles à évaluer. Des effets de la manipulation (ou de l’absence de manipulation) de la mère pendant la gestation sont en revanche observables : les chatons nés à la maison de chattes manipulées régulièrement (en particulier après le vingt et unième jour de gestation, période pendant laquelle la sensibilité tactile du chaton se développe) sont d’emblée plus faciles à manipuler, ce qui favorise la socialisation [5, 7]. À l’inverse, les chatons issus de chattes sauvages jamais manipulées sont fréquemment intolérants au contact et développent des conduites agressives [3].

2. Période néonatale

La période néonatale s’étend de zéro à dix jours. Le chaton est sourd et aveugle, mais ses sens tactile et gustatif sont suffisamment développés pour lui permettre de trouver les mamelles. Il fonctionne essentiellement sur un mode réflexe. On parle de réflexes primaires [2] :

- le réflexe de fouissement. Il permet au chaton, pendant la reptation, de retrouver les mamelles, ensuite il les pétrit ;

- le réflexe labial. Le contact des lèvres provoque une succion ;

- le réflexe périnéal. Le léchage par la chatte du périnée du chaton déclenche l’émission des selles et des urines.

La chatte s’attache à ses chatons pendant cette période.

3. Période de transition

La période de transition dure environ du dixième au vingtième jour. Elle correspond à la maturation sensorielle et motrice. L’olfaction, l’audition et la vision se mettent en place. Les capacités motrices apparaissent et le chaton se déplace de façon autonome. Par rapport au chiot, la maturation du chaton est très rapide. Cette phase constitue la période d’attachement du petit à sa mère.

Elle prépare la phase de socialisation : elle rend le petit autonome sur le plan sensori-moteur et crée une base sécurisante par l’intermédiaire de l’attachement.

4. Période de socialisation

Chez le chaton, la période de socialisation s’étale de la deuxième à la septième semaine. C’est sans doute la plus importante sur le plan comportemental. À ce moment se mettent en place la socialisation, les autocontrôles et l’homéostasie sensorielle.

La socialisation intraspécifique (reconnaissance de sa propre espèce) commence dès le processus d’attachement et d’imprégnation. Elle se perfectionne par les jeux dans la fratrie. Lors du développement normal du chaton, elle est facile, rapide et stable. La socialisation interspécifique (notamment à l’espèce humaine) est moins facile et moins stable. Elle est conditionnée par des contacts répétés et agréables (jeux, caresses, manipulations douces, etc.) entre la deuxième et la septième semaine [7]. Cette socialisation garantit l’homéostasie des relations sociales interspécifiques.

Homéostasie sensorielle

“Homéo” vient du grec homoios qui signifie semblable, identique, et “stasie” fait référence à une station, à un état. L’homéostasie sensorielle peut donc être définie comme le maintien de l’organisme dans un état émotionnel identique face aux variations du milieu. Cet équilibre émotionnel est indispensable à la vie relationnelle, qu’il s’agisse des relations sociales ou des relations avec l’environnement.

1. Les niveaux d’homéostasie

La période sensible correspond au développement et à la maturation synaptiques. Le développement cérébral conditionne le développement comportemental et ne peut s’effectuer correctement que sous l’influence bénéfique du milieu. L’animal apprend à s’adapter à un niveau moyen de stimulations (pour chaque canal sensoriel). En dessous de ce niveau de référence, le chaton ne présentera pas de réactions de peur : c’est l’établissement du seuil d’homéostasie sensorielle. Sur le plan comportemental, un seuil élevé est le garant d’une bonne adaptabilité de l’individu (facilité à gérer l’environnement et ses modifications) ; un seuil très bas induit en revanche des réactions de peur multiples et conduit à des phobies (apparition de réactions de peur face à des stimuli normalement présents dans l’environnement) par le biais d’un processus de sensibilisation.

L’observation seule de l’environnement n’est pas suffisante, une exploration active et une interaction sont nécessaires. Si un chaton est placé dans un environnement visuel normal, mais que ses interactions sont empêchées, il reste quasi aveugle ! Le seuil d’homéostasie sensorielle ne peut donc se mettre en place que si le petit est capable d’explorer et d’interagir de façon cohérente, et, pour cela, deux conditions sont à réunir : un attachement et des autocontrôles corrects.

2. Attachement et autocontrôles

L’attachement est un lien réciproque qui unit la mère aux chatons, indispensable au développement. La chatte oriente préférentiellement le comportement exploratoire de ses petits [4] ; ceux-ci peuvent revenir s’apaiser vers elle s’ils ont peur (“exploration en étoile”). Si l’attachement est inexistant ou pas suffisamment apaisant, le chaton ne peut pas développer de stratégie exploratoire et a donc du mal à établir un seuil d’homéostasie correct.

Un comportement exploratoire désordonné et incohérent est inefficace. Pour explorer correctement, le chaton doit avoir un contrôle moteur parfait. L’acquisition de l’homéostasie sensorielle est donc indissociable de l’acquisition des autocontrôles, d’où le rôle fondamental de la mère. En effet, le contrôle moteur est lié au contrôle de la morsure et des griffades chez le chaton. Dès la cinquième semaine, la chatte (ou tout autre adulte) sanctionne le chaton qui mordille ou griffe de façon intempestive. Elle inflige des coups de patte sur le bout du nez ou immobilise le chaton entre ses membres antérieurs pour lui griffer le ventre avec les postérieurs. Ces séances d’éducation permettent l’apprentissage du contrôle moteur et l’acquisition de la phase d’arrêt dans les séquences comportementales. L’absence d’autocontrôles perturbe le seuil d’homéostasie sensorielle par le fait que le chaton est incapable de filtrer les informations : il réagit à tout, non plus par des réactions de peur, mais par une exploration intense, agitée et désordonnée, qui est peu efficace.

3. Conséquences

Le chaton doit donc se développer dans un milieu suffisamment stimulant et apprendre à interagir de façon correcte avec l’environnement. S’il vit dans un milieu hypostimulant, il risque de développer plus tard un syndrome de privation sensorielle. S’il est séparé trop tôt de sa mère, il est susceptible de développer un syndrome caractérisé par un déficit des autocontrôles rappelant, par certains aspects, le syndrome d’hypersensibilité-hyperactivité du chien. Ces deux troubles de l’homéostasie sensorielle sont liés car ils résultent d’une perturbation de la filtration sensorielle : dans un cas, le chaton réagit par la peur et, dans l’autre cas, par une activité motrice excessive. Dans la mesure où ces désordres ont une origine commune, il est possible d’observer, chez le même animal, les deux volets de cette affection.

Le déficit des autocontrôles : syndrome d’hypersensibilité-hyperactivité (HS/HA)

1. Description clinique

L’absence d’autocontrôles et l’impulsivité du chaton rendent les relations sociales intra- et interspécifiques difficiles (agressivité).

Ce syndrome, même s’il présente des similitudes avec le syndrome HS/HA du chien, mérite d’être confirmé d’un point de vue statistique. Une étude à grande échelle devrait définir les signes majeurs et déterminer s’il existe, comme chez le chien, différents stades de la maladie.

• L’élément qui domine est le défaut d’inhibition de la morsure et de la rétraction des griffes. Lors de la consultation, il suffit d’examiner les mains et les bras des propriétaires, etc.

• Ces chatons sont en général des acrobates et font fréquemment tomber des objets ou tombent des meubles. Ils ont la fâcheuse habitude d’escalader (sans précaution) les jambes et les bras de leurs maîtres. Ils tolèrent mal la contrainte et lorsqu’ils sont soulevés par la peau du cou, le réflexe de portage est négatif : le chaton se met en hyperextension, sort les griffes, hurle et cherche à agresser.

• Une hypermotricité globale est généralement associée : déambulations incessantes, courses erratiques, exploration peu structurée de l’environnement, séquences de jeu incontrôlées à l’origine d’agressions. L’agressivité est le principal motif de consultation.

• Un déficit de la satiété alimentaire peut également être observé : ces chats sont capables d’ingérer des quantités élevées de nourriture et sont présentés à la consultation pour des troubles digestifs [2, 10].

• Le sommeil est également modifié. Ces chatons sont plus actifs que les autres et la quantité globale de sommeil est diminuée. Il est fréquent que leurs jeux nocturnes ou leurs vocalises réveillent les propriétaires.

• Ils sont souvent malpropres avec des marquages urinaires nombreux, parfois sur les propriétaires. Les marquages faciaux sont également perturbés : si les allomarquages existent, les marquages d’identification sont inconstants, voire inexistants.

2. Étiologie

Dans la plupart des cas, ce trouble est dû à une séparation précoce, avant l’âge de cinq semaines, du chaton et de sa mère, mais il peut aussi être lié à une portée nombreuse ou, au contraire, à une portée comptant un seul chaton, à une mère malade (par exemple mammite), ainsi qu’à une attitude inadéquate des propriétaires. En effet, morsures et griffades de l’animal sont régulées tant par la mère que par les autres petits de la nichée [1].

Malheureusement, les propriétaires hésitent à sanctionner ces comportements qu’ils considèrent souvent comme normaux et amusants chez un chaton.

3. Traitement

Le traitement médicamenteux fait appel à trois molécules.

• La sélégiline(1) (Selgian®), à la posologie de 1 mg/kg en une prise, permet d’améliorer le contrôle moteur mais doit être utilisée précocement. Il est parfois nécessaire d’augmenter la dose. Seuls des résultats partiels sont constatés lorsque le traitement est commencé après la puberté. Comme il n’existe pas de présentation disposant d’une autorisation de mise sur le marché pouhat, il convient donc d’utiliser la présentation pour chien avec l’inconvénient de la taille du comprimé et de son amertume.

• La fluoxétine(2) (Prozac®), à la dose de 1 à 2 mg/kg en une prise, est intéressante si les agressions sont importantes [1] et que le chaton est boulimique [2]. La présentation humaine est utilisée soit en faisant conditionner des gélules par le pharmacien, soit en utilisant les comprimés hydrodispersibles à 20 mg (la solution ainsi préparée peut être mélangée à la nourriture). Cette présentation a également une durée d’action suffisamment longue pour permettre une administration par jour, voire tous les deux jours (ce qui est intéressant compte tenu de la difficulté d’administration chez le chat).

• La fluvoxamine(2) (Floxyfral®) est administrée à la dose de 2 mg/kg en une ou deux prises par jour. Dans certains cas, il est nécessaire d’augmenter la posologie jusqu’à 3 mg/kg.

La thérapie comportementale est délicate. Elle est utile à mettre en œuvre chez le chaton en punissant les actes dommageables par une claque sur le bout du nez. Les résultats sont satisfaisants si le traitement est précoce (chaton âgé de six à neuf semaines). En pratique, passé l’âge de trois mois, il devient difficile de sanctionner ainsi le chaton sans s’exposer à des réactions agressives de sa part. La présence d’un congénère peut être mise à profit (chat thérapeute). En effet, un chat adulte peut contrôler efficacement le chaton lors des séances de jeu en sanctionnant les morsures ou les griffades intempestives. Lors de l’acquisition d’un chaton très jeune, la solution consistant à le “confier” à un chat éducateur est simple et efficace.

Passé l’âge de la puberté, il est nécessaire de contrôler médicalement ces animaux pendant plusieurs mois (six à douze mois). Leur guérison totale est toutefois illusoire [10].

Le syndrome de privation

Le syndrome de privation rassemble tous les chats qui se sont développés dans un milieu pauvre en stimulations sensorielles et qui sont ensuite transposés dans un univers très stimulant. Il est extrêmement fréquent car de nombreux chats de compagnie sont adoptés à la campagne (“chats de ferme”). Beaucoup de maîtres s’accommodent d’un tel animal et les demandes de consultations pour ce motif sont assez rares. Trois stades – phobique, anxieux et de dépression – sont distingués.

1. Le stade 1 (phobies ontogéniques)

Les phobies ontogéniques sont une entité fréquente qui est considérée comme un état normal par les propriétaires. Habituellement, ces chats ne sortent pas : des phobies sociales sont surtout rencontrées. Beaucoup de personnes décrivent un animal qui va se cacher sous un meuble dès qu’un étranger à la famille entre dans la maison [7]. Ces troubles posent peu de problèmes, sauf lorsque la composition de la famille est modifiée (mariage, naissance).

Le traitement repose sur deux axes : la chimiothérapie et la thérapie comportementale.

• La chimiothérapie fait appel aux molécules suivantes :

- la trioxazine (Relazine® F) à la dose d’un ou deux comprimés trois fois par jour ;

- la sélégiline(1) (Selgian®) à la dose de 1 mg/kg en une prise ;

- la clomipramine(1) (Clomicalm®) à la dose de 0,3 à 0,5 mg/kg en une prise.

• La thérapie comportementale est utile lors de phobies sociales précises (enfant, homme, femme). Elle est fondée sur l’habituation et la désensibilisation, associée au contre-conditionnement par le jeu. Il convient d’abord de fournir au chat un endroit d’isolement que tout le monde respecte. Le chaton peut ensuite jouer en présence de la personne faisant l’objet de la phobie, mais, dans un premier temps, il est nécessaire qu’elle reste immobile et ne cherche pas à toucher l’animal. Quand cette personne est bien acceptée pendant le jeu, elle peut commencer à y participer (lancer de balles, etc). Le contact avec le chat intervient en dernier et de façon très progressive. Il convient d’éviter de saisir l’animal et de le maintenir de force pendant que cette personne le caresse car, dans ce cas, il n’a pas de possibilité de fuite et des agressions par peur peuvent apparaître. Dans ce type de thérapie, l’utilisation d’un chat co-thérapeute est possible. Le principe est identique mais c’est alors le congénère qui devient le partenaire de jeux du chaton. L’animal phobique, motivé par l’activité, a tendance à imiter son compagnon et les progrès sont souvent plus rapides. L’utilisation de phéromones de familiarisation en spray (Felifriend®) et d’hormones apaisantes (Feliway®) est indiquée.

2. Le stade 2 (anxiété de privation)

Le stade 2 est le stade anxieux du syndrome de privation, c’est-à-dire un état réactionnel avec l’apparition de réactions émotionnelles analogues à la peur en réponse à toute variation du milieu. Cette phase anxieuse se décline sous une forme intermittente ou permanente.

L’anxiété intermittente de privation

Le chaton (ou chat) atteint d’anxiété intermittente de privation est un chaton “hyposocialisé agressif”. Des éléments de l’anxiété intermittente sont retrouvés : des agressions par peur et par irritation ((PHOTO 1) et des manifestations neurovégétatives essentiellement intestinales (salivation, diarrhée). Le chat est également hypervigilant et un rolling skin syndrome (hyperesthésie cutanée) peut être observé.

Les prises alimentaires se font généralement quand l’animal est seul, la nuit ou en l’absence des propriétaires [2].

L’anxiété intermittente peut faire suite à un état phobique et ensuite évoluer en anxiété permanente. Les agressions par irritation s’instrumentalisent parfois pour aboutir à une hyperagressivité secondaire difficile à supporter.

Le diagnostic est établi sur les signes suivants :

- état d’anxiété intermittente avec agression par peur et par irritation et manifestations neurovégétatives (surtout digestives) ;

- craintes et peurs présentes depuis l’acquisition ;

- développement dans un milieu hypostimulant.

Le traitement médical est choisi selon la clinique :

- la fluoxétine(2) (Prozac®) est indiquée si les agressions sont importantes ou s’il y a malpropreté urinaire [1] ;

- par extrapolation avec ce qui est connu chez le chien, la sélégiline(1) (Selgian®) est préférée si le comportement exploratoire et alimentaire est modifié et si les troubles digestifs prédominent ;

- la clomipramine, peut également être administrée, notamment en cas d’agressions ou de malpropreté.

La thérapie comportementale consiste à rendre le milieu conforme aux besoins éthologiques du chat. Il convient donc de :

- distribuer la nourriture ad libitum (nourriture cachée, plusieurs gamelles placées en hauteur et à distance de la litière) ;

- proposer des jeux, des mobiles à capturer ;

- fournir des cachettes et des possibilités d’escalader ;

- fournir un lieu d’observation vers l’extérieur.

Pour rendre le milieu apaisant, l’emploi des phéromones d’identification (Feliway®) est particulièrement recommandée.

Ces mesures qui visent à modifier l’environnement sont utilisables pour tous les troubles anxieux du chat quels que soient leur origine et leur stade (anxiété permanente ou intermittente).

Enfin, chez le chat anxieux, les punitions (très utilisées surtout en cas de malpropreté) sont contre-indiquées car elles sont anxiogènes et peuvent déclencher de violentes agressions. Il est préférable de mettre en œuvre des processus disruptifs (bruit ou spray d’eau).

L’anxiété permanente de privation

L’anxiété permanente de privation peut apparaître d’emblée ou suivre une anxiété intermittente. Elle est associée aux éléments caractéristiques de l’anxiété permanente.

• L’état d’inhibition est marqué et les champs d’activité sont réduits. Les animaux explorent peu ou pas du tout leur territoire, et ce dès leur adoption : certains restent terrés sous un meuble plusieurs jours après leur arrivée dans leur nouvel univers [6].

• Le marquage facial est diminué ou absent, et du marquage urinaire ou de l’élimination dans des endroits inappropriés surviennent parfois.

• Le champ d’agression est nul, et ces animaux sont décrits comme craintifs, mais “gentils”.

• L’apparition d’activités substitutives est fréquente.

• La boulimie est source d’obésité [2] (de nombreux chats obèses entrent dans cette catégorie), mais elle est bien supportée par les propriétaires et fait l’objet de peu de demandes de consultations.

• L’alopécie extensive féline (AEF) est également présente dans l’anxiété de privation (PHOTOS 2a. Elle fait suite à une perturbation du comportement de toilettage : celui-ci est excessif et certaines régions sont plus léchées que d’autres. Les zones alopéciques sont principalement localisées sur les faces internes des cuisses, sur l’abdomen (bas du ventre) (PHOTOS 2b) et sur la ligne du dos. Il convient toutefois de ne pas écarter les autres causes d’AEF.

Le diagnostic repose sur la mise en évidence d’une anxiété permanente, présente depuis l’acquisition, chez un chat qui s’est développé en milieu hypostimulant, ou d’une anxiété intermittente ayant évolué en anxiété permanente.

Le traitement médical a pour objectif de stabiliser l’état anxieux et de relancer le comportement exploratoire :

- la sélégiline(1) (Selgian®) à la dose de 1 mg/kg en une prise est indiquée ;

- la clomipramine(1) (Clomicalm®) à la dose de 0,3 à 0,5 mg/kg en une prise donne également de bons résultats ;

- dans les états d’inhibition sévères, le recours à la miansérine(2) (Athymil®) à la dose de 1 à 2 mg/kg en deux prises est intéressant.

L’utilisation de Feliway® permet de lutter contre le marquage urinaire et d’initier le balisage du territoire.

3. Le stade 3 (dépression de privation)

Le stade 3 du syndrome de privation (stade dépressif chronique) tel qu’il est décrit chez le chien ne semble pas exister chez le chaton. Il s’agirait plutôt d’une dépression aiguë dont le pronostic est réservé en raison de l’anorexie persistante qu’elle engendre.

Pronostic et prévention des troubles de l’homéostasie sensorielle

Les troubles de l’homéostasie sensorielle perturbent les capacités d’adaptation du chaton. La vie en famille est souvent difficile et ces troubles sont de mauvais pronostic en l’absence de traitement. Les phobies sociales, et surtout le syndrome HS/HA, évoluent régulièrement en hyperagressivité et les demandes d’euthanasie sont alors fréquentes. L’anxiété est également une évolution classique. Elle résulte des difficultés que rencontrent ces chatons à s’apaiser. Dans l’anxiété permanente, les activités substitutives apportent cet apaisement et leurs conséquences (obésité, léchage exacerbé) ne gênent pas toujours les propriétaires qui décrivent souvent l’animal comme normal.

Le développement comportemental du chaton est rapide. Cependant, malgré de mauvaises conditions environnementales, il existe une plasticité du processus. Même lorsque la période sensible est dépassée, certains “rattrapages” au moins partiels sont possibles : d’où l’importance de la détection précoce et de la prévention.

Les praticiens voient les chatons précocement en raison des consultations vaccinales et ils doivent en profiter pour dépister les troubles de l’homéostasie sensorielle en vérifiant les points suivants :

- origine du chaton ;

- tolérance aux manipulations ;

- réactions aux bruits ;

- observation du comportement exploratoire ;

- évaluation du réflexe de portage (le chaton suspendu par la peau du cou doit se recroqueviller en position fœtale et s’immobiliser. Ce réflexe est négatif s’il se met en hyperextension et se débat) [1] ;

- évaluation du contrôle de la morsure et de la griffade (par observation des mains des propriétaires).

Si des points anormaux sont détectés dès le plus jeune âge, il est encore temps de prendre des mesures éducatives afin d’éviter l’aggravation des troubles.

L’observation fréquente de ces troubles en clientèle doit inciter les éleveurs à mettre en place une stratégie de prévention en conseillant aux particuliers d’éviter :

- l’adoption précoce d’un chaton ;

- l’adoption d’un chaton sauvage récupéré dans un hangar ou un entrepôt, sauf s’il vit dans une maison avec jardin et qu’il a la possibilité de sortir librement ;

- le nourrissage au biberon d’un chaton orphelin (sauf si celui-ci est en présence d’un chat ou d’un chien auquel il peut s’attacher). En effet, dans ce cas, l’éducation maternelle fait défaut : la socialisation est mauvaise et, surtout, les autocontrôles se mettent difficilement en place. Malgré la bonne volonté des propriétaires, le développement comportemental du chaton est rarement normal.

Conclusion

Les troubles de l’homéostasie sensorielle chez le chaton font l’objet de peu de demandes de consultations, sans doute parce que les désagréments sont considérés comme minimes (chats ne sortant pas, pas de vocalises ni de destructions). Beaucoup de citadins acquièrent des chatons à la campagne ou recueillent des animaux abandonnés, et la cohabitation peut s’avérer décevante. S’il est difficile de conseiller les particuliers avant l’acquisition de l’animal car le praticien est rarement consulté à ce stade, en revanche, il convient d’inclure dans les visites vaccinales une évaluation comportementale du chaton. En effet, la détection précoce de ces troubles permet de mettre en place un traitement, faute de quoi l’évolution est rapide. Il est parfois difficile de convaincre les propriétaires du bien-fondé du traitement, qui, s’il est tardif, donne des résultats partiels et inconstants. Peu de psychotropes ont, à l’heure actuelle, une autorisation de mise sur le marché chez les chats, ce qui oblige à recourir à la pharmacopée humaine ou aux présentations pour chien. L’essor actuel de l’étude des troubles du comportement chez le chat devrait ouvrir des perspectives de traitements plus adaptés. Une meilleure information du public devrait en outre placer le praticien comme un interlocuteur privilégié pour conseiller les futurs adoptants.

  • (1) Pas d’AMM validée dans cette espèce pour cette indication.

  • (2) Médicament à usage humain.

Développement comportemental du chaton

Période néonatale

La période néonatale s’étend de zéro à dix jours.

Il fonctionne essentiellement sur un mode réflexe :

- le réflexe de fouissement ;

- le réflexe labial ;

- le réflexe périnéal.

La chatte s’attache à ses chatons pendant cette période.

Période de transition

La période de transition dure environ du dixième au vingtième jour. L’olfaction, l’audition et la vision se mettent en place. Les capacités motrices apparaissent et le chaton se déplace de façon autonome. Cette phase constitue la période d’attachement du petit à sa mère.

Période de socialisation

La période de socialisation s’étale de la deuxième à la septième semaine. À ce moment se mettent en place la socialisation, les autocontrôles et l’homéostasie sensorielle.

La socialisation intraspécifique commence dès le processus d’attachement et d’imprégnation. La socialisation inter-spécifique est moins facile et moins stable. Elle est conditionnée par des contacts répétés et agréables.

ATTENTION

Le développement comportemental du chaton est très rapide. Il s’effectue parallèlement à la croissance et à la maturation du système nerveux central. Au cours de cette période, l’influence des conditions environnementales est capitale.

ATTENTION

Le seuil d’homéostasie sensorielle s’établit pendant la période sensible. Il ne peut se mettre en place que grâce à l’attachement sécurisant et ou éventuellement grâce à une éducation précoce qui favorise l’acquisition des autocontrôles. La présence maternelle et le développement dans un environnement riche en stimulations sont les garants d’une bonne adaptabilité du chaton.

Signes cliniques du déficit des autocontrôles chez le chaton

• L’élément qui domine est le défaut d’inhibition de la morsure et de la rétraction des griffes.

• Une hypermotricité globale est généralement associée.

• Un déficit de la satiété alimentaire peut également être observé.

• Le sommeil est également modifié et la quantité globale de sommeil est diminuée.

• Ils sont souvent malpropres avec des marquages urinaires nombreux. Les marquages faciaux sont également perturbés.

ATTENTION

Les troubles de l’homéostasie sensorielle doivent être détectés et traités le plus précocement possible car leur évolution est rapide. Certains évoluent régulièrement en hyperagressivité, qui entraîne de fréquentes séparations par abandon ou l’euthanasie.

Points forts

Le développement comportemental du chaton est rapide. Un environnement stimulant et la présence de la mère (ou d’un adulte éducateur) permettent l’établissement d’un seuil d’homéostasie sensorielle correct, garant de l’équilibre psychologique et de l’adaptabilité du chaton.

Lors de syndrome d’hypersensibilité-hyperactivité, le chaton est agité, contrôle mal ses griffes et ses morsures, et présente souvent de la boulimie.

Lors de syndrome de privation, le chaton s’adapte difficilement à la vie en famille : il est craintif, inhibé, mal socialisé et parfois agressif.

Les troubles de l’homéostasie sensorielle évoluent vite. Aussi convient-il de les détecter dès les consultations vaccinales et de mettre rapidement un traitement en place.

En savoir plus

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- Bourdin M. Endocrinologie et troubles du comportement. Point Vét. 2000;31, n° spécial “Endocrinologie”:625-632.

- Dramard V, Pageat P. Les urgences en éthologie. Point Vét. 1998;29, n° spécial “Les urgences chez les carnivores domestiques”:623-629.

- Dramard V, Hannier I. La dépression réactionnelle chez le chat. Point Vét. 1996;27(173):985-990.

- Chaurand J-P. À propos de la dépression réactionnelle chez le chat. Point Vét. 1996;28(175):8-9.

- Giffroy J-M. Thérapies comportementales. 2. Utilisation chez les carnivores. Point Vét. 1990;22(131):591-601.

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- Pageat P. Éthologie. Point Vét. 1996; 28, n° spécial “Affections héréditaires et congénitales”:601.

- Pageat P. Confort et bien-être des carnivores domestiques. Point Vét. 1995;26(165):1011-1019.

À lire également

a - Bourdin M. Les troubles du comportement alimentaire. L’Action Vétérinaire. 1997;1390:17-24.

b - Camax A. Comportement agressif chez une jeune chatte. L’Action Vétérinaire. 1999;1497:18-23.

c - Dramard V. L’anxiété chez le chat. La Dépêche Vétérinaire. N° 699.

d - Dramard V. Cas clinique. Chat HS/HA. La Dépêche Vétérinaire. N° 683.

  • 1 - Béata C. Le chat agressif. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1999;34:473-476.
  • 2 - Chaurand JP, Gagnon AC, Larue JF. Comportement du chat et ses troubles. 2e ed. Ed. Point Vét. 1995;286 pages.
  • 3 - Dehasse J, De Buyser C. L’éducation du chat. Ed. de l’Homme. 1993:141 pages.
  • 4 - Viallet F. Troubles de l’élimination chez une chatte. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 2000;35:667-669.
  • 5 - Neville P. Traitement des troubles du comportement chez le chat. Vet. Record. Septembre 1991;29:35.
  • 6 - Overall KL. Clinical behavioural medicine for small animals. Mosby-year book, Inc. 1997;544 pages.
  • 7 - Pageat P. Pathologie du comportement du chien. 2e ed. Ed. Point Vét. 1998;382 pages.
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