Éjointage par section des carpométacarpes - Le Point Vétérinaire n° 230 du 01/11/2002
Le Point Vétérinaire n° 230 du 01/11/2002

CONTENTION DES OISEAUX EN SEMI-LIBERTÉ

Se former

EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Éric Plouzeau*, Yannick Roman**

Fonctions :
*Jardin Zoologique
de la Ville de Lyon
Parc de la Tête d’Or
69006 Lyon
**Muséum National
d’Histoire Naturelle
Parc Zoologique de Clères
76690 Clères

L’éjointage, amputation partielle de l’aile, est pratiqué pour empêcher le vol d’oiseaux exotiques en “semi-liberté”. Une technique chirurgicale éthique devrait se substituer aux pratiques empiriques.

L’éjointage est une amputation unilatérale partielle de l’aile qui déséquilibre l’oiseau, afin d’empêcher le vol de façon irréversible. De nombreuses techniques ont été décrites, et un débat de fond existe sur la justification d’une opération mutilante de cet ordre.

Pourquoi avoir recours à une amputation ?

Les oiseaux carinates sont des vertébrés parfaitement adaptés au vol. Ils ont développé une musculature puissante qui vient s’insérer sur des os pneumatiques, donc allégés. Cette musculature est recouverte de plumes, phanères propres aux oiseaux, dont l’agencement constitue une surface alaire portante. Contrairement aux espèces habituellement rencontrées en clientèle vétérinaire, les oiseaux (à quelques exceptions près) évoluent en trois dimensions.

En captivité, ils sont généralement entretenus en cages ou en volières. Cependant, chez les particuliers comme dans les parcs zoologiques et les jardins publics, on trouve des oiseaux en semi-liberté dans de vastes enclos, généralement pourvus d’une mare ou d’un étang. Ces modes de présentation impliquent un moyen de contenir l’oiseau dans les limites de l’enclos en empêchant le vol [3].

L’éjointage est alors une technique qui permet de :

• restreindre les capacités de vol d’oiseaux terrestres ou aquatiques, adultes ou en fin de croissance, entretenus en captivité dans un espace ouvert :

• ansériformes (oies, canards et cygnes) ;

• galliformes (faisans, pintades) ;

• phoenicoptériformes (flamants) ;

• gruiformes (grues) ;

• pélécaniformes (pélicans) ;

• exceptionnellement psittacidés (perroquets et perruches).

• prévenir l’évasion d’espèces exotiques susceptibles de coloniser les milieux européens.

Cependant, pour leur bien-être, l’éjointage d’oiseaux dont le mode de vie n’est pas étroitement associé aux milieux terrestres ou aquatiques ne doit pas être réalisé. Ces oiseaux devraient être entretenus en volières.

Quelles sont les autres techniques de neutralisation du vol ?

Il est possible de couper aux ciseaux les rémiges secondaires d’une aile en prenant soin de conserver les deux dernières, par souci d’esthétisme. L’oiseau déséquilibré ne peut plus prendre son envol. Toutefois, cette précaution n’est que temporaire, car les plumes coupées sont remplacées lors de la mue suivante [3, 10]. Cette pratique n’est donc pas généralisable à un large groupe d’oiseaux, au risque de voir quelques spécimens recouvrer la liberté. Dans le cas d’espèces exotiques, les individus évadés peuvent éventuellement coloniser une partie de notre territoire, ou encore s’hybrider avec des espèces européennes phylogéniquement proches. Par exemple, une colonie d’Ibis sacrés Threskiornis aethiopicus est présente dans l’estuaire de la Vilaine. Elle est issue des spécimens évoluant en vol libre dans un parc zoologique voisin [4].

Des techniques de ténectomie, de névrectomie, de patagiectomie ou d’ankylose articulaire ont été décrites [1, 7, 10]. Elles visent à limiter définitivement le déploiement de l’aile en préservant son intégrité anatomique. L’idée est certes séduisante, mais certaines techniques sont éthiquement irrecevables, d’autres franchement inefficaces.

Quel comportement dicte la législation ?

La loi (texte sur la protection de la nature et Code rural : arrêté du 14 octobre 1978 au Journal officiel) interdit, sauf raisons médicales, la stérilisation, le dégriffage et le limage des canines pour toutes les espèces sauvages, protégées ou non. Seul l’éjointage des oiseaux de parcs zoologiques est toléré comme technique de contention, parce que deux textes de loi sont en opposition : l’article L 211-1 du Code rural qui interdit toute mutilation d’espèces protégées et la loi sur la protection de la faune qui autorise l’éjointage comme moyen de contention : « Les animaux ne doivent pas subir d’interventions chirurgicales modifiant leur comportement, exception faite de l’éjointage des oiseaux laissés en liberté » [a].

Dans ce contexte, le vétérinaire veillera à toujours conseiller au propriétaire d’oiseaux la construction de volières spacieuses et équipées de perchoirs, d’abris et de végétation. Dans le cas d’oiseaux en semi-liberté, il convient toutefois de proposer une solution définitive : l’éjointage.

Quelles sont les méthodes d’éjointage ?

L’éjointage des poussins de moins de trois semaines reste une intervention extrêmement simple, comparable à la coupe de queue chez le chiot. La technique, décrite dans diverses publications [1, 10], mériterait toutefois d’être réactualisée.

L’éjointage des oiseaux adultes par désarticulation est possible, mais l’alula (voir l’ENCADRÉ “L’aile des oiseaux : rappels anatomiques” et les FIGURES “Anatomie osseuse de l’aile des oiseaux” et “Disposition des rémiges primaires et secondaires”) disparaît avec l’amputation et ne protège plus le moignon de chocs éventuels. Ce moignon inesthétique reste visible du public, ce qui confère à l’oiseau un aspect disgracieux.

L’éjointage d’un oiseau adulte par amputation des carpométacarpes préserve le pouce de l’animal, donc la couverture et la protection du moignon. La technique décrite par P. Ciarpaglini [3] en 1986 consiste en une section de la main sous garrot sanguin, chez un oiseau vigile. L’hémostase est assurée par un pansement compressif à l’issue de la section osseuse. Nous proposons ici le mode opératoire décrit par J.H. Olsen [10], avec quelques variations d’ordre pratique.

Comment préparer l’oiseau avant l’éjointage ?

1. Anesthésie et contention

L’éjointage des oiseaux adultes implique une anesthésie générale. L’anesthésie volatile (isoflurane(1) avec induction au masque) procure un confort opératoire que les anesthésiques fixes n’atteignent pas. Toutefois, l’association médétomidine(2) (Domitor®) - kétamine(2) (Imalgène®), avec réversion par l’atipamézole(2) (Antisédan®), donne de bons résultats chez de nombreuses espèces d’oiseaux [2]. Le protocole suivant peut être utilisé :

- médétomidine (Domitor®) 200-250 mg/kg en intramusculaire + kétamine (Imalgène®)6-15 mg/kg en intramusculaire, suivant les espèces. Une seule injection permet généralement de réaliser toute l’intervention.

- réversion en fin de chirurgie : atipamézole 5 mg par mg de médétomidine administré, c’est-à-dire Antisédan® en intramusculaire, à volume équivalent au volume de Domitor® injecté.

L’animal est placé en décubitus latéral, les pattes attachées à la table d’opération. Un aide maintient l’aile à éjointer en position verticale, puis l’incline au cours de l’intervention, pour faciliter l’accès du chirurgien tantôt à la face dorsale, tantôt à la face ventrale.

2. Préparation du site opératoire

La zone opératoire, située entre l’articulation carpienne et le milieu des carpométacarpes, doit être totalement plumée (PHOTOS 1 ET 2). Il convient généralement d’extraire les rémiges primaires n° 1 à 3 (voir l’ENCADRÉ “L’aile des oiseaux : rappels anatomiques” et les figures “Anatomie osseuse de l’aile des oiseaux” et “Disposition des rémiges primaires et secondaires”), de façon à dégager la zone d’incision cutanée. Les plumes qui résistent à l’extraction seront facilement dégagées grâce à une petite incision de la peau le long du follicule plumeux. Il convient d’éviter de plumer l’alula, qui est nécessaire afin de protéger le moignon d’éventuels chocs (contre un grillage par exemple) pendant la cicatrisation.

L’antisepsie de la peau est réalisée par application de polyvidone iodée ou de chlorhexidine. En revanche, l’utilisation d’alcool à 70° entraîne régulièrement d’intenses irritations cutanées.

Afin de préserver le site opératoire des poussières émises par le plumage, il est utile de sectionner l’extrémité des rémiges primaires restantes et de les enrober de bande adhésive (très pratique mais non stérile) ou, mieux encore, d’un champ adhésif stérile. Les plumes de l’alula sont enveloppées de la même manière et un champ simple isole le corps de l’oiseau.

La pose d’un garrot peropératoire, préconisée par certaines publications, n’est pas nécessaire dans cette technique si aucune lésion vasculaire n’est accidentellement provoquée par le geste chirurgical.

Quels sont les différents temps de l’intervention chirurgicale ?

1. Phase I : abord chirurgical

La ligne d’amputation passe par la partie proximale des carpométacarpes II et III, qui correspond à l’implantation de la rémige primaire n° 2 (voir l’ENCADRÉ “L’aile des oiseaux : rappels anatomiques” et les FIGURES “Anatomie osseuse de l’aile des oiseaux” et “Disposition des rémiges primaires et secondaires”). La peau est incisée au bistouri à distance de l’articulation afin de conserver des tissus pour la formation d’un moignon. Les tissus sous-jacents tels que muscles et fascias, extrêmement fins dans cette zone, sont délicatement décollés aux ciseaux de Mayo ou de Metzenbaum courbes. La peau et les tissus sous-cutanés sont réclinés vers l’extrémité proximale de l’aile, mettant à jour les carpométacarpes II et III (PHOTO 3).

2. Phase II : hémostase

Pendant l’abord chirurgical, il convient de ligaturer avec soin les veines superficielles visualisées lors du décollement de la peau.

L’artère carpométacarpienne ventrale (ou interosseuse), qui longe le bord interne du carpométacarpe III, est traitée individuellement afin d’éviter un saignement excessif lors de la section osseuse.

Cette artère est située entre les métacarpes II et III soudés à leurs extrémités et court le long du métacarpien III. Elle émane de l’artère interosseuse, qui se trouve entre le radius et l’ulna et qui ne correspond pas à l’artère radiale des autres Vertébrés. L’artère interosseuse est elle-même issue de l’artère brachiale [9].

À ce stade, deux possibilités s’offrent à l’opérateur (voir la FIGURE “Hémostase de l’artère carpométacarpienne ventrale, ligne d’amputation”).

• L’artère est ligaturée contre le carpométacarpe III, en prenant en masse le maximum de tissu interosseux. Puis une seconde ligature est posée, qui englobe les deux carpométacarpes. Cette technique, décrite par J.H. Olsen [10], assure une hémostase parfaite lors de la section osseuse.

• L’artère est ligaturée simplement, sans englober les carpométacarpes. Nous utilisons cette technique simplifiée avec succès chez de nombreux ansériformes et galliformes. Il convient toutefois de faire passer l’aiguille de suture au plus près du carpométacarpe III, afin de ne pas léser l’artère lors de sa ligature (PHOTO 3).

Dans tous les cas, les ligatures d’hémostase sont placées au plus près de la fusion proximale des carpométacarpes.

En période de mue, la repousse des plumes induit une vascularisation importante de l’aile qui peut augmenter le risque d’hémorragies per - ou postopératoires, mais qui ne constitue pas une contre-indication formelle pour l’intervention.

3. Phase III : section osseuse

Les carpométacarpes sont sectionnés (PHOTO 4) au moyen de ciseaux pour les oiseaux de taille moyenne ou à l’aide d’une scie-fil pour les oiseaux de grande taille. Il est nécessaire d’utiliser des ciseaux parfaitement coupants, afin d’éviter la formation d’esquilles osseuses. Lorsque des esquilles apparaissent, il convient de les retirer. Si l’extrémité de l’os sectionné est trop aiguë, il est nécessaire de la retoucher.

Lorsque le geste est correctement réalisé, aucun saignement majeur n’est observé. Dans le cas contraire, il convient de poser de nouvelles sutures vasculaires sur l’artère carpométacarpienne interosseuse, comme décrit précédemment.

4. Phase IV : formation et protection du moignon

Le moignon est formé par suture des tissus réclinés. Une pommade à base de sulfamides peut être utilisée en couverture de la plaie chirurgicale. Il est ensuite préférable de poser un pansement collé pendant 24 à 48 heures (PHOTO 5). L’expérience montre qu’il convient d’ancrer celui-ci sur le bras, sans trop serrer la bande adhésive, afin d’éviter que l’oiseau ne l’arrache avec le bec. Aucune antibiothérapie n’est nécessaire si la chirurgie a été effectuée de façon aseptique.

En quoi consiste le suivi postopératoire ?

Après 24 à 48 heures, le pansement est retiré pour vérifier l’état du moignon. Il apparaît parfois une couleur verdâtre, sans odeur associée, qui témoigne d’une simple résorption sanguine sous-cutanée. Les complications postopératoires sont extrêmement rares. Des hémorragies externes (mauvaise hémostase ou choc contre un grillage), une infection de la plaie chirurgicale ou une nécrose anoxique due à un pansement trop serré surviennent parfois.

Quel est l’avenir de cette méthode ?

L’éjointage reste une opération nécessaire tant que la présentation d’oiseaux exotiques en semi-liberté dans des espaces ouverts est d’actualité. C’est en effet le seul moyen de préserver la biodiversité aviaire européenne de colonisations accidentelles par des compétiteurs exotiques échappés d’élevages ou de jardins zoologiques.

Dans ce contexte, il est pertinent de promouvoir la réalisation de grandes volières d’oiseaux évoluant en vol libre tant chez les particuliers que dans les élevages ou dans les parcs zoologiques. Ces derniers établissements adoptent de plus en plus fréquemment cette option ; le public a la possibilité de pénétrer dans les volières après franchissement d’un sas qui évite l’évasion des oiseaux. Là, il est possible d’admirer dans les trois dimensions la vraie nature de ces magnifiques animaux façonnés pour le vol.

Conclusion

Par respect du bien-être animal, l’éjointage des oiseaux de cages et de volières est à éviter. Dans le cas d’oiseaux évoluant librement dans des enclos ouverts une amputation de la main est souvent nécessaire. L’éjointage des oiseaux adultes est réalisé dans le respect des règles de la chirurgie vétérinaire, qui incluent une anesthésie de l’oiseau et une hémostase peropératoire correctes. Les oiseaux qui ont subi un éjointage parfait arrivent parfois à franchir les clôtures de leur enclos les jours de grand vent [5].

  • (1) Médicament à usage humain.

  • (2) Pas d’AMM validée pour cette espèce.

L’aile des oiseaux : rappels anatomiques

La ceinture pectorale est composée de trois os pairs, les omoplates (ou scapula), les coracoïdes et les clavicules. Le squelette du bras est formé par l’humerus. L’avant-bras, support des rémiges secondaires, correspond au radius et à l’ulna. La main est formée d’un pouce vestigial faiblement emplumé qui porte l’alula, du doigt III atrophié et des phalanges 1 et 2 du doigt II. Les métacarpes ont fusionné avec des os du carpe pour former un cadre rigide : les os carpométacarpiens II et III. Notons que dans de nombreux ouvrages de médecine aviaire, les carpométacarpes II et III sont appelés métacarpes III et IV.

La main des oiseaux carinates compte de neuf à onze rémiges primaires, dont les follicules richement vascularisés s’implantent en profondeur dans les tissus. Ces rémiges primaires sont numérotées de façon centrifuge à partir de l’articulation du carpe [6].

D’après [1, 8].

Remerciements :

L’auteur tient à remercier le docteur J.-P. André et le professeur Y. Ligneureux pour leurs précisions sur l’anatomie de l’aile des oiseaux.

Points forts

Le Code rural interdit toute mutilation d’espèces protégées, mais la loi sur la protection de la faune autorise l’éjointage comme moyen de contention.

La coupe aux ciseaux des rémiges secondaires d’une aile n’empêche le vol que temporairement car les plumes coupées sont remplacées lors de la mue suivante.

L’éjointage par désarticulation des oisillons est aisé ; il s’apparente à la caudectomie du chiot. L’éjointage des oiseaux adultes implique une anesthésie générale.

Par respect du bien-être animal, l’éjointage des oiseaux de cages et de volières doit, autant que possible, être évité. Il est à réserver aux oiseaux évoluant librement dans des enclos ouverts.

À lire également

a - Arrêté du 21 août 1978, relatif aux règles générales de fonctionnement et au contrôle des établissements présentant au public des spécimens vivants de la faune locale ou étrangère. Journal officiel N.C. du 14 Octobre 1978.

  • 1 - André JP. Les maladies des oiseaux de cages et de volières. Maisons-Alfort. Ed. Point Vét. 1990:380 pages.
  • 2 - Berthier JL, Bomsel MC, Gerbet S. Anesthésie des animaux sauvages : association métédomidine-kétamine et atipamézole. Point Vét. 1995;27(171):651-656.
  • 3 - Ciarpaglini P. L’éjointage des oiseaux. Rec. Med. Vet. 1986;162(3):349-354.
  • 4 - Collectif. Inventaire de la Faune de France. Vertébrés et principaux invertébrés. Paris, Muséum National d’Histoire Naturelle éd.1992:415 pages.
  • 5 - Gandal CP. Anesthetic and surgical techniques. In : Petrak ML. Diseases of cage and aviary birds. 2nd ed. Philadelphie, Lea & Febiger Ed. 1982 : 304-328.
  • 6 - Ginn MB, Melville DS. Moult in birds. BTO guide. 1983;19:6-31.
  • 7 - Mangili G. Unilateral patagiectomy : a new method of preventing flight in captive birds. International Zoo Yearbook 1971;11:252-254.
  • 8 - Nickel R, Schummer A, Seiferle E. Anatomy of the domestic birds. Berlin, Verlag Paul Parey ed. 1977:202 pages.
  • 9 - Portmann A. Les organes de la circulation sanguine, p 242-256. In : Grassé P : Traité de zoologie, anatomie, systématique, biologie. Tome XV, Oiseaux. Masson et Cie éd. Librairies de l’Académie de Médecine, Paris, 1950:1164 pages.
  • 10 - Olsen JH. Anseriformes. In : Ritchite BW, Harrisson GJ, Harrisson LR. Avian medicine, principles and application. Lake Worth, Wingers Publishing ed.1994:1237-1275.
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