Mortalité dans un lot de veaux après une vaccination “illégale” - Le Point Vétérinaire n° 229 du 01/10/2002
Le Point Vétérinaire n° 229 du 01/10/2002

COUPABLE MAIS PAS RESPONSABLE

Pratiquer

LÉGISLATION

Auteur(s) : Philippe Tartera

Fonctions : 6 impasse Salinié, 31100 Toulouse

Une sévère épizootie de “grippe” se déclare dans un lot de veaux trois jours après leur vaccination avec un vaccin RSV retiré du marché et délivré de manière illégale.

1. Les faits : Commande de médicaments en gros

Début janvier 1998, M. Éleveur passe une commande de médicaments vétérinaires auprès de M. Démarcheur. Ce dernier agit comme courtier du Dr Véto, gérant d’une Selarl(1) vétérinaire établie à plus de 200 km de l’exploitation. Les médicaments sont livrés le 5 janvier avec une ordonnance de régularisation. Parmi eux se trouvent cinq flacons de dix doses de Vacorès®, vaccin contre l’infection des bovins par le virus respiratoire syncytial (RSV) produit par le laboratoire Merial.

Le 5 mars, M. Éleveur vaccine les cinquante veaux de son élevage, d’un poids moyen de 300 kg, avec ce produit. Le 8 mars, tous les animaux présentent des symptômes de grippe. Ils sont traités par le Dr Local, vétérinaire traitant de l’élevage. Malgré les soins, trois veaux meurent des suites d’un œdème pulmonaire dans le courant du mois.

Le Dr Local apprend alors à M. Éleveur que la commercialisation de Vacorès® a été suspendue par le laboratoire le 26 janvier. Il précise que ce dernier a avisé tous les distributeurs que cette suspension faisait suite « au signalement de quelques cas de problèmes respiratoires complexes, isolés et imprévisibles, d’origine indéterminée, survenus malgré la vaccination ».

M. Éleveur assigne le Dr Véto, en lui reprochant de ne pas l’avoir averti en temps utile. Il demande le remboursement du vaccin, des traitements administrés aux cinquante veaux et du préjudice dû à la perte de trois veaux. Il dénonce les pratiques illicites du Dr Véto à la direction des services vétérinaires.

2. Le jugement : Condamnation pénale

Deux procédures sont alors engagées à l’encontre du Dr Véto :

- l’une sur le plan pénal, visant à rechercher si le Dr Véto s’est rendu coupable d’infractions à la législation en vigueur ;

- l’autre sur le plan civil, visant à réparer le préjudice subi par M. Éleveur en raison de la vente d’un vaccin potentiellement “dangereux”.

Par jugement correctionnel du tribunal de grande instance, le Dr Véto est condamné pénalement à 7 620 euros d’amende pour avoir :

- délivré au détail des médicaments vétérinaires alors qu’ils étaient destinés à des animaux auxquels il ne donnait pas personnellement des soins et dont la surveillance sanitaire ne lui était pas régulièrement confiée ;

- sollicité des commandes de médicaments vétérinaires auprès du public par l’intermédiaire d’un courtier.

Ces faits sont des infractions constituées au Code de la santé publique(2).

Sur le plan civil, la procédure n’aboutit pas.

3. Pédagogie du jugement : Le vaccin hors de cause

La condamnation pénale du Dr Véto ne constitue pas une surprise. Celui-ci utilisait un réseau de démarcheurs pour délivrer des médicaments par correspondance dans de nombreux élevages répartis sur tout le territoire national. Les livraisons étaient régularisées a posteriori par des ordonnances. Ces faits sont clairement contraires à la loi sur la pharmacie vétérinaire.

Il est clair aussi qu’en omettant d’avertir son client de la suspension du vaccin, le Dr Véto a manqué à son devoir d’information. Toutefois, il n’a pas été possible de démontrer que l’utilisation du vaccin a provoqué les troubles observés chez M. Éleveur. Le vaccin étant inactivé, il n’a pu entraîner l’infection virale. Le défaut d’efficacité ne pouvait pas être invoqué non plus, puisque les symptômes sont apparus trois jours après la première injection de primovaccination. Or, comme tous les vaccins contre le RSV, Vacorès® nécessite deux injections à trois semaines d’intervalle et la protection n’est effective qu’une semaine après la seconde injection.

Il semble que la suspension de Vacorès® ait fait suite à l’apparition de plusieurs cas d’exacerbation pathologique des symptômes chez des bovins correctement vaccinés, infectés secondairement par le RSV. Dans le cas de cet élevage, l’intervention du RSV n’a pas été démontrée car le diagnostic étiologique des troubles observés n’a pas été réalisé. Le vaccin a en outre manifestement été administré pendant la période d’incubation de la maladie (la durée d’incubation d’une infection par le RSV ou par la plupart des autres agents infectieux responsables de troubles respiratoires est de quatre à cinq jours).

Ces éléments techniques n’ont pas permis de mettre en cause la vaccination. La relation de causalité entre le défaut d’information de la part du Dr Véto et le préjudice n’a donc pu être établie.

Il n’est pas inutile de préciser que si les troubles observés dans le cheptel de M. Éleveur avaient pu être imputés à la vaccination, le dommage n’aurait pas été pris en charge par l’assureur en responsabilité civile professionnelle (RCP) du Dr Véto. Ce dernier aurait dû indemniser son client sur ses fonds propres. En effet, aucun contrat de RCP ne garantit les conséquences des actes « contraires aux lois et aux réglementations en vigueur ».

(1) Selarl : société d’exercice libéral à responsabilité limitée.

(2) Respectivement articles L. 610 et L. 617-24 recodifiés en articles L. 5442-3, alinéa 1er, L. 5143-9, alinéa 1er, et L. 5143-2. Voir aussi l’article R. 5194 pour la prescription des substances vénéneuses (ce qui n’est pas le cas ici pour des vaccins)

En savoir plus

- Maillard R. Gestion des échecs de vaccination en espèce bovine. Vaccins et immunité. Journées nationales GTV 2001, Clermont-Ferrand : 165-170.

- Schreiber P et coll. Taux de mortalité élevé associé à une infection par le virus respiratoire syncytial bovin chez des veaux de race blanc bleu belge précédemment vaccinés par un vaccin inactivé contre le VRSB. J. Vet. Med. B. 2000 ; 47 : 535-550.

- Thiry E, Douart A. Stratégies vaccinales pour la prévention des maladies respiratoires du bétail. Vaccins et immunité. Journées nationales GTV 2001, Clermont-Ferrand : 145-156.

- Thiry E, Pastoret PP, Valarcher JF, Schelcher F. La vaccination contre le virus respiratoire syncytial bovin. Bull. GTV. 1999-2000 ; 5 : 335-340.

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