Traitement médical des fistules périanales - Le Point Vétérinaire n° 228 du 01/09/2002
Le Point Vétérinaire n° 228 du 01/09/2002

PROCTOLOGIE DU CHIEN

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COURS

Auteur(s) : Véronique Clerc*, Didier Fau**

Fonctions :
*46, rue du Maréchal-Delattre de-Tassigny 94700 Maisons-Alfort
**Service de chirurgie ENVL

Associés à l’antibiothérapie et/ou à des soins locaux, les immunosuppresseurs par voie générale ou locale révolutionnent l’approche thérapeutique des fistules périanales chez le chien.

Il y a quelques années, le traitement médical des fistules périanales chez le chien (PHOTO 1) était encore nettement insuffisant, parfois même très décevant. Le recours au traitement chirurgical était alors presque systématiquement nécessaire. Cependant, la découverte de l’intervention d’un dérèglement immunitaire dans la pathogénie des fistules périanales a mis les traitements immunosuppresseurs à l’ordre du jour (voir le TABLEAU “Traitement médical des fistules périanales chez le chien : protocoles thérapeutiques“). Ces derniers se montrent efficaces et prometteurs.

Traitement par voie générale

1. Antibiothérapie

L’antibiothérapie seule ou associée à des soins locaux est insuffisante. Si elle réduit les lésions et guérit provisoirement l’animal dans certains cas, l’affection récidive le plus souvent à l’arrêt du traitement.

En outre, l’antibiothérapie est parfois néfaste car elle permet l’extension à bas bruit des fistules, qui envahissent tout le pourtour de l’anus.

Les antibiotiques cités dans la littérature comme étant les plus efficaces sont : la lincomycine, la clindamycine, les associations amoxicilline et acide clavulanique, la spiramycine et le métronidazole, l’association sulfamide et triméthoprime, le chloramphénicol, la tobramycine, la gentamicine et la céphalotine [1, 2, 4, 5, 14].

2. Thérapie immunosuppressive

Corticoïdes

L’activité immunosuppressive des corticoïdes est utile dans le traitement des fistules périanales.

Un protocole qui associe corticoïdes et alimentation hypoallergénique a été mis en place par une équipe américaine [7] :

- prednisone par voie orale à raison de 2 mg/kg/j pendant deux semaines, puis 1 mg/kg/j pendant quatre semaines, puis 1 mg/kg/j tous les deux jours pendant deux à dix semaines ;

- une alimentation du commerce riche en glucides et en protéines hypoallergéniques.

Les animaux sont contrôlés à plusieurs reprises pendant seize semaines (voir la FIGURE “Contrôle des animaux lors d’un protocole de traitement qui associe corticoïdes et alimentation hypoallergénique”). Au terme de l’expérience, elles ont disparu chez un tiers des chiens, les lésions sont réduites par rapport à leur stade initial dans un tiers des cas et leur stade n’a pas évolué dans un tiers des cas. Les échecs peuvent s’expliquer par la persistance des lésions histologiques de colite.

La corticothérapie immunosuppressive apparaît donc comme un traitement intéressant des fistules périanales, en particulier chez le berger allemand : elle permet de guérir ou de diminuer la taille des fistules périanales sans aggraver les lésions périanales préexistantes, mais son efficacité est variable.

Il est possible d’associer une antibiothérapie à la corticothérapie. La sulfasalazine (1 mg/kg par voie orale trois fois par jour pendant quatre mois) a été ainsi associée à l’administration de prednisone (2 mg/kg/j par voie orale pendant quatre semaines, puis 1 mg/kg/j pendant huit semaines, puis 0,5 mg/kg/j pendant six à huit semaines). Une rémission complète des fistules périanales a été obtenue chez la majorité des chiens (sans recours à la chirurgie) et une réduction de la taille des lésions chez les autres.

La corticothérapie, envisagée avant le traitement chirurgical, peut permettre d’éviter ce dernier ou de faciliter l’intervention en réduisant la taille des fistules périanales.

Les complications sont celles de la corticothérapie de longue durée. Ces traitements nécessitent patience et rigueur de la part des propriétaires, face à une maladie qu’ils supportent mal en raison de la douleur et du désagrément qu’elle occasionne à leur animal. Certains praticiens mettent d’emblée en place une corticothérapie immunosuppressive pendant deux à trois semaines, puis, en fonction des résultats, pratiquent une intervention chirurgicale, plus radicale.

Ciclosporine(1)

L’hypothèse de l’origine immunologique des fistules périanales et la prescription de ciclosporine(1) chez l’homme lors de la maladie de Crohn [9] ont conduit à expérimenter l’administration d’immunomodulateurs chez le chien.

Deux études [8, 9] incluent essentiellement des chiens de race berger allemand traités par l’administration de ciclosporine par voie générale. Les animaux reçoivent une dose de 5 à 10 mg/kg/j de ciclosporine en traitement d’attaque, puis cette posologie est réduite après une à trois semaines, tout en maintenant une concentration sanguine de 400 à 600 ng/ml (valeur déterminée par dosage monoclonal radio-immunologique). Des concentrations de 100 à 300 ng/ml semblent toutefois suffisantes [8, 9]. Un traitement antibiotique peut y être associé.

Dans ces deux études, l’état clinique des animaux traités s’améliore nettement après deux semaines d’administration de ciclosporine(1) (associée ou non à un antibiotique) :

- résolution de la diarrhée et de la dyschésie ;

- diminution de l’inflammation ;

- diminution des actes d’automutilation.

Après quatre semaines, la profondeur et l’étendue des fistules ont nettement diminué (l’examen clinique ne nécessite plus ni tranquillisation, ni anesthésie comme lors de la première visite) [28]. Il convient d’administrer la ciclosporine(1) pendant au minimum huit semaines. Il est possible de poursuivre le traitement jusqu’à seize à vingt semaines (jusqu’à la guérison). Le traitement est arrêté lorsque la guérison complète des fistules est constatée lors de deux contrôles espacés de quatre semaines.

Les périodes de rémission totale des fistules sont comprises entre huit et dix-neuf mois après l’arrêt de la ciclosporine(1).

Les récidives [9] sont :

- soit situées en un point différent des fistules initiales (et en dehors de la localisation des sacs anaux) : dans ce cas, le traitement à l’aide de ciclosporine(1) est repris ;

- soit situées au niveau du ou des sacs anaux (cas le plus fréquent). Le conduit du sac anal, même après guérison, est souvent modifié et réduit, d’où un engorgement et une fistulisation. L’ablation des sacs anaux est alors conseillée [9].

Lorsque les récidives des fistules sont corrélées avec le début du cycle œstral, la chienne est traitée par une nouvelle administration de ciclosporine(1), associée à une ovariohystérectomie.

Lors des examens de contrôle, le canal anal et la partie distale du rectum retrouvent une “consistance” presque physiologique (peu de fibrose). Les sacs anaux ont une consistance normale et leur contenu se vide généralement correctement. Les effets secondaires constatés sont une hypertrichose ou une chute de poils, et une fatigue qui disparaît au cours du traitement ou après son arrêt.

À long terme, il convient d’envisager un traitement intermittent à la ciclosporine(1) pour éviter les récidives. Cependant, le protocole thérapeutique et la fréquence des traitements intermittents ne sont pas clairement définis [9].

Ce traitement médical peut aussi précéder une intervention chirurgicale afin de la faciliter. Il nécessite de doser la concentration plasmatique de ciclosporine(1) pour s’assurer que celle-ci atteint une valeur suffisante, car chaque animal métabolise la ciclosporine(1) de façon différente.

Une étude récente [12] montre l’intérêt de l’association de la ciclosporine(1) et du kétoconazole dans le traitement des fistules périanales chez le chien. Le kétoconazole (10 mg/kg une fois par jour) et la ciclosporine(1) sont administrés pendant 16 semaines chez des chiens atteints de fistules périanales (1 mg/kg 2 fois par jour). À l’issue du traitement, 93 % des animaux présentent une rémission totale des fistules. Un an après l’arrêt du traitement, aucune récidive n’est observée chez 50 % des chiens traités. L’utilisation du kétoconazole permet une nette diminution de la posologie de ciclosporine(1), tout en conservant une activité identique à la ciclosporine(1) administrée seule.

Un autre immunosuppresseur a été utilisé : l’azathioprine(2) [13] (50 mg par chien et par jour) associé au métronidazole (400 mg par chien et par jour). Après quatre à six semaines d’administration, l’étendue des fistules périanales diminue chez tous les chiens traités. Certaines fistules peu profondes disparaissent complètement. Ce traitement médical est administré entre cinq et vingt-quatre semaines avant d’être complété par une intervention chirurgicale de retrait des sacs anaux et/ou d’exérèse des fistules périanales résiduelles.

À ce jour, les traitements immunosuppresseurs présentent un réel intérêt. Ils sont fréquemment associés à une alimentation spécifique et à des soins locaux.

3. L’alimentation

Certains auteurs [3, 9] conseillent une alimentation hypoallergénique (lors d'association avec des colites). D’autres privilégient une alimentation à faible teneur en résidus (Prescription Diet® Canine i/d, Specific® CID/CIN Digest, etc.), légèrement laxative ou non, qui limite le volume des selles et facilite ainsi la défécation, ce qui peut être particulièrement intéressant avant une intervention chirurgicale. Il est toutefois souhaitable de ne pas administrer une alimentation laxative douze heures avant l’intervention chirurgicale afin de limiter les fuites peropératoires de selles.

Traitement par voie locale

1. Antisepsie locale

L’antisepsie locale comprend des soins locaux avec des solutions antiseptiques (povidone iodée, chlorhexidine), suivis ou non de l’application de pommades antibiotiques.

Avant toute autre intervention, il convient de tondre la région périanale, pour permettre un nettoyage et une désinfection corrects de la zone.

Ces soins locaux sont effectués de façon biquotidienne. Ils sont fréquemment associés à une antibiothérapie et/ou à une corticothérapie par voie générale. Lors d’antibiothérapie, les soins locaux n’améliorent pas les résultats de celle-ci (aucune donnée ne concerne son association avec la corticothérapie) [2, 6, 10, 14].

En pratique, les soins locaux ne sont pas toujours faciles à réaliser, en raison de la douleur occasionnée par les fistules. Cette dernière provoque le refus, parfois violent, des soins locaux par le chien.

2. Thérapie immunosuppressive locale

Il est possible d’appliquer une pommade à 0,1 % de tacrolimus(1), un puissant immunosuppresseur [11]. Dix chiens ont ainsi reçu chaque jour une ou deux applications locales, pendant quatre mois. Au terme du traitement, une nette diminution des fistules est constatée chez neuf chiens. Cinq guérisons sont rapportées. Cette molécule est dix à cent fois plus immunosuppressive que la ciclosporine(1) et d’un coût nettement inférieur.

Conclusion

La thérapie immunosuppressive a relancé le traitement médical. Il convient de l’instaurer d’emblée et le plus tôt possible lors de fistules périanales chez le chien.

Il est prudent de l’associer à une antibiothérapie, au moins en début de traitement, pour éviter d’éventuelles contaminations bactériennes. Ce n’est toutefois pas indispensable, en particulier lors de traitement immunosuppresseur local, à condition d’effectuer des contrôles réguliers et lorsque le propriétaire surveille étroitement son animal.

Les soins locaux sont le plus souvent associés aux immunosuppresseurs. Ils aident à limiter la contamination des fistules et obligent les propriétaires à suivre l’évolution des lésions. Le traitement médical est parfois insuffisant. Le cas échéant, il est complété ou remplacé par une intervention chirurgicale.

(1) Molécule réservée à l’usage hospitalier.

(2) Médicament à usage humain.

Points forts

Instaurée seule, l’antibiothérapie est parfois néfaste parce qu’elle favorise l’extension à bas bruit des fistules, qui envahissent tout le pourtour de l’anus.

La ciclosporine(1), à des doses plasmatiques de 100 à 300 ng/l, pendant huit à vingt semaines, permet la rémission des fistules périanales chez le chien.

Son association au kétoconazole offre la possibilité de réduire les doses de ciclosporine(1) de moitié, à effet égal.

L’application locale pendant quatre mois d’une pommade à 0,1 % de tacrolimus(1), un puissant immunosuppresseur, aboutit à la rémission ou à la nette diminution des fistules.

En savoir plus

- Clerc V. Étude clinique des fistules périanales chez le chien. Point Vét. 2002 ; 33(227): 22-26.

  • Bone DL. Surgical correction of canine perineal disorders Vet. Med. 1992 ; 87(2): 127-137.
  • Hall EF, Baron M. Traitement chirurgical des fistules périanales évoluées chez le chien. Point Vét.1985 ; 16(86): 643-655.
  • Harkin RH, Walshaw R, Mullaney TP. Association of perianal fistula and colitis in the German Shepherd Dog : response to high dose prednisone and dietary therapy. J. Amer. Anim. Hosp. Assn. 1996 ; 32(6): 515-520.
  • Mathews KA, Aynes SA, Riley SM et coll. Cyclosporin treatment of perianal fistulas in dogs. Can. Vet. J. 1997 ; 38 : 39-41.
  • Mathews KA, Sukhiani HR. Randomized controlled trial of cyclosporine for treatment of périanal fistulas in dogs. J. Amer. Vet. Med. Assn. 211 ;(10): 1249-1253.
  • Matthiesen DT, Maretta SM. Diseases of the anus and rectum. In : Slatter DH. Textbook of small animal surgery. 2nd ed. Philadelphia, WB Saunders. 1993 : 627-645.
  • Misseghers BS et coll. Clinical observations of the treatment of canine perianal fistulas with topical tacrolimus in 10 dogs. Can. Vet. J. 2000 ; 41 : 623-627.
  • Mouatt JG. Cyclosporine and ketoconazole interaction for treatment of perianal fistulas in the dog. Aust. Vet. J. 2002 ; 80(4): 207-211.
  • Tisdall PL, Hunt GB, Beck JA, Malik R. Management of perianal fitulae dogs using azathioprine and metronidazole prior surgery. Aust. Vet. J. 1999 ; 77(6): 374-378.
  • Washabau RJ, Brockman DJ. Recto-anal disease. In : Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of veterinary internal medicine. Vol. 2, Philadelphia. WB Saunders. 1995 : 1398-1409.
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