URGENCE CHEZ LES CARNIVORES DOMESTIQUES
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CONDUITE À TENIR
Auteur(s) : Stéphane Junot*, Christelle Decosne-Junot**, Éric Troncy***
Fonctions :
*Unité Siamu, ENVL, 1 av. Bourgelat, BP 83, 69280 Marcy-L’Étoile
Après le diagnostic et le traitement d’urgence du coup de chaleur, un suivi rigoureux est indispensable afin d’éviter les séquelles. Il convient également de rechercher les causes prédisposantes et d’informer les propriétaires.
Les objectifs du traitement du coup de chaleur sont de lutter contre l’hyperthermie, d’assurer le maintien d’un fonctionnement cardiovasculaire et respiratoire correct, de prévenir et de traiter les éventuelles complications.
La lutte contre l’hyperthermie est essentielle et doit être entreprise le plus tôt possible, car plus l’hyperthermie persiste, plus les risques de complications et de mort augmentent [23, 29].
Il convient de poursuivre les premiers gestes qui ont été conseillés au propriétaire : mouiller l’animal, le mettre sous un ventilateur et le masser pour faciliter la circulation cutanée. Il est utile de placer de la glace en regard des veines jugulaires, axillaires et inguinales ou de frotter à l’alcool toutes les zones glabres (pavillons auriculaires, espaces interdigités, régions axillaires et inguinales) pour réduire la température corporelle, sans entraîner une vasoconstriction périphérique généralisée [6].
Les bains glacés présentent, en revanche, l’inconvénient d’entraîner une vasoconstriction périphérique (ce qui limite les échanges thermiques), des tremblements (consommateurs d’énergie), voire une hypothermie. Il est donc préférable d’utiliser de l’eau froide.
D’autres techniques (plus contraignantes) comme les lavages gastriques [27] ou péritonéaux [5] à l’aide d’eau froide, ou la perfusion de solutés froids, ont l’avantage de refroidir l’animal sans entraîner de vasoconstriction.
Des lavements colorectaux d’eau à température ambiante sont également envisageables.
La température corporelle doit être suivie attentivement : les manœuvres pour la diminuer sont suspendues lorsque la température rectale atteint 39°C, afin de ne pas entraîner une vasoconstriction et des frissons. Cette valeur doit être atteinte en trente à soixante minutes.
L’administration de dantrolène (Dantrium®(1)), qui réduit le tonus musculaire et la production de chaleur endogène [22], semble inefficace dans le cadre du coup de chaleur [28].
Les grandes lignes du soutien des grandes fonctions sont les suivantes :
- mise en place d’une voie veineuse pour l’administration de fluides et de médications ;
- administration d’oxygène durant l’évaluation clinique et plus longtemps si l’état du patient le requiert (se méfier des cages à oxygène qui peuvent entraîner une atmosphère chaude) (PHOTO 1) ;
- intubation et ventilation lors de dyspnée majeure ;
- perfusion de solutés cristalloïdes isotoniques (Ringer lactate) dont le rythme d’administration est fonction du statut de l’animal (voir la FIGURE “Maintien des fonctions cardio-respiratoires”).
L’hypotension régresse avec le refroidissement (vasoconstriction) et il convient de suivre la pression veineuse centrale, le niveau d’hydratation, la balance électrolytique et le débit urinaire.
En cas de convulsions, il est possible d’administrer des benzodiazépines (diazépam(1) en bolus, à raison de 0,5 mg/kg ou en perfusion : 0,5 mg/kg/h), voire des barbituriques ou du propofol en cas d’échec du traitement aux benzodiazépines (pentobarbital à la dose de 0,2 à 1 mg/kg/h par voie intraveineuse, ou propofol à la dose de 0,2 à 0,4 mg/kg/h par voie intraveineuse). L’animal doit alors être intubé et ventilé si nécessaire.
En cas de suspicion d’œdème cérébral (altération de la vigilance, ataxie, convulsions, mydriase), l’administration de mannitol à 10 ou 20 % (à raison de 0,5 à 1 g/kg par voie intraveineuse lente pendant cinq à vingt minutes toutes les trois à huit heures, renouvelable jusqu’à trois fois) peut être effectuée, éventuellement associée à celle de glucocorticoïdes (dexaméthasone à la dose de 0,1 à 1 mg/kg par voie intraveineuse ou hémisuccinate de méthylprednisolone à raison de 30 mg/kg par voie intraveineuse dont l’intérêt reste à établir dans ce cadre [2, 3]).
Le monitoring (PHOTO 2) de l’animal vise à surveiller le maintien d’un fonctionnement adéquat des systèmes vitaux et à mettre en évidence la survenue de complications, afin de les traiter précocement. Il est à envisager pendant trois à cinq jours après un traitement efficace, car l’apparition de défaillances multi-organiques (liées surtout à l’hyperthermie et, éventuellement, à l’état de choc) peut être décalée dans le temps (voir le TABLEAU “).
- électrocardiogramme ;
- mesure de la pression artérielle : administration de dopamine(2) (3 à 10 µg/kg/min) ou de dobutamine(2) (2,5 µg/kg/min) en perfusion si l’hypotension persiste malgré les manœuvres de refroidissement et la fluidothérapie ;
- mesure de la pression veineuse centrale.
- oxymétrie de pouls : permet d’évaluer la saturation de l’hémoglobine en oxygène, donc de savoir si l’animal est bien oxygéné et, accessoirement, de connaître la fréquence pulsatile ;
- capnographie : permet d’évaluer la pression partielle en CO2 dans les voies aériennes notamment en fin d’expiration (end Tidal CO2) ;
- analyse des gaz sanguins : en cas d’acidose métabolique, un soluté à base de bicarbonates (0,3 x poids x déficit de base) peut être administré (donner la moitié de la dose, puis évaluer de nouveau le déficit de base).
- cathéter urinaire pour surveiller la diurèse ;
- mesure périodique de l’urémie et de la créatininémie ;
- surveiller l’absence d’hématurie.
Si une diminution de la diurèse ou une hausse de l’urémie et de la créatininémie surviennent, il convient de forcer la diurèse en augmentant le rythme de la fluidothérapie (bolus de 50 ml/kg de fluide isotonique), puis en administrant du furosémide (2 mg/kg par voie intraveineuse) ou de la dopamine(2) (1 à 3 µg/kg/min par voie intraveineuse).
- bilan de la coagulation : thrombocytopénie, augmentation des produits de dégradation de la fibrine (PDF), du temps de prothrombine (PT), de temps de céphaline-kaolin (TCK) et du temps de Quick (TQ) ;
- apparition de pétéchies, d’ecchymoses, de saignements aux sites de ponction veineuse, d’épistaxis, d’hématémèse, de méléna.
En cas de CIVD, il est nécessaire d’administrer du plasma hépariné à 75 UI/kg (10 ml/kg par voie intraveineuse), suivi d’héparine (150 à 200 UI/kg par voie sous-cutanée quatre fois par 24 heures).
Pour prévenir les risques de survenue de CIVD sans occasionner de troubles de l’hémostase, il est possible d’instaurer une héparinothérapie à faible dose (10 UI/kg, par voie sous-cutanée toutes les six à huit heures).
Lors d’atteinte hépatique ou gastro-intestinale, un traitement de soutien adapté est indispensable (nutrition, compensation des déséquilibres hydrique et électrolytique).
En raison du risque de translocation bactérienne, l’administration d’antibiotiques à large spectre et non néphrotoxiques, est indiquée (par exemple, association d’amoxicilline et d’acide clavulanique ou céphalosporines).
L’administration de glucocorticoïdes est controversée, car elle favorise l’ulcération gastrique et diminue l’immunité, sans que le bénéfice lors de coup de chaleur ait été prouvé.
L’utilisation d’antipyrétiques (salicylés, anti-inflammatoires non stéroïdiens) est contre-indiquée, car l’hyperthermie n’est pas liée à un syndrome fébrile.
• Il est également nécessaire de rechercher tout facteur favorisant, autre que ceux concernant la race et l’âge : insuffisance cardiaque, affection de l’hypothalamus, paralysie laryngée, désordre endocrinien, obésité, coup de chaleur antérieur.
• Quelques conseils simples peuvent être donnés aux propriétaires pour limiter la survenue de coup de chaleur :
- éviter l’exposition ou le confinement dans un environnement mal ventilé, chaud et/ou humide (voiture au soleil ou même à l’ombre, par temps chaud et humide) ;
- éviter tout exercice dans ces mêmes conditions ;
- laisser un accès libre et à volonté à l’eau ;
- s’assurer que l’animal dispose d’un environnement aéré et ombragé.
Le coup de chaleur est une affection pluri-organique dont les conséquences entraînent un pronostic réservé pendant les premières 24 heures et qui dépend du statut clinique de l’animal. Il est très sombre pour un animal en hypothermie ou comateux [4]. La prise en charge doit être la plus rapide possible afin de limiter la survenue de séquelles potentiellement mortelles. Le suivi doit alors être intensif pendant les 24 premières heures pour détecter la survenue de complications, et les traiter ou les prévenir.
(1) Médicament à usage humain.
(2) Médicament à usage hospitalier.
- Cadoré J-L, Hugnet C. Intérêts et limites de la biologie clinique dans le diagnostic d'un syndrome fièvre. Point Vét. 1994 ; 26 (n° spécial “Biologie clinique des carnivores domestiques”): 571-574.
- Junot S, Decosne-Junot C, Troncy É. Diagnostic du coup de chaleur chez le chien et chez le chat. Point Vét. 2002 ; 33(227): 38-40.
- Martel P. Conduite à tenir devant une détresse respiratoire. Point Vét. 1998 ; 29(n° spécial “Les urgences chez les carnivores domestiques”): 497-503.
- Zeltzman P. Hyperthermie postopératoire. Infection ou inflammation ? Telle est la question. Point Vét. 2001 ; 32(218): 8-9.