Incongruence du coude chez le chien - Le Point Vétérinaire n° 228 du 01/09/2002
Le Point Vétérinaire n° 228 du 01/09/2002

ORTHOPÉDIE DES CARNIVORES DOMESTIQUES

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CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Bertrand Pucheu*, Pierre Barreau**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire Saint-Maur 19, avenue Saint-Maur 59110 La Madeleine
**Clinique vétérinaire Saint-Maur 19, avenue Saint-Maur 59110 La Madeleine

L’incongruence du coude est une cause majeure de boiterie des membres antérieurs chez les animaux en croissance. Trois cas cliniques illustrent les causes possibles, les conséquences et les modalités du traitement chirurgical.

Le coude est une articulation complexe entre trois os : l’humérus, le radius et l’ulna. Son fonctionnement repose sur un affrontement harmonieux des surfaces articulaires, défini sous le terme de “congruence articulaire”. Ainsi, certaines anomalies de croissance ou de conformation du coude sont à l’origine d’une incongruence, dont les manifestations cliniques reposent sur l’apparition d’une douleur souvent associée à une boiterie. Trois cas cliniques d’incongruence du coude, traités chirurgicalement, permettent de préciser l’étiologie, les symptômes et le traitement de cette affection.

Cas cliniques

1. Premier cas

Anamnèse et examen clinique

Un basset hound mâle, âgé de six mois et de 25 kg, est présenté pour une boiterie antérieure gauche qui évolue depuis une dizaine de jours. Une douleur est notée à la manipulation du coude gauche, associée à une diminution de l’amplitude des mouvements articulaires, en flexion et en extension. Le coude droit, non douloureux, présente également une diminution similaire de l’amplitude des mouvements.

Examens complémentaires

Des clichés radiographiques du coude gauche (PHOTOS 1 et 2) mettent en évidence une incongruence marquée. Des clichés complémentaires indiquent une fermeture du cartilage de croissance ulnaire distal.

Le même type d’incongruence est présent au niveau du coude droit, mais aucune fermeture du cartilage de croissance ulnaire distal n’est observée à ce niveau.

Les lésions observées sont compatibles avec une anomalie de développement du cartilage de croissance distal de l’ulna. Cette affection se traduit par un retard de croissance ulnaire à l’origine de l’incongruence, caractérisée par la présence d’un ulna trop court.

Seul le traitement chirurgical permet de rétablir la congruence lorsque le cartilage de croissance lésé est définitivement fermé.

Traitement chirurgical

L’objectif du traitement chirurgical est de rétablir une congruence articulaire correcte et de permettre une croissance harmonieuse de l’avant-bras.

• L’animal est prémédiqué par l’administration d’acépromazine (Calmivet® à la dose de 0,25 mg/kg par voie intraveineuse). L’anesthésie est induite au thiopental (Nesdonal® à la posologie de 10 mg/kg par voie intraveineuse), avant d’assurer le maintien par un relais gazeux (halothane, Fluotane®).

• Une antibioprophylaxie (céfalexine, Rilexine®, à raison de 30 mg/kg par voie intramusculaire) et une analgésie (chlorhydrate de morphine(1), Morphine chlorhydrate®, à la dose de 0,25 mg/kg par voie intramusculaire) sont instaurées.

• L’animal est placé en décubitus latéral et la zone opératoire est isolée à l’aide de champs stériles.

• Une arthrotomie du coude est réalisée par un abord latéral dans un premier temps. L’articulation présente une forte incongruence, caractérisée par un élargissement de l’espace articulaire entre la trochlée humérale et l’incisure trochléaire de l’ulna (PHOTO 3).

• Une érosion du cartilage ulnaire est également observée. Une ostéotomie ulnaire est réalisée à l’aide d’une scie oscillante.

• Le ligament radio-ulnaire est incisé et l’extrémité proximale de l’ulna est mobilisée à l’aide d’un davier, jusqu’à l’obtention d’une congruence satisfaisante (PHOTO 4). Celle-ci est assurée grâce à un déplacement dorsal de l’extrémité ulnaire proximale d’environ 1 cm.

• Une broche centromédullaire de 3 mm de diamètre permet de solidariser les fragments ulnaires et d’éviter la bascule craniale du fragment proximal sous l’action du muscle triceps.

• Les différents plans sont ensuite suturés classiquement.

Des clichés radiographiques sont réalisés en phase postopératoire (PHOTO 5). Ils montrent un rétablissement de la congruence articulaire, grâce au déplacement proximal de l’extrémité ulnaire proximale.

L’animal est rendu à ses propriétaires sous un traitement anti-inflammatoire (méloxicam, Métacam®, à raison de 0,2 mg/kg le premier jour, puis de 0,1 mg/kg/j pendant six jours) et antibiotique (céfalexine à la dose de 30 mg/kg/j pendant cinq jours).

Suivi postopératoire

Le chien est revu six semaines plus tard. Un sérome est présent en regard de la broche, qui est retirée. Un drain est mis en place pendant trois jours.

Des clichés radiographiques montrent la formation d’un cal qui comble l’espace libéré en région ulnaire, ainsi qu’une congruence articulaire satisfaisante.

Sur le plan clinique, l’animal ne boite plus et présente une bonne amplitude des mouvements, malgré la présence de légers craquements à la manipulation de l’articulation.

Un contrôle à trois mois met en évidence une bonne congruence au niveau du coude gauche. Le coude droit, incongruent lors des premières radiographies, présente également une congruence correcte consécutive à la croissance radio-ulnaire.

Le chien est présenté de nouveau quelques mois plus tard pour une boiterie postérieure. Des clichés radiographiques mettent en évidence une dysplasie coxofémorale modérée, pour laquelle un traitement chirurgical par triple ostéotomie pelvienne est proposé aux propriétaires.

2. Deuxième cas

Anamnèse et examen clinique

Un basset hound, âgé de dix mois et pesant 30 kg, est présenté pour une boiterie de soutien du membre antérieur gauche qui évolue depuis quinze jours. Il manifeste une forte douleur à l’extension du coude gauche. Le membre antérieur droit ne semble pas douloureux.

Examens complémentaires

Des clichés radiographiques des coudes (PHOTO 6) mettent en évidence une non-union du processus anconé (NUPA) bilatérale, associée à une incongruence marquée des coudes.

Le défaut de croissance ulnaire est à l’origine de l’incongruence du coude, qui a engendré une pression excessive au niveau du processus anconé, ce qui favorise la non-union de ce dernier. Le processus anconé joue un rôle stabilisateur majeur dès que le coude est en extension, puisqu’il contribue à la stabilité latérale, et en rotation, lors de la phase de portance.

Le traitement anti-inflammatoire seul, initialement instauré, est sans effet. Un traitement chirurgical est mis en œuvre rapidement pour soulager l’animal et limiter l’apparition d’une arthrose secondaire, favorisée par l’instabilité articulaire et les lésions cartilagineuses.

Traitement chirurgical

Une arthrotomie par un abord caudolatéral est réalisée (PHOTO 7). Elle met en évidence la fragmentation du processus anconé, qui est excisé.

• Un curetage du foyer d’ostéochondrose, ainsi qu’un forage de Beck sont effectués. Ce dernier consiste à forer la zone de non-union à l’aide d’une mèche de 1,5 mm de diamètre, afin de créer des accès vasculaires favorables à la formation d’un fibrocartilage complémentaire.

• Un rinçage articulaire, qui permet d’évacuer des dépôts fibrineux, précède la fermeture classique des différents plans.

Des clichés radiographiques sont réalisés en phase postopératoire (PHOTO 8). Le processus anconé est retiré, mais l’incongruence articulaire persiste.

Suivi postopératoire

Un contrôle postopératoire à six semaines montre un bon appui de la patte antérieure gauche et l’absence de boiterie. La même intervention chirurgicale est alors envisagée sur le coude droit. L’arthrotomie exploratrice met en évidence une fissure caractéristique, mais le processus anconé est stable à la manipulation. Pour promouvoir sa fusion complète, des forages de tunnellisation et d’accès vasculaire sont réalisés à l’aide d’une mèche de 1,5 mm de diamètre, introduite caudocranialement à travers l’extrémité distale de l’ulna, puis dans le processus anconé, en évitant de léser la surface articulaire.

Un contrôle effectué à six semaines met en évidence une fusion complète du processus anconé à droite. Sur le plan clinique, un bon appui sur les antérieurs et la présence de légers craquements à la palpation sont constatés. Un traitement chondroprotecteur est mis en place (chondroïne sulfate et glucosamine : Cosequin®).

3. Troisième cas

Anamnèse

Un braque de Weimar âgé de cinq mois et pesant 31 kg est présenté pour une boiterie antérieure gauche depuis huit jours. À l’âge de trois mois, une fracture du condyle huméral distal, non traitée chirurgicalement (immobilisation et anti-inflammatoires non stéroïdiens), avait provoqué un premier épisode de boiterie sur ce même membre. Aucun cliché radiographique de cette fracture n’est disponible.

Examen clinique

L’observation à distance montre une légère rotation externe du membre antérieur gauche. Une forte douleur est présente à la manipulation du coude gauche. Le membre antérieur droit est cliniquement sain.

Examens complémentaires

Des clichés radiographiques du coude gauche (PHOTO 9) mettent en évidence une incongruence articulaire, associée à une fermeture du cartilage de croissance proximal du radius gauche, probablement consécutive au traumatisme subi. Aucune déformation de l’avant-bras n’est radiologiquement visible. Cette fermeture prématurée est à l’origine d’une incongruence qui modifie les forces qui s’exercent sur les différentes surfaces articulaires.

Traitement chirurgical

L’arthrotomie confirme l’incongruence, associée à une légère érosion du cartilage articulaire au niveau du processus coronoïde médial.

• Une ostéotomie radiale est réalisée après un abord cranial, ainsi qu’une incision du ligament radio-ulnaire proximal. La partie proximale du radius est alors isolée.

• Afin de rétablir une congruence articulaire et de permettre la poursuite de la croissance, un fixateur externe est associé (voir la FIGURE “Montage du fixateur externe” et la PHOTO 10) : deux broches de 2 mm de diamètre, l’une insérée dans la trochlée humérale et l’autre dans le fragment radial proximal, sont solidarisées à l’aide de deux élastiques, qui assurent ainsi une traction proximale du fragment radial ; deux broches de 2 mm de diamètre, l’une insérée dans le fragment radial distal et l’autre dans l’ulna proximal, sont solidarisées à l’aide d’une barre de 3 mm de diamètre, afin d’empêcher le déplacement proximal du fragment radial distal.

Des clichés radiographiques sont réalisés en période postopératoire (PHOTO 11). Ils montrent un rétablissement de la congruence articulaire, obtenu grâce au déplacement dorsal de l’extrémité radiale proximale.

Suivi postopératoire

Un contrôle à deux mois montre la formation d’un cal satisfaisant, associé à une bonne congruence (PHOTO 12). Le fixateur externe est alors retiré.

Revu cinq mois après l’intervention, le chien ne présente aucune boiterie. La manipulation du coude n’engendre aucune douleur et met en évidence une amplitude articulaire correcte.

Discussion

1. Physiopathologie

Ces trois cas d’incongruence articulaire du coude entraînent un dysfonctionnement et une douleur de l’articulation. Si les conséquences cliniques sont proches, les origines sont différentes.

Sur le plan anatomique, le coude est une articulation complexe qui inclut trois os : l’humérus, le radius et l’ulna (voir la FIGURE “Anatomie du coude” et l’encadré “Ostéologie du coude”).

Sur le plan physiologique, la congruence du coude repose sur une croissance radio-ulnaire harmonieuse qui dépend de quatre cartilages de croissance (voir le TABLEAU “Capacité de croissance des cartilages de conjugaison du radius et de l’ulna”). Le cartilage de croissance proximal de l’ulna intervient dans la croissance de l’olécrane, mais sa fermeture n’engendre pas significativement d’incongruence du coude. En revanche, les trois autres cartilages (ulnaire distal, radial proximal et radial distal) jouent un rôle majeur dans la croissance en longueur du radius et de l’ulna, et donc dans l’établissement de la congruence articulaire.

L’âge de fermeture de ces cartilages varie selon les races, mais la croissance est généralement terminée à onze mois chez le chien (voir le TABLEAU “Age de fermeture des cartilages de croissance épiphysaires des membres chez le chien”). Toute fermeture prématurée de l’un des cartilages engendre une croissance dysharmonieuse potentiellement génératrice d’une incongruence du coude.

2. Étiologie

Les causes d’incongruence [2, 3, 4, 6, 8, 15] sont diverses.

• La fermeture des cartilages de croissance est le plus souvent secondaire à un traumatisme au niveau des membres antérieurs, comme le montre le troisième cas (un traumatisme précoce subi à l’âge de trois mois est à l’origine d’une fermeture du cartilage de croissance radial proximal). Ces lésions cartilagineuses sont de type V dans la classification de Salter-Harris (écrasement du cartilage de croissance).

Chez le chien, le cartilage de croissance ulnaire distal possède une forme conique qui transforme toute contrainte de cisaillement en force compressive. Il est donc le plus fréquemment lésé.

Un ralentissement passager de la croissance ou un arrêt définitif est observé, l’intensité des symptômes étant proportionnelle au potentiel de croissance au moment de l’accident. Les signes cliniques sont caractérisés par la douleur à l’origine d’une boiterie, parfois sans lésion radiographique visible au moment du traumatisme.

• Des asynchronismes spontanés de croissance radio-ulnaire sont également constatés chez certaines races chondrodystrophiques. Les premier et deuxième cas, qui concernent deux bassets hound chez lesquels un retard ou un arrêt de fonctionnement du cartilage de croissance ulnaire distal a été constaté, correspondent à la dysostosis enchondralis. Cette affection héréditaire fait partie d’une entité complexe définie sous le terme de “dysplasie du coude”. Celle-ci désigne un ensemble d’affections héréditaires du coude, parmi lesquelles sont distinguées la fragmentation du processus coronoïde médial, l’ostéochondrose du condyle huméral médial (OCD), la non-union du processus anconé et l’incongruence du coude.

• Une mauvaise conformation de l’incisure trochléaire de l’ulna, qui apparaît trop évasée ou, au contraire, trop étroite, peut également provoquer une incongruence du coude.

• Les asynchronismes de croissance radio-ulnaire ont aussi des conséquences au niveau de l’articulation du carpe, puisqu’ils peuvent être à l’origine d’une déformation majeure de l’extrémité distale des membres antérieurs (curvus). Le traitement chirurgical doit alors prendre en compte, non seulement la correction de l’incongruence, mais également la réorientation de l’avant-bras.

Selon le cartilage de croissance mis en jeu, deux types principaux d’incongruence sont distingués :

- la fermeture concerne le cartilage de croissance ulnaire distal (voir la FIGURE “Incongruence du coude lors de fermeture du cartilage de croissance distal de l’ulna”) : une modification des forces exercées au niveau articulaire est observée, avec une mise sous pression du processus anconé de l’ulna. Le deuxième cas correspond à une non-union du processus anconé, consécutive à la pression excessive exercée sur ce dernier ;

- la fermeture concerne un cartilage de croissance radial (proximal et/ou distal) (voir la FIGURE “Incongruence du coude lors de fermeture du cartilage de croissance proximal du radius”) : dans le troisième cas, une modification des forces exercées au niveau articulaire est associée à une mise sous pression du processus coronoïde médial de l’ulna. Les lésions éventuelles de ce dernier doivent donc être recherchées.

3. Signes cliniques

Les signes cliniques dépendent du cartilage de croissance mis en jeu et du potentiel de croissance de l’animal. Il est ainsi possible d’observer une boiterie, un raccourcissement du membre avec des déformations (valgus, varus, rotation), des crépitations et une ankylose articulaire (dégénérescence arthrosique). Les troubles sont souvent unilatéraux lors de fermeture traumatique (troisième cas) et bilatéraux lorsqu’elle est spontanée. L’expression clinique n’est pas toujours directement en relation avec les lésions présentes. Il convient donc de toujours examiner le coude controlatéral, même s’il ne semble pas douloureux. Dans les premier et deuxième cas, la douleur était absente lors de la manipulation du coude droit, malgré une incongruence marquée.

Lors de ralentissement de croissance sans douleur associée, il semble utile d’attendre la fin de la croissance en effectuant un contrôle radiographique périodique pour évaluer les lésions. En effet, un asynchronisme, qui provoque une incongruence au cours de la croissance, peut aboutir à terme à une bonne congruence articulaire, comme pour le coude droit du premier cas qui, malgré des lésions évidentes lors de la première consultation, ne présentait plus d’incongruence lors du contrôle effectué trois mois après l’intervention.

4. Diagnostic

Le diagnostic des incongruences s’appuie sur des éléments cliniques évocateurs qu’il convient de confirmer par des examens complémentaires. Ceux-ci comprennent la radiographie [12, 16] et l’arthroscopie [14].

Examen radiographique

L’examen radiographique [5, 9, 10, 11, 12, 13] permet d’évaluer les lésions et de déterminer l’indication opératoire. Les deux articulations controlatérales doivent être radiographiées. Plusieurs incidences sont utilisées selon la lésion recherchée :

- l’incidence médiolatérale en flexion à 90° permet lameilleureévaluationdela congruence : longueur des os, largeur des espaces articulaires aux deux extrémités de l’os raccourci, incurvation diaphysaire et éventuelles lésions articulaires ;

- l’incidence craniodorsale permet d’évaluer la congruence, ainsi que la déviation diaphysaire éventuelle ;

- l’incidence médiolatérale en flexion complète permet l’observation du processus anconé. Dans le deuxième cas, une ligne radiotransparente est visible au niveau des deux coudes. La présence de cette image radiographique au-delà de cinq mois (âge auquel le processus anconé, qui possède son propre noyau d’ossification, est normalement soudé au reste de l’ulna) permet de confirmer le diagnostic de NUPA ;

- l’incidence craniocaudale, avec une rotation interne de 30°, associée aux précédentes, permet de détecter les lésions de fragmentation du processus coronoïde médial de l’ulna, ainsi que les lésions d’ostéochondrose du condyle huméral médial.

Une nouvelle incidence, médiolatérale oblique à 30° sur le coude fléchi à 90°, permettrait une détection précoce de ces lésions [7].

Examen arthroscopique

L’examen arthroscopique [14] permet également de visualiser avec précision les lésions du coude. Cependant, la taille limitée de l’espace articulaire rend difficile son observation arthroscopique, elle-même susceptible de générer des lésions articulaires supplémentaires.

5. Traitement

Le traitement médical de la douleur engendrée par l’incongruence (anti-inflammatoires non stéroïdiens) est généralement insuffisant et une intervention chirurgicale est nécessaire [2, 4, 6, 8, 15].

• Deux objectifs sont visés lors du traitement chirurgical :

- rétablir la congruence articulaire en libérant l’épiphyse incongruente et en la stabilisant de façon dynamique pour qu’elle retrouve une position et une biomécanique proches de la normale ;

- permettre une reprise de croissance harmonieuse.

• Les premier et troisième cas reflètent ces principes. Dans le premier cas, la congruence est rétablie en effectuant une ostéotomie ulnaire, puis un déplacement dorsal de l’extrémité proximale, stabilisé à l’aide d’une broche centromédullaire. Le radius, libéré des contraintes mécaniques imposées par l’arrêt de croissance ulnaire, peut reprendre une croissance harmonieuse. Dans le troisième cas, la congruence est rétablie par une ostéotomie radiale, puis un déplacement dorsal de l’extrémité proximale, stabilisé à l’aide d’un fixateur externe. La croissance de l’ulna est ainsi soulagée des contraintes mécaniques imposées par l’arrêt de croissance radiale.

L’intérêt de l’arthrotomie dans les premier et troisième cas réside dans l’observation directe des lésions articulaires potentielles. L’examen radiographique présente en effet des limites diagnostiques et certaines lésions secondaires peuvent passer inaperçues (fragmentation du processus coronoïde médial, ostéochondrite disséquante).

• Le deuxième cas associe une incongruence du coude à une non-union du processus anconé, fréquemment décrite chez les jeunes bergers allemands âgés de moins de six mois. En raison de l’effet déstabilisant sur le coude, l’excision du fragment peut être retardée (entre l’âge de neuf et douze mois) pour attendre la fin de la croissance [1]. Le résultat est moyen, puisque la moitié des animaux seulement redeviennent “normaux”, l’amplitude des mouvements articulaires étant systématiquement diminuée. L’objectif de l’excision est donc de soulager l’animal. La dégénérescence arthrosique précoce consécutive est cependant à l’origine d’une instabilité et d’une synovite.

Fixation

La fixation est envisageable lorsque deux principes essentiels sont vérifiés :

- elle doit aboutir à une réduction anatomique parfaite, ce qui implique un fragment peu remodelé et une vis de traction parfaitement perpendiculaire au trait de “non-union” ;

- elle doit s’accompagner d’une restauration de la congruence articulaire pour éviter la rupture de l’implant.

Deux techniques de fixation sont proposées : par vis de traction craniocaudale à partir de la fosse articulaire et par vis de traction caudocraniale avec un trou de glissement foré dans la métaphyse ulnaire.

Ostéotomie ulnaire

Une troisième alternative à l’excision et à la fixation consiste à réaliser une ostéotomie, voire une ostectomie ulnaire, afin de restaurer la congruence et de favoriser la soudure du processus anconé à la métaphyse ulnaire. Cette technique extra-articulaire offre des résultats satisfaisants bien que, sous l’action du muscle triceps brachial, la partie proximale de l’ulna ait tendance à basculer cranialement en limitant l’amplitude articulaire et en générant de l’arthrose. Cette bascule peut être limitée par la réalisation d’une ostéotomie ulnaire oblique à 45° (création d’une butée). Cependant, le contact osseux, favorisé, entraîne une soudure précoce des fragments osseux. Cette bascule peut aussi être réduite par la réalisation d’un enclouage centromédullaire de l’ulna (PHOTO 13), qui privilégie le rétablissement de la congruence, ainsi qu’une soudure satisfaisante du processus anconé.

Arthroscopie

L’arthroscopie [14] est un outil diagnostique intéressant malgré le risque de lésions cartilagineuses consécutives à la manipulation des instruments. Cependant, son intérêt est plus limité dans le traitement de l’incongruence. Seules les lésions d’ostéochondrite disséquante ou de fragmentation du processus coronoïde médial peuvent être traitées avec succès, en présence de fragments cartilagineux de petite taille, qui peuvent être retirés aisément par cette technique.

Conclusion

Il convient d’inclure l’incongruence du coude dans le diagnostic différentiel des boiteries des membres antérieurs chez de jeunes animaux en croissance. Les troubles de développement du coude, regroupés sous le terme de “dysplasie du coude”, désignent quatre affections qui peuvent coexister au sein d’une même articulation : la NUPA, l’OCD, la fragmentation du processus coronoïde médial de l’ulna et l’incongruence articulaire. Plusieurs facteurs étiologiques sont évoqués (génétique, mécanique, alimentaire) dans la physiopathologie de ces affections, dont la maîtrise représente un réel enjeu économique pour les éleveurs des races canines prédisposées. La mise en place d’un traitement repose sur l’évaluation du potentiel de croissance de l’animal et des lésions articulaires présentes au moment du diagnostic. Le traitement chirurgical précoce est généralement privilégié, car il permet un rétablissement de la congruence, condition nécessaire pour soulager la douleur et limiter l’apparition de lésions arthrosiques. Le pronostic reste cependant souvent réservé, en raison du caractère particulièrement arthrogène de ces incongruences, ce qui justifie la mise en place d’un traitement chondroprotecteur en période postopératoire.

  • (1) Médicament à usage humain.

Ostéologie du coude

L’humérus distal comporte un condyle formé d’une trochlée médiale et d’un capitulum latéral.

• Le condyle huméral se loge dans l’incisure trochléaire de l’ulna, dont la partie proximale est formée du processus anconé, bec osseux soudé à l’olécrane. La partie distale de l’incisure est constituée de deux processus coronoïdes : l’un latéral, sur lequel s’appuie une portion du capitulum, et l’autre médial, sur lequel s’appuie la totalité de la trochlée.

• Le capitulum s’appuie également sur la surface articulaire proximale du radius.

• Le radius s’articule dans son grand axe avec l’ulna proximal, ce qui permet les mouvements de pronation et de supination.

Le “fonctionnement” du coude fait appel à l’affrontement correct des différentes surfaces articulaires, défini sous le terme de “congruence articulaire”.

Points forts

Une recherche radiographique bilatérale d’une incongruence du coude doit être systématiquement envisagée en cas de boiterie antérieure chez un jeune animal en croissance.

L’origine de l’incongruence (fermeture de cartilage de croissance, affection héréditaire, malformation anatomique congénitale) doit être précisément déterminée pour adapter le traitement.

Les lésions articulaires éventuelles (non-union du processus anconé, fragmentation du processus coronoïde, etc.), consécutives à l’incongruence, sont à rechercher systématiquement.

Le traitement chirurgical précoce est privilégié afin de corriger les anomalies présentes et de permettre la poursuite d’une croissance harmonieuse.

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