Aspect radiographique normal du cœur - Le Point Vétérinaire n° 228 du 01/09/2002
Le Point Vétérinaire n° 228 du 01/09/2002

IMAGERIE CARDIAQUE DES CARNIVORES DOMESTIQUES

Pratiquer

IMAGERIE

Auteur(s) : Wilfried Maï

Fonctions : DMV, Diplomate ECVDI, DEA IMB Animage, Laboratoire Creatis (Cermep), 59 boulevard Pinel, 69003 Lyon

L’image radiographique du cœur diffère de l’aspect de la pièce anatomique. Sa description aide à l’identification des segments cardiaques modifiés lors de cardiopathies.

Parmi les moyens d’investigation clinique de la morphologie et de la fonction cardiaques, les techniques d’imagerie, en particulier la radiographie thoracique et l’échocardiographie, sont fondamentales. Elles tiennent en effet une place centrale dans la prise en charge de l’animal et permettent d’obtenir des informations complémentaires. La radiographie thoracique est ainsi un examen incontournable lorsqu’un animal est suspecté d’être atteint d’une cardiopathie. Outre les informations qu’elle apporte sur la taille et la forme du cœur, elle présente surtout l’avantage de mettre en évidence les signes extracardiaques de cardiopathie : congestion veineuse, modifications de la perfusion pulmonaire, modifications de l’opacité pulmonaire, modifications de l’espace pleural, etc.

Cet article décrit l’aspect radiographique normal du cœur chez les carnivores domestiques. Un second article décrira l’aspect échographique normal du cœur.

Réalisation technique

Pour évaluer le volume du cœur, il convient d’effectuer deux projections radiographiques perpendiculaires. Le choix du type de projection à privilégier a été discuté par de nombreux auteurs [4, 6, 7]. Pour l’imagerie du cœur, la projection dorsoventrale est ainsi préférable à la projection ventrodorsale car elle permet d’obtenir une image plus reproductible (et les normes de taille ont été établies selon cette incidence [7]).

Sur la projection ventrodorsale, la silhouette cardiaque apparaît plus allongée et le degré d’agrandissement géométrique est plus grand [6]. Cependant, cette projection peut être utile pour mieux visualiser la silhouette cardiaque lors d’épanchement pleural car le liquide pleural se déplace davantage dans la région dorsale, en position déclive, et dégage alors plus facilement le contour du cœur.

Il existe également quelques différences d’aspect de la projection radiographique obtenue en décubitus latéral gauche par rapport au décubitus latéral droit (le cœur apparaît, par exemple, plus globuleux sur la projection en décubitus latéral gauche). Il est, par conséquent, préférable de toujours effectuer les clichés avec l’animal dans le même décubitus pour s’affranchir des variations liées à la position [7].

Les clichés radiographiques du thorax sont à effectuer avec un temps d’exposition court pour limiter le flou cinétique lié aux mouvements respiratoires et cardiaques. En général, un temps d’exposition inférieur à 0,06 seconde est utilisé. La tension doit en revanche être élevée, car le thorax est une région anatomique naturellement contrastée en raison de la grande quantité d’air qu’il contient. Il convient donc de ne pas trop augmenter le contraste radiographique par une valeur de tension basse. En pratique, une tension supérieure à 80-90 kV est employée. Il est nécessaire d’employer une grille si le thorax radiographié mesure plus de 10 cm d’épaisseur [7].

Les clichés thoraciques doivent être pris en inspiration. Les normes de taille du cœur ont été établies pour des clichés obtenus à cette phase de la respiration. Les clichés expiratoires peuvent piéger l’observateur car ils donnent toujours l’impression d’une cardiomégalie en raison d’une modification du ratio cœur/thorax : le cœur apparaît plus volumineux, alors qu’en réalité seul le volume du thorax est réduit.

L’animal doit être correctement positionné pour une interprétation de qualité : la rotation sur la vue de face peut conduire ainsi à des erreurs d’interprétation en modifiant le rapport relatif des projections du cœur droit et du cœur gauche. Sur la projection de profil, une rotation de l’animal au moment de la prise du cliché peut conduire à une modification apparente de l’angle entre la trachée et la colonne vertébrale.

Caractéristiques de l’image radiographique

La radiographie est une technique d’imagerie de projection qui reproduit, dans un espace en deux dimensions, l’image d’un objet tridimensionnel. Elle permet en outre de différencier un faible nombre d’opacités : aérique, graisseuse, liquidienne, osseuse ou métallique. Le sang et le muscle cardiaque possèdent la même opacité radiographique : la radiographie ne permet pas ainsi de différencier les cavités des parois cardiaques [7]. Le cœur est en outre entouré du péricarde (avec sa graisse), des structures pulmonaires hilaires, des nœuds lymphatiques trachéobronchiques et des gros vaisseaux de la base du cœur [7]. Toutes ces structures, en contact avec le cœur, contribuent à former la “silhouette cardiaque” telle qu’elle est visible radiographiquement. L’image radiographique du cœur correspond donc à la somme du cœur et de toutes ces structures qui l’entourent. Il existe en outre un certain degré d’agrandissement radiographique dépendant des distances foyer-objet et objet-film radiographique. Les dimensions du cœur telles qu’elles sont visibles à la radiographie ne correspondent donc pas à ses dimensions absolues.

L’image radiographique du cœur est donc assez différente de celle de la pièce anatomique qui lui correspond. Les reliefs formés par les atria, les ventricules, les sillons atrioventriculaire et interventriculaire, et par l’émergence des gros vaisseaux sont masqués par toutes les structures non cardiaques en contact et la silhouette cardiaque forme une image homogène, de contour relativement lisse et régulier, d’opacité liquidienne et de forme ovoïde (PHOTOS 1 et 2).

Sur des clichés sans préparation, il est impossible de différencier radiographiquement les cavités cardiaques des parois cardiaques. Les techniques angiocardiographiques, qui permettent d’opacifier les cavités cardiaques avec un produit de contraste, autorisent cette différenciation, mais leur mise en œuvre n’est pas adaptée en pratique. Elles sont actuellement supplantées par l’échocardiographie.

Néanmoins, les différentes chambres cardiaques et les gros troncs artériels contribuent à former une partie du contour cardiaque sur les deux projections. Le contour correspond ainsi aux portions des structures cardiaques qui sont abordées tangentiellement par le faisceau de rayons X.

La connaissance de ces zones de projection radiographique spécifiques permet alors de décrire une “anatomie radiographique cardiaque”, qui facilite l’identification des “segments cardiaques” modifiés lors de cardiopathie [2, 3, 7].

Une méthode simple consiste à assimiler la silhouette cardiaque à une horloge et de segmenter le cœur en fonction des positions horaires (voir la FIGURE “Schématisation des zones de projection des cavités cardiaques et troncs artériels, en référence au cadran d’une horloge”).

Sur la projection latérale, la partie dorsale du cœur correspond aux atria et aux gros vaisseaux, la partie ventrale aux ventricules. Un axe partant de la bifurcation trachéobronchique jusqu’à l’apex cardiaque permet de séparer la zone de projection du ventricule droit de celle du ventricule gauche. Dans les conditions normales, les deux tiers craniaux du diamètre craniocaudal du cœur sont représentés par le ventricule droit et le tiers caudal par le ventricule gauche.

Sur la projection de face, les atria se projettent en partie craniale de la silhouette cardiaque, les ventricules en région caudale.

La taille du cœur est un élément essentiel à évaluer à l’examen radiographique (voir l’encadré “Évaluation de la taille du cœur”) car les cardiopathies se manifestent souvent par une augmentation des dimensions de la silhouette cardiaque (ce n’est cependant pas systématique : certaines affections ne s’accompagnent pas toujours de modification globale du cœur : myocardiopathie dilatée, myocardiopathie hypertrophique, etc.), mais il convient de tenir compte des variations physiologiques pour une interprétation correcte.

Variations physiologiques de la silhouette cardiaque

La taille et la conformation des animaux sont variées, en particulier dans l’espèce canine. Cette variation a des implications sur l’aspect de la projection radiographique de nombreuses structures, dont le cœur. L’image radiographique est en outre la représentation instantanée d’un organe qui se remodèle en permanence en fonction du cycle cardiaque et de la respiration. Il convient donc de tenir compte de ces variations physiologiques pour apprécier la silhouette cardiaque visible sur des clichés instantanés.

1. Variations en fonction de l’animal

Espèce

L’aspect radiographique du cœur dépend de l’espèce.

• Chez le chat, le cœur est ainsi proportionnellement plus petit par rapport au volume thoracique, par comparaison au chien. Sa forme est assez effilée et se rapproche de celle de la silhouette cardiaque observée chez les chiens de format longiligne. En outre, l’aspect de la silhouette cardiaque chez le chat est relativement constant en termes de taille et de forme, par opposition à la forte variabilité constatée dans l’espèce canine [3, 4].

Chez les chats âgés, le cœur prend fréquemment une position plus horizontale et le contact avec le sternum est augmenté. L’arc aortique, également déplacé, prend une position plus cranioventrale par rapport au cœur et une protrusion craniale très marquée est mise en évidence sur la projection latérale (PHOTO 3). Sur la projection de face, l’arc aortique forme une image arrondie d’opacité liquidienne, appelée “bouton aortique”, qui déborde vers la gauche du plan médian, à la jonction entre la limite caudale gauche du médiastin cranial et le bord cranial gauche du cœur (PHOTO 4) [5].

Race

La forme et la taille de la silhouette cardiaque varient davantage chez le chien que chez le chat en fonction de la conformation thoracique, laquelle varie selon les races [7]. Trois types de conformation thoracique sont ainsi distingués : longiligne, bréviligne et médioligne.

• Chez les chiens de conformation longiligne, dont le thorax est long et étroit (par exemple, chiens de race setter), sur la projection latérale, la silhouette cardiaque est effilée et de position verticale, presque perpendiculaire à l’axe rachidien. L’angle de la trachée avec la colonne vertébrale est assez marqué (PHOTO 5). Sur la projection dorsoventrale, la silhouette cardiaque apparaît arrondie et superposée à la colonne vertébrale (l’apex et la base sont presque superposés).

• Chez les chiens de conformation bréviligne, dont le thorax est court et large (chez le bulldog, par exemple), la silhouette cardiaque est plus globuleuse sur les deux projections. Sur la projection latérale, la position du cœur est horizontale, le contact sternal est relativement marqué et s’étend jusqu’au bord cranial de la silhouette cardiaque. La trachée est presque parallèle à la colonne vertébrale (PHOTO 6). Sur la projection dorsoventrale, le cœur “déborde” sur la gauche du plan médian et l’apex est souvent assez éloigné du rachis.

• Chez les chiens de format médioligne, la conformation thoracique est intermédiaire. La silhouette cardiaque a une forme ovoïde, avec un apex assez bien marqué (PHOTO 7). Sur la projection dorsoventrale, l’apex est généralement situé à gauche du plan médian.

• Des particularités raciales sont également à signaler. Chez le yorkshire ou chez l’épagneul breton (et chez d’autres races comme le shih-tzu, le lhassa apso), malgré une conformation thoracique plutôt médioligne, la silhouette cardiaque est globuleuse et paraît volumineuse par rapport à la cage thoracique : elle rappelle l’aspect de la silhouette cardiaque observée chez les chiens de conformation bréviligne (PHOTO 8).

Poids et embonpoint

L’état d’embonpoint de l’animal peut aussi être un facteur de variation de l’aspect de la silhouette cardiaque : l’accumulation de graisse péricardique peut donner l’impression d’une augmentation des dimensions du cœur et être à l’origine d’une baisse de netteté des contours cardiaques (PHOTO 9). Dans un certain nombre de cas, cependant, la différence d’opacité relative entre le cœur et la graisse est visible et permet de faire la distinction avec une réelle cardiomégalie.

2. Variations en fonction du cycle cardiaque

Les mouvements physiologiques du cœur pendant la systole et la diastole, visibles lors d’un examen échocardiographique, ont une influence sur l’aspect du cœur à l’examen radiographique [7, 8]. Ces variations, cependant modérées la plupart du temps, sont surtout visibles chez les animaux de grand format, lorsque la fréquence cardiaque est basse et que le temps d’exposition est court. Une petite aire de projection des ventricules est ainsi observée, avec des atria arrondis et saillants en télésystole, alors que les ventricules sont plus arrondis et étendus en télédiastole, avec des atria moins saillants.

3. Variations en fonction du cycle respiratoire

Le cycle respiratoire a aussi une influence sur l’apparence radiographique de la silhouette cardiaque. Pour une même phase du cycle cardiaque, le cœur est plus gros de quelques millimètres en phase expiratoire qu’en phase inspiratoire. Cette augmentation de taille, quoi que minime, apparaît subjectivement plus marquée que la réalité en raison de la diminution concomitante du volume thoracique, qui donne l’impression que la silhouette cardiaque occupe un volume proportionnellement plus grand.

Inversement, la silhouette cardiaque semble subjectivement plus petite lorsque les poumons sont dilatés en fin d’inspiration, en raison de l’augmentation relative de volume du thorax.

La phase de la respiration influe aussi sur la netteté du contour de la silhouette cardiaque : en pleine inspiration, la grande quantité d’air qui entoure le cœur en rend le contour particulièrement net. Inversement, en expiration, le contour de la silhouette cardiaque peut apparaître plus flou, en particulier chez les chiens âgés et obèses. Cet aspect est lié à la présence de graisse médiastinale et à une diminution du volume d’air, proportionnellement plus marquée dans les portions pulmonaires qui sont directement en contact avec le cœur par rapport aux territoires périphériques [7].

Conclusion

La radiographie thoracique a sa place dans l’évaluation du cœur car elle permet d’apprécier aisément sa taille et sa forme. Lors de l’examen d’un cliché thoracique, l’interprétation ne doit cependant pas s’arrêter à l’estimation du cœur : il convient en effet de ne pas omettre d’évaluer les autres structures thoraciques qui peuvent présenter des anomalies isolées ou secondaires à la cardiopathie (vaisseaux, espace pleural, poumons, œsophage, etc.).

Évaluation de la taille du cœur

Évaluation à partir du nombre d’espaces intercostaux

Cette évaluation est faite à partir de clichés obtenus en fin d’inspiration.

• Projection latérale

- Chez le chat, comme chez les chiens de format longiligne, le diamètre craniocaudal (diamètre du petit axe) mesuré sur la projection latérale équivaut environ à la largeur de 2,5 espaces intercostaux.

- Chez les chiens de format médioligne, ce diamètre est d’environ 3espaces intercostaux.

- Chez les chiens de format bréviligne, ce diamètre est plus élevé et atteint 3,5espaces intercostaux (PHOTOS 5, 6 et 7) [7].

Le diamètre apicobasilaire (diamètre du grand axe) ne doit pas dépasser les deux tiers du diamètre interne ventrodorsal de la cage thoracique.

• Projection dorsoventrale : le diamètre transversal de la silhouette cardiaque à l’endroit où elle est le plus large ne devrait pas excéder les deux tiers du diamètre de la cage thoracique mesuré au même endroit.

Évaluation à partir de l’index vertébral

Une autre méthode d’évaluation de la taille du cœur consiste à comparer ses dimensions aux vertèbres thoraciques. Cette technique présente l’avantage d’être plus indépendante de la conformation thoracique [1].

• Sur la vue de profil, le diamètre apicobasilaire est mesuré, puis exprimé en nombre de vertèbres en reportant la longueur du diamètre sur la colonne thoracique à partir du bord cranial de T4. Le même procédé est appliqué au diamètre transversal maximal.

La somme des deux valeurs exprimée en unités vertébrales correspond à l’index vertébral cardiaque. Cet index, relativement constant quels que soient le format du chien et sa conformation thoracique, est de : 9,7 +/- 0,5 vertèbre. Il ne dépend pas du décubitus dans lequel le cliché radiographique est réalisé.

• Sur la vue de face, il est possible de mesurer un index similaire en ajoutant les longueurs vertébrales des deux grands axes du cœur. Cet index est cependant plus dépendant de l’incidence radiographique. En projection ventrodorsale, il est en moyenne de 10,2 + /- 0,83. En projection dorsoventrale, il est en moyenne de 10,2 +/- 1,45.

Points forts

Lors de radiographie du cœur, l’incidence dorsoventrale permet d’obtenir une imageplus reproductible.

La taille du cœur est évaluée par rapport aux espaces intercostaux ou relativement à la longueur des corps vertébraux thoraciques. L’index vertébral présente l’avantage d’être moins dépendant de la conformation thoracique.

Chez le chat, l’aspect de la silhouette cardiaque est relativement constant en termes de taille et de forme, par opposition à la forte variabilité constatée chez le chien.

Chez le yorkshire, l’épagneul breton, la silhouette normale du cœur est globuleuse et paraît volumineuse par rapport à la cage thoracique, malgré leur conformation thoracique plutôt médioligne.

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