Un troupeau ovin intoxiqué par le galéga officinal - Le Point Vétérinaire n° 227 du 01/07/2002
Le Point Vétérinaire n° 227 du 01/07/2002

TOXICOLOGIE VÉGÉTALE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Mélanie Bézard*, Denis Grancher**, Jaquemine Vialard***, Pierre Debarnot****

Fonctions :
*Unité de clinique rurale de L'Arbresle UCRA-ENVL, 69210 L’Arbresle.
**Unité nutrition et alimentation, Département Productions animales, ENVL, BP 83, 69280 Marcy-l’Étoile.
***Laboratoire vétérinaire départemental- ENVL, 305, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-l’Étoile.
****Unité de clinique rurale de L'Arbresle UCRA-ENVL, 69210 L’Arbresle.

La mort brutale d'un grand nombre d’animaux dans un temps restreint est souvent le seul signe observable lors d’une intoxication végétale. L'examen nécropsique et l'enquête alimentaire sont indispensables au diagnostic.

L’épisode prend place pendant l’hivernage dans un élevage ovin d’environ cent vingt mères de race grivette croisées Ile-de-France ou suffolk. Dans cet élevage, les agneaux sous la mère sont la production principale. Les animaux sont en plein air pendant l’été. En hiver, ils sortent fréquemment pendant la journée et rentrent à l’étable (aire paillée) tous les soirs. Les brebis allaitantes sont nourries au foin et reçoivent un mélange de tourteaux. Les brebis taries consomment uniquement du foin. Aucun achat d’animal n’a été effectué dans les trois derniers mois.

Observations

1. Premiers événements

Une brebis est retrouvée morte un jeudi matin dans la bergerie. Elle n’a, semble-t-il, présenté aucun signe clinique.

Lors d’une première visite, l’examen des autres ovins du troupeau ne révèle pas d’anomalies.

Le cadavre de l’animal est envoyé au laboratoire vétérinaire départemental afin d’être autopsié.

Environ deux heures plus tard, trois autres brebis meurent. Une mousse abondante sort de leur bouche et de leurs narines. Nous sommes de nouveau appelés. Ce n’est que lors de cette deuxième visite que nous pouvons observer quelques signes d’évolution clinique chez certains animaux.

2. Signes cliniques

Ces bêtes, d’abord inquiètes et agitées, s’isolent et commencent à tendre le cou en position horizontale. Elles se mettent alors à respirer avec difficulté avec un fort tirage costal. La respiration dyspnéique s’aggrave. La tête est tendue vers l’avant, les naseaux sont dilatés avec un jetage spumeux. La salivation est abondante avec des manifestations évidentes d’asphyxie. La température rectale s’élève jusqu’à 40,8 °C. Aucune arythmie cardiaque n’est perçue à l’auscultation. Puis les animaux tombent et meurent. La crise de symptômes n’a duré qu’environ cinq minutes.

3. Évolution

De nouvelles morts surviennent les jours suivants. Au total, huit ovins sont morts le premier jour, quatorze la nuit suivante, trois autres le lendemain et un la nuit d’après. Vingt-cinq mères et un bélier meurent ainsi sur une période d’environ quarante-huit heures.

Ce sont majoritairement les animaux les plus jeunes, âgés de un à quatre ans, et, parmi eux, ceux qui étaient le plus « en état » qui ont été affectés. Ces animaux ont sans doute un accès prioritaire à la nourriture de part leur vivacité et leur dominance sur les autres.

4. Autopsies

Trois autopsies sont pratiquées. Les lésions observées sont globalement identiques. Le tableau nécropsique est le suivant :

– aspect extérieur : bon, voire très bon état général (3/3), présence de mousse rosée à l’extrémité des naseaux (3/3), tendance au ballonnement du cadavre (2/3), suffusions hémorragiques et œdémateuses sur le côté gauche de l’animal (1/3) ;

– cavité abdominale : présence d’une petite quantité d’un liquide jaune foncé, presque hémorragique (2/3) ;

– foie : décoloré par plages (1/3), de consistance altérée (1/3) et présentant une forte infestation par la petite douve (3/3) ;

– intestin : présence de quelques plages de congestion intestinale (quelques pétéchies, 1/3) sans inflammation ganglionnaire médiastinale ;

– reins : congestion rénale (2/3), reins très diffluents s’altérant très rapidement au contact de l’air (1/3) ;

– cavité thoracique : abondant hydrothorax (3/3, environ 1 litre) de couleur jaune citrin à jaune orangé, ayant tendance à coaguler au contact de l’air (PHOTO 1) ;

– poumons : congestion violente et œdème pulmonaire (3/3) sans inflammation des ganglions trachéo-bronchiques ;

– cœur : pétéchies et surtout suffusions sous-endocardiques (2/3).

L’examen macroscopique du contenu ruminal ne montre aucun élément végétal reconnaissable ou caractéristique.

5. Examens complémentaires

Lors des autopsies, des prélèvements fécaux sont réalisés à des fins de recherche d’infestation parasitaire. Une coproscopie en examen direct montre des infestations moyenne d’œufs de strongles et faible d’œufs de Dicrocoelium lanceolatum, malgré une très forte densité au niveau hépatique, et la présence d’œufs de Capillaria et de coccidies.

Diagnostic

1. Hypothèse diagnostique

La mort brutale d’un grand nombre d’animaux oriente a priori vers un diagnostic d’intoxication.

Les signes de détresse respiratoire et un œdème pulmonaire important, ainsi que l’épanchement très important de couleur jaune citrin dans la cavité thoracique, coagulant à l’air libre, évoquent de façon très caractéristique l’intoxication par le galéga officinal [3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 13].

En période hivernale et malgré un accès à des pâturages, le galéga, toxique après floraison [3, 5, 7, 9, 13], ne peut être présent que dans le foin.

2. Confirmation de l’origine de l’intoxication

Les brebis sont parquées dans deux étables distinctes mais jointives. Cinq jours auparavant, l’éleveur avait commencé à y distribuer du foin provenant de nouvelles balles rondes. Ces balles ont été collectées dans un pré qu’il n’exploite que depuis deux ans. Une balle, en particulier, a été ouverte un mercredi et distribuée le soir même dans les deux étables. La première brebis morte a été trouvée le lendemain matin dans une des étables. Une seule brebis sur les vingt-cinq victimes est morte dans la seconde étable. Or cette bête avait mis bas le mercredi dans la soirée et a été déplacée de la première vers la seconde étable le soir même. Elle a donc eu accès au foin distribué dans la première étable, où toutes les morts ont eu lieu. Aucun agneau tétant sa mère n’est mort intoxiqué.

Les six balles de foin restantes ont été ouvertes et fouillées. Seule la partie distribuée dans la première étable a montré la présence de nombreux fragments d’une plante d’environ 80 à 100 cm de haut, à tige lignifiée (PHOTO 2). Les feuilles retrouvées, après réhumidification et étalement, sont celles d’une légumineuse. Elles sont imparipennées et leurs folioles possèdent une pointe prolongeant leur nervure : le mucron. Il s’agit de Galega officinalis (PHOTO 3) (voir l’ENCADRÉ « Le galéga officinal ») [5, 6, 9]. Quelques inflorescences en début de formation sont observées sur les rameaux desséchés.

3. Pronostic

L’intoxication par le galéga étant confirmée, l’éleveur est averti que les animaux encore vivants qui ont pu avoir accès au foin contaminé sont susceptibles de succomber dans les quarante-huit heures suivant son retrait des mangeoires. Le temps de latence de l’intoxication est de douze à quarante-huit heures [3, 5, 13].

Il n’existe aucun traitement à cette intoxication. Les injections intraveineuses de corticoïdes à forte dose (10 mg/kg de poids vif) effectuées sur les animaux les moins atteints n’ont été d’aucune utilité. Une sensibilité individuelle relativement variable a été notée, mais aucune adaptation induite n’a été mise en évidence [10].

Discussion

Le galéga n’est retrouvé que dans une des six balles de foin examinées. Cette présence ponctuelle s’explique par le biotope traditionnel de cette plante en bordure de pré et/ou de fossé.

En France, le galéga n’est pas exploité comme plante fourragère, contrairement à ce qui est parfois pratiqué dans d’autres pays avec Galega orientalis ou Galega officinalis récoltés avant la floraison [1].

La prairie en bordure de laquelle le galéga est présent n’est cultivée pour la production de fourrage que depuis deux ans. Pendant vingt années, elle a servi à la production de maïs avec une utilisation importante de simazine, désherbant total de la famille des triazines. L’éleveur a ensuite semé du ray-grass (Lolium sp.) qui, la première année, a très mal poussé. La deuxième année, le foin récolté a été extraordinairement riche en phléole des prés (Phleum pratense) en pousse spontanée, avec très peu de ray-grass et de nombreux plants de galéga.

Une utilisation massive et répétée de simazine entraîne une accumulation dans le sol de matière active et de ses métabolites (déséthylsimazine et hydroxysimazine) [14] qui peuvent atteindre les nappes phréatiques. Les résidus actifs sont peu photosensibles et leur décomposition se fait à une vitesse variable en fonction de la température et de l’humidité du sol [2]. Ils vont détruire, au cours de la germination, toutes les plantules sensibles, sélectionnant ainsi des plantes résistantes comme le ray-grass, l’avoine élevée et la ravenelle [12], ainsi que la mercuriale et la morelle noire [11]. Ce phénomène a été observé en de nombreux endroits dans le monde avec la simazine et l’atrazine [11, 12, 14]. Il n’est pas incongru de penser que le galéga officinal fasse aussi l’objet d’une résistance aux triazines.

Le galéga officinal

Le galéga officinal (Galega officinalis L.) [3, 4, 5, 6, 7, 8, 13], aussi appelé « rue aux chèvres », « herbe aux chèvres », « sainfoin d’Amérique raquo;, « sainfoin d’Espagne », « lilas d’Espagne », « faux indigotier », « lavanèse »ou« vanèse », Gessraute en allemand, French honeysuckle ou goat’s rue en anglais, fait partie de la famille des légumineuses.

C’est une espèce commune dans le Midi, naturalisée ou subspontanée dans quelques départements du Centre et de l’Est, fleurissant en juin, en juillet et en août. Il s’agit d’une plante herbacée, vivace, de 60 cm à 1,10 m de hauteur, glabre. La tige est dressée, creuse et striée en long à la surface. Les feuilles sont alternes, composées, imparipennées, à onze à dix-huit folioles, plus longues que larges, et terminées par une pointe : le mucron, à stipules libres en fer de flèche.

Les fleurs sont blanc rosé à bleuâtres, réunies en grappes allongées dépassant les feuilles à l’aisselle desquelles elles s’insèrent. La corolle papilionacée possède des ailes plus courtes que la carène. Les étamines sont soudées par leur filet, mais l’une d’elles ne l’est que jusqu’à la moitié de la longueur de celui-ci.

Le fruit est une gousse droite de 2 à 3 cm de longueur sur 2 à 3 mm de largeur, renfermant deux à six graines.

La plante peut être confondue avec le sainfoin cultivé et la réglisse glabre.

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