Intoxication aux convulsivants chez le chien et le chat - Le Point Vétérinaire n° 225 du 01/05/2002
Le Point Vétérinaire n° 225 du 01/05/2002

TOXICOLOGIE DES CARNIVORES DOMESTIQUES

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Hervé Pouliquen

Fonctions : Centre antipoison animal
de l'Ouest,
ENVN, Atlanpôle,
La Chantrerie, BP 40706,
44307 Nantes Cedex 03

Lors de suspicion d'intoxication chez un chien ou un chat qui convulse, une démarche diagnostique rigoureuse permet parfois de s'orienter vers la substance en cause et aide à instaurer un traitement adapté.

Les convulsions, contractions violentes, involontaires et saccadées des muscles, sont l'expression physique d'une perturbation électrique paroxystique d'un groupe de neurones. Elles peuvent être à l'origine de graves complications (acidose, hypoxie, hypoglycémie et œdème cérébral) et constituent de ce fait une urgence majeure. Chez les carnivores domestiques, de nombreuses intoxications se traduisent cliniquement par des convulsions. Elles surviennent après l'ingestion de strychnine, de crimidine, de métal-déhyde, d'inhibiteurs des cholinestérases, de pyréthrinoïdes, d'organochlorés et, dans une moindre mesure, de chloralose, de plomb et d'éthylène glycol. Plus rarement, elles font suite à l'ingestion d'herbicides de la famille des aryloxyacides ou de plantes (houx, if, thuya, jequirity, cytise, mimosa du Japon, pommier d'amour, ricin, etc.) ; ces intoxications ne sont pas évoquées dans cet article.

Plusieurs affections nerveuses du chien et du chat peuvent cliniquement rappeler une intoxication aux convulsivants, qu'elles soient d'origine infectieuse (rage, maladie de Carré, maladie d'Aujeszky, tétanos, botulisme), métabolique (hypoglycémie, éclampsie, épilepsie essentielle) ou tumorale (tumeurs intracrâniennes). En raison de leur similitude clinique et de leur rapidité d'évolution, il convient de distinguer ces affections des intoxications par les convulsivants. Ces dernières nécessitent donc une parfaite connaissance de leurs manifestations cliniques.

Première étape : diagnostic clinique

Lors de suspicion d'intoxication par les convulsivants, le diagnostic est avant tout clinique. Six éléments cardinaux doivent, lorsqu'ils sont présents, être pris en considération.

1. La nature des convulsions

Les convulsions peuvent être discontinues, c'est-à-dire sous forme de crises (cas des intoxications par la strychnine, la crimidine, les organochlorés, le chloralose ou le plomb). Elles peuvent aussi être continues, c'est-à-dire sans phase de rémission (cas des intoxications par le métal-déhyde, les organophosphorés et les carbamates, les pyréthrinoïdes ou l'éthylène glycol).

Elles peuvent également être toniques, cloniques ou tonocloniques.

Les convulsions toniques correspondent à des contractions des muscles extenseurs (position d'opisthotonos caractérisée par une contraction des muscles extenseurs des membres et de la colonne vertébrale, accompagnée d'un rejet en arrière de la tête et de la queue) ou fléchisseurs (position d'emprosthotonos caractérisée par une colonne vertébrale arquée en sens inverse de l'opisthotonos, une flexion des membres postérieurs et une flexion ou une extension des membres antérieurs).

Les convulsions cloniques correspondent à des tremblements et à des mouvements de pédalage.

2. La nature des signes cliniques nerveux dominants

Les convulsions sont toujours présentes, mais ne constituent pas systématiquement le signe clinique nerveux prédominant de l'intoxication. Ainsi, l'intoxication par la strychnine est dominée par les convulsions, alors que celle par le chloralose se caractérise par un état de coma hypothermique.

3. La nature des signes cliniques autres que nerveux

Certaines intoxications, comme celles par la strychnine ou par le chloralose, se traduisent presque uniquement par des signes cliniques nerveux.

Dans d'autres intoxications, les signes nerveux sont habituellement accompagnés d'une hypersalivation abondante (métaldéhyde ou organochlorés) ou de signesdigestifs, car-diaques, respiratoires et/ou oculaires (organophosphorés, carbamates ou pyréthrinoïdes).

4. L'ordre d'apparition des signes cliniques

Tout signe clinique doit être apprécié non pas isolément, mais dans un contexte clinique global. L'ordre chronologique d'apparition des signes cliniques peut en effet apporter des éléments d'information utiles. Ainsi, si l'intoxication par la strychnine débute par une hyper-réflectivité et des crises convulsives, celles par les organophosphorés et les carbamates commencent généralement par des signes d'hypersécrétion digestive et respiratoire.

5.Le temps de latence

L'appréciation du temps de latence, c'est-à-dire de la durée qui s'écoule entre l'exposition à l'agent toxique et l'apparition des premiers signes cliniques, est intéressante à considérer dans la mesure où le contact avec le toxique a pu être observé par le propriétaire de l'animal.

6. La durée et le mode d'évolution

La durée et le mode d'évolution de l'intoxication sont en général plus faciles à apprécier que le temps de latence et peuvent aussi orienter le diagnostic clinique. Par exemple, si l'intoxication par la strychnine peut être qualifiée de suraiguë (elle évolue souvent en moins de trois heures), celles par le métaldéhyde ou la crimidine ont généralement une évolution aiguë, sur huit à douze heures.

En revanche, l'intoxication par le plomb peut être qualifiée de subchronique : les convulsions sont généralement discontinues sur une durée de plusieurs jours ou semaines.

L'ensemble de ces six éléments cardinaux peut permettre un diagnostic clinique différentiel des intoxications par les convulsivants (voir la FIGURE “Diagnostic clinique différentiel des intoxications des carnivores domestiques par les convulsivants”, ainsi que les TABLEAUX “Principaux convulsivants à l'origine de convulsions discontinues” et “Principaux convulsivants à l'origine de convulsions continues”).

Néanmoins, le diagnostic clinique de ces intoxications n'est pas aussi simple. Tous les signes cliniques d'une intoxication ne sont en effet jamais observés en même temps chez un même animal et le praticien n'a souvent qu'une image instantanée de l'intoxication au moment où il voit et examine l'animal. En outre, pour une même intoxication, le temps de latence, la durée d'évolution et l'intensité des signes cliniques sont variables, notamment selon la quantité de toxique reçue par l'animal.

Deuxième étape : diagnostic épidémiologique

Même en cas d'urgence, il convient de recueillir l'anamnèse avec précision et d'interroger le propriétaire sur l'accès possible de l'animal à :

- un produit insecticide ou acaricide (produit phytosanitaire ou médicament) ;

- un produit destiné à lutter contre les nuisibles (rodenticide, corvicide et corvifuge, molluscicide, taupicide) ;

- un produit antigel ;

- un lieu où sont stockés des batteries ou des huiles de vidange ;

- un local ou du matériel recouvert de vieilles peintures susceptibles de contenir du plomb.

En outre, si le propriétaire peut fournir le produit ingéré par l'animal ou si ce dernier a vomi, la connaissance des principales présentations commerciales (granulés, grains, concentrés pour préparation d'appâts, etc.) peut permettre d'orienter la suspicion diagnostique avec l'aide d'un centre antipoison animal. Contrairement à une opinion répandue, il n'est pas possible, à partir de la seule couleur d'une présentation commerciale, de conclure à la nature du toxique convulsivant.

Enfin, un contexte de malveillance peut également orienter la suspicion diagnostique. C'est notamment le cas lorsque des syndromes convulsifs ont été observés chez plusieurs chiens ou chats d'un même quartier ou quand un aliment suspect a été récupéré dans l'environnement proche de l'animal.

Troisième étape : diagnostic de laboratoire

Lors de suspicion d'intoxication par un convulsivant, le traitement de l'animal est mis en œuvre sans attendre les résultats analytiques. Néanmoins, surtout dans un contexte de malveillance, il est fréquent qu'un diagnostic de laboratoire soit demandé par le propriétaire, en particulier lorsque l'animal meurt. En effet, seul le diagnostic de laboratoire est susceptible d'apporter la preuve de l'intoxication par un convulsivant, sous réserve de la concordance des éléments épidémiologiques et cliniques. Il convient alors :

- de réaliser, chez l'animal vivant ou mort, les prélèvements adéquats en tenant compte de la distribution tissulaire des toxiques et de la vascularisation des organes (voir le TABLEAU “Diagnostic de laboratoire des principales intoxications par les convulsivants”) ;

- de joindre à ces prélèvements des commémoratifs complets en précisant de façon explicite le ou les toxiques à rechercher ;

- d'acheminer les prélèvements et la fiche de commémoratifs dans des conditions convenables de conservation et de conditionnement vers un laboratoire de toxicologie.

Tous les prélèvements peuvent être congelés, à l'exception du sang total, qui doit être conservé entre 0 et + 4 °C en raison du risque de destruction des hématies.

Quatrième étape : diagnostic nécropsique

À l'autopsie, les lésions observées lors d'intoxications par les convulsivants ne sont pas spécifiques et sont d'autant plus discrètes que la durée d'évolution est courte. Elles sont généralement réduites à une congestion généralisée du cadavre, notamment au niveau du foie, des reins, des poumons et de l'encéphale, et ne permettent donc pas d'orienter le diagnostic.

Il est possible que des traces d'hypersécrétion (salivation, diarrhée, œdème pulmonaire, hypersécrétion bronchique, etc.) soient présentes, en particulier lors d'intoxications par les inhibiteurs des cholinestérases, par les pyréthrinoïdes ou par le métaldéhyde.

Le contenu stomacal peut être coloré ou contenir des petits granulés ou des grains colorés. Des lésions de gastro-entérite d'intensité variable sont parfois notées lors d'intoxications par le plomb ou par l'éthylène glycol. Dans ce dernier cas, des lésions de néphrite épithéliale aiguë sont également présentes.

Des hémorragies pancréatiques sont parfois observées lors d'intoxication par la strychnine.

Conclusion

Le diagnostic de l'intoxication par les convulsivants repose avant tout sur les signes cliniques et doit être le plus précoce possible. L'anamnèse et les commémoratifs sont à prendre en compte lorsqu'ils comportent des éléments susceptibles d'orienter le diagnostic. Le praticien peut effectuer des prélèvements qui sont alors acheminés vers un laboratoire, principalement lorsque le propriétaire suspecte un acte de malveillance.

Le pronostic de l'intoxication doit toujours être réservé : la nature et la quantité de toxique ingéré sont en effet rarement connues. Lorsque l'animal guérit, l'absence de séquelles nerveuses est la règle, même si, dans de rares cas d'intoxications par les pyréthrinoïdes, des séquelles (ataxie et tremblements) peuvent être observées pendant un à trois mois.

En savoir plus

- Buronfosse F. Intoxication des carnivores domestiques par les inhibiteurs des cholinestérases. Dans : Poisons et empoisonneurs, CNVSPA Section Ouest Eds, 1995 : 283-289.

- Keck G, Durand F. Intoxication des carnivores domestiques par les insecticides pyréthrinoïdes. Dans : Poisons et empoisonneurs, CNVSPA Section Ouest Eds, 1995 : 291-292.

- Kolf-Clauw M. Diagnostic des intoxications courantes des carnivores. Rec. Méd. Vét., 1998 ; 174(1/2): 36-43.

- Lilbery J, Enriquez B. Intoxications végétales courantes des carnivores domestiques, 1re partie : classification clinique. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 2000 ; 35 : 257-266.

- Pouliquen H, Puyt JD. Intoxication des carnivores domestiques par les molluscicides et les corvicides. Dans : Poisons et empoisonneurs, CNVSPA Section Ouest Eds, 1995 : 297-302.

- Puyt JD. Sémiologie et diagnostic différentiel des intoxications par les convulsivants chez les carnivores domestiques. Rec. Méd Vét. 1995 ; 171(2/3): 109-114.

- Puyt JD, Kammerer M, Keck G. Intoxication des carnivores domestiques par les rodenticides non anticoagulants. Dans : Poisons et empoisonneurs, CNVSPA Section Ouest Eds, 1995 : 307-316.

À lire également

- Escriou E, Fanuel-Barret D.

Les convulsions.

Point Vet. 1998 ; 29(n° spécial « Les urgences chez les carnivores domestiques ») : 535-538.

- Masson L, Del cerro E. Toxicologie du chien et du chat. Intoxication par les champignons. Point Vét. 2001 ; 32(221)  : 20-22.

- Parent JM. Approche clinique des convulsions chez le chien. Point Vet. 1991 ; 23(n° spécial «  Neurologie ») : 461-473.

ATTENTION

Contrairement à une opinion répandue, il n'est pas possible de conclure à la nature du toxique convulsivant à partir de la seule couleur d'une présentation commerciale.

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