Réalisation d'un anus artificiel chez un veau - Le Point Vétérinaire n° 223 du 01/03/2002
Le Point Vétérinaire n° 223 du 01/03/2002

UN CAS D'AGÉNÉSIE RECTALE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Jean-Pierre Barret

Fonctions : Clinique vétérinaire uzerchoise
3, faubourg de la Pomme
19140 Uzerche

Un veau nouveau-né, présentant une agénésie rectale, est traité chirurgicalement par la réalisation d'une colostomie paramédiane dans la paroi abdominale.

Les anomalies congénitales du tube digestif concernent environ un cas pour mille naissances chez le veau [4]. Parmi elles, les anomalies rectales et anales représentent près de la moitié des cas (47,1 %), l'autre moitié regroupant les anomalies du côlon (50,4 %). Les anomalies de l'intestin grêle sont les plus rares (2,5 %) (voir l'ENCADRÉ “Les anomalies congénitales de l'intestin chez le veau”) [2, 3, 4, 5]. Seule une intervention chirurgicale précoce permet la survie de l'animal et sa conservation en tant que veau destiné à la boucherie. Lors d'agénésie colique ou rectale, l'intervention consiste à créer un anus artificiel par colostomie abdominale.

Cas clinique

Nous sommes appelés pour un jeune veau limousin de sexe mâle, né la veille sans aucune difficulté de vêlage, pesant approximativement 50 kg. Cet animal présente un ténesme important, qui a motivé la consultation. L'attitude du veau immédiatement après la naissance était parfaitement normale : il s'est levé rapidement et a tété seul. Le ténesme est apparu environ quatre heures après la mise bas, c'est-à-dire après la première tétée.

1. Constatations cliniques

À l'examen externe, une agénésie quasi complète de la queue est observée ; seul persiste un moignon de 3 cm. L'anus paraît normal extérieurement, les sphincters et la muqueuse anale sont présents. L'introduction du doigt montre cependant que le canal anal est aveugle, et ne communique pas avec l'ampoule rectale.

Le reste de l'examen clinique est normal. L'abdomen n'est pas distendu et est souple à la palpation.

Nous perforons l'extrémité craniale du canal anal en position centrale avec la pointe d'une lame de bistouri pour vérifier si l'ampoule rectale est présente et accessible, mais sans succès. La ponction infructueuse ainsi réalisée est laissée en l'état, sans suture ni soin particulier. Nous convenons de réaliser une laparotomie exploratrice dès le lendemain, soit au troisième jour de vie du veau, celui-ci se nourrissant normalement jusque-là. Aucune diète préopératoire n'est réalisée : nous préférons laisser téter ce jeune animal afin d'améliorer son état général. Une antibiothérapie préopératoire à base de cefquinome (Cobactan(r), à la dose de 5 ml) est instaurée.

2. Intervention chirurgicale

Le veau est placé en décubitus dorsal. Il reçoit une sédation à l'aide de xylazine à 2 % (Rompun(r), 1 ml par voie intraveineuse) suivie, cinq minutes plus tard, d'une anesthésie à l'aide de kétamine (Imalgène(r) 1000, 1 ml par voie intraveineuse). La laparotomie est réalisée sur la ligne blanche, après une préparation chirurgicale classique. L'incision débute 10 cm en avant de l'ombilic, le contourne, et se poursuit 10 cm caudalement, le fourreau étant récliné latéralement.

Il apparaît alors que le rectum est totalement absent et que le côlon se termine de façon aveugle. Les anses intestinales ne sont que modérément distendues. Nous décidons de créer un anus artificiel, en abouchant la partie terminale du côlon à la peau de l'abdomen.

Une incision circulaire de 4 cm de diamètre, intéressant la peau et les muscles abdominaux, est réalisée en position paramédiane gauche, à 10 cm de la plaie de laparotomie. La partie terminale du côlon est approchée et son extrémité aveugle extériorisée sur quelques centimètres. Le côlon est alors suturé à cet anneau par un surjet perforant circulaire, chargeant le côlon et les muscles abdominaux. La suture est réalisée avec un monofil résorbable synthétique (Biosyn(r)) déc. 4 (USP 1). La partie aveugle du côlon est ouverte par une incision en T. Les bords des lambeaux ainsi réalisés sont suturés à la peau par un autre surjet, réalisé avec un fil tressé synthétique résorbable (Polysorb(r)) déc. 5 (USP 2) (voir la FIGURE “Principe de la première intervention”).

La plaie de laparotomie de la ligne blanche est refermée classiquement : un surjet au Polysorb(r) déc. 4 pour le péritoine et la paroi musculaire, puis un surjet cutané.

3. Soins postopératoires

Une antibiothérapie générale à base de cefquinome est instaurée (Cobactan(r), 5 ml une fois par jour pendant dix jours par voie intramusculaire). La stomie et la plaie de laparotomie sont désinfectées quotidiennement à l'aide de povidone iodée (Vétédine(r) solution). Le veau est hébergé dans une case individuelle sur une litière de paille.

4. Suites

La période postopératoire immédiate n'a posé aucun problème. Le veau a expulsé le méconium dès son réveil. Il tétait et déféquait normalement et ne présentait pas de ténesme.

En revanche, deux semaines après l'intervention, un prolapsus de la muqueuse colique de 10 cm est apparu. Nous avons alors, par l'orifice artificiellement créé, placé des points en U perforants à travers le côlon et la paroi abdominale, de façon à fixer la muqueuse colique (voir la FIGURE “Fixation de la muqueuse colique”). Cette intervention simple a été effectuée sans anesthésie, avec seulement une contention musclée.

Le prolapsus est néanmoins réapparu partiellement une semaine plus tard. Une suture en bourse a été réalisée sur l'anus artificiel pour réduire le diamètre de l'orifice et a apporté une solution durable (PHOTO 1).

Après deux mois de stabulation, le veau a été mis au pré avec sa mère. Il a été abattu à l'âge de huit mois en vue d'une autoconsommation par son propriétaire. Il pesait alors 250 kg.

Discussion

1. Anomalies congénitales de l'intestin

Les anomalies congénitales de l'anus et du rectum peuvent exister isolément, ou être associées. Lorsque l'anus est absent, le diagnostic est facile et souvent réalisé immédiatement par l'éleveur lui-même. Le veau nouveau-né est présenté en bon état. Le traitement chirurgical est simple si l'ampoule rectale est proche de la peau [1].

Lorsque l'anus est présent, le diagnostic est souvent plus tardif. Le veau est présenté à l'âge de deux à six jours, souvent en état de choc ou de péritonite [4]. Après s'être alimenté normalement pendant quelques jours, il présente une anorexie, une distension abdominale progressive avec des coliques, un défaut d'expulsion du méconium, une absence de défécation et une détérioration de l'état général [4].

Lorsque l'anomalie concerne le rectum, comme dans le cas décrit, le diagnostic par toucher anal est facile, mais seule une laparotomie exploratrice permet de situer son site exact. Lorsque l'anomalie affecte une portion plus proximale du tube digestif (intestin grêle, côlon), la palpation et la succussion permettent de mettre en évidence la dilatation globale du tube digestif proximal à la lésion. Le silence abdominal est de règle. Une paracentèse de l'abdomen permet d'évaluer l'ascite et la gravité de la péritonite associée afin d'éviter certaines opérations inutiles à cause d'un pronostic trop défavorable [4]. Le diagnostic différentiel doit être réalisé avec les autres causes d'obstructions gastro-intestinales [4] : obstruction par le méconium (les fèces récupérées par toucher rectal sont marron et collantes et les laxatifs sont efficaces), intussusception et volvulus intestinaux (l'anamnèse indique alors une émission de matières fécales normales avant l'apparition de l'anomalie), volvulus ou ulcère abomasal, entérite ou septicémie à point de départ digestif.

2. Décision et technique opératoires

Lorsque le diagnostic est établi, un examen général permet tout d'abord d'éliminer la présence de lésions associées (fente palatine, agénésie d'organe, hernies, anomalies cardiaques, etc.) [4], qui rendraient l'intervention inutile.

Ensuite, l'opération décrite classiquement est une laparotomie par le creux du flanc droit, afin de rechercher le site d'occlusion. Selon l'anomalie mise en évidence, plusieurs techniques peuvent être envisagées : une entéro-anastomose, ou la création d'un anus artificiel par colostomie ou typhlostomie, par abouchement du côlon ou du cæcum à la paroi du flanc. Quand elle est possible, l'entéro-anastomose est à préférer, car elle conserve le rôle du sphincter anal et la continence fécale [4].

Dans notre cas, l'anastomose colorectale était impossible, puisque le rectum était totalement absent. Le site choisi pour aboucher le côlon, en position paramédiane, n'est pas celui qui est habituellement retenu. Ce site permet cependant d'obtenir une carcasse moins dépréciée, dans l'optique d'un jeune veau de boucherie : la résection de la stomie immédiatement paramédiane entraîne un épluchage plus discret par rapport au site classique.

Lors d'un cas similaire antérieur, nous avions tenté de réaliser l'anus artificiel sur la plaie de laparotomie, sur la ligne blanche, mais cette tentative s'était soldée par un échec (l'intervention avait été aussi beaucoup plus tardive, car elle concernait un veau de huit jours et une péritonite s'était déjà installée). L'éleveur ne s'était pas aperçu de l'anomalie plus précocement, car l'animal était en stabulation libre avec sa mère et semblait s'alimenter normalement. Les coliques et le ténesme étaient apparus tardivement.

Dans le cas décrit ici, les complications de prolapsus de la muqueuse colique auraient sans doute pu être évitées si la séreuse et la musculeuse colique avaient été suturées sur 10cm à la paroi abdominale, lors de la première intervention. En outre, au cours de l'opération, il aurait été utile de faire l'exérèse du cordon ombilical afin de limiter les souillures. En effet, ce veau a présenté une omphalophlébite en période postopératoire, mais celle-ci a guéri sans autres soins que l'antibiothérapie postopératoire et la désinfection qui avaient été instaurées. Cependant, cet exemple montre que la colostomie paramédiane peut être une alternative intéressante à la technique classique.

Les anomalies congénitales de l'intestin chez le veau

Toutes les portions de l'intestin peuvent être anormales (atrésie ou fistule) ou absentes (agénésie). L'atrésie du jéjunum semble être l'anomalie la plus fréquente de l'intestin grêle. Deux ampoules sont alors réunies par un segment atrésique parfois filiforme. En ce qui concerne le gros intestin, la sténose est le cas le plus fréquent. La formation d'une membrane occlusive (type 1) est exceptionnelle. Les types 2 (atrésie) et 3 (agénésie ou aplasie segmentaire) sont également fréquents. Leur localisation préférentielle est l'anse spirale du côlon descendant.

L'anus peut se situer en position anormale, mais présenter une anatomie normale (position sacrocaudale). Le canal anal peut être de taille réduite. Une membrane peut venir obstruer l'orifice anal. On doit distinguer ce dernier cas de l'imperforation anale où l'orifice anal est absent et recouvert par de la peau. Enfin, il est possible d'observer une atrésie du canal anal.

Le rectum est affecté isolément ou en association avec l'anus. L'atrésie anorectale est le cas le plus fréquent. Cette situation peut être compliquée par l'apparition de fistules urinaire (vessie, urètre chez le mâle) ou génitale (utérus ou vagin chez le femelle).

Extrait de l'article “Traitement chirurgical des malformations congénitales du tube digestif chez les bovins”, par P. Moissonnier, H. Navetat et C. Rizet, Point Vét 2000 ; 31 (n° spécial “Chirurgie des bovins et des petits ruminants”): 753-756.

Points forts

Lors d'anomalie intestinale congénitale chez le veau, l'animal est souvent examiné tardivement (plus de quatre jours) si l'anus est présent et semble normal, car l'appétit et le comportement sont normaux dans les premiers jours de vie.

La réussite d'une intervention chirurgicale dépend du site de la lésion et du temps écoulé entre la naissance du veau et l'opération.

L'agénésie anale peut être traitée par laparotomie et colostomie dans le creux du flanc droit.

L'intervention par laparotomie médiane et colostomie paramédiane représente une alternative intéressante.

  • 1 - Bouisset S, Assié S. Chirurgie de l'anus et du rectum chez les bovins. Point Vét. 2000 ; 31(n° spécial “Chirurgie des bovins et des petits ruminants”): 763-768.
  • 2 - Constable PD, Rings MD, Hull BL, Hoffsis GF, Robertson JT. Atresia coli in calves : 26 cases (1977-1987). J. Amer. Vet. Med. Assocn. 1989 ; 195 : 118-123.
  • 3 - Hekmatie P, Chahras H. Etude d'anomalies ou malformations congénitales des régions anales, rectales et de l'appareil urogénital chez le veau. Cah. Méd. Vét. 1973 ; 42 : 180-187.
  • 4 - Moissonnier P, Navetat H, Rizet C. Traitement chirurgical des malformations congénitales du tube digestif chez les bovins. Point Vét. 2000 ; 31(n° spécial “Chirurgie des bovins et des petits ruminants”): 753-756.
  • 5 - Stennhaut M, De Moor A, Verschoten F, Desemt P. Intestinal malformations in calves and their surgical correction. Vet. Rec. 1976 ; 98 : 131-133.
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