Quels analgésiques utiliser en période périopératoire ? - La Semaine Vétérinaire n° 223 du 01/03/2002
La Semaine Vétérinaire n° 223 du 01/03/2002

ANALGÉSIE DES CARNIVORES DOMESTIQUES

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EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Stéphanie Kéroack*, Béatrice Langevin**, Éric Troncy***

Fonctions :
*ENV de Lyon
**ENV de Lyon
***ENV de Lyon
****Département des animaux de compagnie
Unité Siamu
1, avenue Bourgelat, BP 83
69280 Marcy-l'Étoile

Une analgésie adaptée chez le chien et chez le chat permet de réduire significativement la mortalité et la morbidité lors d'une intervention chirurgicale.

L'application pratique de divers protocoles analgésiques n'est pas toujours facile à intégrer à la réalité de la clientèle privée. Les principales raisons sont une mauvaise connaissance des agents (et surtout de leurs effets secondaires) et un a priori vis-à-vis de leur mode d'approvisionnement, de leur détention (en ce qui concerne les morphiniques) et de leur coût [2]. En fait, il existe un grand nombre de protocoles et de techniques qui peuvent s'intégrer facilement au fonctionnement d'une clinique et aux habitudes du praticien.

Avec la minimisation du traumatisme chirurgical (en intensité et en durée), l'adaptation et l'adéquation du protocole analgésique constituent les deux facteurs essentiels pour favoriser un rétablissement rapide, gagner du temps (autrement consacré aux soins postopératoires) et minimiser les complications, comme les infections de plaie ou l'amyotrophie de “non-usage”. Une telle attitude permet en outre de répondre de façon positive aux attentes actuelles du propriétaire, tout en améliorant ses propres règles éthiques.

Quand utiliser les antalgiques ?

L'administration d'un antalgique est judicieuse lorsque l'acte va probablement entraîner une stimulation nociceptive. Toutes les interventions chirurgicales sont douloureuses, du simple point de suture à la chirurgie orthopédique, viscérale, neurologique ou thoracique. Plusieurs affections médicales ou actes diagnostiques ou thérapeutiques provoquent également un certain degré de douleur qui, associé au stress, est plus ou moins bien toléré par l'animal.

Il convient néanmoins de planifier le protocole analgésique d'après le degré de douleur anticipé (voir le TABLEAU “Degré de douleur anticipé selon l'intervention chirurgicale”). Celui-ci peut toutefois être difficile à prédire chez un animal qui présente plusieurs affections (par exemple, inflammation et neuropathie lors de hernie discale).

Convient-il d'administrer un seul ou plusieurs analgésiques ?

La plupart des syndromes douloureux sont complexes, impliquent plus d'un type de douleur et font intervenir de nombreux médiateurs chimiques. La douleur pathologique est la conséquence d'un excès de nociception (hypersensibilisation périphérique et centrale), qui implique une multitude de mécanismes et de transmetteurs. Il est par conséquent peu probable qu'une seule classe d'antalgiques puisse contrer complètement la douleur. Une approche monothérapeutique, à l'aide d'une dose “standard” d'un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) par exemple, ne permet pas de traiter efficacement la douleur chez tous les animaux. Un protocole d'analgésie multimodale (plusieurs agents analgésiques de différentes classes) adapté, puis réévalué selon la réponse obtenue, est la base du succès d'un traitement contre la douleur.

Ce concept d'analgésie multimodale est aisément appliqué en pratique vétérinaire, par exemple en combinant l'utilisation de morphiniques et/ou d'(2-agonistes (action au niveau central) et celle d'AINS (les plus efficaces au niveau périphérique et synergiques avec les morphiniques au niveau central). Outre cette synergie pharmacologique (complétée par l'emploi d'anesthésiques locaux), l'analgésie multimodale offre l'avantage d'une synergie pharmacocinétique. Ainsi, lorsqu'un morphinique et un AINS sont injectés ensemble en phase postopératoire immédiate, la morphine(1) agit vite et pendant quatre à six heures, alors que soixante minutes environ sont nécessaires à l'AINS pour être efficace et pour qu'il conserve son activité pendant 18 à 24 heures.

Comment définir l'intensité de la douleur ?

Plutôt qu'une douleur, il existe des douleurs. La cause, les facteurs nociceptifs mis en jeu et l'individu qui la ressent sont à l'origine des variations d'intensité du signal douloureux. Cette intensité peut être classée en trois niveaux : le palier I (douleur faible), le palier II (douleur modérée) et le palier III (douleur sévère). À chacun de ces paliers correspond une attitude analgésique particulière (voir les TABLEAUX “Protocoles analgésiques lors de douleurs de palier I, II et III” et “Exemples de protocoles analgésiques : douleur légère à modérée, douleur modérée à sévère, douleur sévère à très intense”).

L'analgésique doit-il être administré avant l'intervention chirurgicale ?

Les meilleurs résultats pour le contrôle de la douleur postopératoire sont obtenus en administrant un analgésique avant d'induire une douleur [4, 5]. L'analgésie préventive, administrée avant l'intervention lors de la prémédication, est la solution la plus efficace et la plus simple en médecine vétérinaire : cette approche est la plus à même de contrer l'hypersensibilisation postlésionnelle (voir la FIGURE “Principes de l'analgésie préventive”) [5].

Ce concept d'analgésie préventive est valable pour l'administration préopératoire de morphiniques. Les effets ont en revanche rarement pu être reproduits avec fiabilité avec un AINS (même en tenant compte des contre-indications et des risques associés à leur utilisation peropératoire). Le carprofène a été l'un des premiers AINS à donner les résultats les plus probants dans ce type d'utilisation [a, 4], avec le kétoprofène dans une moindre mesure (efficacité similaire, innocuité moindre). Ceux obtenus avec le méloxicam [3], le nimésulide [1], l'acide tolfénamique [b] et le védaprofène [c] sont favorables, mais demandent une confirmation. Certains AINS entraînent une réponse individuelle variable qui, selon différentes études, est vraisemblablement liée au non-respect des caractéristiques pharmacocinétiques de ces produits [a, 4].

En ce qui concerne les effets indésirables liés à l'utilisation préanesthésique d'un AINS, le risque de complications gastro-intestinales n'est pas dépendant du temps d'administration et reste faible lors de traitement de courte durée. Le risque rénal est en revanche réel et des perfusions peropératoire et postopératoire sont systématiquement conseillées lors de l'administration d'un AINS, quel qu'il soit. Le risque hémostatique est uniquement présent chez les animaux à prédisposition raciale et individuelle ; il est plus faible (mais pas complètement absent [1]) avec les AINS Cox-2 préférentiels [a, 4].

Les (2-agonistes semblent donner des résultats similaires aux morphiniques lors d'une administration préopératoire, en sélectionnant les cas et en respectant la spécificité de leur pharmaco-cinétique. Les animaux chez lesquels on choisit d'administrer ce type d'agent en préanalgésie doivent avoir un risque ASA de I (animal âgé de plus de six mois et de moins de six à sept ans, en bonne santé) ou II (animal atteint d'une affection ayant peu ou pas de conséquence sur l'état général) si l'affection en cause n'a aucune répercussion systémique possible (lacération d'un coussinet plantaire, résection d'un kyste cutané, etc.). En outre, comme l'effet analgésique des (2-agonistes apparaît rapidement et est court, les interventions pour lesquelles ce type de protocole d'analgésie préventive est intéressant doivent être de courte durée (chirurgie de convenance, extraction dentaire, etc.).

Les analgésiques sont donc administrés au moment de la prémédication, en privilégiant la voie intramusculaire : la présence de l'antalgique est ainsi assurée au cours des phases peropératoire et postopératoire immédiate.

La voie intraveineuse peut aussi être intéressante, lors de la prémédication en particulier, lorsque l'anesthésie doit être induite rapidement. Certaines règles d'usage sont toutefois à respecter, surtout en ce qui concerne les morphiniques : l'injection intraveineuse doit notamment être effectuée très lentement, car des effets secondaires peuvent être observés (dépression cardiovasculaire, libération d'histamine, hypotension, vomissements). Cette méthode est de pratique courante en anesthésie humaine, mais elle nécessite une certaine expérience et une parfaite connaissance des propriétés pharmacologiques des morphiniques concernés. Il est donc conseillé d'opter pour l'analgésie préventive par voie intramusculaire, avant d'être parfaitement à l'aise dans la manipulation des divers agents. Outre l'analgésie, l'administration préopératoire de morphiniques et/ou d'(2-agonistes procure aussi un effet sédatif et une réduction du stress préanesthésique (propriétés euphorisantes des morphiniques), ce qui permet de réduire les doses des autres sédatifs employés (acépromazine, diazépam(1), etc.).

Les analgésiques doivent-ils également être administrés après l'intervention ?

En phase postopératoire, le morphinique choisi en période préopératoire est de nouveau administré, dès l'extubation (ou au retour du réflexe de déglutition), puis à intervalles plus ou moins réguliers selon la demi-vie de l'agent choisi et l'état douloureux de l'animal. D'autres agents peuvent être administrés, suivant le degré de douleur, comme par exemple un AINS, un patch de fentanyl(1) et/ou une technique d'anesthésie locorégionale [4]. Une association de ce type permet d'obtenir une excellente analgésie pendant plusieurs jours.

Comment évaluer la douleur postopératoire ?

Il peut se révéler difficile d'évaluer le degré de douleur ressenti par l'animal pour diverses raisons : variabilités intraspécifique et interspécifique, manque de critères objectifs dans l'évaluation, expérience insuffisante du clinicien, etc. L'utilisation d'une échelle d'évaluation de la douleur est courante en médecine humaine. En 2001, une grille similaire, adaptée aux carnivores domestiques, a été proposée par 4AVét (Association vétérinaire pour l'anesthésie et l'analgésie animales). Sa sensibilité, sa spécificité et sa reproductibilité nécessitent encore d'être validées dans le cadre d'études adéquates.

Comment administrer les analgésiques en phase postopératoire ?

Le plus souvent, après une intervention chirurgicale classique (laparotomie ou chirurgie orthopédique simple, par exemple), un morphinique est administré de nouveau à l'extubation par voie intramusculaire, puis toutes les trois à six heures en ce qui concerne la morphine(1) (PHOTO 1), pour un total de deux à quatre injections par voie intramusculaire. Les doses et les fréquences d'administration sont adaptées selon la réponse de l'animal.

Lors de douleur sévère qui ne répond pas à ce protocole thérapeutique simple, l'administration de morphine(1) en période postopératoire peut se faire en titration. Le principe est l'administration renouvelée de petites doses par voie intraveineuse (0,05 à 0,1 mg/kg) toutes les dix à quinze minutes, jusqu'à l'atténuation de la douleur. La dose totale administrée est ensuite calculée afin de déterminer la dose totale minimale efficace, qui correspond à celle administrée à intervalles réguliers lors de la période postopératoire.

Par exemple, un chien ayant subi une corpectomie au niveau des vertèbres cervicales 5 et 6 montre des signes marqués de douleur (PHOTO 2) à son réveil (gémissements, plaintes, fréquence cardiaque élevée, respiration superficielle, etc.) et reçoit de la morphine(1) à la posologie de 0,1mg/kg par voie intraveineuse (injection lente). Quinze minutes plus tard, l'animal montre toujours des signes de douleur : une dose de 0,1 mg/kg est de nouveau administrée avec les mêmes précautions, sans résultat optimal, suivie d'une nouvelle dose quinze minutes après. Le chien dort alors calmement. La dose totale administrée, soit 0,3 mg/kg par voie intramusculaire, est celle préconisée trois et sept heures après. Si la douleur est encore bien contrôlée, des doses décroissantes de morphine(1) (25 % de réduction à chaque administration) sont alors administrées toutes les trois à six heures, selon les besoins.

Dans ce cas, il aurait aussi été indiqué d'administrer un AINS pendant trois à cinq jours (injection postopératoire, puis relais par voie orale) et de poser un patch de fentanyl(1). La morphine(1) est alors administrée jusqu'à l'efficacité maximale du patch, soit dix-huit à trente-six heures après sa pose.

Lors d'interventions très douloureuses, il est souvent indiqué d'associer un certain nombre “d'armes analgésiques”. La titration de morphine(1) est tout à fait indiquée dans ce cas et peut être potentialisée par un (2-agoniste ou un dissociatif : au début du déroulement de la titration en morphine(1), une très petite dose d'un dissociatif (kétamine : 0,5 à 1 mg/kg par voie intraveineuse) ou de médétomidine (2 à 5µg/kg par voie intraveineuse) est administrée, puis répétée si nécessaire toutes les une à deux heures. La dose totale de morphine(1) peut ainsi être réduite grâce à cette potentialisation, particulièrement indiquée lors de douleurs extrêmes avec manifestations violentes. Les dissociatifs sont plus efficaces lors de douleurs d'origine cutanée, musculosquelettique ou neuropathique.

Il convient d'administrer les (2-agonistes en phase postopératoire avec précaution, plutôt lors d'interventions chirurgicales de routine chez des animaux de risque ASA ( 2, en respectant leurs contre-indications : l'atipamézole est l'antidote en cas de complication (Antisedan(r), 25 à 100 µg/kg par voie intramusculaire ou intraveineuse en cas d'urgence, soit le même volume à injecter que le Domitor(r)).

Les techniques d'anesthésie locorégionale sont idéales lors de douleur vive : l'administration épidurale d'analgésiques concerne les interventions sur la partie caudale (membres pelviens, abdomen en particulier), et les blocs nerveux sont possibles à plusieurs endroits (plexus brachial, nerfs intercostaux, etc.) (PHOTO 3 et la FIGURE “Réalisation d'un bloc de plexus brachial chez un chien”). Par le biais d'un cathéter épidural, une nouvelle administration du produit peut être effectuée pendant quelques jours, pour maintenir une excellente analgésie, par exemple lors de chirurgie du bassin ou de fractures bilatérales des postérieurs [4].

Conclusion

Il existe ainsi de nombreuses possibilités de contrôle périopératoire de la douleur. Le concept des paliers douloureux permet de prévoir un protocole type pour chaque catégorie d'interventions, en appliquant à chaque fois le principe de l'analgésie préventive et multimodale. Ce protocole est ensuite adapté en phase postopératoire. La meilleure démarche consiste à systématiser un protocole analgésique qui correspond à chaque palier de douleur, puis à réévaluer l'animal et à adapter le protocole par l'augmentation des doses (titration), le rapprochement des intervalles d'administration ou l'ajout d'un agent (potentialisation) ou d'une technique locorégionale.

Cet article sera suivi de la publication de deux autres qui le complètent :

- Kéroack S, Langevin B, Troncy E. Analgésie chez le chien et le chat. Point Vét. 2002 ; 33(234).

- Housiaux N, Troncy E. Durogesic, l'analgésie transcutanée. Point Vét. 2002 ; 33(235).

(1) Médicament à usage humain.

ATTENTION

Lors de douleur sévère qui ne répond pas à ce protocole thérapeutique simple, l'administration de morphine en période postopératoire peut se faire en titration.

Congrès

b - Grandemange E, Borell D, Pheulpin S et coll. Prévention de la douleur postchirurgicale par l'acide tolfénamique en injection unique préopératoire chez le chien. Proceedings CNVSPA, 2000, Paris, France.

c - Theyse LFH, Van Zuilen CD, Hazewinkel HAW et coll. Le védaprofène est efficace et bien toléré en tant qu'analgésique postopératoire après une chirurgie de l'articulation du coude chez le chien. Proceedings 23e WSAVA, 26/9/1999, Lyon, France.

Points forts

Une approche monothérapeutique ne permet pas de traiter efficacement la douleur chez tous les animaux.

Les meilleurs résultats pour le contrôle de la douleur postopératoire sont obtenus en administrant un analgésique avant d'induire la douleur.

Contrairement aux idées reçues, les morphiniques sont faciles à obtenir en clientèle vétérinaire et les praticiens peuvent les intégrer à leur pratique quotidienne.

L'association d'un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), d'un patch de fentanyl(1) et d'une technique d'anesthésie locorégionale permet d'obtenir une excellente analgésie pendant plusieurs jours.

À lire également

a - Gogny M. Analgésie préventive : la place des AINS. Action Vétérinaire. 14/12/2001 : 13-16.

  • 1 - Ferreira X, Lambert L, Leblond A et coll. Comparison of analgesia and perioperative problems associated with the perioperative use ketoprofen and nimesulide in dogs. J. Vet. Anaesth. Analg. 2001 ; 28(4): 207.
  • 2 - Hugonnard M, Leblond A, Cadoré J-L et coll. Évaluation et traitement de la douleur des carnivores domestiques. La douleur : résultats d'une enquête en clientèle. Point Vét. 2001 ; 32(214): 48-51.
  • 3 - Mathews KA, Pettifer G, Forter R et coll. Safety and efficacy of pre-operative administration of meloxicam, compared with that of ketoprofen and butorphanol in dogs undergoing abdominal surgery. Am. J. Vet. Res. 2001 ; 62 : 882-888.
  • 4 - Troncy E, Langevin B. Carnet clinique : Analgésie des carnivores domestiques. Maisons-Alfort. Éditions du Point Vétérinaire. 2001 : 208 p.
  • 5 - Woolf CJ, Chong NS. Preemptive analgesia - treating postoperative pain by preventing the establishment of central sensitization. Anesth. Analg. 1993 ; 77 : 362-379.
  • 6 - Yeager MP, Glass DD, Neff RK et coll. Epidural anesthesia and analgesia in high-risk surgical patients. Anesthesiology. 1987 ; 66(6): 729-736.
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