Boiterie et érythème nécrolytique chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 223 du 01/03/2002
Le Point Vétérinaire n° 223 du 01/03/2002

DERMATOLOGIE CANINE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Hervé Royer

Fonctions : Clinique vétérinaire des Étangs
La Tuilerie
01330 Villars-les-Dombes
Tél. : 04 74 98 01 10
E-mail : h.royer@infonie.fr

Le diagnostic étiologique est indispensable en dermatologie lorsque l'atteinte cutanée est l'expression d'une affection interne qui met en jeu le pronostic vital de l'animal.

Un scottish terrier mâle âgé de huit ans présente une boiterie quadripodale depuis plusieurs semaines. L'animal ne côtoie d'autres congénères qu'exceptionnellement. La leishmaniose est endémique dans le département où il vit.

Cas clinique

1. Examen clinique

L'état général est bon.

Les coussinets sont le siège d'un épaississement cutané marqué, avec fissuration et ulcération (PHOTO 1).

Les nœuds lymphatiques poplités et préscapulaires sont hypertrophiés.

Des squames et des croûtes sont constatées sur le scrotum (PHOTO 2), sur le bord des lèvres (PHOTO 3) et sur le sternum.

Le dos présente un squamosis modéré.

2. Hypothèses diagnostiques

D'après les commémoratifs et l'examen clinique, la première hypothèse évoquée est la leishmaniose, mais une dermatite interdigitée bactérienne ou fongique est également suspectée.

3. Examens complémentaires

Des calques cutanés réalisés sur les espaces interdigités montrent la présence abondante de levures du genre Malassezia, ainsi que de nombreux coques.

Les raclages cutanés ne mettent en évidence aucun élément parasitaire ou fongique.

La sérologie leishmaniose (Speed Leish(r), Bio Véto Test) se révèle négative.

En première intention, une antibiothérapie (association baquiloprim et sulfadiméthoxine : Zaquilan(r) 600 à la dose de 30 mg/kg toutes les quarante-huit heures, par voie orale) est instaurée pendant trois semaines. Des applications locales de chlorhexidine (Hibitan(r) 5 %) sont également prescrites.

4. Évolution et nouveaux examens complémentaires

En raison de l'extension des lésions malgré le traitement entrepris, des biopsies de la peau (zones squamo-croûteuses) et des coussinets sont effectuées.

L'analyse histopathologique montre une forte hyperplasie de l'épiderme, une hyperkératose parakératosique étendue, accompagnée d'une agranulocytose (diminution du nombre de granulocytes) et de zones de vacuolisation hydropique des acanthocytes sous-cornés. Des foyers de pyodermite et des éléments lévuriformes, qui rappellent le genre Malassezia, sont également constatés.

Les données cliniques et histopathologiques sont donc en faveur d'une dermite nécrolytique superficielle, compliquée d'une dermite à Malassezia et d'une pyodermite superficielle.

Afin de rechercher une atteinte systémique, de nouveaux examens complémentaires sont réalisés.

Un profil biochimique est établi (voir le TABLEAU “Bilan biochimique”) : les activités des enzymes hépatiques (phosphatases alcalines et alanine-amino-transférase) sont fortement augmentées.

Le cliché radiographique de l'abdomen met en évidence une projection hépatique d'une taille à la limite inférieure de la normale (PHOTO 4).

À l'échographie, le parenchyme hépatique apparaît hétérogène, son contour est bosselé et les canaux biliaires sont anormalement dilatés. Ces images permettent de suspecter une cirrhose.

5. Diagnostic

Le chien est atteint d'un érythème nécrolytique migrant associé à une affection viscérale sous-jacente qui correspond à une lésion hépatique cirrhotique, dont le pronostic est défavorable à court terme.

6. Traitement et évolution

L'administration d'acides gras essentiels (Actis(r) chien oméga 3 et 6, 1 ml/5 kg /j par voie orale), de jaunes d'œufs et de zinc (Zincaderm(r), 15mg/10 kg /j par voie orale) est prescrite tant que l'état général de l'animal reste correct.

Deux mois après le diagnostic et trois mois après le début des symptômes, le chien manifeste une baisse de forme marquée. L'euthanasie est alors demandée par les propriétaires. L'autopsie révèle des lésions macroscopiques hépatiques compatibles avec une cirrhose sévère (PHOTO 5).

Discussion

1. Épidémiologie

Les chiens de race terrier semblent prédisposés à développer un érythème nécrolytique migrant. Sur 71 cas rapportés dans la littérature [1], 13 appartiennent aux races west highland white terrier, jack russell terrier, scottish terrier et yorkshire terrier. L'âge d'apparition des premiers symptômes se situe entre quatre et seize ans, même si le cas d'un beagle âgé de sept mois a été décrit.

Dans cette même étude, les mâles représentaient 58 % des cas [1].

2. Étiopathogénie

L'érythème nécrolytique migrant est une affection à la fois dermatologique et systémique (voir l'ENCADRÉ “Lésions lors d'érythème nécrolytique migrant”) : elle associe des lésions cutanées et une atteinte hépatique (quasi exclusivement chez le chien) ou pancréatique (glucagonome). Dans une étude rétrospective de 42 cas, 90,5 % des cas étaient associés à un trouble hépatique sévère, alors qu'une tumeur pancréatique glucagonosécrétrante a été mise en évidence dans 9,5 % des cas [10]. Chez le chien, ce syndrome est également décrit à la suite de traitements anticonvulsivants à long terme (primidone(1), phénobarbital(1)) ou en association avec un hypercorticisme [2].

Des surinfections bactériennes ou fongiques (Malassezia) sont souvent décrites (voir l'ENCADRÉ “Association de l'érythème nécrolytique migrant et de la malasseziose”) [5, 8].

Chez le chat, les descriptions sont très rares. Un cas d'érythème nécrolytique migrant associé à un carcinome pancréatique glucagonosécrétant a été rapporté. Les lésions cutanées et celles des coussinets sont semblables à ce qui est constaté chez le chien [1].

Chez l'homme, la physiopathogénie de l'atteinte dermatologique, suspectée chez le chien, est liée à un déficit en acides aminés (hydroxyproline, thréonine, glutamine, proline, alanine, citrulline, arginine) à l'origine d'un dysfonctionnement et d'une dégénérescence des kératinocytes. Un trouble du métabolisme du zinc et des acides gras polyinsaturés est également suspecté [1, 2, 5].

Ce syndrome, qui associe habituellement chez l'homme un glucagonome et une altération tardive du métabolisme glucidique et des acides aminés, suggère l'influence d'une augmentation de l'activité glucagonique [2, 8]. En effet, le retrait du glucagonome entraîne la résolution de la dermatite et l'administration d'un analogue de la somatostatine (diminue la sécrétion de glucagon) permet d'améliorer les lésions. Il est toutefois probable que d'autres facteurs interviennent puisque aucun trouble dermatologique ne s'exprime chez certains patients chez lesquels la glucagonémie est deux fois plus élevée que la normale.

Lors d'atteinte hépatique, l'insuffisance organique secondaire pourrait, selon certains auteurs, s'accompagner d'une diminution du catabolisme du glucagon, avec pour corollaire une hyperglucagonémie [1].

3. Symptômes

L'expression cutanée précède toujours celle de l'affection sous-jacente de plusieurs semaines à plusieurs mois. En effet, les symptômes associés à l'atteinte viscérale sont souvent frustes et ne sont pas repérés par les propriétaires.

Sur le plan clinique, il convient de rechercher un éventuel abattement, une polyuro-polydypsie, un ictère et une perte de poids. Dans la plupart des cas, le motif de consultation est lié aux lésions cutanées. La boiterie est souvent rapportée en raison de fissurations des coussinets, avec ou sans surinfection bactérienne ou fongique [1, 10, 11].

Parfois, un diabète sucré apparaît très tardivement, après la découverte des anomalies hépatiques et cutanées [4, 5].

4. Diagnostic

Le diagnostic différentiel inclut le pemphigus foliacé, la leishmaniose, le lupus érythémateux systémique, les dermatoses améliorées par le zinc et la generic dog food dermatosis (associée à une alimentation carencée) [1, 2, 3, 10, 11].

Le diagnostic de l'érythème nécrolytique migrant est avant tout histopathologique : l'aspect “rouge, blanc, bleu” des coupes obtenues (biopsies cutanées), qui correspond à la juxtaposition lésionnelle de la parakératose hyper-kératosique, de la pâleur sous-épidermique et de l'hyperplasie de la couche basale, est typique.

Les résultats des examens biochimiques sanguins sont en général évocateurs de l'affection sous-jacente : augmentation des concentrations sériques des enzymes hépatiques (phosphatases alcalines et alanine-amino-transférase), hypoalbuminémie, hyperglycémie, hypoaminoacidémie sévère (de l'ordre de 30 à 50 % des valeurs normales) et, dans certains cas, hyperinsulinémie.

Les examens d'imagerie médicale constituent une aide pour visualiser une anomalie pancréatique ou hépatique. Ils peuvent être complétés par une biopsie pour caractériser une cirrhose, une néoplasie, une surcharge glycogénolipidique évocatrice d'un syndrome de Cushing, une hépatite chronique active, etc. [2, 4].

Lorsque les examens complémentaires effectués ne permettent pas de suspecter une affection hépatique, il convient de rechercher une hyperglucagonémie, éventuellement associée à un glucagonome pancréatique.

5. Traitement

Il n'existe pas de traitement curatif, excepté lors de lésion interne localisée (pancréatique, par exemple) susceptible d'être retirée chirurgicalement.

Sur le plan médical, l'administration de jaunes d'œufs (riches en acides aminés), à raison de trois à six par jour, de zinc et d'acides gras insaturés, peut permettre d'améliorer les symptômes cutanés. Dans certains cas, une rémission complète des lésions dermatologiques est décrite [1, 2, 4].

Il est également possible de prescrire des aliments industriels dont la formulation tient compte des besoins accrus en acides aminés et en zinc, tout en réduisant les composants comme le cuivre, qui surchargent l'activité hépatique [7].

Chez l'homme, la somatostatine a été utilisée pour s'opposer aux effets du glucagon. Ainsi, un analogue de la somatostatine, l'acétate d'octréotide (Sandostatin(r)(1)), a été administré dans l'espèce canine à la dose de 10 à 40 µg par voie sous-cutanée toutes les huit heures, jusqu'à la disparition des lésions.

Actuellement, le traitement palliatif le plus efficace est l'administration d'acides aminés par voie intraveineuse. Une solution à 10 % (des spécialités existent en médecine humaine, mais sont réservées au milieu hospitalier) est injectée en perfusion lente par l'intermédiaire d'un cathéter jugulaire (environ 25 ml/kg en huit à douze heures). Ce traitement est à proscrire chez les chiens qui ont des antécédents d'encéphalose hépatique. Habituellement, ces administrations sont à renouveler tous les sept à dix jours. La réponse est souvent spectaculaire, mais temporaire [2].

Lors de surinfection bactérienne ou fongique, un traitement étiologique estompe la gravité des lésions.

6. Pronostic

Le pronostic vital est souvent sombre. Il dépend de la gravité de l'atteinte hépatique ou pancréatique sous-jacente et du risque d'apparition de diabète sucré [3, 4, 5]. Malgré un cas décrit de guérison d'un chien en soixante à quatre-vingt-dix jours après le retrait chirurgical d'un carcinome pancréatique glucagono sécrétant [10], la tumeur est souvent cancéreuse et les métastases lymphatiques ou hépatiques assombrissent encore le pronostic [1, 10].

La moyenne de l'espérance de vie est inférieure à cinq mois, avec des extrêmes allant d'un mois à plus d'un an [2, 4].

Conclusion

Ce cas illustre la complexité du diagnostic clinique en dermatologie. Il importe de ne pas se limiter à une lésion ou à une localisation, mais de prendre en compte l'ensemble des anomalies observées lors d'un examen clinique rigoureux. L'analyse anatomopathologique reste un examen complémentaire primordial car elle a souvent une valeur diagnostique.

La peau constitue un indicateur d'une affection interne pour certaines entités dermatologiques. En effet, des manifestations cutanées peuvent apparaître lors de troubles métaboliques ou de phénomènes néoplasiques, parfois longtemps avant que la maladie causale soit identifiée.

(1) Médicament à usage humain.

Lésions lors d'érythème nécrolytique migrant

Lésions cutanées :

- dermite érythémateuse érosive, ulcérative et croûteuse des jonctions cutanéomuqueuses (lèvres, paupières, nez, anus, organes génitaux) et des points de pression (creux axillaire, abdomen, coudes, pieds) ;

- épaississement marqué des coussinets.

Lésions systémiques :

- foie ;

- pancréas (glucagonome).

Association de l'érythème nécrolytique migrant et de la malasseziose

L'association entre une dermite à Malassezia et l'érythème nécrolytique a été rapportée dans la littérature. Les Malassezia sont des levures qui appartiennent à la microflore commensale de la peau du chien sain. Les phénomènes cutanés inflammatoires (dermatites allergiques) ou l'augmentation de la production de sébum lors d'endocrinopathies (hypercorticisme, hypothyroïdisme, diabète sucré) ou d'anomalies métaboliques (érythème nécrolytique, dermatite répondant au zinc) créent les conditions micro-environnementales favorables à la prolifération de Malassezia pachydermatis. Ainsi, il est conseillé de rechercher systématiquement une affection sous-jacente lors de dermatite à M. pachydermatis [6, 9].

Points forts

Les chiens de race terrier semblent prédisposés à développer un érythème nécrolytique migrant.

L'expression cutanée précède toujours celle de l'affection sous-jacente de plusieurs semaines à plusieurs mois.

Le diagnostic différentiel inclut le pemphigus foliacé, la leishmaniose, le lupus érythémateux systémique, les dermatoses améliorées par le zinc et la generic dog food dermatosis.

Le diagnostic de l'érythème nécrolytique migrant est avant tout histopathologique.

L'administration de jaunes d'œufs, de zinc et d'acides gras insaturés, peut permettre d'améliorer les symptômes cutanés.

La moyenne de l'espérance de vie est inférieure à cinq mois, avec des extrêmes allant d'un mois à plus d'un an.

En savoir plus

7 - Hill's pet (page consultée le 29 juillet 2001). http://www.prescriptiondiet.com/product/canine_ld.asp

  • 1 - Byrne K. Metabolic epidermal necrosis-hepatocutaneous syndrome. Vet. Clin. North Amer.-Small Anim. Pract. 1999 ; 29(6): 1337-1355.
  • 2 - Campbell KL, Matousek JL, Lichtensteiger CA. Cutaneous markers of hepatic and pancreatic diseases in dogs and cats. Vet. Med. 2000 ; 95(4): 306-314.
  • 3 - Dunn JK. Textbook of small animal medicine. Philadelphia, WB Saunders Co. 1999 : 901 pages.
  • 4 - Gross TL, Song MD, Havel PJ et coll. Superficial necrolytic dermatitis (necrolytic migratory erythema) in dogs. Vet. Pathol. 1993 ; 30 : 75-81.
  • 5 - Guaguère E, Muller A, Magnol JP. Lésions cutanées associées à des maladies internes chez le chien. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1997 ; 32(4): 275-289.
  • 6 - Guaguère E, Prélaud P. Etude rétrospective de 54 cas de dermite à Malassezia pachydermatis chez le chien : résultats épidémiologiques, cliniques, cytologiques et histopathologiques. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1996 ; 31(4): 309-323.
  • 8 - Miller WH, Scott DW, Buerger RG et coll. Necrolytic migratory erythema in dogs : a hepatocutaneous syndrome. J. Amer. Anim. Hosp. Assn. 1990 ; 26 : 573-581.
  • 9 - Morris D. Malassezia dermatitis and otitis. Vet. Clin. North Amer.-Small Anim. Pract. 1999 ; 29(6): 1303-1309.
  • 10 - Torres S et coll. Resolution of superficial necrolytic dermatitis following excision of a glucagon-secreting pancreatic neoplasm in a dog. J. Amer. Anim. Hosp. Assn. 1997 ; 33 : 313-319.
  • 11 - Torres S et al. Superficial necrolytic dermatitis and a pancreatic endocrine tumor in a dog. J. Small Anim. Pract. 1997 ; 38 : 246-250.
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr