Le diagnostic étiologique de la mydriase chez le chat - Le Point Vétérinaire n° 222 du 01/01/2002
Le Point Vétérinaire n° 222 du 01/01/2002

OPHTALMOLOGIE FÉLINE

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Valérie Meunier

Fonctions : consultante en ophtalmologie
30, rue Faÿs
94300 Vincennes

La mydriase peut être unilatérale (anisocorie pupillaire) ou bilatérale. Avant de rechercher une cause neurologique, il convient de soupçonner en premier lieu une affection purement oculaire.

Dans l’espèce féline, la mydriase unilatérale ou bilatérale est un signe d’appel à ne pas négliger. Souvent accompagnée d’autres symptômes locaux ou généraux, elle est riche d’enseignement et constitue une aide précieuse pour le diagnostic, voire le pronostic de certaines affections (voir l’ENCADRÉ “Rappels anatomophysiologiques de la mydriase”).

En pratique, l’approche d’une mydriase nécessite un examen rigoureux de toutes les structures intra-oculaires, mais aussi extra-oculaires. Des lésions intra-orbitaires du nerf optique peuvent en effet se produire lors de luxation du globe, de compression papillaire (glaucome) ou de tumeur orbitaire. La mydriase induite est alors le signe d’une atteinte des fibres nerveuses, souvent irréversible et accompagnée de cécité.

L’examen est complété par une évaluation des symptômes généraux associés afin de localiser l’origine de l’affection.

Mydriase d’origine intra-oculaire

1. Examiner l’iris

• Chez le chat, l’atrophie du muscle sphincter de l’iris entraîne une mydriase progressive aréflexique, sans incidence véritable pour l’animal. Cette affection, peu fréquente chez les félins, se traduit par un bord pupillaire souvent irrégulier ou par une dilacération des fibres musculaires iriennes.

• Les synéchies iriennes sont des séquelles d’uvéite à l’origine des adhérences entre la face postérieure de l’iris et la cristalloïde antérieure. La mydriase est souvent irrégulière et incomplète.

2. Mesurer et comparer la pression intra-oculaire de chaque œil

• Chez le chat, le glaucome primaire est rare (glaucome chronique à angle ouvert décrit chez le siamois et le persan). La mydriase s’installe lentement au début, suite à une paralysie du muscle sphincter de l’iris.

Lorsque le glaucome évolue, le nerf optique dégénère progressivement, s’accompagne d’une atrophie rétinienne et renforce ainsi la mydriase qui devient totale et souvent bilatérale (PHOTO 1).

• La majorité des glaucomes félins sont secondaires : à une luxation du cristallin, à une uvéite chronique, à une tumeur intra-oculaire, etc. La mydriase est unilatérale ou bilatérale selon l’œil atteint.

3. Examiner le cristallin

Une luxation du cristallin (qu’elle se produise dans la chambre antérieure ou dans le vitré) peut entraîner une mydriase par la création secondaire d’un glaucome.

4. Examiner le fond de chaque œil

• La dysplasie et la dégénérescence des photo-récepteurs sont des lésions primaires rétiniennes rares chez le chat. Elles sont décrites chez le persan, le siamois, l’abyssin et le birman. Le degré de mydriase et la qualité du réflexe photomoteur dépendent du degré d’évolution de l’atrophie rétinienne. Les lésions sont souvent bilatérales et se manifestent avant l’âge de cinq ans par des modifications ophtalmoscopiques de la rétine (décoloration du tapis autour du disque optique). Les lésions évoluent jusqu’à l’atrophie rétinienne complète, une mydriase et une cécité irréversible.

• Les rétinopathies acquises et les décollements de rétine sont des lésions secondaires qui provoquent une mydriase souvent accompagnée d’une cécité.

- Les uvéites postérieures ou choriorétinites (inflammation de la choroïde puis de la rétine) sont les témoins d’une maladie infectieuse générale ou d’un traumatisme oculaire. La toxoplasmose, la péritonite infectieuse, la leucose et le FIV sont à rechercher en priorité. L’uvéite postérieure se manifeste par une hyalite (inflammation du vitré, aspect trouble), des dépôts rétro-lenticulaires de cellules inflammatoires (qui gênent l’observation du fond d’œil) et une inflammation de la rétine (œdème rétinien, hémorragies, migrations pigmentaires, exsudat sous-rétinien).

- La rétinopathie hypertensive est relativement commune chez le chat. Une cécité brutale, associée à une mydriase unilatérale ou bilatérale, sont les principaux motifs de consultation et doivent conduire à effectuer des bilans cardiaque, rénal et thyroïdien (dosage de T4 basal) (PHOTO 2). Des hémorragies rétiniennes multiples, ainsi que des hémorragies vitréennes, sont souvent associées à un décollement rétinien plus ou moins étendu (localisation souvent inférieure “de 4 à 7 heures”, une obser-vation personnelle). Dans les cas graves, un hyphéma et un glaucome secondaire s’installent. Les hémorragies, et parfois le décollement de la rétine, peuvent être réversibles après un traitement systémique de l’hypertension artérielle. Il est néanmoins possible qu’une cécité due à la persistance d’un décollement rétinien ou à une atrophie rétinienne secondaire persiste ou s’installe, associée à une mydriase plus ou moins réflexique.

- La rétinopathie taurinoprive du chat, peu fréquente de nos jours, est due à une carence alimentaire en taurine ou à une anomalie de son métabolisme. Une dégénérescence centrale des photorécepteurs apparaît progressivement sur les deux yeux pour aboutir à une atrophie rétinienne totale avec une mydriase aréflexique.

- Les décollements de la rétine (séparation entre la rétine sensorielle et l’épithélium pigmentaire) entraînent une mydriase large et peu réflexique, accompagnée d’une cécité brutale. Ils sont le plus souvent de type exsudatif, et donc secondaires à une inflammation postérieure dont la cause doit être recherchée (mais un décollement rétinien peut aussi être secondaire à une hypertension artérielle). Lors de décollement total, la rétine peut être visible à l’œil nu : elle flotte derrière la face postérieure du cristallin (s’installer dans une pièce sombre et éclairer l’œil avec une lumière focalisée forte).

Mydriase d’origine extra-oculaire

1. Syndromes centraux : troubles nerveux associés

La mydriase n’est souvent qu’une composante d’un tableau lésionnel étendu (ischémie cérébrale, traumatisme crânien, hypertension intracrânienne, tumeur, encéphalite). Elle peut avoir une valeur de diagnostic ou de pronostic dans certains cas :

- lors de traumatismes crâniens, l’évolution d’un myosis bilatéral vers une mydriase aréflexique traduit la progression de la lésion, une contusion grave du mésencéphale ou une hernie du lobe temporal ;

- certains toxiques peuvent provoquer une mydriase bilatérale précoce : le métaldéhyde, les organochlorés, le thallium, le gui et le paracétamol principalement ;

- lors d’anesthésie trop profonde, la mydriase est un signe de coma qui précède la mort.

2. Syndrome de Key-Gaskell ou dysautonomie féline

La dysautonomie neurovégétative féline ou syndrome de Key-Gaskell résulte d’un dysfonctionnement des systèmes orthosympathique et parasympathique. Elle se manifeste par une mydriase bilatérale aréflexique, une procidence des membranes nictitantes et une sécheresse oculaire (PHOTO 3), associées à des symptômes généraux (anorexie, dépression, régurgitations dues à un méga-œsophage, constipation et rétention urinaire). Le pronostic est très réservé.

3. Recherche d’une mydriase de type paralytique

La mydriase de type paralytique est la conséquence d’une lésion du mésencéphale (nerf III et noyau d’Edinger-Westphall) qui empêche le fonctionnement des fibres parasympathiques accompagnant le nerf III ou atteint les voies végétatives et motrices (PHOTO 4).

Lors de lésion des voies parasympathiques seules, les symptômes sont ipsilatéraux à la lésion mésencéphalique : mydriase intense aréflexique, sensible aux agents parasympathomimétiques (pilocarpine) et, chez le chat seulement, dilatation identique des deux pupilles à l’obscurité.

Lors de lésion des voies végétatives et motrices, une ptose palpébrale et un strabisme latéral s’ajoutent, avec une impossibilité de mouve-ment du globe dorsalement, médialement et ventralement.

Les origines de ces lésions sont nombreuses : tumeur, traumatisme, encéphalite, encéphalopathie. L’encéphalopathie ischémique du chat s’accompagne d’un syndrome vestibulaire, d’une atteinte du trijumeau et du nerf III unilatéral (mydriase).

4. Recherche d’une mydriase spasmodique

Lors d’irritation du système orthosympathique (syndrome de Pourfour du Petit), une mydriase anisocorique réflexique est associée à un élargissement de la fente palpébrale (lagophtalmie), à une exophtalmie et à une pâleur des muqueuses oculaires. Les causes sont identiques à celles du syndrome de Claude Bernard Horner (origine centrale, cervicale ou thoracique).

5. Séquelle d’énucléation

L’apparition d’une cécité brutale et d’une mydriase aréflexique sur l’œil non opéré (œil adelphe) après une énucléation est une complication rare (PHOTO 5). La cause exacte est inconnue, mais une névrite optique ascendante depuis le chiasma est suspectée. Une ischémie chiasmatique brutale pourrait aussi en être à l’origine. Cette complication ne dépendrait pas de la technique d’énucléation utilisée. La cécité induite est irréversible.

Conclusion

L’apparition d’une mydriase chez un chat doit amener à examiner attentivement toutes les structures intra-oculaires (surtout le fond d’œil), à tester les réflexes photomoteurs directs et croisés, puis à effectuer une tonométrie. Cela permet de localiser une lésion. Selon les symptômes associés, un examen neurologique complète l’orientation diagnostique.

La mydriase fait souvent partie d’un tableau clinique vaste dont elle n’est parfois que le seul signe d’alerte visible par le propriétaire. Elle ne doit donc pas être négligée.

Les étapes essentielles

Étape 1 : recueil des commémoratifs

• Traumatisme,énucléation, etc.

Étape 2 : examen clinique et ophtalmologique

• Mettre en évidence la mydriase unilatérale ou bilatérale

Étape 3 : recherche de l’origine de la mydriase

• Causes oculaires : examiner l’orbite, l’iris, le cristallin, le fond d’œil et mesurer la pression intra-oculaire

- Causes extra-oculaires : examen neurologique complet, sérologies (affections virales ou parasitaires), hématobiochimie (insuffisance hépatique ou rénale), exploration endocrinienne, carence alimentaire en taurine, etc.

Rappels anatomophysiologiques de la mydriase

L’iris

La statique pupillaire est assurée par deux muscles lisses antagonistes :

• le muscle dilatateur de l’iris : les fibres situées sur la face postérieure de l’iris ont une disposition radiaire (commande ortho-sympathique) ;

• le muscle sphincter de l’iris : les fibres encerclent le bord pupillaire (commande parasympathique).

L’iris est le seul organe à régler lui-même l’intensité de son stimulus physiologique. La contraction irienne est commandée de façon réflexe par les variations d’intensité lumineuse qui frappent la rétine.

Les voies photomotrices (voir la FIGURE “Contrôle nerveux du réflexe pupillaire”)

• Les voies photomotrices parasympathiques :

- voies nerveuses afférentes : rétine, nerf optique, chiasma optique (décussation de 65 % des fibres nerveuses chez le chat), noyaux prétectaux du mésencéphale ;

- voies nerveuses efférentes (voies parasympathiques) : noyau pupillaire d’Edinger-Westphall mésencéphalique (adjacent au noyau du nerf oculomoteur III), fibres parasympathiques du nerf III, ganglion ciliaire, deux nerfs ciliaires courts (uniquement parasympathiques chez le chat, mixtes chez le chien), muscle sphincter de l’iris.

Les deux nerfs ciliaires courts innervent la moitié latérale de l’iris (nerf malaire) et la moitié médiale de l’iris (nerf nasal). Une lésion sur l’un ou l’autre de ces nerfs entraîne une dilatation de la moitié de l’iris seulement et l’apparition d’une pupille en D ou en D inversé chez le chat.

• Les voies photomotrices orthosympathiques interviennent également dans le réflexe pupillaire à partir des noyaux prétectaux du mésencéphale : voies efférentes orthosympathiques : noyaux prétectaux, faisceau longitudinal médial, centre cilio-spinal de Budge (C8 à T2), ganglion cervical cranial, ganglion ciliaire, nerfs ciliaires longs, muscle dilatateur de l’iris.

La mydriase serait la somme de la contraction du muscle dilatateur et du relâchement simultané du muscle sphincter (stimulation des fibres orthosympathiques ou inhibition du parasympathique).

Une diminution de l’intensité lumineuse n’est donc pas le seul stimulus entraînant une dilatation pupillaire. La crainte, l’agressivité ou la douleur provoquent une mydriase par excitation du système sympathique.

Le réflexe photomoteur

Il est indispensable de tester et d’interpréter le réflexe photomoteur (RPM) en cas de mydriase. Il est parfaitement établi à partir de l’âge de quatre semaines.

Il se réalise en lumière ambiante faible à l’aide d’une source lumineuse focalisée et puissante (attention aux lampes d’otoscope dont la lumière est souvent trop faible en raison de piles déchargées).

Le RPM normal doit entraîner un myosis de l’œil éclairé (RPM direct), mais aussi une contraction pupillaire simultanée sur l’autre œil (RPM croisé ou consensuel). Il doit être rapide, complet et durable. Il est indépendant de la volonté et permet une évaluation de l’intégrité de l’arc réflexe parasympathique.

Congrès

- Lignereux Y, Sautet JY. Innervation de l’œil et de ses annexes. Dans : Anatomie de l’œil, ENVT, service d’anatomie, fascicule I. Cours du CES d’ophtalmologie, 1993 : 45-66.

- Lignereux Y, Sautet JY. Iris. Dans : Anatomie de l’œil, ENVT, service d’anatomie, fascicule II. Cours du CES d’ophtalmologie, 1993 : 227-236.

En savoir plus

- Roze M. Les affections rétiniennes. Point Vét. 1996 ; 28(n° spécial “Affections héréditaires et congénitales des carnivores domestiques”): 454-458.

- Chaudieu G. Les glaucomes. Point Vét. 1996 ; 28(n° spécial “Affections héréditaires et congénitales des carnivores domestiques”): 449-453.

- Saignes C-F, Salmon Y, Roegel C. Hypertension artérielle chez un chat. Point Vet. 1998 ; 29(195): 1167-1172.

- Jongh O, Régnier A. Les effets indésirables des médicaments en ophtalmologie vétérinaire. Point Vet. 1998 ; 29(191): 319-327.

  • 1 - Clerc B. Neuro-ophtalmologie. Dans : Ophtalmologie vétérinaire. Editions du Point Vétérinaire, Maisons-Alfort, 1997:516-522.
  • 2 - Collectif. Ophtalmologie du chat. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1992;27(supplément au n° 3):501 pages.
  • 3 - De Geyer G. La mydriase des carnivores. 1re partie. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1990;25(4):397-409.
  • 4 - De Geyer G. La mydriase des carnivores. 2e partie. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1990;25(3):205-213.
  • 5 - Glaze MB, Slatter KN. Feline ophthalmology. In : Slatter KN. Veterinary Ophthalmology, Lippincott Williams et Wilkins, Baltimore, 1999:1026-1043.
  • 6 - Scagliotti RH. Comparative neuro-ophthalmology. In : Slatter KN. Veterinary Ophthalmology, Lippincott Williams et Wilkins, Baltimore, 1999:1307-1400.
  • 7 - Slatter D. Neuro-ophthalmology in fundamentals of veterinary ophthalmology. Philadelphia, WB Saunders co. 1990:437-477.
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