TOXICOLOGIE CANINE
Pratiquer
CAS CLINIQUE
Auteur(s) : Caroline Siméon*, Harriett Charrueau**, Géraldine Blanchard***
Fonctions :
*ENVA
UP de nutrition
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort
**ENVA
UP de nutrition
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort
***ENVA
UP de nutrition
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort
L’intoxication au cacao chez le chien est le plus souvent due à une ingestion fortuite d’une dose massive de chocolat. Elle est parfois le fait d’une distribution volontaire de la part du propriétaire.
Un chien mâle croisé labrador et bull terrier, âgé de huit mois et pesant 25 kilos, est présenté à la consultation en fin de journée en raison d’un comportement anormal. Ses propriétaires rapportent un état d’extrême anxiété, avec des impulsions agressives. Il aurait ingéré, le matin même, 700 grammes de chocolat noir suisse avec son emballage.
L’animal est hyperactif, tourne en rond et tremble. Il présente un ptyalisme marqué, une hyperthermie (40,4 °C), une polypnée, ainsi qu’une tachycardie (180 bpm). Le rythme cardiaque est régulier et le pouls est synchrone.
L’animal n’a pas vomi, son abdomen est souple, mais les selles sont molles, de couleur foncée et de volume augmenté.
L’examen clinique met en évidence des signes d’atteinte neurologique centrale qui peuvent être dus à différentes causes : une intoxication (organophosphorés, carbamates, organochlorés, strychnine, métaldéhyde, chocolat, etc.), une encéphalite (virale, bactérienne, mycosique ou parasitaire) ou une encéphalose hépatique (shunt hépatique, affection hépatique aiguë, etc.).
En raison de l’anamnèse et des commémoratifs, l’hypothèse d’intoxication aiguë par l’ingestion de chocolat semble la plus probable.
L’animal est hospitalisé afin de recevoir un traitement médical sous surveillance clinique.
Une tachycardie associée à des troubles du rythme est à craindre lors d’intoxication au chocolat. Un électrocardiogramme est donc réalisé (PHOTO 1) : une tachycardie sinusale (fréquence cardiaque à 160 bpm) est alors mise en évidence.
Devant les risques d’hypokaliémie et d’acidose, un ionogramme succinct est effectué. La kaliémie est de 4 mmol/l et la réserve alcaline de 17 mmol/l.
La kaliémie normale et l’acidose modérée ne nécessitent pas l’administration de bicarbonates.
Dès son hospitalisation, le chien reçoit une perfusion de Ringer lactate afin de corriger l’acidose métabolique. Du diazépam(1) est administré par voie intraveineuse (Valium® à la dose de 0,2 mg/kg), ainsi que du charbon activé(1) (2 g/kg par voie orale) dilué dans de l’eau.
La température redevient normale douze heures après le début de l’hospitalisation. Le chien est calme, voire abattu, mais il présente toujours une tachycardie (170 bpm) avec un rythme régulier et un pouls synchrone. Le ptyalisme, la polypnée et les tremblements persistent.
L’ionogramme montre une légère hypokaliémie (3,7 mmol/l) et une acidose métabolique modérée (21 mmol/l). Le même traitement est maintenu (Ringer lactate, Valium®(1), charbon activé(1)). Une complémentation en chlorure de potassium est instaurée (KCl Lavoisier®(1) : 20 mEq/l de Ringer lactate en perfusion intraveineuse).
Le troisième jour, le chien présente un bon état général ; les tremblements, la salivation, la polypnée et la tachycardie ont disparu (PHOTO 2). Les selles sont normales et l’appétit est excellent. La kaliémie et la réserve alcaline sont également dans les normes (K+ : 4 mmol/l, CO2 : 25 mmol/l). Un dosage de l’activité sérique des enzymes hépatiques confirme l’absence de répercussions hépatiques (phosphatases alcalines à 127 UI/l, alanine amino-transférase à 56 UI/l).
Après trois jours d’hospitalisation, l’animal rentre chez lui sans aucun traitement.
La toxicité du chocolat est due aux méthylxanthines qu’il contient [2] : théobromine, caféine et théophylline. La théobromine, méthylxanthine majeure du cacao (1,89 %), est responsable de la toxicité du chocolat. La théophylline est retrouvée à l’état de trace (0,001 %) et la concentration en caféine est égale à 1/8e de celle de la théobromine [3].
La concentration en théobromine varie selon la qualité du chocolat (noir, au lait, en poudre, etc.) et son origine (suisse, belge, française, etc.). Des analyses ont montré que les concentrations maximales en théobromine sont les suivantes [1] :
- chocolat noir : 6,5 mg/g,
- chocolat au lait : 2,1 mg/g,
- poudre de cacao : 21,1 mg/g,
- chocolat blanc : négligeable.
Dans le cas décrit, le chien a ingéré environ 700g de chocolat noir, soit approximativement : 6,5 x 700 = 4 550 mg de théobromine pour 25 kg de poids corporel, soit 4 550 / 25 = 182 mg/kg.
La biodisponibilité de la théobromine est proche de 100 % [2]. Après une administration orale, la résorption est complète et rapide (30 à 120 minutes). Le pic plasmatique de théobromine est atteint quatre heures après l’ingestion, mais sa concentration plasmatique diminue lentement pendant les vingt-quatre heures qui suivent l’ingestion. Sa distribution est large et aucun organe n’est privilégié. La dégradation est hépatique. L’élimination est principalement urinaire, secondairement fécale sans cycle entéro-hépatique. La théobromine peut diffuser dans le placenta et est retrouvée dans le lait. Sa demi-vie plasmatique est augmentée chez les nouveau-nés, les animaux âgés et les insuffisants cardiaques ou hépatiques.
La théobromine inhibe les phosphodiestérases et augmente le cycle intracellulaire de l’adénosine monophosphate, ce qui favorise la sécrétion des catécholamines [1]. Elle augmente la libération du calcium depuis le réticulum sarcoplasmique. Elle entre en outre en compétition avec les récepteurs à l’adénosine et aux benzodiazépines dans le système nerveux central.
La dose toxique de la théobromine n’est pas clairement définie. La DL 50 dépend en effet fortement de l’individu, de sa race, de son sexe, de son âge, des traitements en cours, etc. Elle est estimée, chez le chien, à 300 mg/kg [2, 3]. Des cas de mortalité ont toutefois été décrits chez des chiens ayant ingéré des doses de théobromine allant de 92 à 208 mg/kg [2, 3].
Entre 500 et 1 000 mg/kg, des palpitations sont observées ; quatre à cinq heures après l’ingestion, des tremblements et une agitation sont notés et la mort peut survenir [2]. Il existe en outre une toxicité d’accumulation : une administration à long terme provoque une dégénérescence myocardique de l’oreillette droite.
Dans le cas décrit, l’animal avait ingéré près de 200 mg/kg et les risques encourus étaient donc sérieux.
Les symptômes varient selon l’individu et la dose absorbée [3]. Trois grands appareils sont le plus souvent atteints :
- système nerveux central : trémulations, prostration, ataxie, agitation, convulsions, coma ;
- système digestif : vomissements, diarrhées, météorisme, ptyalisme, coliques, selles foncées (pigments contenus dans le cacao) ;
- système cardio-vasculaire : tachycardie et arythmie sinusales.
L’hyperthermie, la polypnée et la mort brutale sont observées de façon inconstante.
L’animal du cas décrit présentait donc des symptômes très évocateurs de l’intoxication au cacao (agitation, tremblements, ptyalisme, tachycardie sinusale).
Le pronostic est toujours réservé car la mort par collapsus cardio-vasculaire peut survenir à tout moment, entre six et vingt-quatre heures après l’ingestion.
Le diagnostic de l’intoxication au chocolat repose essentiellement sur l’anamnèse.
L’analyse toxicologique nécropsique peut être réalisée sur le contenu gastrique, sur un prélèvement d’urine ou sur des échantillons hépatiques ou rénaux. Cependant, le dosage de la théobromine dans des tissus prélevés permet uniquement d’affirmer l’exposition de l’animal à ce toxique, sans pouvoir lui imputer la cause des signes cliniques. En effet, il n’existe pas d’étude scientifique qui permette de corréler la concentration tissulaire de la théobromine avec la morbidité [1].
Le diagnostic différentiel est celui des intoxications aux substances à action neurologique centrale, des encéphalites, des encéphaloses hépatiques et des causes de mort subite (voir l’ENCADRÉ “Différentes causes de mort subite”). Il comprend également les toxiques cardiaques tels que les hétérosides cardiotoniques (laurier rose, muguet, digitale, etc).
Il n’existe pas de traitement étiologique. Seul un traitement symptomatique est possible [3] :
- faire vomir, même quelques heures après l’ingestion ;
- pratiquer un lavage gastrique si l’animal est dans le coma ou s’il convulse ;
- administrer du charbon activé (1 à 5 g/kg toutes les quatre heures), qui diminue la demi-vie plasmatique de la théophylline (et probablement de la théobromine). Dans le cas présenté ici, le lavage gastrique n’a pas été pratiqué car l’ingestion de chocolat avait eu lieu plus de douze heures avant la consultation. L’administration de charbon a donc été préférée. Pour autant, les deux ne sont pas antinomiques et l’administration de charbon peut suivre le lavage gastrique ;
- administrer du diazépam(1) ou des barbituriques si l’animal convulse ;
- administrer du propanolol(1), ß-bloquant (Avlocardyl® à la dose de 0,02 à 0,06 mg/kg) ou du vérapramil(1), inhibiteur calcique (Isoptine® à la dose de 0,01 à 0,04 mg/kg), lors de fibrillation atriale ou de tachycardie supraventri-culaire (voir l’encadré “Intérêt du propranolol lors de tachycardie sinusale”) ;
- administrer de la lidocaïne, stabilisateur de membrane (Xylocard®(1), à raison de 2 mg/kg en perfusion intraveineuse lente, soit 50 µg/kg/min en solution à 2 mg/ml dans un premier temps, puis 25 à 50 µg/kg jusqu’à la réduction de l’arythmie), si l’animal est en fibrillation atriale ou en tachycardie supraventriculaire ;
- afin de favoriser l’élimination urinaire, il est possible d’acidifier les urines et ainsi d’augmenter l’excrétion de la théobromine en favorisant son captage ionique (éthylène diamine : Lithadog® à la dose de 1 g/j en trois prises quotidiennes). Néanmoins, il est préférable de vérifier le pH urinaire, qui est généralement déjà acide chez le chien, mais peut devenir alcalin en cas de vomissements (sortie d’acide HCl gastrique par les vomissements, compensée par une alcalinisation des urines).
L’état clinique du chien concerné n’a pas nécessité l’administration de ces molécules, peut-être en raison d’une dose ingérée peu élevée. Elles restent toutefois potentiellement utiles, tant les réactions semblent variables selon l’individu, beaucoup plus qu’en fonction de la dose ingérée.
Dans la mesure du possible, un affichage en salle d’attente peut être envisagé par le praticien afin de prévenir les propriétaires du risque fatal encouru par leur chien lors d’ingestion de chocolat. Il peut en outre être utile de les prévenir qu’en cas d’ingestion fortuite, il convient de ne pas attendre l’apparition de signes cliniques pour consulter.
Face à une affection neurologique centrale ou à une mort subite, plusieurs hypothèses peuvent être émises, parmi lesquelles l’intoxication au chocolat. L’anamnèse joue un rôle décisif dans le diagnostic. Certains chiens ont une place privilégiée auprès de leur propriétaire. Il est du rôle du praticien de veiller à informer les maîtres des risques associés à la consommation de chocolat par le chien, de manière à éviter qu’un geste d’affection ne se transforme en un geste fatal pour l’animal.
(1) Médicament à usage humain.
La théobromine, principale méthylxanthine du cacao, est responsable de la toxicité du chocolat.
Les réactions semblent varier selon l’individu, beaucoup plus qu’en fonction de la dose ingérée.
Une tachycardie associée à des troubles du rythme est à craindre. Il existe en outre une toxicité d’accumulation : une administration à long terme provoque une dégénérescence myocardique de l’oreillette droite.
Trois grands appareils sont le plus souvent atteints : le système nerveux central, le système digestif et le système cardio-vasculaire.
La mort par collapsus cardio-vasculaire peut survenir à tout moment, entre six et vingt-quatre heures après l’ingestion.
Causes cardio-vasculaires
• Insuffisance cardiaque (cardiomyopathies, affections du système de conduction, myocardites, arythmies, infarctus).
• Rupture de l’atrium droit (hémangiosarcome).
• Thrombose artérielle pulmonaire, thrombo-embolie.
• Hémorragie massive.
Causes non cardio-vasculaires
• Dilatation gastrique et volvulus, ulcère gastrique perforant.
• Crise addisonnienne.
• Obstruction respiratoire aiguë.
• Hernie du disque intervertébral cervical aiguë chez les races de grande taille.
• Traumatisme.
• Gastro-entérite hémorragique.
• Choc septique.
• Réaction anaphylactique.
• Intoxication.
• Coup de chaleur.
D’après [1].
Le propanolol(1) est un sympatholytique : c’est le chef de file des ß-bloquants et le plus actif d’entre eux pour lutter contre les arythmies. Son action s’explique par le blocage des catécholamines, ce qui a pour effet d’abaisser la fréquence cardiaque (effet chronotope négatif), de diminuer l’amplitude des contractions des atriums et des ventricules (effet inotrope négatif), d’augmenter l’intervalle P-Q (effet dromotrope négatif), d’accroître la période réfractaire et de réduire l’automatisme au niveau du nœud sinusal. Le propanolol(1) agit aussi comme protecteur de membrane. Il est utilisé lors de tachycardie sinusale en raison de son puissant effet chronotrope négatif.
- Pouliquen H. Les intoxications au chocolat chez les carnivores domestiques. Point Vét. 2001 ; 32(214): 40-42.