Soutiens européens à l’agriculture : entre harmo­nisation et système “à la carte” - Le Point Vétérinaire expert rural n° 352 du 01/01/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 352 du 01/01/2015

MACROÉCONOMIE DE L’ÉLEVAGE

Article de synthèse

Auteur(s) : Baptiste Buczinski*, Marie Carlier**, Pauline Madrange***

Fonctions :
* Département Économie,
service Économie des exploitations d’élevage
**Département Économie,
service Économie des filières,
Institut de l’élevage,
149, rue de Bercy,
75595 Paris cedex 12
***Département Économie,
service Économie des filières,
Institut de l’élevage,
149, rue de Bercy,
75595 Paris cedex 12

Élaborée 100 % au niveau européen, la politique agricole commune pour 2014 à 2020 laisse des choix aux États. La France maintient des primes bovine, ovine, caprine, et limite l’impact de la convergence des soutiens.

Pour la première fois de l’histoire, les décisions concernant le devenir de la politique agricole commune (PAC) ont été prises dans le cadre de la codécision. Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement européen n’a plus seulement un rôle consultatif, mais intervient directement dans la conception des règlements communautaires, au même titre que le Conseil (qui regroupe les différents gouvernements). Ainsi, le 26 juin 2013, après 3 ans de débats et de négociations, les trois institutions communautaires (Parlement européen, Conseil des ministres de l’Union européenne et Commission européenne) sont parvenues à un accord politique sur la réforme pour la période 2014 à 2020 (accord final le 24 septembre 2013).

Cette réforme confirme l’architecture de la PAC :

- le premier pilier concentre les paiements directs (soutiens découplés et couplés) ;

- le second pilier participe au développement rural.

L’organisation commune de marché (OCM) unique concerne essentiellement les mesures de marché en termes aussi bien de soutien (stockage privé, intervention publique, etc.) que d’organisation (définition des organisations de producteurs, des interprofessions, etc.).

NOUVEAU CADRE DE LA POLITIQUE AGRICOLE

Cette réforme se place dans le prolongement des précédentes (Luxembourg en 2003, “bilan de santé” en 2008). Initiée par les services de la Commission européenne, elle confirme différents aspects, même si sa portée a pu être atténuée lors du processus de négociation par la codécision. Une possibilité de couplage persiste, extrêmement encadrée.

1. Budget global revu à la baisse

Pour la période 2014 à 2020, l’enveloppe allouée à la PAC régresse de 10 %, à près de 363 milliards d’euros (Mrd€) sur 7 ans, répartis en 278 Mrd€ (- 8,8 %) pour les paiements directs et les mesures de marché, et 85 Mrd€ (- 13,4 %) pour le second pilier (développement rural).

Le nivellement des budgets entre États membres est entamé (processus dit de convergence externe).

2. Découplage et environnement sont renforcés dans le premier pilier

Le découplage des aides est confirmé pour le premier pilier qui porte sur les paiements directs (aides découplées signifient non liées à l’acte “production”) (figure 1). L’abandon progressif des références historiques (pour les États membres l’appliquant encore) se poursuit (processus dit de “convergence interne”).

L’importance de l’environnement est renforcée. Après l’introduction de la conditionnalité lors de la réforme de Luxembourg (2003), 30 % des soutiens directs sont désormais directement liés au respect de trois mesures environnementales (encadré).

3. Développement rural conforté via le second pilier

Globalement voué au développement rural, le second pilier regroupe des mesures agro-environnementales ou vise la compensation de handicaps naturels, etc.

4. Inflexion sur la possibilité de couplage

Depuis la réforme de 2003, la principale doctrine communautaire concernant la PAC a été de mettre en conformité la forme de ses soutiens par rapport aux négociations en cours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans le cadre du cycle de Doha. L’Union européenne, par la voix de la Commission, a cherché à découpler le maximum de ces soutiens directs (considérés comme non susceptibles de créer des distorsions de concurrence, ils sont alors classés en “boîte verte” dans le jargon OMC). La nouvelle réforme introduit une mesure facultative permettant à tous les États membres d’attribuer des soutiens couplés aux agriculteurs, d’une façon très encadrée. La limite est de 8 ou de 13 % de leur enveloppe nationale des paiements directs (selon le niveau d’aides couplées en 2013), voire 2 % supplémentaires destinés aux cultures protéiques. Cette nouvelle mécanique impose l’abandon de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) sous sa forme actuelle, encore utilisée en Espagne, en Belgique ou en France.

5. Marges de manœuvre dans l’application au choix de l’État membre

La réforme confirme le principe de subsidiarité introduit par la réforme de Luxembourg. Malgré les convergences engagées, la PAC continue d’être qualifiée de « politique agricole à la carte » à différents égards.

Au niveau budgétaire global, la réforme offre la possibilité aux États membres de transférer jusqu’à 15 % des budgets alloués entre les deux piliers (jusqu’à 25 % dans les nouveaux États membres).

Concernant les soutiens directs, une possibilité est laissée :

- d’introduire un “paiement redistributif” équivalent à une dotation découplée supplémentaire des premiers hectares de l’exploitation ;

- d’introduire des “freins” au processus de convergence en introduisant notamment un système de limitation des pertes à 30 % de la valeur initiale des paiements découplés, pour les États membres utilisant encore les références historiques pour l’attribution des paiements découplés ;

- de coupler une partie des soutiens à l’acte de production.

En ce qui concerne le second pilier, la gestion déjà déléguée aux États membres, voire aux régions, est confirmée.

EN FRANCE : CONTRAINTES BUDGÉTAIRES ET CONVERGENCE LIMITÉE

1. Budget relativement moins impacté

Si le budget de la PAC recule globalement de 10 % entre les périodes 2007 à 2013 et 2014 à 2020, cette baisse n’est pas uniforme, ni entre les deux piliers, ni entre les États membres. La France, dont le niveau moyen de soutien à l’hectare est proche de la moyenne communautaire, sera a priori moins impactée que certains autres États membres (figure 2).

La baisse du budget alloué aux aides directes du premier pilier (à environ 7,5 Mrd€/an) sera en partie compensée par la revalorisation du second pilier (à 1,4 Mrd€/an). L’ensemble des “retours agricoles” pour la France ne sont en baisse que d’un peu plus de 2 %, à 64 Mrd€ (courants) pour la période 2014 à 2020, soit environ 9,1 Mrd€/an (contre 9,3 Mrd€ en 2013).

La baisse de budget global pourrait toutefois être plus conséquente que prévue, notamment pour le premier pilier car :

- l’intégration de la Croatie (non prévue dans le budget voté) se fera à enveloppe constante ;

- la France transfère 3 % des aides du premier pilier vers le second pilier à partir de 2014, notamment pour financer les instruments de gestion des risques et les mesures de soutien à l’agriculture biologique et à la modernisation (des bâtiments d’élevage en particulier) (figure 3).

Le président de la République a annoncé vouloir « donner la priorité à l’élevage et à l’emploi » en réorientant près de 1 Mrd€ d’aides annuelles vers l’élevage à horizon 2019. La mécanique qui va être mise en place implique des redistributions entre et au sein des filières, et entre régions. Les tenants et aboutissants de ces choix restent à éclaircir(1).

2. Choix français pour les paiements découplés

Convergence

La France va utiliser l’ensemble des mécanismes visant à freiner le processus de convergence des soutiens découplés du régime de paiement de base. Ainsi, entre 2015 et 2019, une convergence linéaire partielle (à 70 %, le reste étant lié à l’historique) sera mise en œuvre tout en activant une limitation des pertes à 30 %.

Verdissement

Les 30 % de soutiens liés au verdissement seront attribués de façon proportionnelle (et non forfaitaire). Le verdissement sera ainsi lié au niveau du paiement historique de l’exploitation. Cette mise en œuvre freine également le processus de convergence.

Paiement redistributif

Le paiement redistributif s’applique sur les 52 premiers hectares de chaque exploitation (ce qui représente la surface agricole utile [SAU] moyenne française). Cinq pour cent du premier pilier en 2015 y seront consacrés, 10 % en 2016, puis une évaluation est prévue avec un objectif de 20 % en 2018. À cette mesure sera appliqué le principe de transparence pour les exploitations agricoles de type Gaec (groupements agricoles d’exploitation en commun) : le nombre d’hectares éligibles sera multiplié par le nombre d’associés.

3. Choix français pour les paiements couplés

La France ayant maintenu couplées plus de 10 % de ses aides directes du premier pilier sur la période 2010 à 2014, la nouvelle programmation lui laisse la possibilité d’augmenter cette part à 15 % (dont 2 % pour les cultures protéiques) (tableau). Les aides animales déjà couplées dans la programmation précédente seront donc maintenues : primes à la vache allaitante, ovine, caprine, au lait de montagne et aide au veau sous la mère). Une prime à la vache laitière est créée. Les critères d’attribution, notamment pour la prime à la vache allaitante, sont revus de fond en comble [1].

4. Choix français pour le second pilier

Une grande nouveauté, le Fonds européen agricole de développement rural (Feader) sera géré régionalement. Néanmoins, la principale mesure concernant l’élevage de ruminants demeurera définie au niveau national et sera imposée à tous : il s’agit de l’ indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN).

Les mesures agro-environnementales et climatiques, les mesures de soutien à l’agriculture biologique et l’aide à l’installation des jeunes bénéficieront d’un cadre stratégique et méthodologique national encadrant la déclinaison régionale des mesures.

La prime herbagère agro-environnementale (PHAE souvent abrégée en prime à l’herbe) disparaît. Son budget est intégré à l’ICHN. Pour les exploitations hors zone ICHN (handicap naturel) qui en bénéficiaient, des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) seront mises en œuvre. [1].

Conclusion

Malgré les choix globalement destinés à amortir l’effet des changements, les mécanismes mis en place par le gouvernement français sur la base de la nouvelle PAC auront des impacts, variables selon le type de système (et son niveau d’intensivité) et la zone dans laquelle il se trouve(1).

  • (1) Voir les articles “Les nouveaux soutiens couplés en France à partir de 2015” et “Quels impacts de la PAC 2014-2020 dans le secteur des viandes de ruminants” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

Références

Conflit d’intérêt

Aucun.

ENCADRÉ
Le verdissement des aides (ou paiement vert) pour justifier la PAC

Afin de justifier les paiements alloués à l’agriculture auprès des citoyens européens, le versement de 30 % des aides directes du premier pilier sera conditionné au respect de trois mesures suivantes (qui viennent s’ajouter aux règles déjà en place pour la conditionnalité de l’attribution des aides).

Maintien du ratio de la surface agricole utile en prairies permanentes

Le maintien du ratio de la surface agricole utile en prairies permanentes s’applique aux niveaux national, régional ou de l’exploitation, au choix de l’État membre, avec une tolérance de 5 %.

Diversité culturale des exploitations

→ Pour les exploitations ayant plus de 30 ha de terres arables, cela est traduit par l’obligation d’avoir trois cultures au minimum, dont la principale ne dépasse pas 75 % de la surface de terres arables et les deux principales 95 %.

→ Pour celles entre 10 et 30 ha de terres arables, deux cultures au minimum s’imposent, dont la principale ne dépasse pas 75 % du total.

→  Pour les autres, il n’existe pas d’obligation.

Surfaces d’intérêt écologique

→ Présence de surfaces d’intérêt écologique représentant au moins 5 % des terres arables de l’exploitation quand celles-ci dépassent 15 ha (une révision à mi-parcours de la PAC est envisagée pour atteindre 7 %).

→ Certaines mesures peuvent être considérées comme équivalentes au verdissement, par exemple la certification en agriculture biologique. Elles peuvent bénéficier du “paiement vert” sans nécessité de remplir ces trois critères.

→ Le choix est laissé aux États membres d’octroyer le paiement vert de façon forfaitaire (c’est-à-dire identique sur l’ensemble des hectares de l’État membre) ou proportionnelle au droit à paiement de base (DPB) de l’exploitation.

Points forts

→ La France, qui est dans la “moyenne des soutiens” à l’hectare sera a priori moins impactée que certains autres États membres.

→ Les 30 % de soutiens liés au verdissement seront attribués en France de façon proportionnelle (et non forfaitaire).

→ Coup de pouce pour les Gaec : ces exploitations profiteront de mesures sur une base “multipliée par le nombre d’associés” (par exemple pour le nombre d’hectares éligible au paiement redistributif).

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