ALIMENTATION ET SANTÉ ANIMALE
Avis d’expert
Auteur(s) : Yves Le Loir*, Sergine Even**
Fonctions :
*UMR 1253 STLO Inra,
Agrocampus Ouest
65, rue de Saint-Brieuc,
35042 Rennes Cedex
Les effets sanitaires bénéfiques des probiotiques commencent à être prouvés en ce qui concerne la mamelle, l’intestin, le rumen, voire l’utérus. Les mécanismes en cause restent à élucider, dans un contexte resserré.
Depuis l’apparition du concept, la définition même de ce que sont les probiotiques a évolué. Ils ont d’abord été définis comme « un supplément alimentaire de micro-organismes vivants qui agit positivement sur l’hôte en améliorant l’équilibre du microbiote intestinal » [12]. Une nouvelle définition est issue de l’Organisation mondiale pour la santé : « micro-organismes vivants qui, lorsqu’ils sont administrés en quantité adéquate, confèrent un effet bénéfique pour la santé de l’hôte » [10]. Elle ouvre de nouveaux champs d’application des probiotiques, au-delà de la supplémentation alimentaire, notamment contre les mammites, qui affectent plus de 40 % des vaches laitières.
Certaines souches de bactéries lactiques (BL) ont été testées in vivo sous la forme d’injections intramammaires dans des glandes infectées pour évaluer leur efficacité à lutter contre l’infection. Au début des années 1990, un premier essai d’injection de lactobacilles dans la glande mammaire de vaches présentant un taux élevé de cellules somatiques s’est révélé quelque peu décevant : il n’a induit qu’un faible taux de guérison et a provoqué une nette élévation du taux de cellules somatiques [14].
Dans un autre essai, chez des vaches présentant des mammites subcliniques chroniques ou cliniques, une souche de lactocoque a été administrée de la même façon (L. lactis DPC3147). Ce traitement s’est révélé aussi efficace que l’antibiotique administré au groupe contrôle. Il n’a cependant pas suffi à traiter définitivement la mammite [6].
La réponse de vaches saines à une injection intramammaire de L. lactis DPC3147 a été analysée. Cette injection a provoqué un recrutement massif de cellules du système immunitaire (leucocytes polymorphonucléaires) et une élévation de la protéine amyloïde A, un marqueur de la phase aiguë de l’inflammation dans le lait [15]. Elle a aussi amené la formation de caillots dans le lait et une élévation d’interleukines (IL)-1β et d’IL-8 [2]. Ces derniers travaux montrent que L. lactis peut exercer un effet préventif, voire curatif, contre les mammites bovines. Son application à titre préventif entraîne cependant quelques réactions de la mamelle altérant la qualité du lait.
La voie d’administration est à réfléchir. Une injection intramammaire demande une intervention et engendre une réaction de la glande mammaire qui sont peu compatibles avec un usage prophylactique. Pour une prévention accessible et facile à mettre en œuvre, des solutions d’application de type trempage après la traite (teat-dip) ou au tarissement peuvent être explorées (photo 1).
Des BL ont été isolées de l’écosystème endogène du canal du trayon et d’échantillons de lait de premier jet. Après isolement et identification, certaines ont fait l’objet d’une caractérisation approfondie en ce qui concerne leur capacité inhibitrice à l’encontre de S. aureus. Ainsi, au milieu des années 2000, plusieurs travaux pionniers ont montré que de rares souches de BL (une seule sur 102 souches testées !) présentaient une capacité d’inhibition contre cet agent pathogène. Ce “pouvoir” était corrélé à la production d’une substance de type bactériocine [8]. Il reste néanmoins à déterminer par des expérimentations in vivo si ces souches présentent un potentiel de prévention des mammites comparable à la souche L. lactis DPC3147 [8, 13]. Plus récemment, une dizaine de souches de BL appartenant aux genres Lactococcus sp. et Lactobacillus sp. ont été isolées du trayon chez des vaches saines. Elles peuvent inhiber la croissance des trois principaux agents pathogènes associés aux mammites et la colonisation des cellules épithéliales mammaires bovines (CEMb) par S. aureus. De même, elles se sont révélées capables de moduler la réponse immune innée des CEMb. Le séquençage du génome de cinq de ces souches a permis d’apporter quelques explications à ces capacités prometteuses. La présence de gènes “gênants” au sein de leur ADN a pu être exclue, en particulier ceux induisant la résistance aux antibiotiques [4].
Les mécanismes moléculaires du potentiel probiotique doivent être élucidés pour démontrer l’effet bénéfique et étayer toute demande d’allégation. Notre équipe a investigué les mécanismes sous-jacents au potentiel de prévention de diverses souches de Lactobacillus casei in vitro, en mettant au point un modèle d’interaction tripartite entre L. casei, S. aureus et des CEMb. Trois souches de L. casei apparaissent capables d’inhiber, de façon souche-dépendante, l’adhésion et l’internalisation de S. aureus aux CEMb. En revanche, le contact de L. casei avec le tapis cellulaire de CEMb n’affecte en rien l’architecture et la viabilité des cellules (photo 2) [3]. Ces résultats sont encourageants puisque l’internalisation est impliquée dans la persistance et la chronicité des mammites à S. aureus.
Nous avons aussi montré que la souche Lactococcus lactis V7 était capable de limiter de manière significative l’invasion des CEMb par Escherichia coli et S. aureus. Le mécanisme exact de cette inhibition n´a pas été élucidé, mais la souche L. lactis V7 s’est révélée capable de moduler la réponse immunitaire des CEMb infectées par E. coli en intensifiant la réponse inflammatoire, ce qui pourrait faciliter l’élimination de l’agent pathogène [22].
Les probiotiques constitueraient une solution alternative possible à l’utilisation d’antibiotiques ou, du moins, permettraient d’en réduire l’usage en élevage bovin [23].
Avant le sevrage, les veaux sont particulièrement sensibles aux agents pathogènes tels que E. coli ou Salmonella spp., agents étiologiques bactériens les plus fréquents chez les veaux à ce stade [1]. Les diarrhées induites peuvent affecter sévèrement les performances zootechniques. Des BL probiotiques ont été testées dans ce contexte pour prévenir la colonisation de bactéries pathogènes opportunistes et maintenir l’équilibre microbien. Bien qu’aucun consensus n’ait été établi sur l’efficacité réelle des probiotiques pour réduire la prévalence de maladies gastro-intestinales chez les veaux, plusieurs travaux relatent une réduction de l’incidence des diarrhées par l’utilisation de probiotiques en suppléments alimentaires [1, 9]. Ainsi, très récemment, l’administration orale de la bactérie Faecalibacterium prausnitzii a fait décroître l’incidence des diarrhées sévères (et la mortalité induite) chez des veaux holstein avant sevrage. Il s’agit d’une bactérie anaérobie stricte connue pour ses effets bénéfiques dans l’intestin de l’homme [24]. Cet essai, mené sur plus de 550 veaux, démontre l’intérêt de l’approche probiotique dans ce contexte, pour peu que la bonne espèce bactérienne soit choisie (photo 3) [11].
L’acidose ruminale subaiguë (ARSA) peut être caractérisée par une instabilité de l’écosystème ruminal et des fermentations conduisant à la formation de lactate, de butyrate et ou de propionate (respectivement pour les ARSA lactique, butyrique ou propionique) au lieu d’acétate. Elle constitue une difficulté majeure en santé et en bien-être des ruminants. L’usage de probiotiques a été testé en complément ou en remplacement de substances tampons chimiques et d’ionophores. La supplémentation alimentaire en probiotiques vise à équilibrer le microbiote et la fermentation au niveau du rumen, pour stabiliser le pH ruminal et, ainsi, prévenir l’ARSA. La plupart des probiotiques utilisés dans ce contexte comprennent des levures (principalement Saccharomyces cerevisiae) en tant qu’actif microbien majeur [7]. Prevotella bryantii, une espèce bactérienne à Gram négatif du microbiote ruminal, a aussi été testée en tant que probiotique. Elle s’est toutefois montrée inefficace pour limiter l’ARSA chez les vaches laitières [5].
Les données publiées concernant l’usage de BL et de bactéries propioniques comme probiotiques dans ce contexte rapportent des résultats variables et parfois contradictoires. Cela peut être en partie attribué au type de dysbiose du microbiote ruminal. Une détermination préliminaire du type d’acidose aiderait à choisir le type de probiotiques le plus pertinent et à assurer les meilleurs effets. Il a ainsi été montré qu’une association de Propionibacterium sp. et de Lactobacillus plantarum ou de Lactobacillus rhamnosus était inefficace contre une ARSA lactique, alors que certaines combinaisons avaient permis de réduire les effets d’ARSA butyrique et propionique [17].
La recherche ciblée de BL, par des techniques d’enrichissement et d’isolement sélectif, a montré que des lactobacilles sont présents au sein du microbiote vaginal des vaches saines. Ils sont capables in vitro de prévenir la colonisation d’agents pathogènes, sur la base de critères tels que la production de substances antagonistes comme l’acide lactique, le peroxyde d’hydrogène ou des bactériocines (pas d’essai in vivo) [18, 19, 20]. La présence de lactobacilles a plus récemment été confirmée par séquençage à haut débit d’échantillons de microbiote vaginal bovin [21]. Contrairement au microbiote humain (équilibre avec dominance de lactobacilles), la composition du microbiote vaginal bovin présente une nette variabilité interindividuelle. Elle est probablement soumise aux contaminations fécales (photo 4) [16]. Des recherches supplémentaires sur la composition du microbiote vaginal et son lien avec l’état sanitaire du tractus génital sont nécessaires pour déterminer quelles espèces bactériennes et quelles formulations seraient les plus pertinentes pour des applications probiotiques bovines.
Les approches probiotiques en santé animale, notamment dans un contexte de mammites et de métrites, requièrent encore des travaux de recherche pour développer des applications satisfaisant aux critères d’efficacité attendus par les éleveurs et les consommateurs, et aux normes imposées par le législateur. Les résultats au niveau mammaire de l’UMR 1253 STLO Inra à Rennes ouvrent néanmoins des perspectives.
Aucun.
→ Le mécanisme exact de l’inhibition des agents pathogènes mammaires par lactococcus lactis n’a pas été élucidé, mais une intensification de la réponse immunitaire de l’hôte a bien été constatée.
→ Les levures donnent des résultats probants en prévention et en traitement de l’acidose.
→ Une détermination préliminaire du type d’acidose (lactique, propionique, butyrique) aiderait à choisir le type de probiotiques le plus pertinent et à assurer les meilleurs effets.
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