ALIMENTATION ANIMALE
Questions/réponses
Auteur(s) : Sergine Even*, Yves Le Loir**
Fonctions :
*UMR 1253 STLO Inra Agrocampus Ouest
CS84215
65, rue de Saint-Brieuc
35042 Rennes Cedex
Additifs zootechniques, amélioration de la santé ou du bien-être : les formulations diffèrent selon les espèces et le type de production.
Le développement des nouvelles techniques de séquençage à haut débit permet d’identifier et de caractériser les microbiotes associés à divers organes et fonctions physiologiques chez les animaux de rente notamment(1).
Ce type de démarche permet de mieux définir ce qu’est un écosystème sain (ruminal par exemple), par opposition au même écosystème dans un état de dysbiose. L’impact et l’importance du microbiote dans l’état sanitaire et la fonction de l’organe hôte sont ainsi de plus en plus étudiés.
Par extension, des critères de sélection raisonnée de probiotiques ont pu être posés. Ces micro-organismes vivants sont en effet susceptibles de maintenir ou de rétablir l’équilibre d’écosystèmes ciblés et adaptés à tel animal, tel stade de vie, telle production, ou encore tel élevage.
Des probiotiques sont utilisés dans divers secteurs de production animale : en élevage de volailles, de porcs, de bovins et en aquaculture. Ils visent l’amélioration des rendements de production, de la santé et du bien-être animal. Toutefois, les divergences dans les formulations sont indéniables. Les différences tiennent aux espèces animales visées et à leurs dominantes pathologiques, à leur environnement (élevage de plein champ ou hors-sol, en mer ou en eau douce, etc.), au type de production (viande, œuf, lait, poissons ou fruits de mer, etc.), à la période de vie (âge précoce, sevrage, adulte).
Par exemple, des levures sont choisies pour les ruminants adultes tandis que les lactobacilles seront privilégiés à cet âge pour les porcs ou les volailles (photo 1).
Les probiotiques ont été initialement et principalement utilisés en tant qu’additifs pour optimiser les performances zootechniques en élevage. Leur intérêt dans ce secteur a pris de l’ampleur, à partir de l’interdiction d’utiliser les antibiotiques, en tant qu’agents promoteurs de croissance, en 2006 pour l’Union européenne (elle est en train de se mettre en place aux États-Unis) [1].
La piste des probiotiques s’est aussi imposée du point de vue de la santé publique. En effet, plusieurs épisodes d’allure épidémique de toxi-infections alimentaires ont incité les secteurs de l’élevage à réduire la charge en agents pathogènes des produits d’origine animale. Le portage entérique (asymptomatique) de certains d’entre eux est une source de contamination directe des carcasses et des produits pendant l’abattage et la transformation.
Il existe une importante demande sociétale pour une agriculture plus durable utilisant moins d’intrants. Des études ont alors été initiées sur quantité de pratiques visant à utiliser moins d’antibiotiques tout en satisfaisant aux critères sanitaires et en maintenant de bons rendements. En France, l’usage raisonné des antibiotiques en médecine vétérinaire et le développement d’approches alternatives ont été encouragés dans un plan gouvernemental appelé EcoAntibio 2012-2017 [8]. La lutte contre l’antibiorésistance continue avec le lancement d’un nouveau programme interministériel mi-novembre 2016 [9].
La possibilité d’une lutte biologique contre les maladies infectieuses a notamment été investiguée. Il s’agit de recourir à des souches bactériennes (les probiotiques) comme barrière, pour prévenir, voire traiter les infections. Cette piste a émergé parallèlement à d’autres approches qui ont retenu l’attention des chercheurs dans le même contexte : optimiser les conduites d’élevage (par des mesures zootechniques et hygiéniques) pour circonvenir les maladies infectieuses, ou améliorer le bien-être animal. Le recours aux vaccins est également prometteur, ainsi que l’amélioration de la sélection génétique.
Au sein des probiotiques, le recours aux bactéries lactiques (BL) en élevage agricole a donné des résultats encourageants dans divers contextes (encadré). Il améliore significativement l’état de santé général des animaux et les rendements de production. Les effets bénéfiques sont liés à leur capacité d’inhiber ou d’éliminer les agents pathogènes, par la production d’acides organiques, de bactériocines et d’autres composés antimicrobiens [4, 10].
Dans certains cas, les BL sont capables d’inhiber la colonisation et de moduler et d’amoindrir l’expression de la virulence des agents pathogènes. Elles peuvent aussi exercer leur effet bénéfique sur la santé de l’hôte, par la stimulation des défenses immunitaires, permettant l’élimination des agents pathogènes ou la prévention de l’infection.
Les données publiées sur les effets bénéfiques des BL étaient focalisées sur ce qui se passe dans l’intestin et le vagin. À la faveur du développement des outils de biologie moléculaire et des nouvelles technologies de séquençage, d’autres microbiotes sont maintenant explorés et décrits de façon à comprendre leur rôle et leur impact sur le statut sanitaire de l’organe. Par exemple dans la mamelle ou le rumen, les BL pourraient jouer un rôle bénéfique.
L’action de ces microbiotes et des BL sur la santé de l’hôte est peu documentée. Les mécanismes qui régissent leurs relations et interactions avec les hôtes animaux sont encore mal compris. Les bases moléculaires des effets probiotiques sont difficiles à investiguer in vivo, mais peuvent être évaluées, à défaut d’être totalement élucidées, par des études sur des modèles animaux ou des cultures cellulaires, et par des tests in vitro. Ces études améliorent nos connaissances dans le domaine et aident à établir des critères de sélection raisonnée pour de nouveaux candidats probiotiques.
Hormis les BL, de nombreux micro-organismes probiotiques sont étudiés et utilisés en alimentation animale. Certaines bactéries non lactiques des genres Enterococcus sp., Bacillus sp. et des levures du genre Saccharomyces sp. sont parmi les plus utilisées pour le bétail ou la volaille. Il convient de signaler que certaines préparations commerciales utilisent une désignation taxonomique non valide de leurs souches (une indication claire et certaine est pourtant obligatoire pour l’étiquetage du produit).
Les premiers probiotiques ont été isolés et sélectionnés sur la base d’un usage historique et d’effets bénéfiques observés, mais rarement démontrés. Ceux de deuxième génération sont désormais soumis à des critères de sélection scientifiques solides.
Certains sont commercialisés avec des allégations relatives à la santé. Ce sont actuellement les plus utilisés en alimentation animale. La démonstration de leur innocuité doit être faite, ainsi que la preuve de leur effet bénéfique. La plupart sont considérés comme des additifs zootechniques, apportant des bénéfices au tractus digestif.
En Europe, l’autorisation d’utiliser des micro-organismes comme additifs zootechniques en alimentation est soumise à une réglementation stricte [2]. Les additifs alimentaires sont classés dans une ou plusieurs catégories selon leurs fonctions et leurs propriétés : technologiques, sensoriels, nutritionnels ou zootechniques. Les additifs zootechniques sont définis comme « tout additif utilisé pour modifier favorablement la performance des animaux en bonne santé ou utilisés pour modifier favorablement l’environnement ».
Les demandes d’autorisation pour une souche ou un mélange de plusieurs souches doivent inclure deux éléments. D’une part, l’espèce et la souche doivent être caractérisées à l’échelle moléculaire et identifiées, d’autre part, la performance zootechnique alléguée doit être démontrée (pour au moins une caractéristique donnée dans la définition).
L’autorisation est restreinte à une espèce animale cible et pour une catégorie d’âge au sein de cette espèce [3].
Les élevages de bovins, buffles, caprins, ou encore ovins représentent un important secteur de production pour la viande et le lait. Les principales cibles et le type de probiotiques utilisés chez les ruminants dépendent non seulement de l’espèce, mais aussi du type de production ou du stade de développement des animaux.
Chez les jeunes ruminants, le recours aux probiotiques vise par exemple une maturation optimale du microbiote ruminal, un moindre risque de colonisation par des agents pathogènes et un meilleur état sanitaire lors de la transition du sevrage (photo 2).
Dans les troupeaux de race à viande, l’objectif est d’améliorer le gain de masse corporelle et l’efficacité nutritionnelle, de réduire les risques d’acidose et de limiter le portage sain d’agents pathogènes, ainsi que leur transmission aux êtres humains (zoonose).
Chez les ruminants laitiers, les probiotiques sont utilisés pour augmenter les rendements et la qualité du lait et l’efficacité nutritionnelle de l’aliment, mais aussi pour améliorer la santé en limitant l’acidose(2) (photo 3).
Chez les bovins, les probiotiques les plus couramment utilisés sont des levures. Dans les troupeaux laitiers de grands ou petits ruminants par exemple, Saccharomyces cerevisiae permet une amélioration des performances. Entre autres effets bénéfiques, un accroissement de l’ingestion de matière sèche et de la production de lait est observé [5].
Hormis ces levures, l’utilisation de souches de Bacillus sp. (B. subtilis et B. licheniformis) a montré des résultats positifs sur les rendements et la composition de lait de brebis [6]. Chez les bovins, une supplémentation journalière avec des levures vivantes a induit une amélioration des paramètres de croissance (gain de poids quotidien, poids final, prise alimentaire, gain de poids corporel) [7]. Certains de ces bénéfices sont attribués à un meilleur équilibre microbien au niveau du rumen [12].
Les BL sont peu recommandées et peu utilisées pour un usage en supplémentation alimentaire dans le secteur de la production bovine. En effet, la surproduction d’acide lactique dans le tractus digestif des ruminants correspond au phénomène d’acidose induisant d’importants désordres métaboliques.
Toutefois, les BL présentent des propriétés intéressantes dans le contexte mammaire. Certaines études montrent leur potentiel de prévention, voire de traitement des mammites. Les mécanismes de leur antagonisme contre les principaux agents pathogènes impliqués dans les mammites sont investigués au niveau moléculaire(2).
Dans l’ensemble, les travaux actuels montrent un réel potentiel des approches probiotiques pour l’amélioration des performances zootechniques avec un maintien de la santé ou du bien-être des bovins.
In fine, les approches probiotiques, associées à d’autres progrès (conduite du cheptel, sélection génétique, amélioration des antibiotiques existants, etc.) permettent raisonnablement d’envisager une réduction de la quantité d’intrants en élevage sans nuire à l’efficacité des productions.
Au-delà des usages en tant qu’additifs alimentaires, de nouvelles applications sont maintenant investiguées pour la prévention ou le traitement des infections uro-génitales ou mammaires. Les aspects plus sanitaires feront l’objet d’un article spécifique(2).
(1) Voir l’article « Les microbiotes des ruminants » des mêmes auteurs, dans ce numéro.
(2) Voir article des mêmes auteurs à paraître dans le prochain numéro.
Aucun.
→ Les bactéries lactiques (BL) regroupent les genres bactériens Lactobacillus sp., Lactococcus sp., Enterococcus sp., Streptococcus sp., Leuconostoc sp. et Oenococcus sp., pour ne citer que les plus connus. Elles ont en commun de produire de l’acide lactique comme principal produit final de la fermentation. Elles sont utilisées depuis des millénaires dans diverses fermentations alimentaires pour leurs propriétés technologiques et fonctionnelles. La plupart des espèces de BL ont un statut GRAS (Generally regarded as safe, délivré par la Food and Drug Administration, aux États-Unis) et un statut QPS (Qualified presumption of safety, en Europe) qui leur sont attribués pour leur utilisation alimentaire habituelle ou traditionnelle. Dans de très rares cas, un pouvoir pathogène est rapporté, par exemple pour certains lactocoques agents de mammites [13]. Cela justifie d’autant plus la nécessité de caractériser toute souche de BL utilisée à des fins probiotiques. Il convient de s’assurer a minima de l’absence de tout facteur de risque dans leur génome (gènes de résistance aux antibiotiques, facteurs de virulence acquis par transfert génétique).
→ Leur utilisation en tant que probiotiques, pour améliorer la santé animale et prévenir les infections, a gagné en intérêt en production animale, en parallèle de leur usage en tant que probiotiques en consommation humaine. Les bénéfices attendus les plus importants sont un effet promoteur de croissance (taux de croissance, gain de poids), via de meilleures assimilation et digestion des aliments, mais aussi un contrôle biologique de la colonisation des agents pathogènes. Les probiotiques sont utilisés notamment en production de lait et d’œufs.
→ Certaines préparations commerciales utilisent une désignation taxonomique non valide de leurs souches de probiotiques (une indication claire et certaine est pourtant obligatoire pour l’étiquetage du produit).
→ Chez les ruminants laitiers, des probiotiques additifs zootechniques sont utilisés pour augmenter les rendements et la qualité du lait et l’efficacité nutritionnelle de l’aliment.
→ Les bactéries lactiques sont peu recommandées et peu utilisées pour un usage en supplémentation alimentaire dans le secteur de la production bovine, mais des perspectives pour un usage mammaire s’ouvrent.
Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »
L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire
Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.
Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.
Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire