Sonopalpation : l’échographie à la ferme, même sur des lots - Le Point Vétérinaire expert rural n° 370 du 01/11/2016
Le Point Vétérinaire expert rural n° 370 du 01/11/2016

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES EN MÉDECINE BOVINE

Questions/réponses

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : Bvet
BP 20 008
80230 Saint-Valéry-sur-Somme
Beatrice.bouquet@wanadoo.fr

Petit inventaire d’organes qui méritent d’être imagés avec nos échographes courants en pratique rurale : une montée en force de l’échographie respiratoire et ruminale.

Bienvenue dans l’ère de la sonopalpation, terme utilisé par l’Autrichien J. Kofler dans sa conférence au dernier Congrès mondial de buiatrie qui se déroulait en Europe cette année [5]. Ce dernier a commenté devant un vaste auditoire les applications de l’échographie en pratique bovine. L’intérêt de cette technique est précieux, parfaitement utilisable à la ferme (avec une bonne contention) : celui qui met en œuvre l’examen peut le faire immédiatement et personnellement (à condition de disposer du matériel et des compétences dans chaque voiture). La sonde génitale suffit largement « pour presque tout », s’accordent différents auteurs. Pas de perte de temps donc, ce qui ne veut pas dire bâcler le travail : Kofler encourage les praticiens à suivre des séquences préétablies pour les différents organes ou structures, et à systématiquement réaliser des coupes transversale et longitudinale, pour ne pas passer à côté des lésions. Des manuels ou articles de référence ont été rédigés sur à peu près toutes les structures possibles en pratique bovine. Avec la sonde, “on sonopalpe véritablement”, puisque, par exemple, “on comprime les veines ou on détecte le poul dans les artères”. Le mode Doppler fait son entrée dans les fermes. Les prélèvements sont aussi échoguidés.

Des organes, autrefois écartés du champ des possibles en échographie parce qu’ils ne sont “pas mous” (le pied des bovins) ou qu’ils sont “pleins d’air ou de gaz” (poumon, rumen) ont désormais aussi leurs perspectives échographiques… y compris pour un diagnostic à l’échelle du lot. L’échographie n’est plus l’apanage de la médecine du bovin “précieux”. Elle peut s’imaginer intégrée dans un suivi de troupeau.

L’ÉCHOGRAPHIE PULMONAIRE EN ÉLEVAGE DE GROS BOVINS ?

Un praticien-chercheur britannique rapporte son expérience pratique de l’échographie dans le cadre d’affections respiratoires [9]. Il a comparé deux sondes : la sonde linéaire à 5 MHz dont disposent nombre de praticiens ruraux pour un usage génital et une sonde micro­convexe de même fréquence, généralement recommandée de nos jours dans les différentes espèces pour cet usage. Selon ses conclusions, la sonde linéaire “suffit”. Celle microconvexe permet simplement de gagner en profondeur dans l’évaluation de la marge dorsale d’une effusion pleurale (élément qui a une valeur pronostique). Son étude incluait 16 bovins adultes et 6 bovins en croissance atteints de pneumonie suppurative chronique associés au même nombre de bovins sains (témoins). Dans quatre cas, des colonnes hypoéchogènes d’une profondeur de 2 à 6 cm ont été bien visualisées dans la partie dorsale du parenchyme pulmonaire. Dans tous les cas, un brusque changement d’aspect a eu lieu, lors de la progression ventrale, et la consolidation pulmonaire était perceptible à travers un aspect hyperéchogène, évoquant l’aspect du foie (hépatisation). La pleurésie sécrétante peut aussi être visualisée avec l’une ou l’autre sonde, sous forme de zone totalement anéchogène, mais son étendue est sous-évaluée de moitié avec une sonde linéaire (6 à 7 cm contre 15 cm avec la sonde microconvexe).

Une même sous-évaluation a été notée de l’étendue d’un abcès sous-costal dans un autre cas de cette étude.

Les auteurs concluent globalement que le recours à la sonde linéaire pour l’évaluation pulmonaire des bovins ne modifie ni le pronostic ni le diagnostic, sur le fond (photo 1).

ET CHEZ LA GÉNISSE LAITIÈRE DE RENOUVELLEMENT ?

Au Québec, Sébastien Buczinski et coll. ont évalué à l’aide d’une sonde linéaire de 7,5 MHz la prévalence de la consolidation pulmonaire chez de jeunes bovins laitiers non sevrés, issus d’une trentaine d’élevages sélectionnés au hasard dans la clientèle de la clinique ambulatoire de la faculté de médecine vétérinaire de Montréal (Canada) [2]. Dans chaque ferme, les poumons de 6 à 12 veaux ont été échographiés.

Ils ont comparé deux valeurs seuils de profondeur de consolidation visualisée sur au moins un site pulmonaire à l’échographie : 1 cm versus 3 cm. Au total 318 veaux ont été inclus, issus de 39 fermes. La prévalence de lésions de consolidation était élevée dans certains élevages, alors que l’étude a été réalisée en été, période où une faible incidence de pneumonie enzootique était attendue (tableau 1).

L’intérêt de l’échographie en pratique bovine sera approfondi en contexte français dans un article à paraître (photo 2) [6].

EN FEEDLOTS : DU RESPIRATOIRE À L’ACIDOSE ?

Le recours à l’échographie pour des lots de bovins en pathologie respiratoire n’est pas réservé aux élevages laitiers. Édouard Timsit en témoignait au symposium Dechra, en marge du Congrès mondial de buiatrie à Dublin. Ancien résident d’Oniris, actuellement responsable de recherches appliquées à l’université de Calgary (Canada), il a recours notamment à l’échographie sur des échantillons de jeunes bovins dans les feedlots afin de mieux cerner l’impact de la pathologie respiratoire dans un lot donné (il expérimente aussi l’auscultation assistée par ordinateur) [10].

Plus inattendue, en Europe, l’utilisation de l’échographe pour détecter l’acidose en engraissement. Les Italiens achètent des broutards élevés à l’herbe dans le Charolais (France) pour les “finir” dans des feedlots. Ils ont eu l’idée d’évaluer leur accoutumance ruminale au changement de régime alimentaire à l’aide de l’échographie [4]. Dans ce cadre, des valeurs seuils pour les images de ruminite ont été recherchées. Ils ont imagé, avec une sonde convexe de 6,6 MHz, l’épaisseur des parois du rumen et comparé aux résultats d’évaluation de pH sur jus de rumen prélevé presque au même moment (15 ml prélevés à l’aiguille 13 G d’une longueur de 105 mm dans le sac ventral, c’est-à-dire en se plaçant 15 à 20 cm caudalement et ventralement à la jonction costochondrale de la dernière côte). Les 154 animaux de cette étude, issus de deux centres, pesaient un peu moins de 500 kg et avaient presque atteint l’âge de 18 mois.

Les valeurs seuils suivantes ont été proposées : épaisseur de muqueuse de 7,8 mm pour une sensibilité (Se) de 0,85 et une spécificité (Sp) de 0,81 par rapport à un pH inférieur à 5,8. Dix jours après l’allotement, 41,5 % des taurillons sont en acidose dans cette étude, malgré les 5 jours de régime de transition (fibreux) distribué à leur arrivée.

L’évaluation de l’épaisseur totale de la paroi du rumen donne un coefficient de corrélation un peu moins bon que l’épaisseur de la muqueuse seule (R2 = 0,5637 et R2 = 0,5895). Ces travaux sont préliminaires.

QU’ATTENDRE DE L’ECHOGRAPHIE OMBILICALE ?

Une équipe de l’école vétérinaire de Toulouse a évalué statistiquement l’intérêt diagnostique de l’échographie lors d’anomalies du nombril chez le veau. La laparotomie, à la faveur de l’intervention ultérieure, a été prise comme technique diagnostique de référence. Trente-sept veaux ont été inclus dans cette étude réalisée en 2015. Une sonde sectorielle de fréquences 1 à 8 MHz a été utilisée. La palpation (isolée) est certes riche d’enseignements chez le très jeune veau (moins de 2 semaines), mais elle devient totalement illusoire en termes d’enseignements diagnostiques après l’âge de 3 mois.

Pour le diagnostic de l’infection de la veine ombilicale, les Se, Sp, les valeurs prédictives positive (VPP) et négative (VPN) sont de 1. Pour les anomalies en arrière de l’ombilic (affectant l’ouraque ou les artères ombilicales), la Se descend à 0,86 et la VPN à 0,85.

Selon ces auteurs, l’échographie permet de préciser la nature des vaisseaux impliqués, la taille des lésions, l’existence d’une péritonite, l’implication lésionnelle de la vessie, etc. (photo 3). Ils prévoient un développement du recours à l’échographie dans ce contexte particulier [7].

ET LA RETICULO-PERITONITE TRAUMATIQUE ?

La même équipe toulousaine a travaillé sur la réticulo-péritonite par corps étranger chez le bovin, une technique dont ils soulignent « la grande valeur diagnostique » dans ce type d’affection (mais la sonde de reproduction ne convient pas dans cette indication chez une vache allaitante grasse et musclée) [8]. Sur les 73 cas recrutés, 38 sont morts (ou ont été euthanasiés), autorisant un diagnostic nécropsique en plus des examens cliniques, échographiques et de laboratoire.

Les éléments cliniques pris en compte étaient la douleur, la tachypnée, la tachycardie, l’anémie et la chute de production laitière. La Se et la VPP du seul examen clinique sont très faibles (inférieures à 0,25). L’autopsie a servi de référence. Si les comptages sur la lignée blanche sont ajoutés aux données de l’examen clinique, la valeur diagnostique reste basse. C’est encore pire si les cas chroniques sont pris en compte. En revanche, les valeurs sont plus correctes lorsque l’échographie vient compléter l’examen clinique : Se : 0,81, Sp : 0,47, VPP : 0,65 et VPN : 0,67. En ajoutant les résultats biochimiques, c’est-à-dire uniquement le dosage des protéines totales et du fibrinogène, un gain de Se est perçu, ce qui veut dire qu’il n’est pas possible de passer à côté d’un cas : Se = 1 (et VPN = 1), mais le diagnostic est assez peu spécifique et l’erreur diagnostique reste donc largement possible (Sp : 0,38 et VPP : 0,62).

Le diagnostic n’est pas du “tout noir, tout blanc”. Diverses informations concomitantes peuvent être collectées à la faveur de l’échographie, qui ont un intérêt pour la gestion du cas : observation de signes de péritonite, d’inflammation, aspect de la paroi du réseau et motricité des ­préestomacs surtout, selon les Toulousains.

QUELLES ANOMALIES CARDIAQUES AISÉMENT VISIBLES ?

Toujours en France, mais à Nantes cette fois, Nora Cesbron et coll. ont évalué l’intérêt de l’échographie pour le diagnostic des défauts congénitaux cardiaques chez les bovins sur 13 années à Oniris (2003 à 2016) [3]. Les dossiers étaient suffisamment étayés dans 129 cas (examen clinique, échographie et autopsie). Une sonde convexe de fréquence 2,5 MHz (phase array) a été utilisée en mode 2D. La procédure “petits animaux” a été appliquée : examen sur animal debout de la région parasternale côté droit, sur 6 coupes échographiques standards. Les communications interventriculaire seules (45 % des anomalies répertoriées) sont facilement visualisées (malformations qui dominent, selon de précédentes enquêtes en abattoir comme en milieu hospitalier). Déceler une communication interatriale (6 %), ou des défauts plus complexes (tétralogie 6 % ou pentalogie de Fallot 4 %) peut, en revanche, se révéler plus ardu et dépend essentiellement de l’expérience du manipulateur.

Les cliniciens ont même diagnostiqué des associations d’endocardite avec des anomalies du septum interventriculaire (parmi les cas de communication interventriculaire, 30 % des animaux ont plus de 2 ans et 4 % de ces animaux étaient référés pour endocardite).

Pour rester pratiques, les auteurs ont analysé les motifs de référés des animaux autour du diagnostic (tableau 2).

Outre son intérêt diagnostique pratique, l’échographie permettra aussi de documenter les phénotypes lors d’anomalies congénitales dans la perspective de recherche de gène incriminé.

SPÉCIFICITÉS GÉNITALES DES PETITS RUMINANTS ?

Une étude sud-américaine (en collaboration avec des auteurs britanniques) chez les brebis (60 %) et les chèvres (40 %) illustre les particularités du diagnostic génital avec l’échographie [1]. L’hydromètre est l’anomalie la plus fréquemment diagnostiquée (globalement avec 3,7 % des cas et chez la chèvre avec 8,2 %), juste suivie (précédée chez les ovins) par la résorption aseptique embryonnaire précoce (2,3 %). Viennent ensuite la mortalité fœtale récente, l’hyperplasie kystique de l’endomètre, la résorption septique, le pyomètre, l’hydrosalpingite, et des cas isolés de tumeur ovarienne, de kystes lutéaux, de cervicite, de non-délivrance, d’abcès supracervicaux.

La prévalence des anomalies est presque trois fois supérieure chez les caprins (15,5 %) par rapport aux ovins (5,3 %) selon cette étude réalisée au Brésil dans douze élevages de profils variés situés en région subtropicale.

Conclusion

Ainsi l’échographie a largement supplanté “à la ferme” la radiographie, trop limitée par les précautions à prendre vis-à-vis du rayonnement X et les coûts engendrés. D’autres techniques d’imagerie plus élaborées sont essayées, mais restent peu diffusibles pour des raisons pratiques : le scanner ou encore, pour des informations plus précises, l’examen d’imagerie par résonance magnétique, qui “s’arrête” à la taille du tour de tête des bovins (ou de ventre du veau), et à la nécessité de les endormir [5].

L’avenir est, semble-t-il, d’apprendre à sélectionner un échantillon de bovins à échographier dans un lot pour obtenir une bonne “image” de telle ou telle maladie à l’échelle d’un troupeau ou quand la statistique et l’épidémiologie prendront l’ascendant sur l’image récoltée seule.

Références

1. Balaro M, Maia LRS, Ribeiro ACS et coll. Ultrasound findings of common pathologies of the female genital system of small ruminants. Proceedings of the 29th World buiatrics congress, Dublin. 3-8 juillet 2016:1552. Buczinski S, Borris M-E, Dubuc J. Prevalence of lung lesions using thoracic ultrasonography in pre-weaned calves from dairy herds in Québec, Canada. Proceedings of the 29th World buiatrics congress, Dublin. 3-8 juillet 2016:153-154.3. Cesbron N, Guatteo R, Assié S et coll. Interest of ultrasonogrphy for the diagnostic of congenital heart defects in cattle: 13 years of experience 2003-2016. Proceedings of the 29th World buiatrics congress, Dublin. 3-8 juillet 2016:154.4. Fiore E, Armato L, Morgante M et coll. Ultrasonography of the rumen wall as a potential diagnostic tool to diagnose Subacute rumen acidosis (SARA) in fattening bulls. Proceedings of the 29th World buiatrics congress, Dublin. 3-8 juillet 2016:154.5. Kofler J, Franz S, Flöck M et coll. Diagnostic imaging in bovine medicine. Proceedings of the 29th World buiatrics congress, Dublin. 3-8 juillet 2016:79-81.6. Lallemand M et coll. Échographie respiratoire en pratique courante. Point Vét. 2016;372: à paraître.7. Maillard R, Nouvel Mariam, Kammacher M et coll. Calf umbilical disorders: evaluating correspondence between ultrasound images, abdominal palpatio and subsequent surgical observations. Proceedings of the 29th World buiatrics congress, Dublin. 3-8 juillet 2016: 153.8. Maillard R, Bataille G, Kammacher M et coll. Traumatic reticuloperitonitis: correlation between necropsy and ante mortem clinical and laboratory data (ultrasonography, biochemistry, hematology). Proceedings of the 29th World buiatrics congress, Dublin. 3-8 juillet 2016:155.9. Scott P. Comparison of ultrasonographic findings obtained using 5 MHz linear and microarray scanners in cattle with lung and pleural pathology. Proceedings of the 29th World buiatrics congress, Dublin. 3-8 juillet 2016:153.10. Timsit E. Accurate detection and diagnostis of bovine respiratory disease in beef cattle: is this possible ? Respipedia. Symposium Dechra « Move to vaccination », Dublin (Irlande). 3/07/2016.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Atteintes respiratoires chroniques rebelles aux traitements et retard de croissance constituent des signes d’appel pour rechercher des anomalies cardiaques qu’il est possible d’imager avec l’échographe chez le veau.

→ Pour un diagnostic de réticulo-péritonite traumatique, des valeurs diagnostiques correctes sont atteintes en alliant examen clinique, échographie et résultats biochimiques (protéines totales et fibrinogène).

REMERCIEMENTS

à Michael Lallemand, pour les illustrations et la relecture.

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