Comment faire du tarissement le vrai début de la future lactation ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 365 du 01/05/2016
Le Point Vétérinaire expert rural n° 365 du 01/05/2016

GESTION DE LA PÉRIODE SÈCHE ET QUALITÉ DU LAIT

Conduite à tenir

Auteur(s) : Ellen Schmitt van de Leemput

Fonctions : Vetformance,
1, rue Pasteur,
53700 Villaines-la-Juhel
ellen.schmitt@vetformance.fr

Le savoir-faire existe pour réduire le nombre de traitements antibiotiques au tarissement tout en maîtrisant l’apparition des nouvelles infections en lactation.

L’intention de la profession vétérinaire est de diminuer l’utilisation des antibiotiques même si personne ne met en doute leur importance pour garantir la santé et le bien-être des animaux. Les stratégies autour de leur utilisation, surtout dans le cadre de traitements préventifs et métaphylactiques, sont remises en cause. Les raisons de biosécurité n’expliquent pas tout : les éleveurs cherchent aussi à faire des économies. La recommandation sur l’utilisation des antibiotiques au tarissement remonte aux années 1970 : un plan mondial de lutte contre les mammites en cinq étapes avait alors été imaginé [5]. Depuis lors, le nombre de vaches à mamelles infectées au tarissement a fortement diminué. De curatif, le recours aux antibiotiques au tarissement a évolué vers une dominante préventive. Plusieurs pays d’Europe interdisent l’usage préventif, donc des milliers d’éleveurs sont confrontés à l’obligation de tarir les vaches sans antibiotique. Pour soutenir ces éleveurs, plusieurs études de terrain sont lancées pour identifier les meilleurs critères de sélection des animaux à traiter ou non avec des antibiotiques. Les facteurs clés pour éviter des nouvelles infections en l’absence d’antibiotique susceptible de “protéger” la mamelle au tarissement ont aussi été précisés [1,15].

ÉTAPE 1 SÉLECTIONNER LES ANIMAUX À TARIR SANS ANTIBIOTIQUES

Dans une étude de terrain sur 657 vaches taries pour la première fois et 1 000 autres ayant déjà été taries plusieurs fois, huit scénarios différents ont été testés pour le choix des animaux à traiter, fondés sur le comptage cellulaire individuel [15]. Les vaches “multitarissement” sont ici apparues plus sensibles aux infections que les “primo­tarissement” (pour les mammites cliniques et subcliniques) lorsque aucun antibiotique n’est appliqué au moment du tarissement. Chacun des scénarios présente un avantage (tableau 1) :

– le 8 est celui qui réduit le plus les quantités d’antibiotiques administrées?(mais il maximise le taux de nouvelles infections, donc pénalise indirectement le bien-être des animaux) ;

– les 5 et 2 se ressemblent en taux des nouvelles infections, mais le deuxième est plus économe en antibiotiques.

Aucun ne tient compte des influences de la conduite d’élevage. L’analyse des facteurs qui influencent l’apparition des nouvelles infections pendant le tarissement dans un élevage donné peut probablement permettre d’appliquer le scenario 8 sans augmentation des nouvelles infections.

ÉTAPE 2 BAISSER LA PRODUCTION EN DESSOUS DE 12 KG/J

Au tarissement, la mamelle passe par trois phases : l’involution, le repos (steady state) et la colostrogenèse [18]. La première et la dernière sont les plus susceptibles de présenter de nouvelles infections (figure 1). Un élément clé dans la prévention des nouvelles infections pendant le tarissement est d’amener la mamelle au repos le plus vite possible. Baisser le niveau de production avant le tarissement à moins de 12 kg/j est le meilleur moyen [3]. En effet, le niveau de production avant le tarissement est directement corrélé au nombre de mammites au début de la nouvelle lactation. En revanche, 5 kg de lait en plus au tarissement peut augmenter le risque de mammite en début de lactation jusqu’à 77 % [20].

Trois différents leviers zootechniques peuvent aider à baisser la production à l’approche du tarissement.

Stratégie alimentaire

La mise à la “paille sèche” pendant 10 jours est souvent pratiquée. Cela génère un important stress alimentaire et ne contribue pas à une reprise de la lactation efficace : l’animal risque d’être davantage exposé aux maladies métaboliques au début de la lactation suivante. Il est préférable de baisser graduellement le niveau énergétique de la ration pendant les 2 dernières semaines de lactation. Pour les élevages en ration semi-complète, la complémentation de la ration de base au distributeur automatique de concentrés (DAC) ou au robot tendra vers zéro pour les concentrés de production (VL), tout en laissant en place suffisamment de correcteur azoté pour couvrir les besoins des animaux. En ration complète, le seul moyen est de réduire l’ingestion, en remplaçant une partie de la ration par de la paille ou du foin.

Traire moins fréquemment

En système avec salle de traite, la seule possibilité est de réduire de moitié la fréquence quotidienne. Cette solution n’est pas pratique car elle impose une phase de tri?supplémentaire. Aussi, le bruit de la machine peut susciter l’éjection (fuites de lait), même en l’absence de vraie traite.

Au robot, des réglages sont prévus pour une baisse de fréquence de traite avant le tarissement. Ils ont prouvé leur efficacité en ce sens.

Mesures médicales

Pour aider la mamelle à passer au plus vite au repos, des médicaments ou des préparations sont disponibles commercialement. En homéopathie, Orotar® (à base de Salvia officinalis 6 à 9 CH, Virbac) diminue le volume de la mamelle lors du tarissement. En phytothérapie, CP 26® (à base de thym, sauge officinale, échinacée, laboratoire Gentiana) aide à l’assèchement de la mamelle.

En allothérapie, la cabergoline est disponible depuis peu de temps pour les bovins (Velactis®, Ceva). Elle a une action antiprolactine pour baisser la production laitière.

ÉTAPE 3 ASSURER UN LOGEMENT PROPRE ET SEC

Même lorsque les vaches sont taries à moins de 12 kg/j de lait, la mamelle reste exposée aux infections venues de l’extérieur. Le taux d’infection est directement lié à la pression bactérienne en combinaison avec l’immunité (locale et générale) des vaches taries. La pression bactérienne dépend de la propreté des animaux et de celle de leur logement. Les recommandations pour les vaches taries sont plus sévères que lorsqu’elles sont en lactation (tableau 2) [11]. Chacune doit avoir accès à un endroit propre et sec pour se coucher (photos 1 et 2). L’entretien d’une aire paillée pour les vaches taries doit être au moins aussi régulier que pour celles qui se trouvent en lactation. En termes de surface, 10 m2 d’aire paillée sont à prévoir par animal. La surpopulation augmente le risque d’infections [10]. Tout comme à l’herbe, en l’absence de traitement contre les mouches, des analyses de génétique moléculaire ont démontré que les mêmes souches de Staphylococcus aureus sont retrouvées dans ces insectes et dans le lait de mammite [6, 8]. Pour la phase de colostrogenèse du tarissement, le nettoyage du box de vêlage et aussi l’usage exclusif de cet endroit pour la mise bas sont des facteurs positifs pour limiter les infections [8].

ÉTAPE 4 ENCOURAGER LA FERMETURE DES SPHINCTERS

La première barrière de défense se trouve au niveau du sphincter : sa fermeture est assurée par la formation d’un bouchon de kératine dans le canal du trayon. Ce processus se déroule mieux si le niveau de production au moment du tarissement est bas [4]. Il existe des cas où ces bouchons de kératine ne se forment pas correctement, pour un ou plusieurs quartiers (figure 2) [4, 7].

L’application d’un obturateur de trayon contribue positivement à la fermeture de la porte d’entrée pour les bactéries et diminue le taux d’infections au début de la lactation [9]. En l’absence d’application simultanée d’un antibiotique, l’hygiène lors de la mise en place des obturateurs internes est primordiale : il convient de nettoyer le trayon avant l’application avec une lingette trempée dans une solution désinfectante, ensuite, idéalement, la vache doit rester debout pendant 30 minutes [8, 10].

ÉTAPE 5FAVORISER LES DÉFENSES LOCALES

L’alimentation est un atout important pour optimiser les défenses locales et systémiques. En premier lieu, un apport de minéraux en quantité équilibrée aux vaches taries permet de baisser le taux de mammites en début de la lactation [10].

Ensuite, il est important de gérer la balance énergétique. Lorsque celle-ci est négative, les leucocytes sont affaiblis, aussi bien dans le sang que dans la mamelle. L’objectif est de prévenir tout stress alimentaire et de garder des animaux dans un état corporel entre 3 et 4 pendant toute le tarissement, sans amaigrissement, ni engraissement.

Limiter tout stress alimentaire

Les vaches n’aiment pas le changement et les microbes de la panse non plus. Il est conseillé d’apporter une ration à fond de cuve identique pendant tout le tarissement (par exemple garder une base d’ensilage de maïs, équilibrée par un apport d’azote). Le niveau d’énergie de la ration sera modulé en rajoutant de la paille (pour baisser le niveau d’énergie) ou un concentré de production type VL (pour augmenter le niveau d’énergie) (figure 3) [16].

Le stress alimentaire peut aussi être généré par des éléments d’élevage inadéquats :

– le rythme de distribution ;

– les places à l’auge ;

– la présence de boiteries.

La conduite d’élevage dans son ensemble doit viser une ingestion stable au quotidien (et maximale). Ainsi, le meilleur critère pour estimer l’absence de stress alimentaire est le remplissage de rumen. La note idéale pour une vache tarie se situe à 4 (photos 3 et 4).

Stabiliser l’état corporel pendant le tarissement

L’état corporel pendant le tarissement reflète des déséquilibres potentiels de la balance énergétique de la vache. Pour minimiser la durée et l’intensité de la période où celle-ci sera négative, un état corporel stable entre 3 et 4 pendant le tarissement offre des garanties. Au-delà et en dessous de ces stades, avec une perte d’état au-delà d’un point au vêlage, le déficit énergétique risque de pénaliser le système immunitaire [19, 20]. Une surveillance régulière de l’état corporel permet d’adapter la ration aux observations. Des mesures de corps cétoniques (Β-hydroxybutyrate) dans le sang juste avant et après vêlage sont également possibles, aux seuils respectifs de 0,6 mmol/l et de 1,2 mmol/l.

Il existe une solution médicale pour les animaux à risque, trop gras, trop maigres et/ou taris trop longtemps : l’application d’un bolus à base de monensin (Kexxtone®, Elanco), 4 semaines avant vêlage.

ÉTAPE 6 APPUYER LES CHOIX STRATÉGIQUES POUR LES ANTIBIOTIQUES

Une réelle démarche de prescription pour les antibiotiques hors lactation peut être la base d’une utilisation raisonnée.

La question centrale est de savoir quel est le type de bactéries cibler, élevage par élevage : cela dépend du logement (des vaches taries ou en lactation), de la traite et de ses procédures. L’antibiotique doit non seulement soigner les infections existantes, mais aussi protéger la mamelle vis-à-vis des bactéries qui risquent d’y pénétrer pendant le tarissement. Ces deux populations ne sont pas obligatoirement les mêmes. La meilleure façon de les identifier est de combiner une analyse de l’historique des résultats d’analyse bactériologique des mammites cliniques avec une analyse PCR (polymerase chain reaction) du lait des quartiers à mammites subcliniques. Les techniques de génétique moléculaire permettent de faire une “empreinte bactérienne” de l’élevage, identifiant les agents pathogènes majeurs comme mineurs, même des bactéries présentes en faible quantité (tableaux 3) [16].

Dans le contexte d’une baisse souhaitée de la consommation d’antibiotiques, leur administration sous forme injectable au moment du tarissement reste un sujet de discussions important. Il existe peu de publications qui démontrent une augmentation des guérisons après l’application de tylosine en dose unique, par exemple [2, 12]. Or cette démarche renvoie à des quantités conséquentes d’antibiotiques consommées. Il serait donc souhaitable de pouvoir s’appuyer sur davantage d’informations sur ce sujet.

Conclusion

La période sèche occupe une part très importante du cycle de la lactation d’une vache. Les changements en élevage laitier, en particulier l’accroissement de la production par vache, associés à des problématiques de société (réduction du recours aux antibiotiques, bien-être animal) et l’obligation économique de réduire les coûts en ont modernisé l’approche. Les nombreuses études rapidement exposées ici renseignent sur la façon de l’optimiser, avec l’objectif d’améliorer la qualité du lait et de minimiser les maladies métaboliques. L’application rigoureuse de ces innovations autorise des réductions de coût, moins d’antibiotiques consommés et davantage de bien-être animal.

Références

  • 1. Cameron M, McKenna SL, MacDonald KA et coll. Evaluation of selective dry cow treatment following on-farm culture: Risk of postcalving intramammary infection and clinical mastitis in the subsequent lactation. J. Dairy Sci. 2014;97:270-284.
  • 2. Contreras GA, Guterbock WM, Sears PM. Comparison of systemic and intramammary dry cow treatment. NMC Annuel Meeting Proceedings. 2007;290.
  • 3. Den Uijl I, Scherpenzeel?C, Keurentjes J et coll. Eindrapportage selectief droogzetten van melkvee. Deventer, Pays Bas. 2012.
  • 4. Dingwell RT, Leslie KE, Schukken?YH et coll. Association of cow and quarter-level factors at drying-off with new intramammary infections during the dry period. Prev Vet Med. 2004;63:75-89.
  • 5. Dodd FH, Westgarth DR, Neave FK et coll. Mastitis. The strategy of control. J. Dairy Sci. 1969;95:2501-2511.
  • 6. Gillespie BE, Owens?WE, Nickerson SC et coll. Deoxyribonucleic acid fingerprinting of Staphylococcus aureus from heifer mammary secretions and from horn flies. J?Dairy Sci. 1999;82:1581-1585.
  • 7. Green MJ, Green LE, Medley?GF et coll. Influence of dry period bacterial intramammary infection on clinical mastitis in dairy cows. J. Dairy Sci. 2002;85:2589-2599.
  • 8. Green MJ, Bradley AJ, Medley?GF et coll. Cow, farm, and management factors during the dry period that determine the rate of clinical mastitis after calving. J. Dairy Sci. 2007;90:3764-3776.
  • 9. Halasa T, Nielen M, Whist AC et coll. Meta-analysis of dry cow management for dairy cattle. Part 2: Cure of existing intramammary infections. J. Dairy Sci. 2009;92:3150-3157.
  • 10. Huijps K, Hogeveen H, Lam?TJGM et coll. Costs and efficacy of management measures to improve udder health on dutch dairy farms. J. Dairy Sci. 2010;93:115-124.
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  • 12. O’Boyle NJ, Guterbock WM, Sears PM. Comparing the use of systemic antibiotics with intramammary antibiotics in dry cow therapy. NMC Annuel Meeting Proceedings. 2006:238.
  • 13. Rajala-Schultz PJ, Hogan JS, Smith KL. Association between milk yield at dry-off and probability of intramammary infections at calving. J. Dairy Sci. 2005;88:577-579.
  • 14. Scherpenzeel CGM, Den Uijl IEM, Van Schaik G et coll. Evaluation of the use of dry cow antibiotics in low somatic cell count cows. J. Dairy Sci. 2014;97:3606-3614.
  • 15. Scherpenzeel CGM, Den Uijl?IEM, van Schaik G et coll. Effect of different scenarios for selective dry-cow therapy on udder health, antimicrobial usage, and economics. J. Dairy Sci. 2016;99: 1-12.
  • 16. Schmitt-Van de Leemput E, Samson O, Gaudout N et coll. Recours à la PCR multiplex en clientèle et comparaison à la culture bactérienne sur le lait. Point Vét. 2013;334 (rural):56-61.
  • 17. Schmitt van de Leemput E, Ernoux D. Qualité du lait dans les élevages équipés d’un robot de traite. Point Vét. 2016;364 (rural): 44-49.
  • 18. Sérieys F. Le tarissement des vaches laitières. Éd. France Agricole. 1997:224p.
  • 19. Suriyasathaporn W, Daemen AJJM, Noordhuizen-Stassen EN et coll. B-Hydroxybutyrate levels in peripheral blood and ketone bodies supplemented in culture media affect the in vitro chemotaxis of bovine leukocytes. Vet. Immunol. Immunopath. 1999;68:177-186.
  • 20. Suriyasathaporn W, Heijer C, Noordhuizen-Stassen EN et coll. Hyperketonemia and the impairment of udder defense: a review. Vet. Res. 2000;30:397-412.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Tarir une vache à moins de 12?kg de lait est la clé du succès.

→ L’hygiène lors de la mise en place des obturateurs de trayon est primordiale, surtout quand des antibiotiques ne sont plus administrés.

→ Pour minimiser le déficit énergétique en production, des états corporels stables entre 3 et 4 pendant le tarissement offrent des garanties.

→ L’analyse rétrospective des bactériologies sur mammites cliniques, combinée avec le résultat des PCR (polymerase chain reaction) sur lait de quartiers à mammites subcliniques, permet d’identifier au mieux les bactéries persistantes ou infectant les vaches pendant le tarissement.

→ À l’herbe, l’absence de traitement contre les mouches augmente le risque de nouvelles infections.

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