La betterave : une racine concentrée à équilibrer - Le Point Vétérinaire expert rural n° 364 du 01/04/2016
Le Point Vétérinaire expert rural n° 364 du 01/04/2016

INGRÉDIENTS DE LA RATION DES RUMINANTS

Article de synthèse

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : Bvet
BP 20008
80230 Saint-Valéry-sur-Somme

Intéressante à l’état brut dans un contexte de recherche d’autonomie, il convient d’incorporer prudemment cette racine et ses sous-produits (pulpes et mélasse) aux rations de ruminants.

La betterave a le vent en poupe en France, premier exportateur mondial de sucre [4]. Elle a profité cette année des déficits en sucre (de canne) sur le marché mondial, mais aussi de la montée du bioéthanol et du biogaz dans les politiques énergétiques.

Si elles dominent largement, les variétés sucrières ne sont pas seules cultivées : la betterave potagère est rouge et réservée aux maraîchers, la betterave fourragère, moins érigée, bénéficie de rendements deux fois meilleurs. Un peu oubliée dans les rations modernes, cette dernière peut tenter des exploitations de ruminants en recherche d’autonomie vis-à-vis des intrants. Elle n’a rien d’un fourrage, contrairement à ce qui est dit parfois [2]. Les parties vertes sont à exclure et le tubercule de betterave s’apparente à un concentré. Sa teneur en cellulose brute est modeste (7,3 % de la matière sèche [MS]). Un recours aux coproduits surpressés des variétés sucrières peut améliorer l’apport “pariétal” et l’atout énergétique pour la ration, tout cela à faible coût, à condition d’être en régions de production (en raison des frais de transport), le Nord et la Normandie, principalement, mais aussi le Centre et même le Massif central.

DES PARTIES AÉRIENNES TRÈS À RISQUE

Si tout est mangeable dans la betterave pour l’alimentation des ruminants, les parties aériennes (collet et feuilles) n’en valent pas la peine. Leur valeur alimentaire est très faible et leur teneur en eau conséquente. La toxicité de ces parties aériennes est avérée (photo 1).

La présence d’acide oxalique entraîne la formation d’oxalates de calcium (Ca) qui pénalisent l’absorption de ce minéral, pourtant essentiel en croissance ou en lactation. La forte teneur conjointe en potassium (K) accentue les risques toxiques pour le rein (via la formation d’oxalates de K ou directement). Elle peut provoquer des accidents diarrhéiques (figure 1). Renforcer l’apport de sel et de calcium est une nécessité lors de distribution de betteraves aux fanes mal coupées.

Les parties vertes pourrissent et fermentent facilement. Les ensiler est une opération plus que délicate. Un retour direct à la terre est ainsi préférable pour ces parties aériennes, sous forme d’engrais vert.

BEAUCOUP D’ÉNERGIE, PLUS OU MOINS D’AZOTE

La racine de betterave est la partie alimentairement intéressante de la plante. Elle est un bon concentré énergétique – presque trop – avec un fort taux d’extractif non azoté associé à une matière organique très fortement digestible (supérieure à 90 %). En variété fourragère, des rendements de 10 000 unités fourragères par hectare (UF/ha) sont possibles. Longtemps, le démariage et la suppression des indésirables de la même famille dans le champ lui ont donné la réputation d’une culture astreignante, mais la sélection variétale, les traitements sélectifs et la mécanisation ont changé les choses.

L’apport azoté, modeste en moyenne (12 % de la MS), cache de fortes disparités : de 3 à 20 % selon l’amendement reçu par la parcelle, la date de récolte, les conditions de croissance de la plante. Plus la teneur en MS de la racine est faible, plus sa teneur en azote est élevée. La matière azotée totale (MAT) est assez facilement assimilable (teneur en azote soluble au-delà de 50 %). Ainsi, selon les conditions de culture, la racine peut être riche en nitrates. Elle équilibre alors parfaitement des rations à base de fourrages pauvres. Il est déconseillé de l’associer avec de l’ensilage d’herbe.

Il reste à gérer le déficit constant en Ca (0,2 % de la MS) et en phosphore (P) (0,15 %), associé à sa richesse en potassium. Une correction minérale spécifique s’impose.

À DISTRIBUER “SOIGNEUSEMENT”

Extrêmement appétente, la betterave ne doit jamais être fournie à volonté. Même en cas de distribution rationnée à l’auge, il peut être utile de renseigner le facteur “compétition”. Les animaux dominants risquent d’en manger trop, et de ne pas consommer assez de lest, soit un risque majeur d’acidose. Les glucides de la betterave sont en effet très fermentescibles. Une vache ne doit pas manger plus de 1 kg de MS de betterave pour 100 kg de poids vif [PV] par jour, soit 25 à 40 kg sous forme de racines “brutes”.

Les accidents d’ingestion existent comme une obstruction œsophagienne lorsque les fragments avalés sont trop gros (photo 2).

Mal conservées (gelées, cuites, fermentées), les betteraves sont encore plus à risque d’acidose, via la production d’acide lactique ou d’éthanol dans le rumen. Les silos de betteraves-racines non couverts en période de gelées sont une pratique en voie d’extension chez l’agriculteur pressé, qui ferait se dresser les cheveux sur la tête des anciens (photos 3 et 4).

PULPES FRAÎCHES : À CONSOMMER RAPIDEMENT

Les fragments de betterave sucrière après broyage et extraction du sucre, à chaud, sont nommés pulpes (400 kg/t) (figure 2).

Les pulpes peuvent être récupérées fraîches au moment de la récolte, à l’automne, à condition que les éleveurs ne soient pas trop éloignés de la sucrerie (or le nombre de sucreries s’est effondré en France ces 30 dernières années). Le produit est en effet lourd et instable (il est parfois ensilé sous sa forme humide, mais la perte en jus est difficile à gérer). Les pulpes fraîches ne doivent pas être distribuées au-delà de 30 kg par vache et par jour. Or, l’éleveur qui les récupère, à bas coût à la sucrerie, peut avoir la main leste à la période où il les récupère, en particulier s’il lui “manque” du lait par rapport à ses objectifs (effet galactogène en ration “pauvre”).

PULPES SURPRESSÉES ET DÉSHYDRATÉES : À DISTRIBUER AVEC MODÉRATION

Les pulpes peuvent aussi être pressées industriellement. Le “surpressage” est un procédé industriel, qui s’accompagne de contrôles analytiques réguliers, de procédures de certification, et respecte une réglementation [5, 6]. Une tonne de betteraves donne 160 kg de sucre et 200 kg de pulpes surpressées [5]. Le procédé s’accompagne d’adjonctions qui peuvent améliorer la valeur alimentaire des pulpes en Ca.

Les pulpes surpressées peuvent être ensilées une fois achetées par l’éleveur. Quelques précautions s’imposent à la confection du silo : utiliser de la pulpe à plus de 20 % de MS, l’ensiler tant qu’elle est chaude (45 à 50 °C) et obtenir un pH supérieur à 4,5. Le chantier doit être terminé (silo fermé) moins de 24 heures après le pressage de la pulpe [2]. La “maladie des pulpes” est une mycotoxicose associée à des défauts de conservation (troubles digestifs, hépatiques, rénaux, neurologiques, voire cutanés) et n’est pas liée à la composition intrinsèque de ces dernières (photos 5a et 5b) [1].

La distribution de ces pulpes surpressées est à rationner en production laitière (7 kg MS/j par animal), surtout en fin de courbe ou au tarissement (risque de syndrome de la vache grasse) [1]. Elles sont parfois distribuées en élevage allaitant et en engraissement.

Elles peuvent subir une étape supplémentaire de déshydratation, par séchage à plus de 120 °C pour une meilleure conservation (pour aboutir à 90 % de MS). Les pertes au cours des différents procédés sont compensées par réincorporation, mais il reste l’effet de dénaturation lié à la chauffe (vitamines et protéines). Le niveau de Ca par rapport au produit brut est fortement rehaussé : 13,2 g/kg (écart type 4,0) [5]. Le phosphore reste bas et le potassium élevé.

Commercialisées sous forme de bouchons ou de granulés, les pulpes de betterave doivent être stockées à l’abri de l’humidité (photo 6). Elles peuvent, sous cette forme, être incorporées dans un ensilage d’herbe (effet pompant, appétent et d’un intérêt alimentaire pour la production de lait) ou de maïs.

Les pulpes déshydratées sont mieux ingérées que celles seulement surpressées. Elles font gagner en encombrement par rapport à la racine brute, avec de l’ordre de 20 % de cellulose. Le nutritionniste doit là encore vérifier que certains animaux n’en ingèrent pas en excès.

Les pulpes ont un intérêt économique indéniable en régions productrices (Nord-Picardie, Normandie, Centre). Elles viennent en substitution (d’une partie) de l’orge ou du maïs. Elles peuvent être un ingrédient phare d’une ration d’engraissement, grâce à leur excellente digestibilité. Les risques sont les mêmes que ceux observés lors de la distribution de la racine entière : subacidose (et son lot d’abcès hépatiques, fourbures). Le déficit en Ca est indéniable (malgré une apparente teneur élevée, mais par manque de biodisponibilité), mais il est à relativiser par rapport à l’ensilage de maïs, par exemple. Il convient aussi de veiller au risque de carence en vitamine B1 (nécrose du cortex) et en vitamine A, en cuivre et en sélénium (immunité, fertilité, myopathies). Le phosphore est déficitaire (renversements de matrice, hémoglobinurie puerpérale, troubles de la reproduction en général). Les apports en acides aminés essentiels sont corrects (lysine 6,4 g/kg brut ou 7,9 % de la MAT ; méthionine et cystine : 2,6 g/kg brut ou 2 % MAT) [3].

Une ration avec 6 à 7 kg de pulpes surpressées, de l’ensilage de maïs à volonté, complétée par 5 kg de tourteau de colza normal, 1 kg de tourteau de colza tanné et 120 g de complément minéral et vitaminique (CMV) de rapport 0-27 autorise la production de 32 kg de lait (tableaux 1, 2 et 3) [2].

MÉLASSE : DU SUCRE POUR L’APPÉTENCE MAIS PAS QUE

Résidu d’extraction obtenu à partir du jus sucré de la betterave, la mélasse est sirupeuse, noirâtre. Sucrée mais amère aussi, elle plaît aux ruminants. Très riche en sucre (jusqu’à 65 % de la MS), elle participe à équilibrer des situations de déficit en glucide rapide avec certains ensilages, et lors d’adjonction d’urée. Elle peut être incorporée jusqu’à 2 kg par vache et par jour. Elle contient aussi des protéines, davantage que la mélasse de canne à sucre (62 % de matières azotées digestibles [MAD], contre 33 %). Ces protéines contiennent peu d’acides aminés indispensables. L’acide glutamique y est bien représenté. Il améliore la salivation, l’appétit et la conduction nerveuse.

La mélasse est pertinente comme booster d’ingestion, dans les rations à base de fourrages grossiers. Elle contient aussi des nitrates que les ruminants savent valoriser (protéines digestibles dans l’intestin dont le facteur limitant est l’azote de la ration ou PDIN : 58 g).

L’excès de potassium peut la rendre laxative. Elle pourrait néanmoins être essayée ponctuellement dans les situations de décubitus prolongé, avec suspicion d’hypokaliémie, une fois la calcémie rétablie (bonne teneur en sodium, mais déficits pour les autres minéraux).

Elle sert comme liant pour les aliments agglomérés, y compris pour les granulés à base de pulpe déshydratée. Elle est davantage qu’un sous-produit, car elle est utilisée dans l’industrie de l’alcool et de la levure pour la consommation humaine.

Conclusion

Ainsi, tout n’est pas bon dans la betterave, mais cette racine mérite une place dans les rations de production. Sous forme brute ou de sous-produits industriels (pulpes, mélasse), elle permet de compenser les défauts des ingrédients “de base”. La fin des quotas en production de betteraves à sucre pourrait faire bouger les marchés (figure 3) [4]. Ses sous-produits seront plus ou moins accessibles à l’avenir selon l’évolution d’une production concurrente à l’autre bout du monde (canne à sucre) et les décisions qui seront prises sur le taux d’incorporation du bioéthanol dans le carburant.

Références

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La betterave est à assimiler à un concentré de production, dans sa partie racine, sans amidon, avec peu de fibres à l’état brut et riche en glucides rapidement fermentescibles.

→ Elle contient beaucoup de potassium, d’où un possible effet laxatif.

→ Trop de collets et de feuilles laissées à la récolte accroît les risques liés aux oxalates (néphrite).

→ Le calcium peut être présent, mais il risque d’être non disponible (oxalates dans les parties aériennes).

→ La mélasse est riche en potassium et relance l’ingestion.

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