Quelles avancées sur les mammites à Staphylococcus aureus ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 361 du 01/12/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 361 du 01/12/2015

INFECTIONS MAMMAIRES

En questions et réponses

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : 25, rue de Poireauville
80230 Vaudricourt

Des avancées de la recherche aident à comprendre la difficulté de la lutte contre les mammites à staphylocoque doré. Travailler sur la traite ne convient pas dans certains cas “atypiques”.

À Rome, à la mi-octobre dernier, les sommités du monde des mammites ont été conviées pour une session sur ce sujet au Forum européen de buiatrie (photo 1). Une revue a été dressée sur le thème des mammites staphylococciques par un Américain, auteur de dizaines de publications sur le sujet : J.R. Middleton, enseignant-chercheur à Columbia, université du Missouri (États-Unis). Malgré cet éclairage venu des États-Unis, les Français n’ont pas à rougir puisque leurs travaux sont cités parmi ceux qui témoignent d’avancées progressives sur les mammites à Staphylococcus aureus.

TRAITER LONGTEMPS LES MAMMITES À S. AUREUS ?

Un raccourci est souvent entendu dans les élevages : « Les traitements ne fonctionnent pas. » Les taux de guérison varient selon l’antibiotique choisi, la durée d’administration, et s’il est administré en ou hors lactation (de 3 à 74 %). À ces paramètres, il convient d’ajouter les facteurs “vache” et “agent pathogène”. Un animal âgé, des comptages de cellules somatiques (CCS) élevés, une infection chronique, un dénombrement bactérien élevé et des quartiers infectés multiples sont associés à de moindres chances de guérison. Le traitement est à réserver aux jeunes vaches récemment infectées par des staphylocoques sensibles à la pénicilline, tandis qu’il convient de décourager les éleveurs de traiter les vaches âgées infectées chroniquement, et qui plus est par une bactérie résistante.

Sur la durée de traitement, les choses bougent, à la lumière sans doute d’un recours raisonné aux antibiotiques. Si l’allongement de la durée de traitement était en vogue il y a seulement 2 ans (Middleton cite une revue scientifique de 2012 qui aboutit à cette conclusion), la prudence s’impose quant à cette pratique : des mammites cliniques peuvent survenir à la suite d’un traitement prolongé, associées à l’émergence de levures ou de coliformes non sensibles à (voire favorisées par) l’antibiotique administré sur une longue durée. L’efficacité de cette pratique hors autorisation de mise sur le marché (AMM) n’est pas toujours au rendez-vous. Les taux de guérison sur le long terme s’effondrent (29 % à 28 jours, alors qu’après 4 jours ils sont à 80 %), d’après des travaux de Middleton et coll.

TRAITER PRÉVENTIVEMENT LES MAMMITES CHRONIQUES EST-IL PERTINENT ?

Des contaminations surviennent dès les premiers mois de vie. La tentation est alors apparue outre-Atlantique de traiter les génisses 2 à 4 semaines avant le premier vêlage. À l’aveugle, cette pratique relève de l’antibioprévention. Elle est fortement déconseillée. Il conviendrait de traiter seulement les génisses infectées, il serait donc nécessaire de les identifier (photo 2).

En pratique, aux États-Unis, l’administration d’antibiotiques avant le premier vêlage vise en premier lieu les staphylocoques à coagulase négative (SCN), mais, selon Middleton, elle a aussi démontré un intérêt vis-à-vis de S. aureus. Le chercheur qualifie les taux de guérison potentiels de prometteurs, mais il souligne que le retour sur investissement est assez disparate en termes d’amélioration de la production de lait ou des CCS. Dans certaines fermes américaines, aucun bénéfice n’est rapporté (donc, c’est une perte d’argent). En outre, cela peut amener à introduire une bactérie dans le canal du trayon susceptible d’engendrer une mammite clinique.

Aux Étas-Unis, ces pratiques (traitement plus long ou avant la première mise bas) sont à réfléchir au cas par cas par le “trépied” vétérinaire-éleveur-vache, selon Middleton, tolérant mais circonspect à l’égard de ces “modes”. En France, le traitement avant première mise bas relève du hors AMM (aucun médicament à base d’antibiotique et visant les mammites ne mentionne une indication « génisses avant vêlage » dans le résumé des caractéristiques du produit). Ces pratiques sont totalement proscrites en France.

ET LA VACCINATION ?

Le chercheur a disséqué les données sur les vaccins disponibles en se focalisant sur les staphylocoques dorés. Commercialisé aux États-Unis tout comme en Europe, Starvac® (Hipra) est inactivé et vise non seulement S. aureus, mais aussi E. coli et les SCN. L’immunogénicité a “finalement” pu être démontrée vis-à-vis de S. aureus, ainsi que la capacité de ce vaccin à stimuler la production d’anticorps dans le lait et le sang, et à réduire la charge bactérienne. Dès lors, le vaccin réduit la durée de l’infection, donc le nombre et le risque de transmission. L’effet préventif n’a pas été complètement démontré. La croissance bactérienne est réduite, encore plus avec S. aureus qu’avec les SCN (45 % versus 35 %) et davantage chez les génisses. Les résultats de la vaccination sont globalement variables selon les élevages.

Les États-Unis disposent d’un autre vaccin commercialisé contre les mammites (Lysigin®, Boehringer), de type multivalent (plusieurs souches de S. aureus représentées aux États-Unis). Mêmes difficultés que pour Starvac®, l’intérêt en termes de lait produit et d’amélioration de CCS chez les animaux vaccinés versus non vaccinés n’est pas prouvé. Lysigin® peinerait aussi sur le facteur “taux d’anticorps opsonisants”, d’après la revue de Middleton. En revanche, il semble prometteur pour la protection des génisses de renouvellement, au prix d’un protocole assez lourd : vaccin à l’âge de 6 mois, avec rappel à 2 semaines, puis tous les 6 mois.

PRENDRE EN COMPTE LA DIVERSITÉ MONDIALE DES SOUCHES DE STAPHYLOCOQUES DORÉS ?

Les études de génétique moléculaire récentes tendent à prouver que les souches pathogènes diffèrent entre les États-Unis et l’Europe. Le génotype B qui prédomine en Europe parmi les souches de S. aureus pathogènes n’est pas retrouvé aux États-Unis.

Les études récentes ont souligné la supériorité de la technique PFGE (pulsed field gel electrophoresis ou électrophorèse en champ pulsé) sur la RS-PCR (restriction site polymerase chain reaction) pour discriminer les souches de staphylocoques dorés d’origine bovine. Les gènes codants pour les entérotoxines reconnues en Europe semblent considérablement moins présents sur le territoire américain. Ainsi, les publications provenant d’outre-Atlantique ne sont pas forcément transposables à la situation en Europe.

UNE DIVERSITÉ LOCALE ?

Dans une ferme infectée, la plupart du temps, une seule souche de S. aureus domine. Seul le risque de contamination de vache à vache (pendant la traite) est à réfléchir dans ce cas : rien de neuf (encadré). Au moment d’un prélèvement de lait, d’autres souches de staphylocoques dorés issues de l’environnement de la vache peuvent néanmoins fausser des résultats.

Il existe des cas où plusieurs souches ressortent des analyses chez différentes vaches dans un même élevage. La situation peut déconcerter. Selon Middleton, cela témoignerait d’un défaut d’adaptation à leur hôte des S. aureus présents. Dès lors, le modèle épidémiologique change (donc aussi les méthodes de lutte assorties). Non contagieux et sporadiques, ces profils renverraient à des situations à agents pathogènes environnementaux. Les politiques de traite séparée, de traitement et/ou de réforme ne constitueraient pas les piliers d’une lutte efficace dans ces cas à S. aureus multisouches (photo 3).

Middleton explique que l’isolement d’une souche “inconstante” dans des cas sporadiques peut conduire à des mesures de lutte restreintes à quelques vaches. Il n’est pas obligatoirement justifié de révolutionner la conduite d’élevage et de traite, en particulier dans ce cas.

La diversité génétique des souches renvoie à des différences de transmissibilité, d’intensité de l’inflammation locale, de persistance ou encore d’impact de l’infection sur la production de lait.

Les élevages qui achètent des génisses de remplacement sont susceptibles de voir circuler et entrer davantage de souches de S. aureus que ceux en circuit fermé.

ET LE DIAGNOSTIC AU QUOTIDIEN ?

La mise en culture de lait à partir d’un prélèvement aseptique garde tout son sens pour le diagnostic étiologique des mammites à S. aureus. La sensibilité et la spécificité de cette technique devenue accessible en routine dans les cabinets vétérinaires sont équivalentes à celles de la PCR (photo 4).

Un diagnostic fondé sur l’interprétation des CCS reste tout aussi pertinent pour le dépistage non spécifique des vaches infectées subcliniques avec des niveaux de sensibilité et de spécificité à 0,95 au seuil de 100 000 cellules/ml sur la base d’un prélèvement unique (quasi équivalent au 0,96 sur la base de deux prélèvements). Pour le california mastitis test, il semble conseillé de répéter le test sur deux prélèvements.

Rechercher S. aureus avant introduction des génisses en production est une mesure qui est venue s’ajouter aux autres mesures préventives possibles. Il reste des inconnues et des paradoxes concernant les données chez les génisses. Les infections pourraient survenir dès 6 mois, mais les génisses sont plus sensibles dans le dernier trimestre de gestation. Près de la moitié des souches de S. aureus isolées dans les trayons ou sur la peau de la mamelle sont identiques à celles isolées dans les sécrétions mammaires à la suite du vêlage.

Le lait des autres vaches du troupeau pourrait jouer un rôle majeur dans la transmission de S. aureus à la génisse (70 % des cas). Des régions du corps de la génisse peuvent aussi être en cause, ainsi que l’environnement (28 %). D’autres origines non identifiées sont possibles.

Conclusion

Ainsi les mammites à S. aureus n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Les techniques opérationnelles de contrôle et de prévention renvoient à des données désormais communément admises et dont l’efficacité a été avérée dans la plupart des cas. Ce qui n’exclut pas la possibilité de quelques atypies à modèles de transmission pas si contagieux.

Conflit d’intérêts

Aucun

Points forts

→ Des mammites cliniques peuvent survenir à la suite d’un traitement antibiotique trop prolongé, associées à l’émergence de levures ou de coliformes.

→ L’isolement d’une souche “inconstante” dans des cas sporadiques peut conduire à des mesures de lutte restreintes pour quelques vaches. Il n’est pas obligatoirement justifié de révolutionner la conduite d’élevage et de traite dans ce cas.

ENCADRÉ
Rappel des principales mesures de prévention et contrôle des mammites à Staphylococcus aureus en élevage (cas classique d’une souche dominante)

Mesures de base pendant la traite

→ Usage de la lavette à usage unique.

→ Port de gants.

→ Post-trempage des trayons (avec un produit bactéricide).

Mesures additionnelles

→ Hors lactation au tarissement : administration d’antibiotique intramammaire (chez les vaches infectées).

→ En lactation :

– administration d’antibiotiques : décision à prendre après appréciation de la contagiosité de la souche présente et de l’effet des traitements antérieurs ;

– dans certains cas : tarissement de quartiers infectés ;

– allotement séparé et traite en dernier des vaches infectées ;

– entretien des installations de traite ;

– réforme des vaches infectées chroniques ;

– analyses chez les génisses avant introduction dans le lot de vaches en lactation.

D’après J.R. Middleton.

SOURCE

Middleton JR. Update on Staphylococcus aureus mastitis. EBF Rome 14-16/10/2015:41-46.

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