Deux exemples d’alliance thérapeutique - Le Point Vétérinaire n° 360 du 01/11/2015
Le Point Vétérinaire n° 360 du 01/11/2015

PLAN DOULEUR

Fiche

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire
8, rue des Culquoilès
La Croix-Michaud
17630 La Flotte

Cet article présente deux applications pratiques de l’alliance thérapeutique avec le propriétaire : la gestion de la maladie arthrosique et un cas atypique de douleur chronique.

La réussite du suivi d’une affection chronique douloureuse est facilitée par l’actualisation des connaissances, la recherche de thérapies complémentaires ou alternatives, et la volonté de construire une nouvelle relation client.

Mise en place de l’alliance thérapeutique lors de maladie arthrosique

Actualisation des connaissances

→ L’actualisation des connaissances permet de renforcer la relation de confiance qui unit le vétérinaire et le propriétaire. Dans l’époque actuelle de “wikipédisation” des mentalités, le praticien est de plus en plus confronté au client expert, tenté parfois de comparer son savoir Google à l’expérience du praticien. Les demandes de traitement par les cellules souches, le plasma enrichi en plaquettes (PRP), la magnétothérapie côtoient dorénavant des interrogations sur de nouveaux médicaments plébiscités sur les forums d’Internet.

→ Devant cette multiplication de sources concurrentes d’informations, le vétérinaire fort de ses compétences reconnues et de sa pratique clinique doit aider le propriétaire à faire un tri et à définir un objectif thérapeutique fondé sur la connaissance de la maladie chronique. Le langage peut être plus ou moins technique, mais il doit toujours traduire l’aisance d’un professionnel connaissant parfaitement son sujet (encadré 1 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).

→ Les objectifs thérapeutiques sont les suivants :

– retarder ou prévenir la progression de l’arthrose ;

– tendre vers un environnement biochimique normalisé en réduisant l’inflammation et en préservant les caractéristiques du milieu synovial : anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), acide hyaluronique, etc. ;

– prévenir la dégénérescence du cartilage, la fibrose articulaire, les remaniements de l’os sous-chondral et l’ostéophytose : chondroprotecteurs, PRP, etc. ;

– soulager la douleur et améliorer la qualité de vie.

Les douleurs osseuses et inflammatoires sont traitées à l’aide d’AINS, de tramadol, d’opioïdes, etc. Des gabapentinoïdes, AD3C, etc. sont administrés contre les douleurs neuropathiques. Pour traiter les douleurs centrales, des anti-NMDA, etc. sont utilisés.

Les comorbidités émotionnelles et les troubles comportementaux associés (anxiété, dépression, troubles du sommeil) doivent être pris en charge.

Pour améliorer la fonction locomotrice, il est important de réduire l’ankylose et de prévenir la fonte musculaire à l’aide de la physiothérapie.

Il convient également de tenir compte de la chronicité de l’affection.

→ La douleur chronique, toujours inutile, délétère et invalidante, bénéficie de traitements réadaptatifs, s’appuyant sur la complémentarité des moyens pharmacologiques et des thérapies alternatives (physiothérapie, acupuncture, ostéopathie, etc.). Malgré cette approche multimodale, les résultats sont parfois décevants et s’inscrivent dans une évolution souvent inéluctable de la maladie.

L’objectif est donc d’atténuer la douleur et de maintenir une qualité de vie acceptable.

→ Il est très utile de conjuguer au plus tôt de l’évolution arthrosique les moyens pharmacologiques et non pharmacologiques.

Recherche de thérapies complémentaires ou alternatives

→ Les coanalgésiques sont des médicaments dont l’indication première est autre que l’analgésie (antiépileptique pour la gabapentine, antidépresseurs pour les AD3C et traitement de la maladie de Parkinson pour l’amantadine) et qui ont montré des propriétés antalgiques dans certaines circonstances douloureuses.

Leur prescription répond en partie aux mécanismes physiopathologiques des douleurs neuropathiques (hyperactivités électrique et chimique, défaut des contrôles inhibiteurs descendants) et des douleurs centrales (blocage des récepteurs NMDA).

→ Les biothérapies recouvrent les thérapies cellulaires (cellules souches), tissulaires (greffe), géniques (transfert de gènes) et les biotechnologies produisant des anticorps monoclonaux (génie biologique) (encadré 2 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).

→ La physiothérapie recouvre l’ensemble des agents physiques naturels (eau, chaleur, froid, mouvement) et artificiels (électricité, ultrasons, ondes magnétiques et électromagnétiques) utilisés dans un objectif préventif ou thérapeutique.

→ La thérapie laser constitue une porte d’entrée remarquable à ce domaine de compétences car les ondes électromagnétiques cumulent les qualités reconnues de réduction de la douleur, des processus inflammatoires, des temps de cicatrisation et des délais de récupération fonctionnelle.

Les injections intra-articulaires d’un mélange acide hyaluronique-PRP améliorent les propriétés visco-élastiques du liquide synovial (lubrification des articulations et absorption des chocs) et préviennent la dégénération accrue du cartilage grâce aux facteurs de croissance. Ces protéines sont contenues dans les thrombocytes et relâchées au cours de l’activation.

Le PDGF (platelet-derived growth factor), le TGFβ (transforming growth factor beta), l’IGF-I (insuline-like growth factor) et le VEGF (vascular endothelial growth factor) participent à la cicatrisation des lésions chondrales et stimulent le métabolisme matriciel [1].

Construire une nouvelle relation client

L’alliance thérapeutique associée au développement de la physiothérapie nous a permis de considérablement augmenter le nombre de consultations de suivi dans nos cliniques : d’octobre 2012 à octobre 2014, 80 chiens et 15 chats arthrosiques ont été recrutés, et respectivement 840 et 118 séances laser ont été réalisées.

81 % des chiens ont été suivis plus de 6 fois, 48 % plus de 11 fois et 18 % plus de 16 fois (figure 1).

La multiplication des séances de laser offre ainsi la possibilité de suivre remarquablement la maladie arthrosique. Chaque entretien permet de recueillir l’évaluation de la douleur (grille Helsinki modifiée ou webapplication Dolodog®) effectuée par le propriétaire, de rechercher toute composante neuropathique. Chaque examen clinique permet de vérifier les niveaux d’amyotrophie et d’ankylose, la tolérance aux palpations et pressions des articulations atteintes, l’absence d’hyperalgésie et d’allodynie. Chaque consultation permet enfin de contrôler les effets positifs des outils non pharmacologiques et le ratio bénéfices/risques des moyens pharmacologiques.

Cette fréquentation accrue permet la répétition des informations, aide à leur mémorisation pour finalement augmenter leur acceptation.

Exemple d’un chien atteint d’arthrose des coudes

Un cocker spaniel américain mâle de 11 ans et pesant 11 kg est référé à la consultation douleur pour une boiterie sévère des coudes avec de fortes répercussions comportementales : dépression et agressivité.

Examen radiographique

Les coudes droit et gauche montrent des signes importants d’arthrose ; le coude droit est également caractérisé par une pseudarthrose, datant de 2 ans, consécutive à une rupture d’implant à la suite d’une chirurgie réparatrice d’une fracture intercondylienne réalisée par le vétérinaire traitant (photos 1a et 1b).

Constat

Les AINS soulagent imparfaitement le chien. Les propriétaires domiciliés dans la région parisienne souhaitent une prise en charge de la douleur, améliorant nettement la qualité de vie de leur animal ; ils ont évoqué l’éventualité d’une euthanasie car ils « ne reconnaissent plus leur chien » et ont « peur de le caresser » : « Nous ne voulons plus qu’il souffre. »

Mise en place du suivi

L’alliance thérapeutique a été construite selon les règles énoncées. D’août 2014 à août 2015, 12 consultations ont été réalisées malgré l’éloignement du domicile : neuf séances laser, deux injections intra-articulaires de PRP et d’acide hyaluronique (coudes droit et gauche), et enfin une chirurgie réparatrice d’une rupture du ligament croisé antérieur droit (photos 2, 3 et figure 2 complémentaire sur www.lepoint­veterinaire.fr).

Traitement

Le chien reçoit une alimentation diététique limitant la prise de poids et à vertus antiarthrosiques (Metabolic Mobility® Hill’s) et une supplémentation en chondroprotecteurs (Vita-articulations®). La prise régulière d’un AINS (firocoxib, Previcox®) environ 8 jours par mois et d’un “analgésique de secours”, en cas de douleur réfractaire au traitement (tramadol), environ 2 ou 3 jours par mois est prescrite.

Des séances de massage et de mobilisations passives ont été pratiquées à la clinique puis par le propriétaire. Le chien profite des plages de l’île de Ré pour pratiquer l’hydrothérapie (soulagement du poids du corps en flottaison et mobilisation articulaire sans contraintes) (photo 4). Le suivi est réalisé également par l’échange de mails, de contacts téléphoniques et de visites chez le vétérinaire traitant. L’évaluation de la douleur est menée conjointement avec le propriétaire par l’intermédiaire du score de boiterie (égal à 5/5 au 1er jour de consultation, c’est-à-dire une boiterie très sévère sans appui et permanente), de la webapplication Dolodog® (score égal à 41/56, c’est-à-dire douleurs intenses) et la pose d’un collier d’activité (figure 3 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr, photo 5).

L’alliance thérapeutique est objectivée par le fort degré d’implication des propriétaires malgré le découragement initial. Actuellement, le chien présente un score de boiterie égal à 2/5 (boiterie discrète permanente avec appui) et un score Dolodog® égal à 11/56 (douleurs légères à modérées).

Cas atypique de douleur chronique

Anamnèse et commémoratifs

→ Un dogue de bordeaux mâle âgé de 3 ans et pesant 53 kg présente un état dépressif entrecoupé de violentes crises douloureuses depuis octobre 2013. Ces accès paroxystiques sont toujours spontanés et ne surviennent jamais en activité. Les crises sont de plus en plus rapprochées pour atteindre une fréquence de 20 à 30 fois par jour en décembre 2013. Elles se manifestent par des cris (voire des hurlements), un port abaissé de la tête, une allodynie au frôlement des babines, de la truffe ou des oreilles. La manipulation des cervicales n’est jamais douloureuse (photo 6).

→ Au plus fort des crises, l’anorexie est totale et perdure plusieurs jours. Le poids de l’animal a chuté de 5 kg.

→ Les répercussions comportementales sont dominées par une forte dépression, l’absence d’agressivité et une hypersensibilité particulièrement remarquée par le propriétaire.

→ La ponction de liquide céphalo­rachidien et les techniques d’imagerie (radiographies, myélographies, scintigraphie et imagerie par résonance magnétique) ont exclu les hypothèses d’affections discales, osseuses et cérébrales structurelles.

→ Des suspicions de douleurs neuropathiques et d’épilepsie focale ont été évoquées.

→ Différents traitements ont été administrés (AINS, corticoïdes, tramadol, gabapentine, prégabaline, phénobarbital) et associés à des moyens non pharmacologiques (ostéopathie, physiothérapie) sans procurer une rémission efficace et durable des crises.

Prise en charge

La consultation douleur du 1er février 2014 doit proposer une solution alternative crédible à la décision d’euthanasie qu’envisagent les propriétaires face à ces douleurs rebelles et invalidantes.

Hypothèse diagnostique

L’anamnèse et l’examen clinique nous conduisent à suspecter la présence de crises migraineuses.

La douleur de la migraine résulte de l’activation des afférences trigémino-vasculaires de la méninge, qui sont sensibilisées de façon similaire à ce qui est observé dans des douleurs neuropathiques (hyperexcitabilité neuronale électrique et chimique). Au niveau moléculaire, de même que dans l’épilepsie, un déséquilibre entre la transmission glutamatergique excitatrice et l’inhibition GABAergique, ainsi que l’activation anormale des canaux sodiques et calciques pourraient être impliqués dans la physiopathologie de la migraine.

Chez l’homme, le diagnostic est fondé sur la présence de cinq crises répondant aux critères suivants :

– durée entre 4 et 72 heures sans traitement ;

– céphalée pulsatile aggravée par les efforts physiques ;

– nausées/vomissements et/ou photo­phobie/phonophobie.

La migraine avec aura est caractérisée par la présence de signes neurologiques focalisés précédant ou accompagnant la céphalée migraineuse et classiquement controlatéraux à celle-ci : taches ou lumières scintillantes, perte de vision, fourmillements, etc.

Chez le chien, il ne peut y avoir qu’une suspicion de migraine, étayée par un ensemble d’examens complémentaires négatifs et une absence totale de rémission des symptômes avec les analgésiques conventionnels.

Traitement

→ L’alliance thérapeutique s’est construite sur la définition d’un objectif partagé de maintien d’une qualité de vie acceptable pour le chien, malgré les caractéristiques de sa maladie (manque de données, imprévisibilité des crises, incertitudes sur les résultats).

Il a fallu imaginer un outil de suivi fondé sur les items suivants :

– cris ;

– bien-être ;

– repos ;

– comportement ;

– hypersensibilité ;

– absence de douleur ;

– maximum de douleur (tableau complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).

Les scores obtenus traduisent un excellent état général (note optimale de 10) ou le retour aux crises douloureuses (note péjorative minimale de 0). Des graphiques facilitent la lecture des progrès réalisés (figures 4A à E complémentaires sur www.lepointveterinaire.fr).

→ L’allodynie a été prise en charge par l’amantadine (Mantadix®(1)) qui est un antiviral et un dopaminergique doté de propriétés anti-hyperalgésiques par blocage des récepteurs NMDA.

→ La régression des symptômes a été progressive par l’administration d’un traitement de fond à base de topiramate (Epitomax®(1)) et de flunarizine (Sibelium®(1)). Le topiramate potentialise l’activité du GABA (neurotransmetteur inhibiteur) et inhibe le récepteur au glutamate AMPA. La flunarizine est un inhibiteur calcique s’opposant de façon sélective à l’entrée du calcium dans les neurones.

→ Un arbre décisionnel permettant la prise en charge des crises les plus violentes a été proposé au propriétaire avec la gradation suivante : association paracétamol-tramadol (Ixprim®(1)) puis almotriptan (Almogran®(1)) puis oxycodone (Oxynormoro®(1)) puis hospitalisation en clinique vétérinaire (perfusion à débit constant de fentanyl et de kétamine avec ou sans solution transdermique de fentanyl) (figure 5 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).

Les triptans ont une forte affinité spécifique pour les récepteurs à la sérotonine 5HT1D portés par les terminaisons des neurones du trijumeau et les récepteurs 5HT1B localisés sur les vaisseaux méningés en connexion avec ces neurones. Les triptans provoquent une vasoconstriction des vaisseaux méningés, une diminution de l’inflammation et une inhibition des influx des neurones trigéminaux qui entretiennent et amplifient les mécanismes responsables de la douleur.

Évolution

→ Début août 2015, le chien est en rémission : il ne présente plus de crises depuis 4 mois (photo 7). Un sevrage très progressif du topiramate (Epitomax®(1)) est prévu en accord avec ses propriétaires. La méthode d’évaluation est poursuivie.

Fin août 2015, il a présenté de nouvelles crises migraineuses, d’intensité modérée, insuffisamment prises en charge par l’association tramadol-paracétamol, mais rapidement enrayées par l’Almogran®(1).

La consultation de suivi menée fin septembre permet de constater une nouvelle rémission des symptômes et une qualité de vie retrouvée.

Les modalités du suivi thérapeutique tiennent compte de l’éloignement du domicile du propriétaire par rapport à la clinique (312 km aller-retour) et s’appuient sur des consultations douleur (sept à ce jour) associées à des échanges téléphoniques ou à des mails.

Conclusion

L’alliance thérapeutique peut donc être mise à profit pour le suivi des affections douloureuses chroniques rencontrées quotidiennement (arthrose) ou de façon exceptionnelle (migraines).

  • (1) Médicament humain.

Références

  • 1. Akeda K et coll. Platelet-rich plasma stimulates porcine articular chondrocyte proliferation and matrix biosynthesis. Osteoarthritis Cartilage. 2006;14 (12):1272-1280.
  • 2. Duncan B, Lascelles X, Knazovicky D et coll. A canine-specific anti-nerve growth factor antibody alleviates pain and improves mobility and function in dogs with degenerative joint disease-associated pain. BMC Vet. Res. 2015;11:101.

Conflit d’intérêts

Aucun.

REMERCIEMENTS

L’auteur remercie les docteurs Patrick Lazard et Pierre Meheust pour lui avoir référé les cas de Valentino (arthrose des coudes) et de Gandhi (crises migraineuses).

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