Devenir des vaches amputées d’un onglon - Le Point Vétérinaire expert rural n° 359 du 01/10/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 359 du 01/10/2015

ORTHOPÉDIE BOVINE

Veille scientifique

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : Bvet
25 rue de Poireauville
80230 Vaudricourt

Selon la technique opératoire, le pied affecté, la rapidité d’intervention, les choix ou les attentes diffèrent pour l’amputation d’un onglon.

Quel praticien ne s’est pas demandé un jour de sciage d’onglon sanglant si tout cela en valait bien la peine ? L’expérience compte. L’amputation d’un onglon irrécupérable continue d’être proposée en pratique rurale courante, rarement en première intention et plutôt en dernier recours. Les éleveurs l’acceptent. Hormis la confiance entre le praticien et l’éleveur, et leur expérience respective, des arguments scientifiques doivent jouer dans une décision d’amputation. Quelques études peuvent conforter un tel acte et redonner courage au vétérinaire qui scie (un onglon). Dans l’une d’elles, conduite récemment en clientèle au Royaume-Uni, les vaches amputées d’un onglon survivent de l’ordre de 3 ans, avec des records de 6 ans qui ne peuvent que plaider en faveur de cette intervention laborieuse [13].

CHANGEMENT DE CONTEXTE

L’amputation d’un doigt est souvent choisie car il s’agit d’un geste relativement simple et rapide dans des contextes chroniques, complexes et irrémédiables [13].

Les indications ont évolué depuis 10 ans [2]. Autrefois dernière issue d’une infection des tissus mous ou des articulations interphalangiennes, l’amputation est désormais réalisée le plus souvent pour des affections strictement podales, telles que des maladies de la ligne blanche chroniques, des ulcères de soles inguérissables ou des nécroses de la pince [5]. Des tréponèmes sont mis en cause dans ces affections, comme dans la dermatite digitée. La lésion “finale” est basse, irrémédiable et invalidante : il s’agit d’une ostéite proliférative de la dernière phalange et de la production d’une corne en nid d’abeille. Les maladies podales endémiques et sporadiques comme la dermatite digitée sont trop bien acceptées par les éleveurs, qui en minimisent les conséquences possibles.

Le contexte de l’amputation est celui de la découverte trop tardive d’une infection étendue dans le pied, ou bien d’une décision thérapeutique trop différée. « La vache boite, encore un ulcère, attendons de voir… » La taille croissante des troupeaux ne facilite pas une prompte décision de traitement à cet égard. Détecter ces infections avant le stade irrémédiable supposerait une généralisation du matériel pour soulever le pied d’un bovin en élevage. Un travail d’encouragement est réalisé en ce sens en Europe et en France [4, 5].

Les liens anatomiques sont étroits entre l’articulation interphalangienne distale, son os accessoire (naviculaire) et la gaine du tendon fléchisseur profond du doigt. L’une ou plusieurs de ces structures sont fréquemment affectées par extension d’une infection distale. Le parage, les antimicrobiens et les anti-inflammatoires ont des limites.

L’amputation est une solution alternative économiquement acceptable à l’équarrissage, sachant que les vaches malades (arthrite, nécrose de la pince) ne sont plus acceptées à l’abattoir.

Lors d’arthrite, il existe une autre issue à l’amputation que l’euthanasie : le rinçage articulaire et la recherche d’une arthrodèse [1, 6, 11]. Cette recherche d’une guérison « chirurgicale » a interrogé les chercheurs au début des années 2000, mais la lourdeur des procédés, y compris en phase postopératoire, tend à l’exclure du champ des possibles en pratique rurale.

TECHNIQUE : PRENDRE DE LA HAUTEUR

Pour ce qui est de la méthode d’amputation, et afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles, il s’agit de ne pas se laisser guider par l’intuition.

→ Dès la phase de la préparation chirurgicale, les choix diffèrent. À côté des stakhanovistes de la tonte et du scrub chirurgical, la praticienne britannique Sara Pedersen conseille de ne pas tondre et recommande la prudence pour le savonnage : les eaux de rinçage véhiculent des agents pathogènes dans la plaie de section. Une phase de séchage avant l’incision s’impose [3, 8, 13, 17].

→ S’il est tentant de chercher à désarticuler l’articulation interphalangienne proximale (phalange 1-phalange 2, P1-P2), en revanche, il semble que cette méthode est plus complexe et plus longue (figure 1). Après dissection articulaire, le cartilage exposé doit être rogné pour faciliter la colonisation par du tissu de granulation.

Autre option “facile”, donc fréquemment mise en œuvre, le sciage peut être pratiqué dans P2, mais il existe alors un risque de nécrose du morceau de phalange restant par défaut de vascularisation (artère diaphysaire sectionnée : travaux d’Osman dans les années 1960-1970) [12]. Ce fragment se comporte comme un séquestre osseux, aboutissant à l’exposition des cartilages articulaires interphalangiens P1-P2 et aux difficultés de granulation exposées précédemment.

→ Pedersen conseille de scier en regard de la P1 distale, soit très proximalement. Le trait de coupe se situe alors dans du tissu sain, et, de plus, cela permet de limiter le risque de contact entre le moignon et le sol en phase postopératoire, surtout lorsque l’autre onglon possède un talon particulièrement bas [13].

→ Frederik Janssens utilise une technique originale enseignée par De Moor et coll. à la faculté vétérinaire de Gand (Belgique). Il cherche à obtenir une cicatrisation par première intention en préservant des lambeaux de peau disséqués avant sciage, qui servent à refermer la plaie (de manière non étanche, pour permettre un drainage). La phase de cicatrisation est raccourcie (photo) [8].

→ Quelles que soient les options, les auteurs préconisent de bien choisir les axes de sciage, surtout pour préserver l’onglon sain. Des variantes existent. Pour Janssens, l’incision de la peau débute côté latéral, alors que la coupe à la scie-fil commence côté médial (en sous-cutané et à fleur de l’os digital en terminant latéralement et un peu plus proximalement dans la plaie). Pedersen propose de scier en premier dans l’espace entre les deux onglons (bien au milieu) pour obtenir la remontée du trait de coupe vers P1. Il convient d’ajouter une phase d’excision des structures nécrotiques et des graisses qui pénalisent la cicatrisation [13, 17].

Les différents auteurs s’accordent sur l’intérêt d’un pansement en phase postopératoire pendant quelques jours, qui est changé deux à quatre fois. Celui-ci est surtout destiné à faciliter l’hémostase par un effet de compression. Un amas de coton est disposé dans l’orifice créé pour éviter l’effet d’espace mort.

DISTINGUER LES ONGLONS POSTÉRIEUR ET ANTÉRIEUR ?

→ Outre le coût et les aspects moraux, le temps de survie espéré influe sur la décision d’amputer.

→ Une étude rétrospective rigoureuse de type cas-témoin a été conduite dans deux importantes clientèles laitières du Royaume-Uni sur 182 amputations réalisées au niveau proximal sur 10 ans, à partir de l’an 2000. Le temps de survie après l’intervention chirurgicale a été analysé, en particulier selon le pied concerné. Il apparaît que l’onglon latéral postérieur est le plus souvent amputé (108 cas recrutés). C’est aussi celui qui est le plus souvent lésé, selon divers auteurs.

Loin derrière par ordre de fréquence suivent les amputations d’onglons médial antérieur (39 cas) et médial postérieur (23 cas). L’onglon antérieur latéral est très rarement amputé (10 cas). Pour l’anecdote, l’opération a été réalisée chez 4 génisses gestantes.

Les vaches amputées d’un onglon postérieur survivent significativement moins longtemps que celles qui le sont d’un onglon antérieur (p = 0,008). Cependant, lorsque les onglons latéraux et médiaux sont distingués, la différence n’est plus significative. Dans une précédente étude aux États-Unis sur un effectif moindre et plus hétérogène, l’amputation d’un onglon antérieur donnait de meilleures survies en production que celle d’un onglon postérieur latéral, moins bonnes néanmoins que dans le cas d’un onglon postérieur médial. Globalement, les autres tendances étaient les mêmes, y compris chez la vache allaitante [14].

→ Dans l’étude britannique, les vaches amputées d’un onglon postérieur restent moins longtemps en production que leurs témoins appariés. La période critique est située dans les 100 premiers jours qui suivent l’intervention chirurgicale. Les principaux motifs de réforme ont été recensés, comme une infection dans le doigt qui reste ou une infection chronique du moignon, mais aussi lorsque la vache est guérie et peut être envoyée à l’abattoir. Il est raisonnable d’envisager une réforme précoce car l’onglon restant risque une lésion irrémédiable à tout moment [8].

→ Les vaches amputées d’un onglon antérieur ont des temps de survie équivalents aux témoins, à court (100 jours), moyen et long terme (≥ 365 jours). Elles restent en production pendant 3 ans environ après l’acte chirurgical. L’effectif des vaches amputées d’un onglon antérieur pendant les 10 ans dans les deux clientèles est relativement restreint (49 cas), ce qui pourrait expliquer cette absence de différence significative. Autre explication possible, selon Pedersen : l’amputation d’un onglon antérieur est relativement plus fréquemment mise en œuvre pour cause de nécrose de la pince que celle d’un onglon postérieur. Or cette affection touche les tissus distaux du doigt. En amputant “haut” (coupe à travers P1 dans cette étude), le praticien est loin des tissus infectés. Les chances de succès sont meilleures. Pour le membre postérieur, un peu plus de la moitié des vaches survivent au moins un an après l’amputation, comme dans les travaux de Starke et coll. sur seulement 26 animaux amputés par désarticulation [16].

Les taux de survie moyens sont exceptionnellement élevés dans l’étude de Pedersen, par rapport à des travaux antérieurs : 13,5 mois pour Starke et coll., 20 mois pour Pesja et coll. aux États-Unis, 4,36 mois pour Borujeni et coll. en Iran [3, 13, 14, 16]. Outre le site d’amputation (proximal = “haut”), le contexte local (praticiens qui ne recommandent l’intervention chirurgicale que dans des cas choisis “soigneusement”, en particulier pas trop anciens) a pu influer.

→ L’échec en reproduction est également une cause fréquente de réforme chez les vaches amputées dans d’autres études [3].

UNE INTERVENTION QUI SE MORALISE

L’objectif d’une amputation est de réduire la souffrance de la vache pour un prompt retour en production ou bien un engraissement en vue d’une réforme.

La maîtrise de l’anesthésie et de l’analgésie amène à pratiquer cet acte d’une manière plus acceptable globalement, donc plus souvent [10].

Récemment, le recours à l’anesthésie locale intraveineuse (IV) sous garrot a permis d’améliorer le confort d’intervention sur le pied des bovins dans des conditions tout à fait compatibles avec une pratique de terrain, y compris de pratiquer des amputations sur vache debout (figure 2) [13]. Les veines pour l’injection intraveineuse sous garrot peuvent être rendues inaccessibles par l’œdème. Dans ce cas, une anesthésie locale en trois points est une solution alternative : 5 à 10 ml de procaïne (Procamidor®) par voie sous-cutanée sous le doigt accessoire 1 cm abaxialement à la ligne du milieu sur la face palmaire ou plantaire, puis latéralement (ou médialement) au niveau du doigt accessoire et, enfin, sur la ligne du milieu en face dorsale du doigt accessoire.

Des médicaments à base d’opiacés disposent d’une autorisation de mise sur le marché chez les bovins. Les anti-inflammatoires sont injectés en phase préopératoire pour un effet à la fois péri- et postopératoire [13].

Une antibiothérapie compatible avec une bonne observance en phase postopératoire est possible (prix, spectre, voie d’administration, etc.). Par voie parentérale, une association à base de pénicilline et de streptomycine convient. Les tétracyclines administrées localement n’ont pas dit leur dernier mot… (Janssens glisse un oblet gynécologique dans la plaie refermée de l’amputation) [8]. Une administration IV sous garrot d’antibiotiques en phase préopératoire dans la foulée de l’anesthésie locale s’avère pertinente [9].

Conclusion

Ainsi, en clientèle laitière, au prix de quelques précautions analgésiques, mais sans grande préparation chirurgicale, en sélectionnant bien les candidats et en amputant “haut”, le praticien pourrait “promettre” 55 % des vaches amputées d’un onglon postérieur encore en production un an après l’opération, et même 84 % de bovins pour un membre antérieur amputé (y compris lors de spectaculaire nécrose de la pince) [13].

Références

  • 1. Bicalho RC, Cheong SH, Warnick ID et coll. The effect of digit amputation or arthrodesis surgery on culling and milk production in Holstein cows. J.Dairy Sci. 2006;89:2596-2602.
  • 2. Blowey R. Changing indications for digit amputation in cattle. Vet. Rec. 2011;169:236-237.
  • 3. Borujeni AK, Vajdi N, Mohamadnia AR. Digital amputation for the salaveg of lame dairy cows. Iranian J. Vet. Surg. 2008;3(2):3337.
  • 4. Delacroix M. Propos liminaires sur le parage. Point Vét. 2015;46 (numéro spécial “Locomotion des ruminants : se mouvoir pour mieux produire”):8-12.
  • 5. Duvauchelle Waché A, Delacroix M, Guatteo R. Nécrose de la pince chez les bovins. Point Vét. 2015;46 (Spécial rural “Locomotion des ruminants : se mouvoir pour mieux produire”):92-97.
  • 6. Edwards GB. Intravenous regional anesthesia of the bovine foot. In Practice. 1981;3(6):13-14.
  • 7. Heppelmann M, Kofler J, Meyer H et coll. Advances in surgical treatment of septic arthritis of the distal interphalangeal joint in cattle: A review. Vet. J. 2009;182(2):162-175.
  • 8. Janssens F. Amputation d’onglon “fermée” chez les bovins. Point Vét. 2015;359:52-53.
  • 9. Lallemand M, Francoz D. Antibiothérapie locorégionale par voie intraveineuse. Point Vét. 2015;46 (numéro spécial “Locomotion des ruminants : se mouvoir pour mieux produire”):34-40.
  • 10. Levionnois O, Guatteo R. Modalités de prise en charge de la douleur. Point Vét. 2008;39 (Spécial rural “Chirurgie et anesthésie des bovins en pratique”):29-36.
  • 11. Nuss KH. A surgical treatment of septic arthritis of the distal interphalangeal joint in cattle moved forward Vet. J. 2008;179:319-321.
  • 12. Osman MAR. Study of some sequelae of amputation of the digit using three operative techniques. Vet. Rec. 1970;87:610-615.
  • 13. Pedersen S. Digit amputation-getting it right for a productive future. Proceedings of the Cattle Lameness Conference, Sixways, Worcester. Royal Veterinary College, The Dairy Group and University of Nottingham. 2012:29-38.
  • 14. Pesja TG, Saint Jean G, Hoffsis GF et coll. Digit amputation in cattle: 83 cases (1971-1990). J. Am. Vet. Med. Assn. 1993;202(6):981-984.
  • 15. Ravary-Plumioën B. Amputation d’un doigt chez les bovins. Point Vét. 2009;297:44-45.
  • 16. Starke A, Heppelmann M, Beyerbach M et coll. Septic arthritis of the distal interphalangeal joint in cattle: comparison of digital amputation and joint resection by solar approach. Vet. Surg. 2007;36:350-359.
  • 17. Université de Cornell. Document d’enseignement. Vidéo claw amputation consultable en ligne sur https://courses.cit.cornell.edu/vet644/clawAmputation.html

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La nécrose de la pince devient une indication plus fréquente d’amputation (du membre antérieur) ; le pronostic de retour en production est alors excellent.

→ Dans une étude britannique récente en clientèle, les temps de survie moyens sont de 22 mois pour l’amputation d’un membre postérieur et de 36 mois pour un membre antérieur.

→ Après l’amputation, les vaches sont parfois abattues en raison d’une infection du doigt qui reste ou du moignon.

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