Masse thyroïdienne chez le chien et le chat : conduite à tenir - Le Point Vétérinaire n° 355 du 01/05/2015
Le Point Vétérinaire n° 355 du 01/05/2015

ENDOCRINOLOGIE ET IMAGERIE

Dossier

Auteur(s) : Julien Cheylan

Fonctions : Service de médecine
CHUV Oniris
BP 50707, 44307 Nantes Cedex 03
julien.cheylan@oniris-nantes.fr

L’exploration d’une masse thyroïdienne suit un protocole spécifique dont l’échographie et la scintigraphie sont les étapes essentielles.

Qu’elle soit découverte lors d’un examen clinique ou par le résultat anormal d’une analyse ciblée, une masse thyroïdienne chez le chien ou le chat doit être explorée. Les causes ne se limitent pas à l’hyperthyroïdie, même dans l’espèce féline. Dans de nombreux cas, la palpation ne met rien en évidence. Des examens judicieux répondant à une recherche motivée doivent être entrepris afin d’aboutir à un diagnostic précis.

ÉTAPE 1 Suspecter une masse thyroïdienne

Lorsqu’un examen de la thyroïde doit être pratiqué, c’est généralement la clinique et/ou la biologie qui le requièrent. Le premier acte, primordial, consiste en une palpation minutieuse de la zone concernée : la région cervicale ventrale.

1. Rappels d’anatomie

Le tissu thyroïdien sain comporte deux glandes, qualifiées communément de lobes (droit et gauche). Chez le chien et le chat, elles sont situées en région paratrachéale, en position latéro-ventrale, distalement à l’appareil cricoïde du larynx (cartilage + muscles) (figure 1). Chez le chat, une localisation plus distale est possible, notamment en raison du poids des thyroïdes modifiées [5].

2. Conduite à tenir en présence d’une masse en région thyroïdienne

Les signes d’appel rapportés par les propriétaires pouvant motiver la recherche d’une masse cervicale sont une toux, une polypnée, une dyspnée, une dysphagie, une dysphonie, une paralysie laryngée, un syndrome de Claude-Bernard-Horner et un œdème facial.

Une fois la masse identifiée et délimitée, la démarche va consister à déterminer sa nature.

Le recueil complet de l’anamnèse et des commémoratifs, ainsi que l’examen clinique précis peuvent, le cas échéant, orienter la suspicion clinique vers une origine déterminée. Par exemple, cette synthèse permet dans un grand nombre de cas de suspecter une hyperthyroïdie chez le chat (photo 1, tableau). Cependant, une masse en région thyroïdienne chez un chat n’est pas forcément liée à un statut d’hyperthyroïdie (encadré) [2]. Il est plus difficile de trancher chez le chien car, dans l’espèce canine, les tumeurs thyroïdiennes ne sécrètent généralement pas de thyroxine et l’hypothyroïdie entraîne parfois un tableau clinique plus fruste (photo 2) [1].

Dès cette découverte, un “état des lieux” complet doit être réalisé : autres masses cutanées ou sous-cutanées sur l’ensemble du corps de l’animal, nœuds lymphatiques à proximité, etc.

ÉTAPE 2 Confirmer la suspicion de masse thyroïdienne

1. Imagerie

L’objectif de l’imagerie dans l’exploration d’une masse en région cervicale est double :

- déterminer l’origine de la masse ;

- établir si son exérèse est possible et comment la réaliser.

Aucune modalité d’imagerie de routine (échographie et scanner) ne permet d’établir un diagnostic de certitude, sauf cas particuliers. Seule la scintigraphie apporte une réponse précise dans la plupart des cas.

ÉCHOGRAPHIE

L’échographie permet d’écarter une origine thyroïdienne en visualisant les deux lobes thyroïdiens intacts.

Chez le chien, le caractère richement vascularisé à l’examen échographique oriente la suspicion vers une tumeur thyroïdienne ou vasculaire [4].

Chez le chat hyperthyroïdien, des études ont concerné le volume des lobes thyroïdiens sans que cette modalité d’imagerie permette d’aboutir à une conclusion nette, les différentes mesures prises présentant un bon intervalle de recouvrement entre les chats sains et hyperthyroïdiens [2].

SCANNER

Le scanner présente des avantages, notamment lorsqu’il s’agit de réaliser un bilan d’extension local en profondeur afin de prévoir la technique chirurgicale la plus adaptée lors de l’exérèse. Mais il ne permet pas avec certitude de localiser le lobe atteint en cas de tumeur thyroïdienne.

SCINTIGRAPHIE

Chez les carnivores domestiques, la scintigraphie est la modalité de choix pour établir un diagnostic des masses affectant la thyroïde.

Chez le chien, cet examen permet souvent de déterminer l’implication du tissu thyroïdien dans une masse cervicale, notamment lorsque les résultats de la cytologie ou/ et de l’histologie sont équivoques. Il permet également de localiser du tissu ectopique, ainsi que des métastases “silencieuses” localement et à distance.

Chez le chat hyperthyroïdien, la scintigraphie permet de déterminer si le tissu de la glande est impliqué dans sa totalité (latéralisation préchirurgicale) ou si du tissu ectopique est présent (pour envisager les implications thérapeutiques qui en découlent).

2. Examens cytologiques

Contrairement à la médecine humaine, les examens cytologiques n’ont que peu d’intérêt dans le diagnostic des tumeurs thyroïdiennes en médecine vétérinaire [6]. Dans de nombreuses études, la cytologie ne confirme l’origine thyroïdienne de la masse que dans moins de 50 % des cas [6]. Elle va surtout exclure d’autres origines (tumeurs à cellules rondes, mucocèle), mais ne permet que de manière anecdotique d’établir un diagnostic définitif de masse thyroïdienne. La vascularisation importante des tumeurs thyroïdiennes entraîne fréquemment un phénomène d’hémodilution qui perturbe la lecture des lames.

3. Histologie

L’histologie reste la modalité de choix afin d’aboutir à un diagnostic de certitude chez le chien. Dans l’espèce canine, le type tumoral le plus fréquent à l’origine d’une masse cervicale thyroïdienne est le carcinome. Chez le chat, l’intérêt de cet examen paraît plus anecdotique : la mesure de la valeur de T4t sérique semble suffisante en première intention pour établir un diagnostic dans une grande proportion de cas : moins de 10 % des chats hyperthyroïdiens ont une valeur de T4t dans les valeurs usuelles (hautes).

4. Biochimie

Chez le chien, les tumeurs thyroïdiennes sont présentes dans la majorité des cas avec un état d’euthyroïdie (60 %) (hyper = 10 %, hypo = 30 %). Devant la difficulté diagnostique que peut représenter une masse thyroïdienne dans cette espèce, il paraît tout de même intéressant de doser assez rapidement les hormones T4 et TSH (thyroid stimulating hormone) à la recherche d’une éventuelle hypo-/hyperthyroïdie, dont la présence peut étayer l’hypothèse de masse thyroïdienne (dans 40 % des cas). Cependant, il convient de vérifier que l’hypothyroïdie n’est pas réactionnelle à une maladie concomitante. Une analyse sanguine complète doit être réalisée lorsque les tests endocriniens sont envisagés. En cas d’hypothyroïdie, des modifications biologiques peuvent être présentes : hypercholestérolémie, hypertriglycéridémie, anémie normocytaire, normochrome, non régénérative et augmentation modérée des aspartate aminotransférase (Asat), alanine aminotransférase (Alat) et phosphatase alanine (PAL). Des hypercalcémies, probablement d’origine paranéoplasique, ont été rapportées [3].

Chez le chat suspect d’hyperthyroïdie, un bilan biochimique est nécessaire, avec a minima des mesures de la créatinémie, des PAL et Alat et de la T4 totale (figure 2).

Un chat suspect d’hyperthyroïdie, mais présentant une T4t normale est possiblement hyperthyroïdien (10 % des cas) [6]. Soit car une affection non thyroïdienne concomitante est présente, soit parce que, lors de la mesure, la sécrétion d’hormone n’était pas à son maximum. Si les signes cliniques ne sont pas alarmants, il est judicieux de proposer de tester de nouveau l’animal après quelques jours ou quelques semaines (deux tests dans la même journée ne sont pas intéressants). D’autres valeurs biologiques peuvent aider au diagnostic, notamment la T4 libre et le test de suppression à la T3 [2].

En conclusion, l’examen cytologique, pratiqué pour exclure d’autres causes, ne permet que rarement d’aboutir à un diagnostic de tumeur thyroïdienne. La scintigraphie est la modalité d’imagerie de choix pour établir un diagnostic dans le contexte des masses cervicales avec suspicion d’implication thyroïdienne. Des éléments biologiques faciles d’accès et évocateurs d’une hyper-/ hypoactivité thyroïdienne chez un animal qui présente une masse cervicale permettent d’étayer une hypothèse d’origine thyroïdienne.

ÉTAPE 3 Une fois l’implication thyroïdienne confirmée, quelle est la prise en charge ?

1. Chez le chat

La masse est thyroïdienne et, comme dans la très grande majorité des cas (plus de 97 à 98 % d’entre eux), elle est à l’origine d’une hypersécrétion [6].

Dans ce cas de figure, quatre options thérapeutiques sont disponibles :

- un traitement chirurgical, avec une exerèse totale ou partielle en fonction de l’implication du tissu ;

- un traitement médical avec des antithyroïdiens oraux, qui devra être donné à vie : du thiamazole (5 à 10 mg par animal, en deux prises) ou du carbimazole (10 à 15 mg par animal, en une prise) ;

- un traitement à l’iode radioactif. Une injection d’iode radioactif 131, réalisée à une dose préétablie par une mesure scintigraphique permet de détruire le tissu sécrétant (efficace à 95 %) [5] ;

- un aliment appauvri en iode. Les hormones thyroïdiennes sont synthétisées en plus petite quantité étant donné l’appauvrissement de la thyroglobuline en iode. Cet aliment est indiqué pour des animaux atteints de maladie rénale chronique dans les premiers stades (protéines de bonne qualité, teneur limitée en phosphore et en sodium, riche en acides gras oméga 3). Il convient de vérifier que cet aliment sera la seule source de nourriture de l’animal (incompatible avec des chats ayant accès à l’extérieur) et qu’un chat sain n’y aura pas accès (photo 3).

Plusieurs facteurs vont influencer le choix thérapeutique : l’avis du propriétaire, ses limites financières, la présence de maladies concomitantes (rénale notamment), l’âge du chat, la disponibilité d’un chirurgien expérimenté ou la proximité d’une installation pour traitement à l’iode radioactif (figure 3). Aucun paramètre n’est prédictif du devenir après l’initiation du traitement. Il ne faut pas se fonder sur les valeurs de créatininémie et d’urémie pour prendre des décisions thérapeutiques : la clinique de l’animal doit primer. Une étude montre que le développement d’une azotémie post-traitement n’influence pas le temps de survie des chats [5]. L’aliment appauvri en iode ne semble pas entraîner d’augmentation de la créatinémie chez les chats traités, malgré la diminution des signes cliniques [2].

2. Chez le chien

Le traitement à envisager en premier lieu est l’exérèse chirurgicale de la masse. Le retrait n’est généralement réalisable que si cette dernière est mobilisable (25 à 50 % des cas), non infiltrante dans les tissus adjacents, et qu’aucune métastase à distance n’est décelée (35 à 40 % des chiens présentent une métastase visible au moment du diagnostic) [6]. Un bilan à la fois local et à distance (a minima des radiographies thoraciques) grâce à l’imagerie est essentiel. En fonction du diagnostic morphologique à la suite de l’analyse de la pièce d’exérèse, le traitement adjuvant est adapté. Dans la majorité des cas, les masses thyroïdiennes palpables sont carcinomateuses et l’infiltration est bilatérale dans 60 % des cas [6].

Les complications fréquemment rapportées sont une hypocalcémie due à une exérèse de parathyroïdes pendant l’intervention chirurgicale, une atteinte du nerf laryngé récurrent et une hypothyroïdie lors de résection bilatérale. Si la tumeur est mobilisable à l’admission et que l’exérèse est totale, la médiane de survie est de 3 ans ; elle n’est plus que de 6 à 12 mois lors de tumeur infiltrante.

En cas de tumeur non résécable, une radiothérapie cytoréductrice préopératoire peut être réalisée. La radiothérapie peut également être utilisée à la place de la chirurgie pour ralentir la progression de la tumeur : 80 % de chiens sans progression de la maladie sur 1 an, 72 % sur 3 ans [6]. En cas de métastases visibles lors du diagnostic, un traitement palliatif par radiothérapie (externe ou métabolique) ou chimiothérapie conventionnelle peut être proposé.

La radiothérapie métabolique semble montrer des résultats prometteurs, y compris chez les chiens hypo- et euthyroïdiens, et notamment en cas de métastases au moment du diagnostic. Les médianes de survie rapportées sont de 1 an lorsque la maladie est métastatique et de 30 à 34 mois dans les autres cas [6].

Dans 30 à 50 % des cas, la chimiothérapie anticancéreuse conventionnelle, avec des protocoles comprenant de la cisplatine ou de la doxorubicine, permet d’obtenir une diminution de la taille de la masse pouvant atteindre 50 % [6].

Conclusion

L’exploration de masses en région cervicale ventrale constitue un défi diagnostique. Un adénome thyroïdien sécrétant chez le chat et un carcinome thyroïdien chez le chien sont les premières hypothèses à envisager. Ce ne sont pas les seules. Une démarche rigoureuse doit permettre d’établir un diagnostic définitif, moyennant un choix judicieux des examens complémentaires à réaliser. La scintigraphie est la technique de référence dans la majorité des cas. Le traitement est adapté selon l’origine de la masse, son caractère sécrétant ou non, et les résultats du reste du bilan.

Références

  • 1. Ettinger SJ, Feldman EC (2010). Textbook of veterinary internal medicine: diseases of the dog and the cat. 7th. Elsevier Saunders, St. Louis, Mo. 2010:1751-1761.
  • 2. Feldman EC, Nelson RW, Reusch C, Scott-Moncrieff JC. Canine and feline endocrinology. Elsevier Health Sciences. 2014:137-211.
  • 3. Lane AE, Wyatt KM. Paraneoplastic hypercalcemia in a dog with thyroid carcinoma. Can. Vet. J. 2012;53:1101-1104.
  • 4. Taeymans O, Penninck DG, Peters RM. Comparison between clinical, ultrasound, CT, MRI, and pathology findings in dogs presented for suspected thyroid carcinoma. Vet. Radiol. Ultrasound. 2013;54:61-70.
  • 5. Williams TL, Peak KL, Brodbelt D, Elliott J, Syme HM. Survival and the development of azotemia after treatment of hyperthyroid cats. J. Vet. Intern. Med. 2010;24:863-869.
  • 6. Withrow SJ, Vail DM, Page R. Withrow and MacEwen’s. Small animal clinical oncology. Elsevier Health Sciences. 2013: 513-517.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Hypothèses diagnostiques en cas de masse cervicale ventrale chez le chien et le chat

→ Origine inflammatoire/infectieuse (granulome, abcès)

→ Mucocèle salivaire d’origine mandibulaire

→ Adénomégalie mandibulaire ou rétropharyngienne (par infiltration tumorale primaire ou métastatique, ou réactionnelle)

→ Sarcome des tissus mous (tissus adipeux, musculaire, vasculaire, notamment carotidien)

→ Tumeur thyroïdienne

→ Tumeur parathyroïdienne

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