Étape 2 : Les différentes étapes et le déroulement de l’examen ophtalmologique - Le Point Vétérinaire n° 354 du 01/04/2015
Le Point Vétérinaire n° 354 du 01/04/2015

En 10 étapes

Auteur(s) : Guillaume Payen

Fonctions : CHV Frégis
43, avenue Aristide-Briand
94110 Arcueil

La consultation ophtalmologique suit un ordre très précis, où chaque étape a son importance. C’est en suivant cet ordre précis que le clinicien n’omet aucune lésion.

En ophtalmologie, trois motifs de consultation couvrent la majorité des cas : la douleur et/ou l’inflammation oculaire, la modification d’aspect d’un œil (ou des deux yeux) et les troubles de la vision.

Le vétérinaire doit évaluer le degré d’urgence de la situation, qui est généralement bien corrélé à la vitesse d’apparition des signes cliniques. Une affection oculaire peut-être très douloureuse pour l’animal (glaucome, uvéite), entraîner un risque pour l’œil, la vision, voire pour l’animal sans prise en charge rapide (glaucome, tumeur oculaire), ou être traumatisante pour le propriétaire (exophtalmie traumatique, ulcère perforé).

Le vétérinaire doit se placer dans les meilleures conditions possibles pour établir un diagnostic. Cela requiert un minimum de connaissances, du matériel adapté et surtout une démarche diagnostique systématique et rigoureuse : recueil des commémoratifs et de l’anamnèse, examen clinique, hypothèses diagnostiques.

ANAMNÈSE ET COMMÉMORATIFS

Le recueil des commémoratifs et de l’anamnèse est une étape essentielle qui ne doit pas être négligée, sous peine de perdre des éléments importants. Les informations à rechercher sont les réponses aux questions suivantes :

- où l’animal vit-il ?

- quels sont ses antécédents pathologiques ?

- si l’animal est monophtalme, pour quelle raison ?

- selon les propriétaires présente-t-il un déficit visuel ?

- sur quels critères se fonde la suspicion de gêne visuelle ?

- le déficit visuel est-il plus prononcé à la lumière, à la pénombre ?

- depuis combien de temps la gêne visuelle est-elle recensée ?

- l’évolution semble-t-elle brutale ou progressive ?

- la gêne visuelle est-elle stable ou évolutive ?

- les yeux présentent-ils des sécrétions ? Si oui, de quelle nature ?

- l’œil est-il apparu douloureux (blépharospasme) ?

- existe-t-il une modification d’aspect de l’œil ou des yeux ? Depuis combien de temps ?

Les informations recueillies orientent vers des hypothèses diagnostiques que vient étayer ou non l’examen ophtalmologique.

EXAMEN OPHTALMOLOGIQUE

Le clinicien, équipé du matériel adapté, procède alors à l’examen ophtalmologique de la façon la plus complète et la plus systématique possible. En effet, c’est avec une procédure systématique que le clinicien limite le risque d’omettre certaines lésions parfois en rapport avec le motif de consultation, le pronostic visuel ou celui du globe oculaire. C’est également ainsi que le clinicien progresse dans l’apprentissage de la sémiologie oculaire.

1. Test de Schirmer

Le test de Schirmer est réalisé sur une bandelette de papier test et doit être au moins égal à 12 mm/min chez le chien (photo 1) [3]. Entre 9 et 12 mm/min, les surfaces oculaires sont à évaluer assidument : recherche de lésions chroniques de conjonctivite subaiguë, parfois associées à des surinfections bactériennes, voire mise en évidence d’une affection de la surface cornéenne par un test au rose bengale qu’il est possible de se procurer auprès de centrales spécialisées en ophtalmologie vétérinaire permettant de révéler une atteinte épithéliale.

Chez le chat, les normes physiologiques mesurées chez des individus sains sont extrêmement variables, et la détermination de l’implication clinique d’une insuffisance lacrymale quantitative n’est pas bien documentée dans cette espèce.

2. Exploration de la vision et examen neuro-ophtalmologique

L’examen neuro-ophtalmologique requiert l’utilisation d’un transilluminateur de Finoff.

Il comprend :

- un test d’exploration de la fonction visuelle (photos 2a et 2b) ;

- un examen de la fonction pupillomotrice directe et indirecte ;

- un test de réflexe de clignement à l’éclair lumineux.

3. Examen de la sphère oculaire

L’examen de la sphère oculaire se fait à distance dans une salle d’examen lumineuse. Il convient de rechercher :

- les anomalies et asymétries orbitaires, telles qu’une exophtalmie, une énophtalmie, une buphtalmie ou une microphtalmie (encadré 1) ;

- la procidence de la membrane nictitante ;

- l’aspect des conjonctives ;

- l’asymétrie des globes oculaires ;

- les anomalies palpébrales.

4. Examen des annexes

L’examen des annexes de l’œil doit être minutieux. Il convient d’observer le bord des paupières, les conjonctives et culs-de-sac conjonctivaux, la face interne de la membrane nictitante. Pour ce faire, un transilluminateur est nécessaire, plus ou moins associé à des lunettes loupes, ou bien un biomicroscope en éclairage diffus.

L’examen des annexes inclut également la réalisation d’un test de Schirmer, à envisager avant toute instillation de goutte sur les surfaces oculaires. Celui-ci doit être supérieur à 12 mm/min chez le chien pour être considéré comme normal. Cette partie de l’examen inclut également l’identification des points lacrymaux (l’un supérieur et l’autre inférieur), au départ des voies de drainage lacrymo-nasales. Des sténoses consécutives à une infection herpétique contractée dans le très jeune âge sont fréquentes chez le chat et les imperforations des points correspondent à l’anomalie congénitale des voies de drainage lacrymo-nasales la plus fréquente chez le chien. Dans les deux cas, il en résulte un épiphora.

5. Examen de la cornée

La cornée est d’abord observée au transilluminateur de Finoff. Les caractéristiques physiques de la cornée doivent ainsi être évaluées : sa transparence, mais aussi sa surface qui doit être lisse, brillante et régulière. Une fois cette première partie de l’examen effectuée, un examen au biomicroscope peut être envisagé ; l’éclairage en fente permet notamment de préciser la profondeur d’un ulcère atteignant le stroma de la cornée [6].

6. Examen de la chambre antérieure et de l’iris

L’examen de la chambre antérieure et de l’iris est d’abord envisagé au transilluminateur de Finoff (photo 3). Il est ainsi possible de vérifier une différence de couleur entre les deux iris, la présence d’un hyphéma (épanchement de sang dans la chambre antérieure), d’un hypopion (caillot de pus stérile ou septique dans la chambre antérieure), d’une masse à la surface de l’iris, d’une déformation de la pupille (dyscorie), d’une anisocorie (asymétrie de l’ouverture pupillaire entre les deux yeux). De même, le transilluminateur permet indirectement de juger de la transparence de la chambre antérieure en évaluant la qualité du reflet du fond d’œil (en l’absence de cataracte) après comparaison avec l’œil adelphe (photo 4).

Ensuite, l’examen au biomicroscope permet d’affiner le diagnostic lésionnel, en révélant, par exemple, plus facilement une lésion en relief à la surface de l’iris, la présence de synéchies postérieures ou de tout autre dépôt sur la capsule antérieure du cristallin (photos 5a et 5b). De même, l’examen au biomicroscope est le seul qui permette de révéler efficacement un effet Tyndall positif constitutif, entre autres éléments, du diagnostic lésionnel d’une uvéite antérieure (encadré 2) [4].

7. Mesure de la pression intra-oculaire

La pression intra-oculaire doit être inférieure à 20 mmHg chez le chien et à 25  mmHg chez le chat. Plus que la valeur absolue, c’est la différence entre les deux yeux qui peut être révélatrice d’une lésion intra-oculaire. Ainsi, une différence supérieure à 5 mmHg entre les deux yeux est anormale, et doit faire suspecter une uvéite sur l’œil dont la tension oculaire mesurée est la plus faible ou un début d’hypertension oculaire sur celui dont la tension oculaire mesurée est la plus élevée [1]. La mesure est effectuée à l’aide d’un tonomètre par aplanissement (Tonopen Vet®) ou par rebond (Tonovet®).

8. Dilatation pupillaire (collyre mydriatique)

Pour obtenir une dilatation pupillaire, le tropicamide en collyre est utilisé. Plusieurs instillations sont parfois nécessaires, à effectuer toutes les 10 minutes. La dilatation est en général satisfaisante en 20 à 30 minutes, et dure entre 2 et 4 heures environ. Elle est nécessaire pour l’examen du cristallin, notamment pour différencier une simple sclérose du cristallin d’une cataracte ou mettre en évidence des opacités périphériques (c’est-à-dire situées à proximité de l’équateur du cristallin, la zone métaboliquement active du cristallin). La dilatation est également indispensable pour apprécier le segment postérieur : le vitré ainsi que le fond d’œil (examen ophtalmoscopique).

Chez le chien, la dilatation pupillaire est contre-indiquée lors de prédisposition avérée au glaucome, ou en cas de mesure de tension oculaire élevée, supérieure à 18 à 20 mm/Hg.

9. Examen du cristallin et de la partie antérieure du vitré

La transparence du cristallin doit être contrôlée à l’aide d’un transilluminateur. Le praticien vérifie tout d’abord s’il peut obtenir le reflet du fond d’œil (et de la zone du tapis, notamment, très colorée et très réfléchissante), ensuite, la présence des trois images de Purkinje-Sanson. Ces dernières correspondent au reflet de la source lumineuse du transilluminateur sur la cornée (spot très brillant), la capsule antérieure du cristallin (spot plus terne) et enfin sur la capsule postérieure du cristallin (spot terne également). En faisant tourner le transilluminateur sur un cercle serré, tout en maintenant la lumière focalisée sur le cristallin, les deux premières images (correspondant respectivement à la réflexion de la lumière sur la cornée, d’une part, et sur la capsule antérieure du cristallin, d’autre part) tournent dans le sens opposé à la dernière image (correspondant à la réflexion de la source lumineuse sur la capsule postérieure du cristallin). Lors de sclérose nucléaire du cristallin, les trois images sont conservées, tandis qu’en cas de cataracte, les deux dernières images (correspondant à la réflexion de la source lumineuse sur les faces antérieure et postérieure du cristallin) ne sont plus identifiables

10. Examen du segment postérieur et du fond d’œil

L’examen du segment postérieur et du fond d’œil s’effectue à l’aide du biomicroscope pour la partie antérieure du vitré et de l’ophtalmoscope direct. Le disque de Rekoss est placé sur la graduation verte qu’il convient de varier entre 0 (mise au point requise pour l’examen du fond d’œil) et + 10 (mise au point sur la capsule postérieure du cristallin) [5].

L’examen peut également être effectué avec un ophtalmoscope indirect monoculaire ou binoculaire (casque) pour élargir le champ de vision (photos 6a et 6b).

11. Test à la fluorescéine

Le test à la fluorescéine doit être réalisé après tous les autres examens car une rétention du colorant en cas d’ulcère cornéen pourrait gêner l’examen des structures intra-oculaires (en masquant par exemple des lésions d’uvéite antérieure) (photo 7).

Le test est positif en cas d’ulcère cornéen, c’est-à-dire de perte de substance épithéliale (ulcère superficiel) et stromale (ulcère plus profond). Néanmoins, le test est négatif en cas de descemétocèle (ulcère très profond atteignant la membrane de Descemet) en regard du lit de l’ulcère, car la membrane de Descemet, hydrophobe, ne retient pas ce colorant à la différence du stroma cornéen, hydrophile [2].

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

L’examen clinique effectué, il peut être nécessaire d’avoir recours à des examens complémentaires pour affiner le diagnostic : écouvillon des surfaces oculaires, échographie oculaire et/ou orbitaire, électrorétinogramme, scanner, examen d’imagerie par résonance magnétique, ponction intracamérulaire, etc.

CONCLUSION

Pour pratiquer un bon examen ophtalmologique, il est fondamental de suivre une procédure rigoureuse et systématique étape par étape dans un ordre bien précis, afin de n’omettre aucune lésion. Le test de Schirmer doit être envisagé en premier, avant tout nettoyage ou stimulation lumineuse. Ensuite viennent l’examen neuro-ophtalmologique, et ceux des annexes de l’œil (l’orbite, les paupières et leurs bords libres, les conjonctives, les éventuelles sécrétions), de la cornée, de la chambre antérieure, du cristallin et, enfin, du segment postérieur après, dans la mesure du possible, une dilatation des pupilles.

Références

1. Andrade SF et coll. Comparison of intraocular pressure measurements between the Tono-Pen XL ® and Perkins ® applanation tonometers in dogs and cats. Vet. Ophthalmol. 2012;15 (Suppl. 1):14-20. 2. Gelatt KN. Vital staining of the canine cornea and conjunctiva with fluorescein and rose Bengal. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1972;8:17-22. 3. Giannetto, C et coll. Daytime profile of the intraocular pressure and tear production in normal dog. Vet. Ophthalmol. 2009;12:302-305. 4. Maggs DJ. Basic diagnostic techniques. In: Slatter’s fundamentals of veterinary Ophthalmology. Ed. Maggs DJ, Miller PE, Ofri R. 4th ed. Saunders, Elsevier, St Louis, MO. 2008. 5. Murphy CJ, Howland HC. The optics of comparative ophthalmoscopy. Vision Res. 1987;27:599-607. 6. Ollivier FJ et coll. Ophthalmic examination and diagnostics. Part 1: the eye examination and diagnostic procedures. In: Veterinary Ophthalmology. Ed. Gelatt KN. 4th ed. Blackwell Publishing, Ames, IA. 2007.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Définition de l’exophtalmie, de l’énophtalmie, de la buphtalmie et de la microphtalmie

→ L’exophtalmie correspond à une saillie anormalement importante du globe vers l’avant. Elle fait généralement suite à des affections orbitaires.

→ L’énophtalmie est la situation inverse. Elle s’observe en cas de déshydratation, de cachexie, ou comme séquelle de certains traumatismes orbitaires.

→ La microphtalmie correspond à un diamètre anormalement faible du globe oculaire. Elle est souvent congénitale, mais peut faire également suite à un sévère traumatisme non contondant du globe oculaire.

→ Enfin, la buphtalmie correspond à une augmentation de volume du globe oculaire, comme conséquence d’un glaucome ou de la croissance d’une tumeur intra-oculaire.

ENCADRÉ 2
Effet Tyndall

L’effet Tyndall permet de révéler une augmentation de turbidité de l’humeur aqueuse. Normalement, la composition de l’humeur aqueuse, eau de roche, est proche de celle du liquide cérébro-spinal : cellularité très faible ou nulle, taux de protéines inférieur à 0,3 g/l. En cas d’uvéite antérieure, la cellularité et/ou le taux de protéines de l’humeur aqueuse augmentent significativement. Ainsi, en l’absence d’uvéite, la réflexion d’un fin pinceau de lumière (obtenue grâce à la fente la plus fine du biomicroscope) peut être observée sur la cornée et la face antérieure de l’iris ou du cristallin, mais le faisceau de lumière émis n’apparaît pas lors de sa traversée de la chambre antérieure. En cas d’uvéite, un rai de lumière peut être identifié entre les deux sites de réflexion de la lumière fine émise par le biomicroscope, c’est-à-dire lors de sa traversée dans l’humeur aqueuse contenue dans la chambre antérieure. Cette matérialisation du faisceau lumineux dans la chambre antérieure correspond à la réflexion de la lumière sur toutes les particules en suspension dans l’humeur aqueuse en cas d’inflammation endo-oculaire antérieure, comme un phare de voiture projetant un faisceau visible de lumière dans le brouillard.

Points forts

→ La consultation en ophtalmologie débute impérativement par le recueil minutieux des commémoratifs et du motif de consultation.

→ Cette étape est indispensable car elle permet de ne pas se précipiter sur l’examen et d’éviter de stresser d’emblée l’animal et son propriétaire.

→ De plus, cette étape permet aussi d’apprécier la vision de l’animal en?le regardant se déplacer dans un environnement nouveau.

→ Enfin, cette étape doit être confrontée aux lésions constatées à l’examen, afin de déterminer si celles-ci permettent d’expliquer le motif de consultation.

→ Pour examiner le cristallin et le segment postérieur, une dilatation des pupilles est souhaitable. elle est contre-indiquée chez le chien en cas de risque de glaucome ou d’hypertension oculaire.

→ Le test à la fluorescéine doit être envisagé en dernière étape : en cas d’ulcère, la prise du colorant risque de fausser l’interprétation de l’aspect du lit de l’ulcère et de masquer en partie l’examen intra-oculaire.

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