Résistance génétique aux mammites : quels sont les premiers résultats sur lignées divergentes ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 353 du 01/03/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 353 du 01/03/2015

RECHERCHE EN ÉLEVAGE BOVIN LAITIER

Avis d’expert

Auteur(s) : Rachel Lefebvre

Fonctions : Inra, Domaine de Vilvert,
78352 Jouy-en-Josas
rachel.lefebvre@jouy.inra.fr

Deux groupes de vaches laitières génétiquement très contrastés pour la résistance aux mammites cliniques ont été construits. Leurs phénotypes seront analysés.

En élevage laitier, l’infection mammaire est l’affection la plus fréquente chez la vache, avec une estimation d’incidence annuelle de 44,1 cas pour 100 vaches (encadré 1) [1]. Les mammites constituent un trouble sanitaire et économique majeur pour la filière, sans oublier l’aspect éthique et sociologique via leur impact sur le bien-être animal (encadré 2). Un plan national sur le sujet, porté par le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), dans le cadre du plan Écoantibio, a été déclenché au printemps 2014 pour relancer la sensibilisation des éleveurs et la formation des techniciens. Les pratiques d’élevage occupent une part prépondérante dans l’apparition d’infections mammaires dans le troupeau [5]. La composante génétique n’est cependant pas négligeable. Il a été proposé d’améliorer la résistance aux mammites à l’échelle individuelle en effectuant une sélection sur la capacité de réponse immunitaire des animaux [9].

Cette sélection sur la réponse immunitaire (qui peut expliquer la résistance aux mammites) est à l’étude dans différents pays. Les mammites sont aussi une cible majeure des travaux en cours sur l’analyse du génome, pour identifier les gènes responsables de la variabilité génétique de la résistance.

Où en sont les investigations sur la résistance génétique des vaches aux mammites, menées en France au sein de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) ?

L’ÉLEVEUR PEUT-IL DÉJÀ SÉLECTIONNER SUR LES MAMMITES ?

Les taureaux d’insémination des principales races françaises disposent d’un grand nombre d’index sur différents types de caractères. Des prédictions génomiques sont également disponibles pour quatre races, aussi bien pour les mâles que pour les femelles. D’importants efforts ont porté sur la santé de la mamelle ces dernières années. L’index mammites cliniques a vu le jour en 2010 pour évaluer leur occurrence chez les femelles d’un reproducteur. En 2012, la synthèse santé de la mamelle a été créée pour combiner les index cellules et mammites cliniques. L’index synthèse unique (ISU) a été revu en 2013. Celui-ci compte une part plus importante d’index dits fonctionnels. Celui nommé santé de la mamelle représente maintenant entre 14,5 et 20 % de l’ISU selon les races.

La sélection génomique permet aussi aux éleveurs de faire génotyper leurs femelles. Ils disposent ainsi de prédictions génomiques sur les mêmes critères que les taureaux. Ils peuvent donc choisir précocement les génisses destinées au renouvellement du troupeau, sur la base des objectifs qu’ils se sont fixés. Ils peuvent aussi raisonner leurs plans d’accouplement en compensant l’index bas d’une femelle avec le recours à la semence d’un bon taureau.

QUEL EST LE NIVEAU GÉNÉTIQUE ACTUEL EN FRANCE ?

Le niveau moyen de l’index santé de la mamelle des taureaux utilisés en France en 2013 est positif, donc favorable, entre + 0,1 et + 1 point selon les races [4].

Il reste assez bas du fait de :

– sa nouveauté ;

– la faible héritabilité du caractère (entre 6 et 7 %) ;

– l’enregistrement relativement récent des mammites et leur exhaustivité ;

– la préférence des éleveurs pour d’autres critères.

La tendance chez les taureaux est à l’augmentation depuis quelques années (figure 1). Il en est de même pour le niveau génétique des femelles.

POURQUOI UNE ÉTUDE DE SÉLECTION DIVERGENTE SUR LA RÉSISTANCE AUX MAMMITES ?

Une étude mise en place en France par l’unité Génétique animale et biologie intégrative (Gabi) de l’Inra a débuté en 2013 sur les races holstein et normande dans un élevage expérimental [6] (encadré 3, photo 1).

Il s’agit de construire et d’étudier deux groupes génétiquement très contrastés pour la résistance aux mammites cliniques et d’analyser ensuite leurs phénotypes.

À l’échelle de la population et pour chacune des deux races, l’efficacité de la sélection sur les caractères de santé mammaire est testée dans un troupeau. Le dispositif permet de vérifier si les différences entre les deux groupes correspondent aux prédictions attendues.

L’origine de ces différences génétiques est analysée, en mettant en évidence de nouveaux QTL (quantitative trait loci, régions du génome ayant un effet sur le caractère étudié) ou des mutations de gènes ayant un effet sur la résistance aux mammites et/ou sur la sensibilité aux pathogènes en général. Une fois identifiés, ces QTL permettent d’améliorer la précision de l’évaluation génomique.

À l’échelle de la vache, il s’agit de rechercher d’autres prédicteurs indirects (précoces et accessibles) de l’infection, que le seul comptage des cellules somatiques (CCS) du lait individuel. Par exemple, l’analyse des spectres moyen infrarouge (MIR) du lait permet déjà de prédire différents caractères relatifs à la composition de ce dernier (taux de matière utile notamment) ou à l’état physiologique de l’animal (acétonémie, par exemple). Diverses études sont actuellement destinées à élargir ce panel de caractères.

L’identification des causes de résistance et de sensibilité à des pathogènes en particulier, liées à la variabilité génétique des animaux, amène des collaborations avec d’autres disciplines, telles que la physiologie et l’immunologie.

COMMENT LES LIGNÉES DIVERGENTES ONT-ELLES ÉTÉ CRÉÉES ?

La variabilité génétique sur le caractère de résistance aux mammites cliniques a été introduite en construisant deux lignées divergentes pour chacune des deux races étudiées (figure 2).

Les pères, taureaux d’insémination, ont été choisis en fonction de la moyenne de leurs index cellules et mammites cliniques (la procréation a débuté avant l’apparition de l’index synthétique santé de la mamelle). Ils ont été répartis en deux groupes :

– les Cell+ sont améliorateurs pour la résistance aux mammites (moyenne > 1,5) ;

– les Contrôles ont un index négatif, proche de la population actuelle des taureaux (moyenne entre - 1 et - 1,5). La première génération de femelles (G1) obtenues est inséminée avec des taureaux (G0) issus du même groupe Cell+ ou Contrôle que leur père, afin d’accentuer la divergence de la génération suivante (G2).

La différence moyenne attendue entre les lignées est d’environ 1,5 écart type génétique sur le CCS, soit une moyenne attendue des cellules de la lignée Contrôle presque deux fois plus élevée que celle de la lignée Cell+ (rapport de 1,68), ou encore 0,75 point de différence sur le score cellulaire somatique (SCS).

QUELLE EST L’AMPLEUR DE L’ETUDE ?

Quatre cent femelles en production, issues d’une vingtaine de mères et de pères par race, avec un minimum de cinq femelles par couple, sont suivies pour répondre aux questions de l’étude (photo 2). Avec une capacité dédiée à ce protocole d’environ 90 primipares par an, l’expérimentation nécessite au moins cinq campagnes de lactation (entre 2013 et 2018). La liste des données consignées pour l’analyse est longue (tableau 1).

Tous les animaux sont génotypés sur puce SNP (ou single nucleotide polymorphism) pangénomique pour étudier le lien entre génétique et caractère observé. Ils disposent ainsi d’une prédiction génomique de tous les caractères officiellement évalués et d’un statut aux principaux QTL.

COMMENT CARACTÉRISER LA RÉSISTANCE AUX MAMMITES ?

La capacité d’une vache à déclencher son système immunitaire rapidement et efficacement lors d’une infection est une voie à explorer pour expliquer la résistance aux mammites. Pour tester cette hypothèse, le niveau de réponse inflammatoire innée est étudié, c’est-à-dire la cinétique de recrutement des cellules immunitaires dans le lait et la caractérisation des cellules. Ces paramètres sont comparés entre lignées.

D’autres projets d’étude de la variabilité génétique de la réponse immunitaire entre individus sont en cours d’élaboration. La relation entre niveau de réponse immunitaire et résistance aux mammites constitue un enjeu de recherche mondial.

QUELS SONT LES ENSEIGNEMENTS DE LA PREMIÈRE CAMPAGNE DE PRODUCTION ?

Les 42 vaches holstein ont produit en moyenne 7 600 kg de lait, et les 29 normandes 5 600 kg (toutes primipares). Les taux butyreux (TB) et protéiques (TP) moyens sont respectivement de 39,2 et 31,7 g/kg en holstein et de 46,8 et 35,3 g/kg en normande (tableau 2).

Au sein de chaque race, aucune différence de production n’a été observée entre les lignées Cell+ et Contrôle : aucun biais n’a donc été introduit sur la procréation des lignées (les animaux fondateurs ont été choisis et répartis pour que les moyennes des index de production soient équivalentes entre les groupes).

LA SÉLECTION SUR LA RÉSISTANCE AUX MAMMITES DONNE-T-ELLE DES RÉSULTATS ?

→ L’effet de la sélection peut déjà être observé sur les premiers résultats de scores de cellules somatiques (résultats significativement plus bas pour les vaches des lignées Cell+ que pour celles des lignées Contrôles dans les deux races : p < 0,0001).

La différence entre les lignées est plus forte pour la normande (figure 3), et de l’ordre de l’attendu. Ces effets, entre lignées et entre races, seront à confirmer dans les prochaines campagnes.

→ Les résultats de mammites cliniques ne sont pas interprétables car le nombre d’enregistrements est encore trop faible. Il semblerait qu’il y ait moins de mammites chez les vaches holstein Cell+. Cette tendance n’est pas observée en race normande à ce stade.

→ D’après les premiers résultats d’analyses bactériologiques du lait, moins d’agents pathogènes sont détectés chez les vaches Cell+ au cours de la lactation et lors de mammite (photo 3). Ces résultats préliminaires encourageants restent à confirmer.

QUELS SONT LES AUTRES ENSEIGNEMENTS ATTENDUS ?

L’effet sur les infections utérines de la sélection sur la résistance aux mammites va être testé. Il s’agira de comparer, entre les lignées, le statut infectieux de l’utérus des vaches ainsi procréées (et la fréquence des métrites). Cet aspect participe au projet multidisciplinaire Ruminflame lancé par l’Inra en 2013 (sur les affections inflammatoires des ruminants, globalement).

Le lien potentiel entre mammites, mobilisation corporelle et alimentation sera analysé.

Les lignées holstein ont aussi été construites pour diverger sur l’état corporel. L’aspect mobilisation des réserves énergétiques sera particulièrement approfondi pour cette race.

Conclusion

D’après les premiers enseignements du protocole de sélection divergente sur la résistance aux mammites initié en 2013, l’amélioration des critères de santé de la mamelle peut être rapide pour peu que l’éleveur se fixe cet objectif. Les causes de résistance et les liens entre résistance et divers processus métaboliques n’ont pas encore livré tous leurs secrets.

Références

  • 1. Fourichon C, Beaudeau F, Bareille N et coll. Incidence of health disorders in dairy farming systems in western France. Livest. Prod. Sc. 2001;68:157-170.
  • 2. Gion A. Évaluation génétique officielle des mammites cliniques 2014 (données non publiées).
  • 3. Hertl JA, Schukken YH, Welcome FL et coll. Effects of pathogen-specific clinical mastitis on probability of conception in holstein dairy cows. J. Dairy Sci. 2014;97:6942-6954.
  • 4. Institut de l’élevage. Bilan génétique de l’insémination en races bovines laitières – Résultats 2013. CR n° 0014202015.
  • 5. Klastrup O, Bakken G, Bramley J et coll. Environmental influences on bovine mastitis. Bull. Int. Dairy Fed. 1987;217:37.
  • 6. Lefebvre R, Barbey S, Gallard Y et coll. Une expérimentation bovine de sélection divergente sur la résistance aux mammites cliniques et la mobilisation corporelle des races holstein et normande. Rencontres recherches ruminants. 2014;21:265.
  • 7. Roussel P, Ballot N. Évolution des indicateurs de santé mammaire dans les élevages bovins laitiers français depuis 14 ans. Rencontres recherches ruminants. 2014;21:309-312.
  • 8. Seegers H, Fourichon C, Beaudeau F. Production effects related to mastitis and mastitis economics in dairy cattle herds. Vet. Res. 2003;34:475-491.
  • 9. Thompson-Crispi K, Atalla H, Miglior F et coll. Bovine mastitis: frontiers in immunogenetics. Front. Immunol. 2014;5:493.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
État des lieux mammites du cheptel laitier français : sous-estimation clinique, variabilité cellulaire interrégionale

Les résultats nationaux du contrôle laitier montrent que les efforts sur les mammites et les cellules doivent se poursuivre. Selon les races, les bases de données indiquent qu’entre 3,5 % (race abondance) et 14 % (holstein) des femelles ont eu au moins une mammite déclarée dans les 150 premiers jours de lactation [2]. Ces valeurs seraient assez fortement sous-estimées : une incidence d’au moins 30 % est probable en race holstein.

En outre, environ 20 % des comptages cellulaires individuels sont supérieurs à 300 000 cellules, d’après une étude sur données issues du contrôle laitier. Entre 2000 et 2013, la moyenne nationale des comptages cellulaires du lait de troupeau a augmenté de 240 000 à 310 000 cellules/ml de lait, toutes races confondues, avec des différences entre régions pouvant atteindre 100 000 cellules [7]. Durant cette période et quelle que soit la région, il a été observé une diminution de la moyenne, puis une augmentation. La tendance est à la stagnation depuis 2008.

ENCADRÉ 2
Les mammites : un levier de rentabilité pour l’éleveur

L’impact des mammites (et celui de l’augmentation des cellules somatiques) sur la production de lait justifie de se mobiliser. Seegers et coll. estiment la perte moyenne de lait sur une lactation à 375 kg (soit 5 %), pour une mammite clinique survenant au?cours du deuxième mois de lactation chez une vache holstein [8]. Pareille estimation est difficile et fortement variable selon le stade de lactation, l’agent pathogène impliqué et le niveau de production de la vache. Les vaches hautes productrices sont plus susceptibles d’être infectées, donc de voir leur production diminuer.

Les mammites ont aussi un effet négatif sur la reproduction en provoquant une baisse du taux de conception. L’effet varie selon le pathogène impliqué et le délai par rapport à l’insémination : la baisse peut aller jusqu’à 55 % dans le cas d’une mammite à Streptococcus spp. survenant entre 0 et 7 jours post-insémination [3].

Des effets potentiels sur la qualité du lait, le poids et l’ingestion ne sont pas à exclure [8]. Ainsi délimité, le coût global des mammites est estimé à plus de 100 € par vache présente.

En plus des baisses de production et de fertilité, les mammites engendrent des pertes économiques supplémentaires en raison des traitements (principalement à base d’antibiotiques) utilisés pour les soigner, des pertes en lait impropre à la vente, du temps passé à soigner les animaux, des réformes prématurées ou encore de la mort de l’animal (mammites colibacillaires).

Points forts

→ La prédiction de mammites à partir de spectres moyen infrarouge (MIR), faciles d’accès en élevage, est un des défis en cours pour la recherche.

→ Un index positif sur les cellules, comme pour les mammites cliniques, est favorable.

→ L’effet sur les infections utérines de la sélection sur la résistance aux mammites va aussi être étudié.

ENCADRÉ 3
Missions de Gabi

L’équipe bovine de l’unité Génétique animale et biologie intégrative (Gabi) de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Jouy-en-Josas (Yvelines) a pour missions de :

1. calculer les index des taureaux d’insémination avec ses partenaires de l’Institut de l’élevage et de l’Union nationale des coopératives d’insémination animale (UNCEIA), et de développer les méthodologies correspondantes (mission régalienne certifiée ISO 9001) ;

2. mener des recherches pour comprendre les mécanismes génétiques des caractères pouvant aboutir à des innovations sur divers aspects de l’élevage, notamment les mammites.

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