Quels impacts de la PAC 2014-2020 dans le secteur des viandes de ruminants ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 352 du 01/01/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 352 du 01/01/2015

ÉCONOMIE DE L’ÉLEVAGE

Questions-réponses

Auteur(s) : Baptiste Buczinski*, Christèle Pineau**, Vincent Bellet***, Christophe Perrot****

Fonctions :
*Service Économie des exploitations d’élevage
**Service Économie des exploitations d’élevage
***Service Économie des filières
Institut de l’élevage, Département Économie,
149, rue de Bercy, 75595 Paris Cedex 12

Après une phase d’entrée en vigueur à l’impact globalement négatif, les évolutions à terme de la politique agricole commune sont marquées par la disparité.

Marquant un tournant dans l’histoire de la politique agricole commune (PAC), la réforme de Luxembourg, en 2003, a introduit les principes de découplage (suppression du lien entre aide et production) et de subsidiarité (délégation d’une partie des décisions aux États membres). Depuis lors, les réformes successives ont amplifié ces principes. Les pouvoirs publics français ont affiché leur volonté d’améliorer le niveau de soutien des exploitations d’élevage. Lors de la réforme de 2008, dite “bilan de santé”, le « rééquilibrage des aides » vers l’élevage herbivore a bénéficié aux systèmes allaitants spécialisés, avec un résultat modéré, leurs revenus restant structurellement faibles.

QUID DE LA SITUATION INITIALE EN VIANDE ?

Malgré des niveaux de soutien issus de la PAC relativement élevés, les exploitations produisant de la viande bovine ou ovine ont les revenus les plus bas de la ferme France depuis plusieurs années (figure 1).

Pour les exploitations allaitantes spécialisées, les réformes récentes et les rééquilibrages successifs des aides, notamment lors du bilan de santé, se sont traduits par des augmentations de revenu courant annuel avant impôt de 2 900 € en moyenne en élevage bovin et de 6 300 € en élevage ovin. A contrario, les systèmes diversifiés et les engraisseurs ont été impactés soit par leur activité céréalière, soit par le niveau élevé de leurs chargements, donc de leurs paiements découplés par hectare (figure 2).

COMMENT A ÉTÉ SIMULÉ L’IMPACT DES NOUVELLES DISPOSITIONS PAC ?

→ Les systèmes d’élevage d’herbivores sont variés en France, de même que leurs niveaux d’intensification, en lien avec les milieux très diversifiés. Dès lors, la composition et le niveau des soutiens publics apportés aux exploitations avec élevage fluctuent dans de larges proportions. Malgré le rééquilibrage des aides en 2008 lors du “bilan de santé” PAC, ces disparités demeurent. Les revenus (revenu courant avant impôt [RCAI]) des systèmes spécialisés restent faibles et représentent moins de la moitié des aides reçues (tableau).

→ Profitant de la nouvelle réforme pour la période 2015 à 2020, le président de la République a annoncé dans le discours qu’il a prononcé au Sommet de l’élevage, à Cournon, le 2 octobre 2013 la volonté du gouvernement de « donner la priorité à l’élevage et à l’emploi ». Les discussions se sont poursuivies et la grande majorité des mesures ont été définies(1).

→ Sur la base de l’ensemble des décisions annoncées, l’Institut de l’élevage a évalué l’impact de la réforme à partir de cas types. Ces simulations se fondent sur les décisions prises lors des réunions du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire (CSO) des 17 décembre 2013 et 27 mai 2014. Issus de la modélisation, les cas types sont construits à partir de données issues de fermes réelles, suivies dans le cadre d’Inosys-réseaux d’élevage (dispositif copiloté par l’Institut de l’élevage et les chambres d’agriculture). Ils représentent des systèmes optimisés, avec des choix techniques, des pratiques et des investissements en cohérence avec les structures et les conditions pédoclimatiques. Leurs résultats sont donc supérieurs aux moyennes observées, mais ils permettent de simuler les impacts de la réforme de la PAC. Les simulations présentées sont fondées sur les données d’une année de référence (2013). Les variations des aides PAC ont été simulées à deux échéances différentes :

- 2015 (première année d’application de la réforme) ;

- 2019 (dernière année prévue, notamment pour la convergence).

La simulation des choix retenus par les pouvoirs publics français permet d’appréhender les effets de :

- la mise en place d’un nouveau soutien couplé à la vache allaitante ;

- la convergence des soutiens découplés, cumulée à l’entrée en vigueur du verdissement et du paiement redistributif ;

- la revalorisation des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), au détriment de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) (encadré 1).

QUEL IMPACT POUR LA PRODUCTION DE VIANDE EN ZONE DE PLAINE ?

→ Dans les zones de plaine, les systèmes spécialisés intensifs sont pénalisés par la convergence des aides (droits à paiement unique [DPU]), même pour les exploitations qui s’étendent sur de petites surfaces et qui bénéficient pleinement du paiement redistributif (encadré 2). Pour les systèmes herbagers de plaine, la possibilité de souscrire une aide “mesures agro-environnementales et climatiques” (MAEC) “herbagère” sera déterminante pour compenser la perte de la PHAE.

→ Les élevages bovins et ovins viande n’ont cessé de reculer dans les régions de polyculture ces dernières années, en raison de la flambée des prix des céréales et oléagineux, couplée aux progrès en matière de travaux culturaux (puissance de traction, itinéraires simplifiés). L’impact de la convergence sur les systèmes viande avec cultures est conséquent, notamment dans les exploitations pratiquant l’engraissement de bovins, où le niveau de paiements découplés est généralement élevé du fait de l’intégration de l’ancienne prime spéciale aux bovins mâles (PSBM) et de la prime à l’abattage gros bovin (PAB) aux aides découplés (réforme de Luxembourg, 2005).

Pour les systèmes autres que les engraisseurs spécialisés, la possibilité d’accéder à la MAEC “polyculture-élevage” conditionnera fortement le maintien des cheptels dans ces régions.

→ En 2019, les niveaux de perte des aides liés à la convergence pour les systèmes viande de plaine seront bien souvent conséquents et nécessiteront de trouver des réponses des filières (contractualisation, caisse de péréquation, etc.) allant au-delà de la seule PAC.

QUEL IMPACT POUR LA PRODUCTION DE VIANDE EN ZONE DÉFAVORISÉE ?

La revalorisation des ICHN ne compense pas toujours la fin de la prime à l’herbe.

Dans les zones défavorisées, les petits systèmes herbagers ovins sont confortés par cette nouvelle évolution de la PAC : aides en hausse de 10 % pour le cas type présenté (3 % sans la majoration “productivité-qualité”). Mais, en élevage ovin viande, les grandes structures herbagères sont généralement de statut individuel ou des entreprises agricoles à responsabilité limitée (EARL). Elles sont pénalisées par la fusion des ICHN et de la PHAE (avec un plafond inférieur de 25 ha à celui de la PHAE) et par l’instauration d’un complément à l’aide ovine limité à 500 brebis. La baisse des aides est de 4 % pour le cas type présenté.

Les systèmes bovins naisseurs spécialisés qui bénéficiaient de la PHAE sur plus de 75 ha vont eux aussi voir leur niveau de soutien du second pilier diminuer. Ce n’est pas le cas des deux cas types présentés qui ne bénéficiaient pas de la PHAE. Dans ces cas, les soutiens issus du second pilier sont revalorisés et la réforme conforte ces exploitations. En effet, la revalorisation de l’ICHN atténue, voire compense intégralement l’effet de la convergence pour les systèmes les plus intensifs qui n’avaient pas contractualisé de PHAE. Ainsi, le système naisseur engraisseur Limousin bénéficiera d’une augmentation de son niveau global de soutien (+ 2 500 €/unité de main-d’œuvre [UMO] en 2019) (encadré 3, photo).

→ Dans les zones défavorisées, le maintien d’une régulation de l’accès à la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) et de la majoration des ICHN devrait limiter, dans les exploitations ovines mixtes, les substitutions vaches/brebis aux seules vaches déjà présentes et non primées.

→ La révision des zones défavorisées simples, une nouvelle fois repoussée mais toujours à l’agenda des institutions européennes, pourrait chambouler ces constats et impacter plus fortement les exploitations de ces zones.

QUEL IMPACT EN ZONE DE MONTAGNE (NOTAMMENT PASTORALE) ?

Les élevages viande y sont consolidés.

La prise en compte des parcours dans la convergence permet une forte revalorisation des aides découplées dans les systèmes pastoraux. De plus, la revalorisation des ICHN compense la perte de la PHAE individuelle. Pour le cas type ovin choisi (transhumant, avec 50 ha de parcours individuels et l’équivalent de 60 ha d’estive collective), la hausse des aides totales est de 31 % (encadré 4). La perte du bénéfice de la PHAE collective, qui contribuait à couvrir les frais d’estive, pourra être compensée en partie par une MAEC spécifique, plus contraignante en termes de cahier des charges, sous réserve de zonages d’application restant à définir.

La revalorisation des ICHN, ainsi que la convergence bénéficient aux élevages de montagne. Ceux-ci présentent bien souvent des paiements découplés inférieurs à la moyenne, qui seront donc revalorisés par le processus de convergence interne.

Conclusion

L’impact de l’entrée en vigueur de la réforme en 2015 sera globalement négatif pour la majorité des exploitations viande, qu’elles soient spécialisées ou diversifiées.

En fin de période (2019), les exploitations situées en zones défavorisées, et plus particulièrement de montagne, seront globalement consolidées, si les règles du jeu ne changent pas lors de la prochaine révision à mi-parcours… Les principaux transferts de soutiens dans chaque filière se font entre les systèmes d’élevage intensif et extensif.

Si la PAC a un impact sur la structure des exploitations, en revanche, elle n’est pas le seul facteur à prendre en compte pour appréhender l’évolution des systèmes d’élevage. Le marché, les relations de filière, la disponibilité de la main-d’œuvre et la pression foncière sont autant d’éléments aussi impactants, si ce n’est plus, que la réforme de la PAC.

  • (1) Voir l’article “Soutiens européens à l’agriculture : entre harmonisation et système “à la carte” de B. Buczinski et coll., dans ce numéro.

Conflit d’intérêt

Aucun.

ENCADRÉ 1
Vers la montée en puissance de l’indemnité compensatrice de handicap naturel et la disparition de la prime à l’herbe

Dans la PAC 2015-2020, la poursuite et la consolidation du soutien aux exploitations agricoles des territoires fragiles ont été affichées comme prioritaires. Mesure phare du second pilier, le maintien et le renforcement des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) visent à compenser les écarts de revenus existant entre plaine et zones défavorisées (la France n’a pas fait le choix de consacrer une partie de son enveloppe premier pilier aux zones à contraintes naturelles).

→ Dès 2014, l’ICHN est revalorisée de 15 % dans toutes les zones visées (montagne, haute montagne, piémonts, zones défavorisées simples et zones affectées de handicaps spécifiques). Les seuils existants sont maintenus (c’est-à-dire majoration de 50 % du montant unitaire ICHN sur les 25 premiers hectares et plafond à 50 ha).

→ Une enveloppe est actuellement affectée à la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) en zones défavorisées. La PHAE s’élevait à 76 €/ha de surfaces en herbe, étant soumise à diverses conditions (maximum 100 ha, au moins 50 à 75 ha d’herbe dans la surface agricole utilisée [SAU], chargement maximal à 1,4 unité de gros bétail [UGB]/ha, détention sur au moins 20 % des surfaces pour des éléments de biodiversité, apports de fertilisants enregistrés et limités, et pas de désherbage chimique). La PHAE est considérée comme étant un soutien plus économique qu’environnemental et une mesure de masse, avec une justification ne correspondant pas à la réalité des territoires, d’après la Cour des comptes et la Commission européenne. Elle sera par la suite intégrée à l’ICHN, donc non reconduite dans la prochaine programmation du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (2015-2022).

→ En 2015, le plafond de l’ICHN remonte à 75 ha de surfaces fourragères et l’indemnité augmente de 70 €/ha (moyenne PHAE actuelle).

Cette nouvelle modalité d’attribution de l’enveloppe prime herbagère va renforcer le soutien ICHN dans la grande majorité des exploitations agricoles de zone défavorisée, mais les bénéficiaires actuels de la prime sur plus de 75 ha (plafond PHAE = 100 ha) seront légèrement déficitaires dans la nouvelle programmation.

→ À partir de 2015 pourront aussi bénéficier de l’ICHN les éleveurs laitiers de zones défavorisée simple et de piémont à orientation laitière non dominante, excluses jusqu’à maintenant (fin de la pondération des surfaces fourragères pour les laitiers mixtes de ces zones).

Points forts

→ Les résultats des cas types ayant permis de simuler les impacts de la réforme de la politique agricole commune (PAC) sont supérieurs aux moyennes observées.

→ L’impact de l’entrée en vigueur de la réforme en 2015 sera globalement négatif pour la majorité des exploitations allaitantes, qu’elles soient spécialisées ou diversifiées.

→ En plaine, des réponses des filières allant au-delà de la seule PAC devront être trouvées pour compenser les pertes.

ENCADRÉ 2
Évolution des soutiens pour différents cas types de plaine viande

Encadré 3
Évolution des soutiens pour différents cas types de zone défavorisée viande

ENCADRÉ 4
Évolution des soutiens pour différents cas types de zone de montagne viande

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