Méningo-encéphalite atypique due à Pseudomonas aeruginosa chez une vache - Le Point Vétérinaire expert rural n° 348 du 01/09/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 348 du 01/09/2014

INFECTIONS NEUROLOGIQUES DES BOVINS

Cas clinique

Auteur(s) : Sarah El Bay*, Guillaume Belbis**, Lounis Djahdou***, Karine Troitzky****, Marc Van Roy*****, Isabelle Galvin******, Henri-Jean Boulouis*******, Yves Millemann********

Fonctions :
*Pathologie des animaux de production
et hospitalisation grands animaux, ENV d’Alfort
**Pathologie des animaux de production
et hospitalisation grands animaux, ENV d’Alfort
***Pathologie des animaux de production
et hospitalisation grands animaux, ENV d’Alfort
****Pathologie des animaux de production
et hospitalisation grands animaux, ENV d’Alfort
*****Clinique vétérinaire, 60, rue de Francastel,
60360 Crèvecœur-le-Grand
******Anatomie-pathologie, ENV d’Alfort
*******Bactériologie, ENV d’Alfort, 7, av. du Général-
de-Gaulle, 94704 Maisons-Alfort Cedex
********Pathologie des animaux de production
et hospitalisation grands animaux, ENV d’Alfort

Pseudomonas aeruginosa n’est pas habituellement retrouvé dans les cas de méningo-encéphalite. Il semble lié à une infection ancienne, et à l’origine d’une endocardite et d’une polyarthrite associées.

Les praticiens désignent habituellement par les termes “troubles nerveux” un tableau symptomatique associant un comportement anormal (avec ou sans signe nerveux pathognomonique) et une altération de l’état général.

L’origine de ces troubles peut être une méningo-encéphalite, engendrée par le passage d’emboles d’un foyer septique via la barrière méningo-encéphalique lors d’une baisse d’immunité. Pour confirmer cette hypothèse, un examen bactériologique doit être effectué sur le liquide céphalo-rachidien (LCR). Le prélèvement de celui-ci n’est pas un geste difficile à réaliser, mais nécessite une tranquillisation de l’animal et des conditions d’hygiène très rigoureuses. Si l’hypothèse est confirmée, la mise en place d’un traitement antibiotique et anti-inflammatoire adapté est de rigueur, mais n’apporte pas souvent les améliorations attendues.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Une vache prim’holstein de trois?ans et demi est vue une première fois dans son élevage pour des troubles nerveux d’apparition soudaine (selon les dires de l’éleveur). Le vétérinaire référent observe une ataxie des membres postérieurs, un nystagmus et une hyperthermie. Il met en place un traitement anti-inflammatoire stéroïdien avec de la dexaméthasone solution (Dexadreson®) et un traitement antibiotique avec une association de sulfadimidine et de triméthoprime (Amphoprim®).

Quatre jours plus tard, ces traitements n’occasionnant aucune amélioration satisfaisante, le vétérinaire et l’éleveur décident de référer la vache au service d’hospitalisation des grands animaux de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Hospi-GA ENVA).

Le statut vis-à-vis de la diarrhée virale bovine (BVD) de l’élevage d’origine n’est pas connu.

2. Examen clinique à l’admission

À son admission, la vache présente un état général dégradé : une hypothermie (36,3 °C), un état comateux, une faiblesse et un décubitus sternal (incapacité à se lever seule). L’appétit est moyen et les contractions ruminales sont absentes. Un examen neurologique met en évidence la présence bilatérale du réflexe de clignement à la menace et l’absence de nystagmus (ce dernier est pourtant décrit par le vétérinaire référent). En revanche, des opsoclonies bilatérales sont notées, c’est-à-dire des mouvements involontaires, saccadés et anarchiques des deux globes oculaires et qui peuvent être rencontrés chez un animal sain sans atteinte nerveuse. Enfin, pendant un bref moment, la vache présente des mouvements de pédalage qui disparaissent spontanément.

Ce tableau clinique oriente en premier lieu vers une atteinte nerveuse, même si toute affection ayant des répercussions sur l’état général pourrait occasionner la même symptomatologie.

3. Examens complémentaires

En raison de l’état très dégradé de la vache, tous les examens complémentaires sont réalisés le lendemain de son hospitalisation.

Un examen biochimique sanguin révèle une glycémie dans les normes, une urée augmentée avec une créatinine normale, des protéines totales en limites hautes avec une albumine diminuée, associées à une hyperglobulinémie (signe d’infection) (tableau 1). Les paramètres hépatiques sont augmentés. Le calcium est légèrement bas (mais en considérant l’hypoalbuminémie, ce taux est normal) et le magnésium dans les normes.

Ponction du LCR

Une ponction du LCR est réalisée par voie lombo-sacrée. Le LCR recueilli est trouble, ce qui constitue un premier signe en faveur d’une méningite, car il est normalement limpide.

Il est soumis à des examens cytologique et bactériologique. Le premier est en faveur d’une méningite suppurée d’origine bactérienne en raison d’une proportion élevée de polynucléaires neutrophiles (90 %), associée à la présence de monocytes activés (5 %) et de quelques cellules méningées altérées. L’examen bactériologique (dont les résultats sont parvenus 10 jours plus tard) permet l’isolement de Pseudomonas aeruginosa. Un antibiogramme est réalisé (tableau 2).

Échographie

Les paramètres biochimiques hépatiques étant augmentés, une échographie abdominale hépatique est réalisée et met en évidence une hyperéchogénicité des canaux biliaires (photo 1). Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées : une infestation parasitaire, notamment la présence de la douve (aucune coproscopie n’a été effectuée), une atteinte hépatique d’origine métabolique, etc.

4. Traitements

Dès la réception des résultats de la cytologie du LCR, un traitement antibiotique à base de florfénicol (petite molécule lipophile choisie en raison de sa capacité à passer la barrière méningée) est instauré (Nuflor® 450 mg, 27 ml par voie intramusculaire en une administration quotidienne, soit 12 000 mg de florfénicol par injection), associé à un traitement antalgique pour calmer les plaintes de l’animal (acide tolfénamique, Tolfine® 15 ml par voie intraveineuse [IV] une fois par jour, soit 600 mg d’acide tolfénamique).

Un fasciolicide à base de triclabendazole est administré (Fascinex® 240, 30 ml par voie orale en une seule administration, soit 3 600 mg de triclabendazole), associé à un hépatoprotecteur (Ornipural® 100 ml IV en une seule administration).

5. Évolution

Une hypothermie modérée à sévère est constamment notée (température comprise entre 35,1 et 37,7 °C selon les moments) pendant les quelques jours d’hospitalisation de la vache, qui est incapable de se lever seule. Cela témoigne d’une dégradation progressive de l’état général de l’animal et est d’un pronostic sombre.

Dix jours après les premiers examens et un nouveau traitement, l’état de l’animal se détériore fortement : il reste en décubitus latéral, présente des pédalages assez fréquents, des mouvements erratiques de la tête et un nystagmus horizontal, conforme à la description initiale du vétérinaire référent. La décision de l’euthanasier est prise (T61® 50 ml IV).

6. Examen nécropsique

Le cœur présente une endocardite à la fois mitrale et tricuspide, végétante, chronique et modérée (photo 2).

Une polyarthrite touche les carpes et les grassets droits (photo 3).

Une hépatomégalie marquée est observée. Un échantillon de foie est prélevé et envoyé au service d’anatomopathologie de l’ENV d’Alfort. L’étude histologique montre un épaississement des canaux biliaires, conforme aux images détectées lors de l’examen échographique.

En raison de la législation française, qui interdit, depuis les épisodes d’encéphalite spongiforme bovine (ESB), la décérébration et l’ouverture de la boîte crânienne de tout animal âgé de plus de 2 ans (c’était le cas de cette vache âgée d’environ trois ans et demi), l’examen du cerveau et des méninges n’est pas réalisé.

7. Conclusion diagnostique

Cette vache présente une méningite suppurée bactérienne à Pseudomonas aeruginosa, associée à une endocardite mitrale et tricuspide et à une polyarthrite. La recherche bactériologique des agents pathogènes de l’endocardite et de la polyarthrite n’a pas été effectuée. Toutefois, l’hypothèse la plus probable est que la méningite a été une conséquence directe de l’endocardite à la suite du passage d’emboles bactériens dans la circulation. Cette affection peut également être envisagée comme la conséquence d’une ancienne mammite à Pseudomonas, à l’origine de l’endocardite et vraisemblablement aussi de la polyarthrite.

DISCUSSION

1. Méningo-encéphalites mineures

Les méningo-encéphalites sont des inflammations des méninges et de l’encéphale généralement dues à des bactéries ou à des virus, qui surviennent dans toutes les classes d’âge et surtout chez le nouveau-né. Ces affections sont rares à peu fréquentes et à caractère sporadique (des cas successifs sont rarement rencontrés dans un élevage). Leur pronostic est sombre et la létalité très élevée, même lors de traitement.

Les symptômes sont caractérisés par une hyperthermie souvent élevée en début d’évolution, associée à un arrêt de l’ingestion alimentaire. Le tableau clinique des symptômes nerveux est fruste, et inclut des troubles du comportement (pousser au mur, marche en cercle sans but, agressivité, etc.) et de l’état de vigilance (abattement jusqu’au coma ou, à l’inverse, hyperréactivité et convulsions), des modifications de l’attitude (opisthotonos), des troubles de la locomotion (ataxie, décubitus) et des mouvements anormaux (nystagmus, tremblements musculaires) [10]. L’évolution est différente selon la cause infectieuse. Les méningo-encéphalites à bactéries banales évoluent le plus souvent en quelques jours à une semaine, d’autres en symptômes latéralisés, comme dans la listériose.

Les agents pathogènes les plus fréquents et le plus souvent incriminés lors de méningo-encéphalite sont : Listeria monocytogenes, Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Histophilus sommni, Trueperella ( ex-Arcanobacterium) pyogenes [10]. Des cas de méningo-encéphalite due à Pseudomonas aeruginosa sont très rarement observés.

2. Diagnostic et examens complémentaires

Comme le tableau clinique est un peu équivoque, le diagnostic se fonde sur les analyses biochimique, cytologique et bactériologique du LCR. Le délai de la bactériologie est un peu long, mais c’est le seul examen qui permette d’identifier l’agent bactérien. La ponction du LCR est rarement effectuée sur le terrain, même si l’acte n’est pas difficile à réaliser, car elle demande des conditions drastiques d’asepsie et un délai maximal de 30 minutes entre l’acte et l’envoi du prélèvement au laboratoire (pour la bactériologie). Le prélèvement du LCR est obtenu par le biais d’une ponction lombo-sacrée (pas de différence cytologique ni biochimique entre le LCR obtenu par ponctions atlanto-occipitale et lombo-sacrée) [1]. Le diagnostic de méningite est confirmé par une réaction cellulaire défensive (plus de cinq éléments cellulaires/mm3) dans le LCR. Une réponse inflammatoire marquée par une quantité importante de polynucléaires traduit généralement une méningite bactérienne, surtout s’il existe une hypoglycorachie et une hyperalbuminorachie. À l’inverse et classiquement, une hyperlymphocytose a pour origine une méningite virale (avec la présence d’exceptions dans les deux cas) [3-5]. Ce diagnostic est validé par la recherche bactériologique et l’isolement de l’agent causal.

3. Méningo-encéphalite à Pseudomonas aeruginosa

Pseudomonas aeruginosa fait partie des espèces bactériennes dont l’habitat est le plus varié. Elle existe à l’état saprophyte dans l’eau, les sols humides ou à la surface des végétaux, et, à l’état commensal, dans l’intestin de l’homme et des animaux [2].

Cette bactérie est incriminée dans plusieurs infections : les mammites, les entérites, les infections respiratoires, les pneumonies, la surinfection des plaies, les infections génitales et les avortements [2]. La méningo-encéphalite peut survenir au cours ou après une de ces affections, la bactérie profitant d’une baisse d’immunité de l’organisme pour atteindre et envahir le système nerveux. Dans ce cas clinique, une éventuelle invasion du système nerveux par Pseudomonas est suspectée après un épisode de mammite due à ce même agent pathogène, car c’est l’affection la plus fréquente chez les bovins adultes laitiers [9].

4. Autres cas de méningo-encéphalites atypiques

L’origine bactérienne n’est pas la seule incriminée lors de méningo-encéphalite. Des virus habituels comme celui de la maladie des muqueuses (BVD), le virus de la bluetongue et de Schmallenberg, notamment, sont également en cause. Il existe des causes atypiques rarement décrites, telles que le virus de la maladie d’Akabane (en Australie, au Kenya et dans quelques pays d’Asie) et celui de la maladie de Wesselbron (Afrique du Sud) [7].

Les amibes libres ont également été associées à quelques cas de méningo-encéphalites atypiques décrites en Amérique du Sud (Brésil), dont Naegleria fowleri qui touche également les hommes et qui se définit comme la maladie des eaux chaudes stagnantes [8].

Conclusion

La méningo-encéphalite décrite dans ce cas est banale sur le plan clinique, mais originale sur celui de l’étiologie car elle est due à Pseudomonas aeruginosa. Elle peut être consécutive à une infection initiale de type mammite, entérite, ou à l’infection d’une plaie par ce même agent pathogène. En général, le pronostic lors de méningo-encéphalite est réservé, en dépit de la mise en place d’un traitement adapté.

Pour ce cas, un traitement à base de florfénicol a été mis en place, auquel cette souche de Pseudomonas est naturellement résistante (bactérie intrinsèquement multirésistante) [6]. Le fait que la vache soit demeurée en hypothermie et à terre depuis le début de son hospitalisation a nettement assombri le pronostic.

Références

  • 1. Corbière F. Les marqueurs de l’inflammation chez les bovins : nature, physiopathologie et intérêt diagnostique. Thèse d’exercice, ENVT. 2002:185p.
  • 2. Euzéby LP. Pseudomonas aeruginosa. Dictionnaire de bactériologie vétérinaire. 2004: http://www.bacterio.cict.fr/bacdico/pp/aeruginosa.html
  • 3. Feigin RD, Mc Craken GH, Klein JO. Diagnosis and management of meningitis. Pediatr. Infect. Dis. J. 1992;11: 785-814.
  • 4. Hart CA, Rogers TRF. Meningococcal disease. J. Med. Microbiol. 1993;39:3-25.
  • 5. Lasky L. Selectins: interpreters of cell-specific carbohydrate information during inflammation. Science. 1992;258:964-969.
  • 6. Mesaros N, Nordmann P, Pleisiat P et coll. Pseudomonas aeruginosa: resistance and therapeutic options at the turn of the millennium. Clin. Microbiol. Infect. 2007;13:560-578.
  • 7. Nietfeld JC. Neuropathology and diagnostics in food animals. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2012;28:515-534.
  • 8. Pimentel LA, Dantas AF, Uzal F et coll. Meningoencephalitis caused by naegleria fowleri in cattle of northeast Brazil. Res. Vet. Sci. 2012;93:811-812.
  • 9. Remy D. Les mammites de tarissement (Pseudomonas aeruginosa) Cours Esitpa 2002-2003. http://biosol.free.fr/liens/mammi_2004/les_mammites_bovines_tarissement.htm
  • 10. Schelcher R. Les méningo-encéphalites. Manuel pratique “Maladies des bovins”. 4e édition. Intitut de l’élevage. 2008:338-341.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les symptômes observés sont classiques d’une méningite : ataxie des membres postérieurs, nystagmus et hyperthermie.

→ Une recherche bactériologique sur une ponction de liquide céphalo-rachidien permet de diagnostiquer une méningo-encéphalite atypique due à Pseudomonas aeruginosa.

→ L’agent pathogène a pu envahir le système nerveux à la suite d’une infection en profitant d’une baisse d’immunité de l’organisme, à l’origine également de l’endocardite et de la polyarthrite associées, observées à l’examen nécropsique.

→ Le pronostic est sombre, surtout en cas d’abattement et d’hypothermie.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr