L’insémination programmée convient-elle aux éleveurs laitiers français ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 347 du 01/07/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 347 du 01/07/2014

REPRODUCTION BOVINE

Avis d’expert

Auteur(s) : Ellen Schmitt van de Leemput**, Frédérique Matignon****, Laurent Martin*****, Laurence Guilbert Jullien*******

Fonctions :
** Vetformance
Clinique vétérinaire Villaines-la-Juhel,
1, rue Pasteur
53700 Villaines-la-Juhel
**** Vetformance,
Clinique vétérinaire Haute-Mayenne,
39, rue Jules-Ferry
53100 Mayenne
***** Vetformance,
Clinique vétérinaire Haute-Mayenne,
39, rue Jules-Ferry
53100 Mayenne
******* Zoetis, France SAS,
23-25, av. du Dr Lannelongue
75668 Paris Cedex 14

L’insémination artificielle programmée testée dans la Mayenne garde de la conduite en bandes l’injection d’hormones à jour fixe, mais laisse aux vaches la possibilité d’y échapper et d’exprimer leurs chaleurs.

L’insémination à jour fixe dans la semaine n’est pas une nouveauté, mais est “devenue d’actualité” dans les cheptels français avec l’augmentation des effectifs. Les praticiens qui s’y sont essayés ces dernières années ou plus récemment affichent un certain prosélytisme [2]. Les protocoles évoluent vers davantage de pragmatisme, comme dans le programme imaginé récemment au sein de Vetformance, une structure de recherche appliquée intégrée en pratique rurale située dans la Mayenne. De quoi lever les doutes des plus récalcitrants “culturellement”. Ellen Schmitt, associée à trois autres vétérinaires ayant participé à l’étude Vetformance, expose ici les tenants et les aboutissants de la démarche transposée pour “nos” éleveurs [3].

QU’EST-CE QUI A GUIDÉ VOS ESSAIS SUR LE PROTOCOLE D’IA PROGRAMMÉE ?

Même avec une technique d’observation des chaleurs parfaite, toutes ne peuvent être visualisées. Des outils additionnels pour la gestion de la reproduction s’imposent. De préférence ceux qui ne conduisent pas à perdre l’information relative au taux d’expression des chaleurs. L’insémination artificielle (IA) programmée imaginée au sein de Vetformance en est un.

POURQUOI UN PROTOCOLE HORMONAL SIMPLIFIÉ À GP, PAR RAPPORT AU GPG ?

Le protocole hormonal de synchronisation fondé sur trois injections : deux gonadolibérines (GnRH, gonadotropin-releasing hormone) séparées d’une prostaglandine F2α (PGF2α), est bien connu (protocole GPG). Le protocole d’insémination “programmée” utilisé dans notre étude lui ressemble, mais ne comporte pas la dernière injection de GnRH, pour différentes raisons (protocole GP).

Les clients éleveurs qui ont participé à l’élaboration de la démarche conjointement avec les vétérinaires ont posé comme critère important que la réussite en IA ne baisse pas (le recours à une semence coûteuse car de haute qualité génétique ou sexée est fréquent). Or plusieurs études démontrent que la réussite en IA après un protocole GP avec insémination sur chaleurs observées est meilleure que celle obtenue après un GPG avec insémination à l’aveugle [1, 4].

Avec un GPG, l’insémination est “programmée” pour toutes les vaches en même temps, à l’aveugle, indépendamment de l’expression des chaleurs. Le moment choisi est optimal pour une vache “moyenne”, mais ne convient pas pour toutes. Un protocole GP consiste à privilégier le moment optimal pour chaque vache. Le prix à payer est d’observer les chaleurs pendant 48 heures (figure 1).

Sur un plan strictement vétérinaire, les taux de réussite en inséminations programmées dépendent du protocole choisi, mais surtout du nombre de vaches qui sont cyclées normalement au moment d’appliquer celui-ci.

Une vache en anœstrus vrai ne viendra pas en chaleur après l’administration des hormones. À l’aveugle, l’information sur la fréquence des anœstrus vrais est alors perdue. L’éleveur particulièrement affecté par ce phénomène risque d’en accuser le protocole, alors que le souci vient des animaux intrinsèquement.

COMMENT EXPLOITEZ-VOUS LES DONNÉES SUR LES CHALEURS DANS CE PROTOCOLE ?

Deux types de chaleurs sont distingués dans notre protocole. Les chaleurs naturelles, c’est-à-dire sans préparation hormonale, sont observées par les éleveurs pendant la phase de reproduction traditionnelle : le paramètre TRT (taux de reproductions traditionnelles) reflète à la fois leur expression et leur observation (figures 2 et 3).

Les chaleurs induites sont celles qui s’expriment après une préparation hormonale. Le taux de reproductions programmées (TRP) sert à les décrire. Il reflète davantage la capacité d’une vache à exprimer ses chaleurs. Un TRP bas signe vraisemblablement une perturbation dans la ration, les transitions alimentaires, le confort ou la maîtrise des maladies.

Le suivi dynamique de ces paramètres permet d’intervenir tôt pour améliorer une situation détériorée, qui est donc mise en évidence à la faveur de la mise en place du programme d’IA programmée.

Dans notre essai, les TRP sont élevés et comparables pour les trois élevages (71 %, 77 % et 82 %, respectivement). Ce résultat est sans doute biaisé par la connaissance que les éleveurs avaient de leur participation à une étude (figure 4). Les TRP diffèrent pour les trois cheptels (20 %, 86 % et 70 %, respectivement). Un phénomène d’anœstrus est observé surtout dans l’élevage 1.

POURQUOI UNE IA PROGRAMMÉE SEULEMENT EN SECONDE INTENTION ?

Le programme testé par Vetformance en conditions de terrain est fondé sur un protocole hormonal utilisé seulement en seconde intention. Différentes raisons expliquent ce choix.

→ D’un point de vue sociétal, le bien-être des animaux et la pureté des produits d’origine d’agricole sont réclamés. Introduire des traitements à base d’hormones massivement en élevage ne peut se justifier.

→ Techniquement, les élevages français ne nécessitent pas non plus une approche de la reproduction “toutes hormones”. Les effectifs moyens par cheptel laitier sont encore loin des 1 000 vaches “à l’américaine”.

→ Les prix des hormones sont plus élevés en France que dans les pays où les protocoles “IA programmée” ont, par le passé, été appliqués massivement. A priori, une hausse des dépenses de mise à la reproduction ne se justifie pas systématiquement dans le contexte actuel (elle peut toutefois s’imposer dans des cas bien particuliers).

→ Historiquement, les éleveurs français ont toujours accordé beaucoup d’importance à l’observation des chaleurs des animaux. Il ne s’agit pas de les en dissuader. La détection des signes d’œstrus constitue un premier palier pour des performances de reproduction satisfaisantes en élevage. L’observation des chaleurs, même si elle n’est pas exhaustive, permet de recueillir nombre d’informations sur le statut sanitaire du cheptel. Un taux d’expression des chaleurs élevé peut suggérer une ration alimentaire équilibrée, une bonne maîtrise du confort ou des maladies dans le troupeau [5].

L’IA PROGRAMMÉE A-T-ELLE DES SIMILITUDES AVEC LA CONDUITE EN BANDES ?

La démarche est moins systématique (seconde intention) et le protocole utilisé diffère.

La conduite en bandes est désormais souvent réservée aux lots de génisses, car leur fertilité est relativement élevée. Une IA pas exactement réalisée au bon moment peut néanmoins réussir. Pour des multipares en production, la fécondité est souvent moindre. Un protocole GP conduit à de meilleures performances. Inséminer strictement toutes les vaches le même jour n’a pas de réel intérêt en production laitière (conduite en bandes au sens strict). Des inséminations très rapprochées donnent des vêlages trop groupés (photo). Dans l’expérimentation décrite par Lars en 2013, ce phénomène est vécu comme problématique par l’éleveur. En particulier, gérer de nombreux vêlages en même temps est susceptible de perturber l’organisation de la traite et l’élevage des veaux [2].

L’IA programmée a surtout pour objectif de rester à jour en permanence avec les inséminations et que de petits groupes de vaches soient effectivement prêtes à être inséminées au moment où l’éleveur est disposé à le faire.

POURQUOI PAS UN PROTOCOLE “TOUT PROSTAGLANDINE” ?

Un protocole de conduite en bandes avec deux injections de prostaglandine F2α a été rapporté récemment en Bretagne­ [2]. Cette molécule agit sur le corps jaune, provoquant une dépression, alors que les gonadolibérines stimulent les follicules. La GnRH provoque une ovulation du follicule dominant ou sa lutéinisation. Dans un protocole GP, le corps jaune issu de la stimulation par la GnRH est détruit par l’injection de PG, qui survient une semaine plus tard.

Dans un protocole “tout prostaglandine”, les corps jaunes sont “synchronisés”, tandis que, avec une GnRH suivie d’une PGF2α, ce sont à la fois les vagues folliculaires et les corps jaunes qui le sont. Agir sur les deux aspects du cycle ovarien conjointement pour tout un lot d’animaux aboutit à des résultats collectivement plus précis au moment des chaleurs. Avec un protocole “tout prostaglandine” avec IA sur chaleurs observées, le temps d’observation est allongé. Réalisée à l’aveugle, l’IA tombe moins souvent au moment idéal que dans les protocoles qui démarrent par la GnRH.

À QUELS ÉLEVEURS LA DÉMARCHE VETFORMANCE S’ADRESSE-T-ELLE ?

L’IA programmée telle que nous l’avons conçue est destinée aux éleveurs qui souhaitent améliorer l’organisation de la reproduction dans leur cheptel. Le protocole testé dans le cadre de Vetformance permet de ne pas manquer des inséminations et évite qu’elles ne tombent quand l’éleveur ne le souhaite pas (par exemple, pendant le week-end). L’objectif premier est managérial, pas technico-économique.

La réussite de ce type de protocoles est conditionnée avant tout par le taux d’expression des chaleurs post-partum [5]. Les grands troupeaux sont les premiers intéressés car l’observation des animaux y est rendue plus difficile. Des élevages plus petits, mais qui fonctionnent avec de la main-d’œuvre salariée ou en pluriactivité sont aussi une cible (encadré).

COMMENT LA DÉMARCHE D’IA PROGRAMMÉE S’INTÈGRE-T-ELLE EN CLIENTÈLE DANS NOS CONTEXTES ?

Au sein des élevages de Vetformance, le protocole GP est d’ores et déjà intégré en routine. Certains clients l’utilisent systématiquement pour toutes les vaches pas encore inséminées au-delà de 80 à 90 jours après vêlage. Pour d’autres, il constitue un recours occasionnel, par exemple pour rattraper un retard à l’insémination lié à un surcroît de travail à l’extérieur ou dans des lots de génisses.

La démarche d’insémination sur la base d’injections systématiques d’hormones a été initiée par les vétérinaires parce que, culturellement, elle était encore inconcevable pour les éleveurs voilà quelques années.

Le client doit comprendre qu’il garde la responsabilité de la conduite d’élevage. Quand les traitements ne marchent pas, ce ne sont pas les hormones qui sont en cause, mais l’état des vaches à qui elles sont administrées.

Conclusion

La gestion des inséminations en deux phases, avec expression des chaleurs naturelles et induction des chaleurs hormonales, permet aux éleveurs de les planifier, sans perdre en taux de réussite à l’IA. La longueur et l’intensité des deux phases s’adaptent à chaque situation et à chaque élevage. Les paramètres TRT et TRP permettent un monitoring du taux d’expression et d’observation des chaleurs (suivi en permanence et en temps réel dans le troupeau). L’expression des chaleurs est un indicateur essentiel du bon fonctionnement d’un cheptel laitier et sa surveillance, un atout important pour le vétérinaire dans le cadre d’un suivi d’élevage.

Références

  • 1. Jobst SM, Nebel RL, McGilliard ML et coll. Evaluation of reproductive performance in lactating dairy cows with prostaglandin F2α, gonadotropin-releasing hormone, and timed artificial insemination. J. Dairy Sci. 2000;83:2366-2372.
  • 2. Lars F. L’organisation de la reproduction en élevage porcin appliquée aux bovins : témoignage. Journée vétérinaire bretonne. 2013.
  • 3. Schmitt E, Martin L, Matignon F et coll. Introduction d’un protocole d’insémination programmée dans les élevages laitiers français. Proceedings JNGTV Reims 21-23 mai 2014: 651-654.
  • 4. Stevenson JS, Kobayashi Y, Thompson KE. Reproductive performance of dairy cows in various programmed breeding systems including OvSynch and combinations of gonadotropin-releasing hormone and prostaglandin F2α. J. Dairy Sci. 1999;82:506-515.
  • 5. Thatcher WW, Wilcox CJ. Postpartum estrus as an indicator of reproductive status in the dairy cow. J. Dairy Sci. 1972.56:608-610.
  • 6. Vasconcelos JLM, Silcox RW, Rosa GJ et coll. Synchronization rate, size of the ovulatory follicle, and pregnancy rate after synchronization of ovulation beginning on different days of the estrous cycle in lactating dairy cows. Theriogenology. 1999;52:1067-1078.

Conflit d’intérêts

Zoetis a participé à l’étude sur l’insémination artificielle programmée à l’origine de cet article.

Points forts

→ Un protocole sans seconde injection finale de gonadolibérine (GP sans G) avec insémination sur chaleurs observées a été privilégié car la réussite qui en est attendue est meilleure.

→ Un protocole GP-P a été préféré à deux injections de PGF A car la synchronisation des ovulations est meilleure grâce à l’effet de synchronisation des vagues folliculaires liée à l’injection de GnRH.

→ Pour suivre les résultats de ce protocole, deux indicateurs sont utilisés, reflétant l’expression et l’observation des chaleurs.

ENCADRÉ
L’insémination artificielle sur rendez-vous arrive à maturité

→ Le concept d’insémination programmée a 40 ans. Il est né avec l’amplification de l’accroissement de la taille des cheptels aux États-Unis. Les protocoles imaginés constituaient une réponse proactive au besoin d’une gestion systématique de la reproduction en élevage bovin.

Diverses modalités ont été décrites et testées, pour répondre à la demande des élevages laitiers et allaitants. Par exemple, le célèbre protocole GPG (deux injections de gonadolibérine séparées d’une injection de prostaglandine) a été exposé par Vasconcelos et coll. il y a 15 ans [6]. Le recours systématique à ces programmes permet des inséminations sur rendez-vous sans observation des chaleurs. Fondés sur l’utilisation des gonadolibérines et de la PGF2α dans un ordre spécifique, certains incluent aussi les progestagènes. Les taux de réussite en IA obtenus dans les divers essais sont assez équivalents.

→ Inséminer à l’aveugle à un moment fixé après l’heure d’ovulation, qui n’est que présumée, conduit à une détérioration du taux de réussite par rapport à l’IA sur chaleurs observées sans préparation hormonale [1, 4]. L’ère de l’insémination programmée sur chaleurs observées a alors commencé, avec toujours pour base l’emploi séquentiel de diverses hormones (par exemple GP). L’insémination redevient une décision à l’échelle de l’individu, et non un acte collectif. Les séquences hormonales sont destinées à réduire la fenêtre d’observation des chaleurs (aux alentours de 36 heures). Les taux de réussite en insémination s’en trouvent augmentés d’environ 15 %, avec des variations selon les études [1]. La seconde injection de GnRH est épargnée, en contrepartie du temps passé à observer les chaleurs.

→ Désormais, chaque éleveur est à même de choisir l’une ou l’autre des stratégies selon ses objectifs.

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