Traitement des douleurs neuropathiques - Le Point Vétérinaire n° 346 du 01/06/2014
Le Point Vétérinaire n° 346 du 01/06/2014

ANALGÉSIE

Dossier

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire, 8, rue des Culquoilès,
La Croix-Michaud, 17630 La Flotte-en-Ré
Clinique vétérinaire, 9, avenue du Général-de-
Gaulle, 17410 Saint-Martin-de-Ré

Le praticien dispose de plusieurs options dans le traitement des douleurs neuropathiques. Le propriétaire doit être impliqué dans l’évaluation et le suivi de la douleur afin de maintenir une bonne qualité de vie pour l’animal.

Les mécanismes physiopathologiques des douleurs neuropathiques (DN) sont susceptibles de représenter autant de cibles pharmacologiques potentielles afin de :

– diminuer l’excitabilité via les modulateurs des canaux ioniques ;

– lutter contre la sensibilisation périphérique des nocicepteurs ;

– lutter contre la sensibilisation centrale ;

– renforcer les contrôles inhibiteurs descendants ;

– déjouer l’activation microgliale (figure 1).

Cependant, les traitements actuels présentent une efficacité modérée sur les DN et ne sont pas exempts d’effets indésirables.

La prévention est donc particulièrement bénéfique, notamment pour limiter la survenue des douleurs chroniques postopératoires à composante neuropathique, et s’illustre par le respect des règles de la chirurgie atraumatique : privilégier les voies d’abord les moins délabrantes, concilier la longueur des incisions et l’écartement des parois, protéger les structures nerveuses, réhydrater les tissus et maîtriser le temps opératoire (photo 1).

1 Traitements pharmacologiques

Les DN ne répondent pas ou très peu aux antalgiques de palier 1 (anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]). Les recommandations en médecine vétérinaire s’appuient sur des données d’efficacité connues chez l’homme et extrapolées aux animaux de compagnie. Une évaluation rigoureuse de la douleur et du rapport bénéfice/sécurité d’emploi doit accompagner l’ajustement des doses à l’animal douloureux, en tenant compte des comorbidités associées : anxiété, dépression, agressivité, troubles du sommeil, etc.

Gabapentinoïdes

Les gabapentinoïdes sont des antiépileptiques qui représentent, avec les antidépresseurs, la principale classe pharmacologique utilisée et validée chez l’homme dans la prise en charge des DN diabétiques, fantômes, postzostériennes ou cancéreuses.

La gabapentine est un analogue cyclique de l’acide gamma-amino-butyrique (Gaba) et la prégabaline en est un analogue structural.

Leur mécanisme d’action résulte d’une synergie complexe entre un blocage des canaux calciques voltage-dépendants, une atténuation de l’électrogenèse ectopique au niveau des lésions nerveuses, une élévation modérée des concentrations synaptiques du Gaba et un antagonisme des récepteurs au glutamate AMPA (acide α-amino-3-hydroxy-5-méthylisoazol-4-propionique) et NMDA (N-méthyl-D-aspartate) [2].

Les effets bénéfiques de la gabapentine et de la prégabaline sur les troubles anxieux, souvent associés à la douleur chronique, contribuent à leur efficacité en analgésie [3]. Les gabapentinoïdes réduisent l’intensité des accès douloureux paroxystiques. Ils diminuent l’allodynie au froid, l’allodynie mécanique, l’hyperalgésie des douleurs nociceptives et l’hyperalgésie thermique. Ces propriétés d’antisensibilisation centrale peuvent être utilisées avec profit dès qu’une chronicisation de la douleur s’installe. Chez le chien, la gabapentine administrée par voie orale est rapidement absorbée.

Chez l’homme, elle est presque entièrement excrétée par les reins, alors que, chez le chien, elle est partiellement métabolisée dans le foie.

La demi-vie d’élimination chez le chien est de 2 à 4 heures, ce qui impose trois ou quatre prises quotidiennes pour maintenir des concentrations sériques efficaces [23].

Chez le chien, la gabapentine est prescrite à la dose de 5 à 10 mg/kg, deux ou quatre fois par jour, et peut être progressivement augmentée à 20 mg/kg deux ou quatre fois par jour.

L’efficacité ne semble pas corrélée avec l’utilisation de fortes doses car la concentration plasmatique maximale obtenue n’est pas proportionnelle à la dose administrée (diminution de biodisponibilité liée à l’augmentation de celle-ci). En revanche, les effets secondaires (sédation excessive, ataxie, prise de poids) sont majorés [11].

Chez le chat, les doses recommandées varient de 5 à 10 mg/kg deux fois par jour [13].

Chez le chat, la gabapentine présente l’intérêt d’un effet orexigène : prescrite à la dose de 5 mg/kg, elle permet une reprise rapide de l’alimentation après une intervention chirurgicale dans cette espèce incapable d’épargner l’azote et de s’adapter à un apport protéique diminué [24].

Les bénéfices attendus sont donc d’éviter un jeûne prolongé toujours préjudiciable et d’offrir une analgésie multimodale en complément des morphiniques.

Chez l’homme, la gabapentine prévient la survenue de douleurs postchirurgicales car sa prémédication (600 à 1 200 mg per os 2 heures avant l’opération) réduit les douleurs (spontanées et provoquées) et les consommations de morphiniques (30 à 60 % d’épargne). Un effet anxiolytique bénéfique a été observé [4].

Une interaction synergique entre la morphine et la gabapentine a été démontrée chez l’animal dans des modèles de douleurs neuropathiques [17].

Ainsi, les chirurgies susceptibles de provoquer l’apparition de DN (ablation d’une chaîne mammaire, hernies, thoracotomies, etc.) pourraient s’accompagner d’une administration préopératoire de gabapentine (10 mg/kg), 2 heures avant l’opération.

Dans les modèles animaux, la prégabaline possède une activité analgésique supérieure à celle de la gabapentine, en raison d’une affinité supérieure pour les canaux calciques présynaptiques. Présentant également moins d’effet sédatif, la prégabaline est préconisée à la dose de 2 à 4 mg/kg, per os deux fois par jour [9].

Antidépresseurs

Les processus de douleurs et de dépressions font intervenir des neurotransmetteurs (monoamines), des voies de communication et des structures cérébrales communes (cortex cingulaire antérieur, tronc cérébral, amydale). Les noyaux du raphé et le locus coeruleus localisés dans le tronc cérébral envoient des projections ascendantes vers le système limbique (siège des émotions) et descendantes vers la moelle épinière (contrôles inhibiteurs de la douleur).

Cette union neurobiologique se double d’un lien épidémiologique. La dépression est la comorbidité psychiatrique la plus fréquente dans les cas de douleur chronique et/ou neuropathique chez l’homme. La plainte douloureuse est retrouvée chez 75 % des patients déprimés et, lors d’un épisode dépressif majeur, le patient peut avoir une interprétation alarmiste des sensations corporelles (“catastrophisme”), aboutissant à une amplification de la perception douloureuse [5].

Chez les animaux de compagnie, le recueil des commémoratifs par un interrogatoire soigneux du propriétaire révèle très souvent des modifications comportementales sous la forme d’une anxiété ou d’une dépression, altérant la qualité de vie de l’animal.

L’utilisation des antidépresseurs tricycliques (AD3C) est préconisée depuis une cinquantaine d’années et leur efficacité antalgique (50 % des cas en médecine humaine) est objectivée par de nombreuses études.

Chez l’homme, plusieurs observations cliniques ont montré que les antidépresseurs présentent une activité analgésique propre indépendante de leur effet thymoanaleptique [18].

L’action analgésique est d’apparition plus rapide (de 3 à 7 jours) que l’action antidépressive (de 14 à 21 jours) et survient à des doses plus faibles :

– des patients douloureux chroniques, sans dépression associée, ont été soulagés ;

– des patients douloureux chroniques, avec une dépression associée, ont vu leur douleur soulagée, mais pas leur dépression.

La classification des antidépresseurs est fondée sur les différentes modulations de la transmission mono-aminergique (tableau 1).

Trois principaux mécanismes d’action restaurent les concentrations de mono-amines dans le système nerveux central (SNC) : l’inhibition de leur dégradation enzymatique par la mono-oxydase (IMAO), l’inhibition de leur recapture (inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine [IRSN], spécifiques de la noradrénaline [ISRN], de la sérotonine [ISRS]) et le blocage de récepteurs (antagoniste des récepteurs α2-adrénergiques, mirtazapine).

L’activité analgésique des antidépresseurs est liée à la double inhibition du recaptage des deux mono-amines (noradrénaline et sérotonine). Ainsi, les IRSN (amitriptyline, clomipramine, venlafaxine et duloxétine) sont plus efficaces que les ISRN, eux-mêmes l’étant davantage que les ISRS (fluoxétine et fluvoxamine).

La sérotonine joue un rôle complexe dans la douleur. La noradrénaline est antalgique dans les contextes de douleur aiguë (analgésie induite par le stress et l’activation sympathique) et lors de chronicisation de la souffrance via les contrôles inhibiteurs descendants.

ANTIDÉPRESSEURS TRICYCLIQUES IMIPRAMINIQUES AD3C

Les AD3C sont actifs sur le fond douloureux permanent. La clomipramine est prescrite chez le chien à la dose de 1 à 2 mg/kg, deux fois par jour. La dose employée chez le chat est de 0,5 mg/kg une fois par jour.

L’effet sédatif obtenu à la dose de 2 à 4 mg/kg peut être proposé en phase postopératoire chez des chiens fortement agités et suspects de douleurs neuropathiques. L’amitryptyline Laroxyl®(1), recommandée à la dose de 3 à 5 mg/kg chez le chat, a montré une efficacité sur des douleurs post-traumatiques de la queue, exprimées par une automutilation [15].

Les AD3C ont fait preuve d’une certaine efficacité dans des dermatites de léchage et des cas d’autophagie reliés à des douleurs neuropathiques.

Les effets secondaires des AD3C sont plus fréquemment rencontrés chez le chat, et sont liés au blocage des récepteurs cholinergiques muscariniques (constipation, sécheresse des muqueuses, rétention urinaire, etc.), histaminiques H1 (somnolence) et α1-adrénergiques (bradycardie et hypotension).

La duloxétine Cymbalta®(1) (60 mg/j) est recommandée en première intention pour le traitement des polyneuropathies diabétiques douloureuses chez l’homme. Non documentée dans l’espèce canine, cette molécule pourrait être prescrite en cas de douleurs rebelles du chien diabétique, mais les doses restent à définir.

INHIBITEURS SPÉCIFIQUES DE LA RECAPTURE DE LA SÉROTONINE

Chez l’homme, les résultats des études contrôlées sont contradictoires et insuffisants pour justifier la préconisation d’ISRS chez les patients douloureux chroniques. En effet, la sérotonine exerce un contrôle facilitateur ou inhibiteur sur la douleur, selon le type de récepteur activé. La fixation de la sérotonine sur les récepteurs excitateurs 5-HT2 et 5-HT3 contribue à la formation de la soupe inflammatoire (l’ensemble des médiateurs libérés au cours des stimuli nociceptifs constitue une soupe inflammatoire riche d’ingrédients, impliqués dans des cascades d’événements qui sensibilisent les nocicepteurs périphériques et installent des cercles vicieux de vasodilatation, d’inflammation et de douleur) et à la sensibilisation périphérique des nocicepteurs. L’utilisation d’un antagoniste 5-HT2 dans des modèles expérimentaux de douleurs neuropathiques induites par la vincristine les réduit significativement.

La fixation de la sérotonine sur les récepteurs inhibiteurs 5-HT1 localisés dans le noyau raphé médian (tronc cérébral) active les contrôles inhibiteurs descendants, participant à l’atténuation de la sensation douloureuse. Les tryptans, agonistes 5-HT1, sont recommandés en première intention chez l’homme pour le traitement de la migraine et de l’algie vasculaire de la face.

Ainsi, dans une séquence douloureuse, la sérotonine peut revêtir les habits tour à tour du “gentil Dr Jekyll” (propriétés antalgiques via les récepteurs 5-HT1) et du “méchant Mr Hyde” (propriétés pronociceptives via les récepteurs 5-HT2 et 5-HT3) (figure 2).

Chez les animaux de compagnie, la chronicité des lésions peut conduire à des séquences d’agression et à une source constante de stress, à l’origine de l’épuisement des capacités de régulation neuro-endocriniennes.

La douleur et l’agressivité partagent un même neuromédiateur, la substance P, et certaines interleukines à action centrale.

L’agressivité permet à l’animal de se soustraire aux contacts nociceptifs ou non, aux tentatives de soins, et de défendre une illusion d’accalmie face à la douleur qui le submerge. L’apparente efficacité de ce repli le conforte à reproduire plus systématiquement morsures et griffades (renforcement du comportement) pour entrer dans la dangerosité de l’instrumentalisation (disparition des séquences de menace et d’apaisement au profit d’une phase consommatoire de plus en plus violente).

Le déficit en sérotonine participe aussi à l’aggravation de la composante affectivo-émotionnelle et à l’apparition d’une anxiété et/ou d’une dépression.

Un cercle vicieux peut alors s’installer car la dépression est elle-même une source d’hypersensibilité à la douleur. Pour rompre les enchaînements délétères douleur-agression, douleur-dépression et dépression-douleur, afin de moduler la composante affectivo-émotionnelle et, surtout, les séquences d’agression, la fluoxétine Reconcile® (2 à 4 mg/kg une fois par jour chez le chien, 1 mg/kg une fois par jour chez le chat) ou la fluvoxamine Floxyfral®(1) (2,5 mg/kg deux fois par jour chez le chien, 1 mg/kg deux fois par jour chez le chat) peuvent être prescrites, sous couvert d’une évaluation régulière de la douleur.

L’association de la séléginine ou du tramadol avec les AD3C est contre-indiquée en raison d’un risque d’excès de sérotonine (syndrome sérotoninergique), alliant une rigidité musculaire, une agitation, des myoclonies, une hyperréflexie et des convulsions.

INHIBITEURS DE LA MONO-OXYDASE

Les IMAO A et B ne possèdent pas d’action analgésique. La séléginine (IMAO B) a des propriétés dopaminergiques et antioxydantes. Elle pourrait être intéressante en cas de forte comorbidité dépressive (dépression d’involution) ou de syndrome confusionnel associé à la douleur, aux doses de 0,5 mg/kg une fois par jour chez le chien et de 1 mg/kg une fois par jour chez le chat [observation personnelle].

ANTAGONISTES α2-ADRÉNERGIQUES

La mirtazapine Norset®(1) est un antagoniste des récepteurs présynaptiques α2 qui augmente la libération de noradrénaline et de sérotonine, et présente ainsi des propriétés antidépressives comparables aux AD3C. Elle est utilisée dans le traitement de la fibromyalgie chez l’homme [24]. La mirtazapine est également un antagoniste du récepteur 5-HT3 responsable du vomissement, et présente ainsi des effets antiémétiques, antinauséeux et orexigènes [21].

Ces propriétés justifient la prescription, dans nos cliniques vétérinaires, de mirtazapine en phase postopératoire ou en médecine interne, lorsque le contexte clinique suggère des situations douloureuses et/ou anxiogènes, source d’anorexie (1 à 2 mg/kg deux fois par jour chez le chien, 0,75 mg en dose unique deux fois par semaine chez le chat).

Anxiolytiques

La peur et l’anxiété intermittente peuvent accompagner les DN. Dénuées d’action antalgique, les benzodiazépines (BZD) ne sont pas recommandées pour traiter les douleurs chroniques continues, mais elles peuvent être prescrites pour prendre en charge l’agitation, les spasmes musculaires, l’anxiété et, plus rarement, la panique associés aux accès de fulgurance : alprazolam Xanax®(1) à la dose de 0,02 à 0,04 mg/kg deux fois par jour chez le chien. L’action désinhibitrice des BZD contre-indique leur emploi si un risque d’état agressif se présente.

Le clonazépam Rivotril®(1) aux propriétés sédatives et anxiolytiques marquées est très souvent prescrit pour les DN en médecine humaine malgré l’absence de preuve d’efficacité. Il pourrait avoir un intérêt pour les chiens douloureux présentant des troubles du sommeil ou une anxiété paroxystique (0,05 à 1 mg/kg/j).

α2-agonistes

L’activation des récepteurs adrénergiques par les á2-agonistes (médétomidine) inhibe l’excitabilité neuronale par suppression des courants calciques entrants et procure une analgésie à des doses infra-anesthésiques (5 µg/kg).

Les récepteurs noradrénergiques α2 se situent au niveau du SNC (cortex, thalamus, locus coeruleus, corne dorsale de la moelle épinière).

L’action analgésique des α2-agonistes est à relier à la réduction des concentrations synaptiques de peptides excitateurs par hyperpolarisation des neurones limitant l’exocytose des neurotransmetteurs, au renforcement des contrôles inhibiteurs descendants et à la réduction d’activité du couplage sympathique [1].

Les effets sédatifs et myorelaxants complètent utilement ces qualités analgésiques au cours des accès paroxystiques de certaines DN post-traumatiques.

Les effets secondaires (vasoconstriction périphérique, bradypnée, bradycardie et troubles du rythme cardiaque) sont dose-dépendants et rarement observés aux doses analgésiques. L’hypoxémie est la conséquence la plus grave, mais elle semble limitée lors de l’utilisation de très faibles doses (5 µ/kg).

En association avec la morphine, et particulièrement chez le sujet âgé, le risque est cependant majoré : un monitoring par oxymétrie de pouls et l’insufflation nasale d’O2 sont alors recommandés.

À cette dose, les études montrent la persistance du pouls métatarsien et des mesures normales de lactatémie, ce qui atteste de l’absence d’hypoxie tissulaire [6 bis].

Enfin, il est nécessaire de tenir compte d’une action analgésique plus courte que l’effet sédatif, et ainsi ne pas sousestimer la réapparition possible d’une douleur chez un animal sédaté.

Les douleurs neuropathiques sévères sont traitées chez les chiens et les chats hémodynamiquement stables par un bolus de 2 à 5 µg/kg, suivi d’une CRI (perfusion à débit constant) de 2,5 µg/kg/h.

Opioïdes

L’efficacité des traitements morphiniques est établie sur les DN périphériques, mais reste controversée sur les DN centrales. Le recours à des morphiniques puissants à fortes doses est responsable d’effets secondaires (sédation, vomissements, constipation, rétention urinaire), de mécanismes d’échappement (tolérance), de dépendance (peu décrite chez l’animal) et, dans les contextes périopératoires, d’une hyperalgésie liée aux opioïdes.

La prévention de cette hyperalgésie s’appuie sur l’utilisation de médicaments à visée anti-hyperalgésique (anti-NMDA) et de toute méthode enrichissant la notion d’épargne morphinique : kétamine, gabapentine, α2-agonistes, anesthésie locorégionale.

Les accès paroxystiques sont traités en urgence chez des animaux hospitalisés par des bolus de fentanyl à la dose de 5 µg/kg (diviser les doses par deux chez le chat), d’une durée d’action brève de 20 minutes, ou de méthadone (effet anti-NMDA supplémentaire) à la dose de 0,3 mg/kg. Une perfusion à débit constant est réalisée à l’aide d’un pousse-seringue, en respectant les doses de 5 µg/kg/h pour le fentanyl et de 0,2 mg/kg/h pour la méthadone.

Dans certains cas, l’arrêt des perfusions de morphiniques suscite des rechutes violentes malgré les tentatives d’accompagnement par les coanalgésiques.

Une solution transdermique de fentanyl Recuvyra® déposée à l’aide d’un adaptateur spécifique sur la peau, entre les deux épaules, à la dose de 2,6 mg/kg délivre, après 2 à 4 heures et pendant au moins 4 jours, une concentration plasmatique analgésique efficace et continuede 0,2 à 3 ng/ml (utilisation hors autorisation de mise sur le marché [AMM]).

Ce couloir analgésique permet une rémission durable de la douleur, sans pic algique, source d’une hypersensibilisation et de nouvelles crises.

L’administration orale de morphinique est recommandée pour la prise en charge des accès douloureux au domicile du propriétaire, mais un premier passage hépatique, une absorption aléatoire et la transformation modérée en métabolites actifs expliquent une très faible biodisponibilité à l’origine de résultats décevants.

L’oxycodone est un opioïde fort agoniste µ, δ et κ, deux fois plus puissant que la morphine, bénéficiant d’une meilleure biodisponibilité chez le chien, donc d’une efficacité supérieure (palier III) [19].

Les comprimés orodispersibles sont absorbés par voie transmucosale et évitent un premier passage hépatique. Ils peuvent être glissés et maintenus quelques secondes sous la babine, aux doses de 0,1 à 0,3 mg/kg trois fois par jour. L’oxycodone est recommandée en seconde intention après un échec avec le tramadol ou en première intention selon la sévérité des crises douloureuses.

L’utilisation des opioïdes est soumise à une réglementation stricte, assortie pour la solution transdermique de fentanyl de l’obligation d’une formation préalable. Ces règles doivent être respectées pour garantir la sécurité de l’équipe soignante et du propriétaire, et prévenir les risques de détournement.

Le tramadol est un agoniste des récepteurs ì de faible affinité et qualifié d’analgésique de palier II. Sa particularité d’inhiber la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, venant renforcer les contrôles inhibiteurs descendants, ne diminue pas les comorbidités associées aux DN chez l’homme.

Chez l’homme, l’efficacité du tramadol a été établie dans les polyneuropathies sensitives [7].

La dose préconisée est de 3 à 5 mg/kg deux ou trois fois par jour chez le chien et de 1 à 2 mg/kg deux fois par jour chez le chat. Une titration est souvent nécessaire pour limiter les effets secondaires de sédation (fréquents) et de dysphorie (plus rares).

Anti-NMDA

En raison de leur rôle essentiel dans le développement de la sensibilisation centrale après une lésion nerveuse, les antagonistes des récepteurs NMDA (N-méthyl-Daspartate) ont été proposés dans le traitement des douleurs neuropathiques.

La kétamine bloque les récepteurs NMDA et montre ainsi des propriétés antihyperalgésiques à doses faibles, inférieures à 0,5 mg/kg (dix fois moindres que les doses anesthésiques).

D’autres propriétés prometteuses font l’objet d’études in vitro : action anti-inflammatoire sur les cellules gliales (diminution des prostaglandines PGE2 et du tumor necrosis factor ou TNF), prévention du choc septique (inhibition des cytokines), etc.

L’effet analgésique dure longtemps, au-delà de cinq demivies du produit.

Au cours des accès paroxystiques, une perfusion continuede kétamine (0,5 mg/kg/h) précédée d’un bolus de 0,5 mg/kg diminue les scores de douleur, permet une épargne morphinique (20 à 50 %) et prévient l’hyperalgésie aux opioïdes.

L’amantadine est un agent antiviral qui a une action dopaminergique et antagoniste faible des récepteurs NMDA. Elle est utilisée dans le traitement de la maladie de Parkinson. En maintenant les récepteurs NMDA fermés et en bénéficiant de l’action de la dopamine dans la modulation de la douleur, l’amantadine a été efficace chez l’homme dans les neuropathies diabétiques et cancéreuses contre la douleur spontanée et l’allodynie mécanique.

Elle peut être prescrite pour la gestion des DN dues à de l’arthrose et au cancer à la dose de 3 à 5 mg/kg une fois par jour chez le chien et de 3 mg/kg une fois par jour chez le chat [12].

Anesthésiques locaux

La lidocaïne supprime les décharges ectopiques issues de la multiplication et de la migration des canaux sodiques au niveau des terminaisons nerveuses libres. Elle a un effet analgésique par voie systémique (action centrale anti-NMDA ?), avec une efficacité prouvée chez l’homme sur la douleur spontanée, l’allodynie et l’hyperalgésie mécanique des DN centrales et périphériques. La durée de l’effet analgésique est controversée (de quelques heures à plusieurs jours selon les études).

La lidocaïne est associée au fentanyl et à la kétamine pour la prise en charge des accès paroxystiques : un bolus de 2 mg/kg suivi d’une perfusion à 2 mg/kg/h.

L’efficacité analgésique d’applications de topiques anesthésiques tels que la lidocaïne a été démontrée dans les névralgies postzostériennes de l’homme (disparition des douleurs spontanées et de l’allodynie mécanique sans perte de la sensation tactile, donc sans effet anesthésique). Chez le chien, une étude montre que la pose de deux patches de lidocaïne pendant 3 jours de part et d’autre de la ligne blanche est bien supportée localement, sans effet secondaire grâce à une absorption minimale. Les concentrations maximales de lidocaïne, 24 heures après la pose du patch, étaient variables mais toujours inférieures à 100 ng/ml et chutaient rapidement après le retrait du dispositif [10].

Le patch de lidocaïne à 5 % (Versatis®(1)) 10 × 14 cm contient 700 mg de médicament. Il peut être appliqué au plus près du site douloureux pendant 8 à 12 heures par jour, sur une durée de 3 à 5 jours chez le chien et le chat, sans effet systémique toxique, avec parfois des signes modérés de rougeur locale [observation personnelle]. Il convient de garantir la protection du dispositif car des signes de toxicités nerveuse et cardiaque (bradycardie, hypotension) peuvent apparaître à la suite de l’ingestion de patchs (tableau 2, photos 2 et 3) [10].

La crème EMLA 5 %(1) (lidocaïne + prilocaïne) n’est pas recommandée car elle produit un effet anesthésique chez des individus présentant déjà des troubles de l’esthésie.

Capsaïcine

La capsaïcine est un agoniste hautement sélectif du récepteur TRPV1 (transient receptor potential vanilloid 1), canal transducteur activé par les stimuli thermiques et le piment. Dans un premier temps, une exposition de 30 à 60 minutes à la capsaïcine à forte concentration (8 %) excite le TRPV1 et donne une sensation de brûlure sans lésion associée. Dans un second temps, l’hyperstimulation des récepteurs provoque leur désensibilisation par déplétion des neuropeptides vaso-actifs, et diminue l’allodynie et la sensibilité thermo-algique tout en préservant la sensibilité tactile. Le patch Qutenza®(1) est indiqué pour le traitement des DN périphériques non diabétiques de l’homme, et doit être appliqué par un personnel formé en raison de la surveillance nécessaire de la pression artérielle et de la tolérance locale. Aucune donnée n’est actuellement disponible chez le chien.

2 Traitements non pharmacologiques

Neurostimulation transcutanée et acupuncture

La neurostimulation électrique transcutanée (transcutaneous electrical nerve stimulation, TENS) est efficace sur la DN périphérique et les lésions nerveuses post-traumatiques. Elle est utilisée chez l’homme en cas de radiculalgie persistante.

Le TENS conventionnel renforce les contrôles segmentaires (gate control) et suppose donc l’intégrité des fibres tactiles Aá et Aâ. Un courant de haute fréquence (100 Hz) et de faible intensité procure une analgésie localisée et de courte durée via des interneurones inhibiteurs opioïdergiques. L’électrostimulation est efficace dans 60 à 70 % des douleurs neuropathiques dont les territoires sont donc limités à une racine ou à un tronc nerveux.

Les électrodes sont posées en loco dolenti (sur le site de la douleur) ou à distance (trajet nerveux, point gâchette, etc.)

En stimulant les fibres tactiles Aα et Aβ, l’acupuncture renforce elle aussi les contrôles segmentaires. Mais elle emprunte également les voies nociceptives depuis les fibres Aδ et C jusqu’aux structures bulbaires, sièges des contrôles inhibiteurs descendants, où elle active le système opioïde endogène et déprime le système dopaminergique.

L’acupuncture et l’électro-acupuncture constituent des techniques physiques émergentes avec des niveaux de preuve intéressants et des présomptions d’efficacité pour certaines DN humaines.

Antalgie interventionnelle

En médecine humaine, 30 % des DN, toutes causes confondues, répondent insuffisamment aux thérapeutiques conventionnelles.

Les blocs anesthésiques permettent une approche antalgique sélective car ciblée sur une zone anatomique définie. Ils concernent les afférences somatiques (blocs sciatiques, fémoraux, radiculaires, du trijumeau, etc.) ou celles qui cheminent à travers les plexus nerveux sympathiques. Dans ce dernier cas, les blocs diminuent l’excès de nociception afférente et l’inflammation entretenue par les efférences du système autonome.

La neurochirurgie humaine est dite lésionnelle par la destruction de régions très circonscrites de structures impliquées dans la transmission des messages douloureux : blocs neurolytiques par un agent chimique (alcool à 90°), thermocoagulation du ganglion de Gasser pour la névralgie faciale, drézotomie ou microchirurgie de la zone d’entrée des racines nerveuses dorsales dans la moelle épinière pour les avulsions plexiques.

La neurostimulation électrique de la corne dorsale de la moelle épinière est réservée aux DN humaines très invalidantes.

La réalisation de blocs nerveux des membres thoraciques et pelviens est possible en médecine vétérinaire par l’apport combiné de la neurostimulation et de l’échographie [14]. Développées par notre confrère Stephan Mahler, ainsi que dans le livre de référence de Luis Campoy pour la gestion des douleurs péri-opératoires, ces techniques d’anesthésie locorégionale peuvent être étendues à la prise en charge des DN tronculaires rebelles [3 bis].

Laser

Sur un modèle expérimental de douleur neuropathique (constriction serrée du nerf sciatique), des irradiations d’une longueur d’onde de 660 nm, appliquées durant 2 semaines, ont augmenté significativement les seuils douloureux mécaniques et thermiques [16].

La réduction des taux d’interleukines pro-inflammatoires et du facteur de nécrose tumorale α (TNFα), et l’amélioration des seuils de retrait du membre et des indices fonctionnels sciatique, tibial et fibulaire ont été objectivées dans des modèles de striction lâche du nerf sciatique [8]. Le zona et la névralgie postherpétique peuvent être consécutifs au virus de la varicelle, et provoquer des DN humaines particulièrement difficiles à soulager.

La thérapie laser (laser à diodes galium-aluminium-arsenide 660 nm et 840 nm) a permis de réduire de 40 à 95 % l’intensité douloureuse de ces névralgies invalidantes [22].

Nous avons traité avec succès deux cas :

– un épagneul breton âgé de 5 ans atteint de coxarthrose bilatérale sévère, aux très faibles répercussions fonctionnelles malgré une activité de chasse soutenue, mais présentant depuis 1 an des crises paroxystiques quasi quotidiennes décrites par le propriétaire comme des décharges électriques. Les AINS et les anti-NMDA n’ont pas donné de résultats satisfaisants. La gabapentine (5 mg/kg deux fois par jour pendant 15 jours) a été associée à des irradiations laser (660, 800 et 970 nm) appliquées en balayage (mode continu et intense super pulse 1 à 200 Hz) en suivant les méridiens vésicule biliaire et vessie et en position statique (mode intense super pulse 500 à 5 000 Hz). La rémission a été rapide (1 semaine) et durable (10 mois à ce jour) avec des séances laser poursuivies selon une fréquence mensuelle ;

– un berger allemand âgé de 12 ans avec une plaie caudale d’automutilation, d’évolution particulièrement longue (plusieurs années) et rebelle à tout traitement, qui a été guérie par la succession de six séances laser (mode blessure chronique privilégiant les hautes fréquences de 10 000 Hz).

Conclusion

Les options thérapeutiques sont nombreuses. Contre les crises paroxystiques et l’hypersensibilité, notre préférence est orientée vers les gabapentinoïdes, les opioïdes forts et les anti-NMDA. La recherche de la comorbidité anxiété et dépression peut conduire à la prescription de psychotropes. La thérapie laser offre des perspectives séduisantes qui restent cependant à être confirmées par une utilisation plus fréquente (figure 3).

Dans tous les cas, la coopération avec le propriétaire est déterminante : évaluation, objectif thérapeutique, prise en charge partagée et surveillance des effets indésirables constituent les clés pour maintenir une qualité de vie acceptable pour l’animal.

  • (1) Médicament humain.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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