ÉTAPE 6 : Cytologie hépatique - Le Point Vétérinaire n° 346 du 01/06/2014
Le Point Vétérinaire n° 346 du 01/06/2014

EN 10 ÉTAPES

Auteur(s) : Laetitia Piane

Fonctions : CES hématologie et biochimie clinique animales
Laboratoire central de biologie médicale, INP,
ENV de Toulouse, 23, chemin des Capelles,
31076 Toulouse

Lors de modifications des paramètres hépatiques, de la taille ou de l’échogénicité du foie, un examen cytologique peut se révéler intéressant, mais reste délicat à interpréter dans un certain nombre de cas.

La cytologie du foie est un examen utile, peu invasif et riche en informations lorsque ses limites et les indications sont connues. Cependant, il est difficile d’interprétation et nécessite un oeil d’expert. Le vétérinaire qui souhaite recourir à cet examen gagne en efficacité s’il est capable d’apprécier la qualité de son prélèvement avant de l’envoyer à un laboratoire. Il doit aussi connaître ses particularités afin de dialoguer avec le cytologiste.

PRÉREQUIS

1. Indications, contre-indications et précautions

La cytologie hépatique est indiquée lors de bilan d’extension de toutes les hémopathies malignes, de masses hépatiques ou de parenchyme hétérogène ou encore d’hépatomégalie avec un foie hypoéchogène. Un bilan hépatique préalable est utile à la compréhension de l’examen cytologique.

Avant toute ponction hépatique, il convient de s’assurer que le bilan d’hémostase (temps de Quick, temps de céphaline activée, numération plaquettaire) de l’animal est correct. La ponction est contre-indiquée si les temps d’hémostase sont très augmentés ou si la numération plaquettaire est inférieure à 50 000/µl.

Le site de ponction doit être parfaitement nettoyé pour éviter toute trace de gel échographique pouvant gêner l’interprétation cytologique (1).

2. Qualité du prélèvement

Un prélèvement de bonne qualité est caractérisé par la présence de nombreux amas de cellules jointives à organisation tridimensionnelle, peu distincte parfois trabéculaire, sur un fond hémorragique.

En périphérie de ces amas, des hépatocytes isolés sont identifiables.

3. Cytologie du foie normal

Les hépatocytes normaux sont de grosses cellules polyédriques avec un noyau rond central à la chromatine grossièrement réticulée et un cytoplasme abondant bleu clair granuleux (photo 1a). Leur taille est variable, mais le rapport nucléo-cytoplasmique (RNP) reste constant. Ils possèdent un nucléole assez proéminent. De rares cellules réactionnelles peuvent être binucléées ou plurinucléolées. Des cristaux rectangulaires intranucléaires sont parfois présents, sans signification pathologique (photo 1b) [1, 3].

Les macrophages (cellules de Kupfer) sont peu nombreux, voire absents.

Des canaux biliaires sont aussi observables. Ils sont composés de cellules de taille moyenne cubiques au RNP élevé, au noyau central à la chromatine mottée et au cytoplasme basophile, organisées en amas tubulaires. Des cellules mésothéliales au RNP moyen, au cytoplasme très pâle, voire rosé, et organisées en amas pavimenteux sont visualisables. Elles peuvent évoquer un dallage ou un puzzle (photos 2a et 2b).

ÉLÉMENTS RECONNAISSABLES

1. Surcharges hépatiques

Surcharge lipidique

Chez le chat, les accumulations lipidiques diffuses dans les hépatocytes sont fréquentes. Le fond de frottis apparaît alors gras, ponctué de vacuoles optiquement vides aux contours bien délimités. La plupart des hépatocytes sont très volumineux, distendus par de multiples vacuoles de taille variable, semblables à celles retrouvées sur le fond de frottis, repoussant le noyau en périphérie du cytoplasme. Le nombre d’hépatocytes atteints, ainsi que l’intensité de la surcharge dépendent de la sévérité et de l’évolution de la lipidose (photo 3). La distension des hépatocytes comprime les canaux biliaires et est souvent à l’origine de cylindres biliaires [1, 3].

Cette surcharge s’observe rarement chez le chien. Une vacuolisation lipidique modérée peut se développer lors de diabète sucré, par exemple, et d’hypercorticisme (accumulation concomitante de glycogène et de lipides) [1, 3].

Surcharge glycogénique

Chez le chien, les fortes concentrations plasmatiques en glucocorticoïdes (hypercorticisme, corticothérapie, maladies chroniques) produisent des changements biochimiques et morphologiques dans les hépatocytes. Ces derniers augmentent de taille en raison de l’accumulation de glycogène qui apparaît sous la forme de vacuoles aux contours mal délimités. Le cytoplasme prend alors un aspect flou (photo 4). Les hépatocytes gonflés de glycogène sont plus fragiles que les hépatocytes normaux et se rompent facilement durant la préparation des frottis [1, 3]. Des modifications similaires et pouvant être confondues avec une surcharge glycogénique peuvent survenir lors de dégénérescence hydropique provoquée par une hypoxie, une cholestase ou d’autres toxines [1, 3].

Cholestase

Lors de cholestase, l’examen cytologique est caractérisé par la présence de cylindres biliaires intercellulaires vert foncé à noir, liés à l’accumulation des pigments biliaires dans les canalicules (photo 5).

2. Inflammations suppurées

Hépatite suppurée

Les inflammations suppurées sont presque exclusivement composées de neutrophiles parfois dégénérés (photo 6a). Les macrophages et les lymphocytes représentent moins de 10 % des cellules inflammatoires. Les inflammations sont dues à des infections bactériennes atteignant le foie par voie ascendante à travers le tractus biliaire (cholangiohépatite) ou par voie hématogène (abcès). De nombreux pigments et cylindres intercellulaires biliaires peuvent être retrouvés car la cholestase est une complication fréquente des cholangiohépatites [1, 3]. La cytologie est sensible et spécifique pour le diagnostic des inflammations suppurées du foie. Un examen bactériologique (aérobie et anaérobie) est conseillé dans ce cas pour isoler le ou les éventuel (s) germes en cause [5].

Cholangite bactérienne

Lors de cholangite bactérienne, des bactéries sont observables, sur un fond de frottis sale, parsemé de nombreux débris, en présence ou en l’absence de contexte inflammatoire neutrophilique. Un examen bactériologique (aérobie et anaérobie) doit alors être envisagé (photo 6b).

3. Hémopathies

Les tumeurs à cellules rondes infiltrant le foie sont les plus faciles à identifier. En effet, les prélèvements sont généralement riches en cellules, et celles qui sont néoplasiques contrastent fortement avec les hépatocytes. Le lymphome est la plus fréquente des tumeurs infiltrant le foie. Mais il peut également être infiltré par des macrophages tumoraux lors d’histiocytose maligne, des mastocytes lors de mastocytomes ou encore par des plasmocytes lors de myélome multiple, par exemple (photo 7).

ÉLÉMENTS NON IDENTIFIABLES

1. Inflammations

L’examen cytologique est moins sensible que l’examen histologique pour diagnostiquer les hépatites, notamment en raison de l’hémodilution, ce qui est particulièrement vrai si l’infiltrat inflammatoire est modéré [4]. En effet, l’hémodilution est souvent importante en raison d’une riche vascularisation hépatique. Cela a pour conséquence un mélange des cellules inflammatoires infiltrant le parenchyme hépatique avec les cellules inflammatoires présentes dans le sang, ce qui rend le diagnostic difficile.

Lors d’inflammation chronique notamment, les prélèvements sont souvent pauvres en présence de fibrose. Chez le chat, il est parfois difficile de distinguer une cholangiohépatite lymphocytaire de certaines formes d’hémopathies lymphoïdes [5].

Ainsi, face à une suspicion clinique d’hépatite, la cytologie n’est pas l’examen à réaliser en première intention, sauf pour exclure un processus tumoral.

2. Adénomes, carcinomes et sarcomes

Les tumeurs épithéliales bien différenciées (cholangiocarcinome par exemple) contrastent peu avec les hépatocytes natifs, tandis que les sarcomes desquament peu et donnent des prélèvements généralement pauvres. L’ensemble de ces particularités rend le diagnostic cytologique de ces processus néoplasiques délicat, nécessitant le plus souvent un oeil d’expert.

Ainsi, à l’examen cytologique, il n’est pas toujours aisé de distinguer les lésions hépatiques bénignes des tumeurs malignes bien différenciées. Certains critères cytologiques peuvent se révéler utiles au diagnostic d’hépatocarcinome : la présence de débris protéiques, de nécrose, de noyaux nus, d’arrangements palissadiques ou de capillaires, la dissociation cellulaire, l’augmentation du RNP, la plurinucléation (≥ 3 noyaux), l’anisocytose, l’anisocaryose et la basophilie cytoplasmique accrue du contingent hépatocytaire [2]. Mais, en l’absence d’atypies franches, il est impossible de conclure, même pour un oeil avisé. Une analyse histologique est donc souvent nécessaire.

3. Différencier certaines surcharges pigmentaires

Différents pigments peuvent être retrouvés dans les hépatocytes [1, 3]. Leur présence est alors physiologique ou associée à des maladies hépatiques ou extra-hépatiques.

Différents pigments possibles

Les grains de lipofuscine sont de couleur marron ou bleu-vert, et leur nombre augmente avec l’âge, en particulier chez le chat (photo 8a).

L’accumulation de bile au sein des cytoplasmes apparaît sous la forme de granulations vert foncé à noir, difficiles à identifier lorsqu’elles ne prennent pas la forme de cylindres intercellulaires (photo 8b).

L’hémosidérine peut se reconnaître par la présence de granulations, parfois marron doré, dans les hépatocytes ou les macrophages (photo 8c). Il est parfois difficile de faire la différence entre tous ces pigments. Des colorations spéciales sont une aide au diagnostic. La lipofuscine apparaît en rouge avec la coloration de Ziehl-Neelsen, la bile en vert émeraude avec la coloration de Hall et l’hémosidérine en bleu avec la coloration de Perl’s.

Surcharge en cuivre

Chez certains chiens présentant des hépatopathies héréditaires de surcharge en cuivre, la concentration plus élevée de celui-ci au sein des hépatocytes est visualisable sous la forme de granulations réfringentes vert pâle. Cependant, le diagnostic de ces surcharges n’est pas cytologique et ne peut qu’être suspecté chez les races prédisposées comme le bedlington terrier, le white hightland west terrier, les pinshers, le dalmatien ou le skye terrier [1, 3].

Conclusion

La cytologie hépatique est utile dans le diagnostic des surcharges, des inflammations suppurées et de certaines affections néoplasiques. Mais elle reste d’une sensibilité et d’une spécificité moyennes lors d’affection inflammatoire ou d’hépatocarcinome bien différencié.

Références

  • 1. French TW, Stokol T et coll. The Liver. In: Cowell RL. Diagnostic cytology and hematology of the dog and cat. 3rd ed. Mosby Elsevier, Saint Louis. 2008:312-329.
  • 2. Masserdotti C, Drigo M. Retrospective study of cytologic features of well-différentiated hepatocellular carcinoma in dogs. Vet. Clin. Pathol. 2012;41:282-290.
  • 3. Meyer DJ. The Liver. In: Raskin R. Canine and feline cytology: A color atlas an interpretation guide. 2nd ed. Saunders Elsevier, Saint Louis. 2009:226-248.
  • 4. Roth L. Comparison of liver cytology and biopsy diagnoses in dogs and cats: 56 cases. Vet. Clin. Pathol. 2001;30:35-38.
  • 5. Weiss DJ, Blauvelt M et coll. Cytologic evaluation of inflammation in canine liver aspirates. Vet. Clin. Pathol. 2001;30:193-196.
  • (1) Voir l’article “Étape 1 : obtenir et traiter un prélèvement cytologique, et en apprécier la qualité”, de L. Piane et c. trumel. Point Vét. 2013;341:16-20.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Lors de cholestase, l’accumulation des pigments biliaires dans les canalicules se manifeste par la présence de cylindres intercellulaires vert foncé à noir.

→ Les lipides apparaissent généralement sous la forme de vacuoles intracytoplasmiques optiquement vides aux contours bien nets alors que le glycogène est composé de vacuoles aux contours flous.

→ L’examen cytologique est moins sensible que l’examen histologique pour diagnostiquer les inflammations hépatiques, notamment en raison de l’hémodilution.

→ La présence d’atypies cytonucléaires marquées ou de plusieurs types d’atypies conforte le diagnostic cytologique de carcinome hépatocellulaire.

→ L’analyse cytologique du foie est indiquée dans les bilans d’extension de toutes les hémopathies malignes et de nombreux carcinomes (avec notamment le poumon pour lequel le foie est l’un des sites préférentiels de métastases).

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