Comprendre l’antibiorésistance en décryptant ses mécanismes moléculaires - Le Point Vétérinaire n° 344 du 01/04/2014
Le Point Vétérinaire n° 344 du 01/04/2014

ANTIBIORÉSISTANCE

Avis d’expert

Auteur(s) : Jean-Yves Madec

Fonctions : Agence nationale de sécurité sanitaire,
Laboratoire de Lyon, 31, avenue Tony-Garnier, 69354 Lyon

La transmission de la résistance bactérienne aux antibiotiques peut être chromosomique ou plasmidique, et la maîtrise de la dissémination des plasmides de résistance est un challenge pour l’avenir.

L’antibiorésistance bactérienne s’est imposée comme une problématique de santé (animale et humaine) majeure. Elle est un effet indésirable de l’usage des antibiotiques et l’augmentation de sa prévalence témoigne de l’en ri chissement continu de nos écosystèmes en gènes de résistance. Chez l’homme, la multirésistance aux antibiotiques compromet depuis plusieurs années les chances de succès thérapeutiques dans certaines infections sévères. La situation est moins documentée chez l’animal, mais la prise en compte de ce sujet est une nécessité absolue pour conserver l’efficacité de ces molécules.

Les gènes de résistance préexistent à l’usage des antibiotiques, et ce n’est pas l’usage des antibiotiques qui les crée. Il existe même dans la nature des gènes de résistance à des antibiotiques de synthèse, c’est-à-dire strictement fabriqués par l’homme (fluoroquinolones). En revanche, toute pression de sélection favorise la survie des bactéries résistantes à l’antibiotique utilisé et élimine celles qui sont sensibles. L’écosystème s’enrichit donc en gènes de résistance.

LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES EST-ELLE CHROMOSOMIQUE ?

Oui, dans certains cas. Le chromosome de la bactérie constitue l’essentiel de son matériel génétique et cette molécule d’ADN ne sort pas de l’enveloppe bactérienne. Ainsi, lorsque les gènes de résistance sont localisés sur le chromosome, ils ont peu de chance d’être échangés entre des bactéries différentes, en tous cas dans un espace de temps court. Par conséquent, l’augmentation de la prévalence de gènes de résistance chromosomiques dans une population bactérienne résulte surtout de la multiplication des bactéries elles-mêmes. Il s’agit de dissémination clonale (photo 1).

Un exemple emblématique est celui du clone épidémique de Salmonella Typhimurium DT104 penta-résistant aux antibiotiques (ampicilline, florfénicol, streptomycine/spectinomycine, sulfamides, tétracyclines) chez l’homme et les bovins dans les années 1990. Les cinq gènes de résistance étaient localisés sur le même locus chromosomique (locus de multirésistance), lui-même inséré au sein d’un îlot génomique (Salmonella Genomic island 1) (figure) [16]. Un autre exemple en médecine canine est celui de la diffusion, au sein d’une clinique vétérinaire, du même clone de Staphylococcus pseudintermedius résistant à la méticilline et de plus multirésistant à d’autres antibiotiques [7, 9]. La résistance à la méticilline est chromosomique (gène mec A) et sa diffusion est, ici encore, assurée par la multiplication de la bactérie elle-même. Dans les deux cas, cette expansion repose sur l’aptitude d’un clone bactérien résistant à se propager dans un contexte donné.

QUEL RÔLE LES PLASMIDES DE RÉSISTANCE JOUENT-ILS ?

Ils jouent un rôle fondamental. Les plasmides sont des molécules d’ADN non chromosomiques, c’est-à-dire libres dans le cytoplasme bactérien. Ces plasmides peuvent aussi (et surtout) porter des gènes de résistance. De tailles beaucoup plus petites que le chromosome, ils peuvent facilement sortir de la bactérie et être transférés dans le cytoplasme de bactéries voisines. Il existe ainsi des flux majeurs de plasmides de résistance entre bactéries d’une même communauté. Ces plasmides sont principalement retrouvés chez les entérobactéries (Escherichia coli, Salmonella enterica, Klebsiella pneumoniae, etc.), avec des échanges possibles entre ces espèces bactériennes. En revanche, les bactéries à Gram positif (staphylocoques, streptocoques) sont peu ou pas concernées par cette modalité de dissémination de la résistance, qui est alors assurée principalement par diffusion clonale.

CLONE OU PLASMIDE : LEQUEL EST LE PLUS EFFICACE POUR TRANSMETTRE LA RÉSISTANCE ?

Il est difficile de répondre à cette question car des succès majeurs de transmission de la résistance via ces deux modalités sont connus. L’épidémiologie mondiale de la résistance à la méticilline du staphylocoque doré (Staphylococcus aureus) chez l’homme repose sur la diffusion de quelques clones majeurs, avec des distributions spatiales parfois spécifiques (clone USA300 endémique aux États-Unis mais plus rare ailleurs, par exemple). Chez le porc ou le cheval, c’est le clone ST398 de S. aureus qui est majoritairement retrouvé en Europe [6]. Une spécificité constante de cette voie de transmission est d’être face à une espèce bactérienne donnée, c’est-à-dire généralement associée à un (des) tableau (x) clinique (s) connu (s), ainsi qu’à des informations épidémiologiques facilement accessibles (foyer initial, vitesse de diffusion, population atteinte, facteurs de risque spécifiques, etc.). Cette bactérie est identifiable par les techniques de bactériologie conventionnelle. In fine, la transmission de l’antibiorésistance est visible, généralement bien documentée, et des options de gestion claires en découlent.

La transmission plasmidique est, au contraire, plus difficile à identifier. Reconnaître des plasmides de résistance nécessite des approches moléculaires complexes. De plus, les plasmides ne confèrent pas de maladie particulière, se transmettent de façon inapparente entre bactéries et leur dissémination est généralement constatée bien après qu’elle a commencé. C’est en partie pour ces difficultés de suivi et de maîtrise que la communauté médicale considère la transmission des plasmides de résistance comme le principal enjeu de demain en antibiorésistance.

QUE SONT LES PLASMIDES DE RÉSISTANCE ANIMAUX ?

Les derniers résultats de la recherche commencent à répondre à cette question. Les méthodes moléculaires de caractérisation des plasmides se sont considérablement affinées ces dernières années. Elles permettent de les classer en grandes familles, puis de cartographier leur distribution selon les espèces animales ou les zones géographiques.

Par exemple, des comparaisons de plasmides de résistance aux céphalosporines de troisième et quatrième générations (C3G/C4G : ceftiofur, céfovécine, cefquinome) montrent que des souches d’E. coli issues de poules et de vaches possèdent les mêmes plasmides (photo 2) [13]. Un même plasmide a également été retrouvé à plusieurs années d’intervalle (en 2000, puis en 2004) dans des souches différentes d’E. coli isolées d’une même filière (porc). Ces résultats illustrent la notion de réservoir plasmidique animal, de même que celle d’une certaine persistance environnementale. Un résultat encore plus étonnant est la prédominance de certains plasmides. Ainsi, le plasmide CTX-M-1/IncI1/ST3 a été retrouvé en France et en Belgique dans des souches de S. enterica, mais surtout d’E. coli de toutes les espèces animales étudiées (poule, porc, vache, chèvre, chien, chat cheval) [1, 10]. En 2013, ce même plasmide a été majoritairement retrouvé chez des poules et des chiens prélevés en Tunisie [5]. Ces éléments confortent donc l’idée du succès écologique (y compris international) de certains plasmides conférant la résistance aux C3G/C4G chez l’animal, et ce de façon transversale aux organisations par filières.

LES PLASMIDES DE RÉSISTANCE ANIMAUX SONT-ILS PRÉSENTS CHEZ L’HOMME ?

Cette cartographie homme-animal reste encore peu connue, mais la réponse est affirmative dans certains cas. Une étude menée en 2012 montre l’identité des plasmides de résistance aux C3G/C4G entre l’homme (patients hospitalisés) et des veaux (gastroentérites néonatales en ferme), de plus hébergés par des clones d’E. coli différents [11]. C’est également l’un de ces plasmides communs (responsables de l’épidémie alimentaire chez l’homme en Allemagne et en France impliquant des graines germées contaminées) qui a été retrouvé en 2011 dans certaines souches d’E. coli de sérotype O104:H4 [12]. Aucune hypothèse ne permet d’expliquer ces résultats, mais force est de constater qu’un réservoir plasmidique partagé existe entre l’homme, l’animal et son environnement.

Des plasmides de résistance d’origine humaine peuvent également être présents chez l’animal, comme ceux de résistance aux carbapénèmes, antibiotiques strictement hospitaliers et non utilisés en médecine vétérinaire. En mars 2012, de tels plasmides ont été identifiés dans des souches d’E. coli, puis de S. enterica, au sein d’un élevage de porcs en Allemagne [2, 3]. Encore plus récemment (juin et juillet 2013), ils ont été décrits dans des souches d’E. coli de chiens aux États-Unis et en Allemagne, et dans une salmonelle issue d’un oiseau sauvage [4, 14, 15].

LA TRANSMISSION PLASMIDIQUE EST-ELLE INQUIÉTANTE ?

Oui, cette modalité de transmission est inquiétante. Alors qu’une localisation chromosomique est plutôt associée à une diffusion clonale de la résistance, un support plasmidique offre une réelle dynamique transversale de transmission interbactérienne. Toutefois, des situations associant ces deux modalités existent aussi, comme lors de la contamination d’une clinique vétérinaire par le même clone de K. pneumoniae, dont la résistance aux antibiotiques était portée par un plasmide [8].

Une forte inquiétude repose sur l’absence presque totale d’outils de maîtrise de ce niveau de dissémination plasmidique. Il est relativement simple de maîtriser un épisode de toxi-infection alimentaire collective (TIAC) à S. enterica multirésistante ou celui d’une transmission à l’éleveur d’un clone porcin de S. aureus résistant à la méticilline. En revanche, stopper la diffusion de plasmides au sein de la flore commensale des mammifères (y compris l’homme) reste un véritable challenge pour les années futures.

Enfin, plusieurs gènes de résistance sont fréquemment retrouvés au même locus dans le génome, sur le chromosome ou sur un plasmide.

Une conséquence directe est la possibilité de sélectionner la même bactérie avec des antibiotiques différents : il s’agit de la cosélection. Lorsque ces gènes de résistance sont plasmidiques, cela signifie aussi qu’ils seront disséminés ensemble à l’extérieur de la bactérie.

Conclusion

Ces éléments permettent de comprendre des situations différentes de transmission de la résistance sur le terrain (infection nosocomiale dans une clinique vétérinaire, épidémie en élevage, passage homme-animal, etc.). Ils éclairent aussi sur les nombreuses interconnexions à l’échelle des écosystèmes bactériens, qui confortent le bien-fondé d’une démarche globale de réduction de l’usage des antibiotiques, et non uniquement centrée sur quelques molécules.

Les bactéries discutent entre elles, leur langage est moléculaire, et elles échangent en permanence des gènes pour résister, quel que soit l’antibiotique. À nous de les comprendre pour arriver à les contrer !

Références

  • 1. Dahmen S, Haenni M, Madec JY. IncI1/ST3 plasmids contribute to the dissemination of the blaCTX-M-1 gene in Escherichia coli from several animal species in France. J. Antimicrob. Chemother. 2012;67:3011-3012.
  • 2. Fischer J, Rodriguez I, Schmoger S et coll. Escherichia coli producing VIM-1 carbapenemase isolated on a pig farm. J. Antimicrob. Chemother. 2012;67:1793-1795.
  • 3. Fischer J, Rodriguez I, Schmoger S et coll. Salmonella enterica subsp. enterica producing VIM-1 carbapenemase isolated from livestock farms. J. Antimicrob. Chemother. 2013;68:478-480.
  • 4. Fischer J, Schmoger S, Jahn S et coll. NDM-1 carbapenemase producing Salmonella enterica subsp. enterica serovar Corvallis isolated from a wild bird in Germany. J. Antimicrob. Chemother. 2013. In press.
  • 5. Grami R, Mansour W, Dahmen S et coll. The blaCTX-M-1 IncI1/ST3 plasmid is dominant in chickens and pets in Tunisia. J. Antimicrob. Chemother. 2013;68:2950-2952.
  • 6. Graveland H, Duim B, van Duijkeren E et coll. Livestock associated methicillin-resistant Staphylococcus aureus in animals and humans. Intern. J. Med. Microbiol. 2011;301:630-634.
  • 7. Haenni M, Chatre P, Keck N et coll. Hospital-associated methicillin-resistant Staphylococcus pseudintermedius in a French veterinary hospital. J. Glob. Antimicrob. Res. 2013;1:225-227.
  • 8. Haenni M, Ponsin C, Metayer V et coll. Veterinary hospital acquired infections in pets with a ciprofloxacin-resistant CTX-M-15-producing Klebsiella pneumoniae ST15 clone. J. Antimicrob. Chemother. 2012;67:770-771.
  • 9. Keck N, Madec JY, Dunié-Mérigot A et coll. Infections nosocomiales par des staphylocoques multirésistants dans une clinique vétérinaire. Point Vét. 2014;342:12-16.
  • 10. Madec JY, Doublet B, Ponsin C et coll. Extended-spectrum betalactamase bla CTX-M-1 gene carried on an IncI1 plasmid in multidrugresistant Salmonella enterica serovar Typhimurium DT104 in cattle in France. J. Antimicrob. Chemother. 2011;66:942-944.
  • 11. Madec JY, Poirel L, Saras E et coll. Non-ST131 Escherichia coli from cattle harbouring humanlike bla CTX-M-15-carrying plasmids. J. Antimicrob. Chemother. 2012;67:578-581.
  • 12. Mellmann A, Harmsen D, Cummings CA et coll. Prospective genomic characterization of the German enterohemorrhagic Escherichia coli O104:H4 outbreak by rapid next generation sequencing technology. PLOS One 2011;6:e22751.
  • 13. Meunier D, Jouy E, Lazizzera C et coll. CTX-M-1- and CTX-M-15-type beta-lactamases in clinical Escherichia coli isolates recovered from food-producing animals in France. Intern. J. Antimicrob. Agents. 2006;28:402-407.
  • 14. Shaheen BW, Nayak R, Boothe DM. Emergence of a New Delhi Metallo-beta-lactamase (NDM-1)-encoding gene in clinical Escherichia coli isolates recovered from companion animals in the United States. Antimicrob. Agents Chemother. 2013;57:2902-2903.
  • 15. Stolle I, Prenger-Berninghoff E, Stamm I et coll. Emergence of OXA-48 carbapenemase-producing Escherichia coli and Klebsiella pneumoniae in dogs. J. Antimicrob. Chemother. 2013. In press.
  • 16. Targant H, Ponsin C, Brunet C et coll. Characterization of resistance genes in multidrugresistant Salmonella enterica serotype Typhimurium isolated from diseased cattle in France (2002 to 2007). Foodborne Pathog. Dis. 2010;7:419-425.

Conflit d’interêts

Aucun.

Points forts

→ Les gènes de résistance préexistent à l’usage des antibiotiques, et ce n’est pas l’usage des antibiotiques qui les crée.

→ La résistance peut être transmise par multiplication bactérienne d’un gène chromosomique (dissémination clonale) ou par échange de plasmides entre bactéries (dissémination plasmidique).

→ Certains plasmides de résistance animaux sont retrouvés chez l’homme, et inversement.

→ Plusieurs loci de résistance peuvent être présents sur un même plasmide ou sur le chromosome.

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