Les marqueurs métaboliques du lait évoluent - Le Point Vétérinaire expert rural n° 343 du 01/03/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 343 du 01/03/2014

ALIMENTATION DE LA VACHE LAITIÈRE

Conduite à tenir

Auteur(s) : Veerle Fievez

Fonctions : Laboratoire de nutrition animale et de qualité
des productions animales, faculté des sciences
biologiques de l’ingénieur, université de Gand,
Sint-Pietersnieuwstraat 25, 9000 Gent, Belgique
Veerle.Fievez@UGent.be

Les paramètres simples ne suffisent plus. Les taux de certains acides gras du lait complètent un diagnostic d’acidose subaiguë ou détectent mieux un déficit énergétique.

Certains composants du lait sont des sentinelles qui permettent de comprendre la vache dans son fonctionnement et ses altérations métaboliques. Nombre d’entre eux sont déjà mesurés en routine, grâce à la spectrophotométrie infrarouge, généralement dans le cadre du contrôle laitier en Europe. Les animaux sont alors contrôlés individuellement toutes les 3 à 6 semaines et/ou analysés d’une manière ciblée.

Les marqueurs métaboliques du lait visent des troubles individuels ou collectifs. Un échantillon de 12 vaches parmi les 50 à 100 animaux qui sont en début de lactation dans un cheptel comptant plus de 500 bovins est généralement suffisant pour des alertes métaboliques à l’échelle d’un grand troupeau.

Certains paramètres sont surveillés et interprétés depuis fort longtemps, par exemple les taux butyreux (TB) et protéique (TP). Plus récemment ont été ajoutées les mesures de l’urée, des corps cétoniques et des acides gras (AG).

À Gand (Belgique), deux thèses de doctorat d’Université ont été récemment encadrées sur cette dernière famille de marqueurs.

Ces derniers témoignent de l’intérêt grandissant de la filière bovine pour le suivi des performances, de la reproduction et de la santé animales. Car les troupeaux s’agrandissent, le nombre de bovins par travailleur présent sur la ferme augmente, l’automatisation (de la traite) va de pair avec une moindre observation directe, et les animaux, en devenant plus productifs, sont aussi davantage sujets aux troubles métaboliques (et de la reproduction).

ÉTAPE 1 LIMITES DES INDICATEURS SIMPLES D’ACIDOSE

1. Le taux butyreux seul ou associé au taux protéique ne suffit pas

La détection de l’acidose ruminale à travers les quantités globales d’acides gras du lait n’est pas fiable.

Une baisse de la quantité de graisse dans le lait et/ou une réduction du rapport entre ces corps gras et les protéines du lait sont fréquemment utilisées comme des indicateurs d’acidose subaiguë du rumen (Asar) chez la vache laitière, alors que la relation entre une dépression de la matière grasse du lait et une Asar est sujette à controverse. Les coefficients de corrélation dans l’analyse bivariée du lien entre matière grasse du lait et pH ruminal varient de 0,31 à 0,86. Certaines études rapportent même l’absence d’effet du pH ruminal sur le taux de matière grasse.

La quantitéde matière grasse dans le lait ou le rapport TB/TP sont plus fiables comme indicateurs d’une acidose aiguë que de subacidose.

De plus, des rations riches en acides gras poly-insaturés (par exemple ceux contenus dans les huiles d’origine marine ou végétale) peuvent abaisser la matière grasse du lait (sans processus d’acidose).

Dès lors, le besoin d’indicateurs non affectés par la présence d’autres causes de dépression de la matière grasse du lait et plus fiables lors de subacidose s’est fait sentir.

2. Lourdeur des mesures de pH ruminal

En pratique, à ce jour, le pH du rumen ne peut être mesuré que par ruminocentèse ou prélèvement à la sonde (de préférence un modèle avec un réservoir qui ne s’ouvre que dans le rumen, pour prévenir une contamination salivaire susceptible d’augmenter le pH).

Le suivi en continu du pH mesuré, enregistré et transmis par une sonde-bolus à demeure dans le rumen est en cours d’étude. La faisabilité économique de cette approche et ses limites pratiques, en particulier la nécessité d’un calibrage des équipements, sont un frein pour une utilisation diagnostique intégrée aux conduites d’élevages laitiers commerciaux.

ÉTAPE 2 INTÉGRER LE PROFIL D’ACIDES GRAS DU LAIT DANS UN FAISCEAU DE PREUVES D’ACIDOSE

Des biomarqueurs du lait seraient les plus pertinents indicateurs d’Asar en pratique.

Deux groupes d’acides gras du lait focalisent l’attention des chercheurs.

1. Les acides gras à chaînes impaires et ramifiées

Les AG à chaînes impaires et ramifiées proviennent surtout des membranes des bactéries du rumen :

– les “cellulolytiques” sont particulièrement riches en AG iso C14:0 et iso C15:0 ;

– les “amylolytiques” sont riches en AG à chaînes impaires C15:0 et C17:0.

2. Les acides gras trans et conjugués

Appartenant aux séries CLAc9t11 et C18:1 trans-10, les AG trans et conjugués sont produits par la biohydrogénation bactérienne d’AG poly-insaturés.

Le niveau d’accumulation et les isomères spécifiques formés (C18:1 trans-10 versus C18:1 trans-11, par exemple) dépendent du pH du rumen.

3. Principe

Des modèles fondés sur ces deux groupes d’AG spécifiques du lait pourraient être inclus dans des schémas de détection de l’Asar à l’échelle d’un troupeau. L’alerte “acidose” est générée quand une certaine proportion d’animaux se situent en dessous ou au-dessus d’un seuil qui est établi pour chaque élevage (encadré 1).

ÉTAPE 3 DIAGNOSTIQUER LA CÉTOSE PAR ASSOCIATION DE CRITÈRES

Diverses techniques ou tests ont été utilisés pour détecter la cétose subclinique chez les vaches laitières en début de lactation. Parmi eux figurent la production quotidienne de graisse et de protéines dans le lait, exprimée en pourcentage de la production totale de lait, et le ratio TB/TP. Il a été rapporté que ce ratio est un meilleur indicateur de cétose que l’un ou l’autre de ces composants considérés isolément.

Des mesures par infrarouge (avec données transformées par la méthode dite de Fourier) de l’acétone du lait permettent de détecter l’acétonémie avec une meilleure précision qu’une simple lecture du ratio entre acides gras et protéines du lait.

La mesure des corps cétoniques du lait à certaines dates clés devrait être envisagée en routine pour le suivi d’élevage (en particulier le groupe en début de lactation avant 60 jours de production).

Des modèles avec une proportion de faux positifs de 17 % et une valeur prédictive positive de 82,4 % ont été développés (encadré 2).

ÉTAPE 4 DES ACIDES GRAS À LONGUE CHAÎNE COMME REFLET DE LA LIPOMOBILISATION

Les troubles métaboliques tels que la stéatose hépatique et la cétose résultent d’une mobilisation importante des acides gras du tissu adipeux. La plupart des vaches laitières en période péripartum sont confrontées à ce phénomène que les Anglo-Saxons baptisent de “balance énergétique négative”.

De hautes teneurs en acides gras non estérifiés (AGNE) semblent avoir un effet délétère sur la fertilité des vaches laitières, par le biais, probablement, d’une détérioration de la qualité des ovocytes. Comme des quantités excessives d’AGNE sont relarguées pendant cette période par mobilisation graisseuse et aussi transférées dans le lait, l’idée d’utiliser certains acides gras du lait comme des indicateurs du statut énergétique de la vache est apparue.

Les AGNE présents dans le sang sont particulièrement riches en acides gras à longue chaîne comme les C18 : 1 cis-9 et C18 : 0. Des concentrations élevées de ces acides gras dans la graisse du lait se sont révélées être des marqueurs valables d’une mobilisation excessive.

ÉTAPE 4 PONDÉRER L’URÉE DU LAIT AVEC LA COMPOSITION (MINÉRALE) DE LA RATION

Pas de jugement sans rationnement

L’urée du lait est communément utilisée comme indicateur métabolique (figure). Elle devrait l’être avec davantage de précaution car la composition “fine” de la ration de base et le niveau de sel dans l’aliment influent.

De nombreux essais ont été conduits pour relier objectivement le taux d’urée dans le lait aux caractéristiques de la ration (c’est-à-dire à l’excès de protéines dégradables du rumen, qui correspond à la différence entre les protéines digestibles dans l’intestin permises par l’azote [PDIN] et les protéines digestibles dans l’intestin permises par l’énergie [PDIE]) et à l’excrétion urinaire d’azote.

Des différences dans la composition de la ration viennent compliquer une interprétation qui ne se ferait que sur la base des taux de nutriments dans les rations de base. Ainsi, dans les travaux de De Campeneere et coll., avec diverses variations qualitatives autour d’une ration identique quantitativement, des excrétions urinaire et fécale d’azote identiques ont pu être obtenues.

Des vaches auxquelles est distribuée une ration dans laquelle le fourrage est exclusivement de l’ensilage d’herbe ont des taux d’urée dans le lait moitié moins élevés que celles recevant une ration à base d’ensilage de maïs, peut-être parce que beaucoup plus d’urine est produite avec l’herbe (souvent plus riche en la plupart des minéraux, dont les ions Na+ et K+, qui jouent un rôle majeur dans l’excrétion).

Des expériences récentes réalisées aux Pays-Bas ont confirmé la possibilité d’abaisser l’urée du lait en ajoutant des sels dans la ration (jusqu’à 250 g/j de NaCl ont, par exemple, été distribués à un groupe “haut” contre 60 g dans le groupe “bas”, pour mettre en évidence cet effet dans un contexte théorique) (photos).

Les conseils en alimentation fondés sur le taux d’urée du lait conservent un intérêt, à condition de prendre en compte la composition de la ration.

Idéalement, la teneur en urée du lait est située entre 180 et 280 mg/l.

S’appuyer sur l’urée du lait pour évaluer les émissions d’azote dans le cadre d’une politique environnementale restrictive est tout aussi discutable, pour les mêmes raisons que celles qui sont émises strictement dans le cadre nutritionnel (encadré 3).

Conclusion

Il conviendrait d’ajouter un volet économique aux possibilités actuelles d’alertes sur biomarqueurs en élevages bovins. Les gains espérés lorsqu’une méthode d’alerte à la balance énergétique négative est mise en place sont en cours de calcul. Cela permettra aussi d’affiner le modèle concernant la fréquence des mesures et le ciblage plus ou moins étroit des bovins à prélever (actuellement, la fenêtre est mal définie : dans les premières semaines de lactation pour la cétose).

Les contours technologiques de ces nouvelles possibilités restent à préciser. Par exemple, une mesure en continu en salle (ou stalle de robot) de traite serait la plus pertinente, mais la fiabilité d’une mesure par spectrophotométrie infrarouge dans ce cadre est limitée pour des marqueurs parfois présents en faibles quantités (profils d’acides gras du lait). Les coûts et les perspectives technologiques pour le développement de méthodes analytiques plus sophistiquées sont à comparer à ceux d’une mesure en laboratoire (de contrôle laitier).

En savoir plus

– Colman E. Milk fatty acids as biomarkers of subacute ruminal acidosis in dairy cows. Thèse PhD université de Gand. 2012:278p.

– Colman E, Fokkink WB, Craninx M et coll. Effect of induction of subacute acidosis (SARA) on milk fat profile and rumen parameters. J. Dairy Sci. 2010;93:4759-4773.

– Colman E, Khafipour E, Vlaeminck B et coll. Grain-based versus alfalfa-based subacute ruminal acidosis induction experiments: Similarities and differences between changes in milk fatty acids. J. Dairy Sci. 2013;96:4100-4111.

– Colman E, Tas BM, Waegeman W et coll. The logistic curve as a tool to describe the daily ruminal pH pattern and its link with milk fatty acids. J. Dairy Sci. 2012;95:5845-5865.

– De Campeneere S, De Brabander DL, Vanacker JM. Milk urea concentration as affected by the roughage type offered to dairy cattle. Livestock Sci. 2006;103:30-39.

– Fievez V, Colman E, Castro-Montoya JM et coll. Milk odd and branched chain fatty acids as biomarkers of rumen function – an update. Anim. Feed Sci. Technol. 2012;172:51-65.

– Stefanov I. The potential of vibrational spectroscopy techniques to determine minor milk fatty acids. Thèse PhD UGent, Université de Gand. 2012:337p.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Principe de classement d’un cheptel dans la catégorie “affecté structurellement” par l’acidose subaiguë du rumen, intégrant le profil d’acides gras du lait

Trente pour cent d’un sous-échantillon représentatif de vaches laitières entre 5 et 120 jours de lactation présentent un rapport taux butyreux (TB)/taux protéique (TP) < 1 et un profil d’acides gras (AG) du lait modifié dans le sens :

– d’une grande quantité (coefficient de corrélation positif) d’AG trans-10 ou trans-11 C:18:1 ;

– d’une plus grande quantité d’AG conjugués, ante iso et à chaînes paires ;

– d’une plus faible quantité d’AG iso (un modèle linéaire avec proposition de seuils a été développé, il donne des résultats plus précis en incluant des données de l’historique de la ferme).

ENCADRÉ 2
Exemple de critères modernes d’alerte de cétose à l’échelle d’un troupeau

Dix pour cent d’un échantillon représentatif de vaches laitières dans les 60 premiers jours de lactation (ou toutes les vaches de cette catégorie, pour des tailles de troupeaux modestes à l’échelle de l’Europe) présentent :

– un ratio matière grasse/matière protéique > 1,5 ;

– un taux protéique < 32,5 g/kg ;

– et un taux d’acétone du lait > 105 µmol/l.

ENCADRÉ 3
Urée du lait : limites comme alerte “ pollution ”

S’appuyer sur le taux d’urée du lait pour identifier des pollutions environnementales majeures ou mineures est sujet à caution parce que cette valeur est facile à manipuler.

En Flandre au début des années 2000, s’inspirant d’un modèle néerlandais en place depuis environ 2 ans, les élus ont envisagé d’utiliser ce paramètre : des pénalités auraient été fixées au-delà d’un certain seuil d’urée sur le lait de tank. Ils y ont renoncé (comme aux Pays-Bas) en raison du risque de tricherie par l’emploi de méthodes (ou de médicaments) diurétiques permettant de dissimuler des excrétions azotées élevées.

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