DOULEUR DES RUMINANTS
Article de synthèse
Auteur(s) : Alice de Boyer des Roches*, Raphaël Guatteo**, Stéphane Junot***, Marion Faure****, Denys Durand*****, Alain Boissy******, Luc Mounier*******, Isabelle Veissier********
Fonctions :
*Université de Lyon, VetAgro Sup, UMR1213
Herbivores, 69280 Marcy-L’Étoile
**Inra, UMR1213 Herbivores,
63122 Saint-Genès-Champanelle
***Oniris, Département Santé des animaux
d’élevage et santé publique,
44307 Nantes Cedex 03
****Université de Lyon, VetAgro Sup, Unité ACSAI,
anesthésie réanimation, 69280 Marcy-L’Étoile
*****Université de Lyon, VetAgro Sup, UMR1213
Herbivores, 69280 Marcy-L’Étoile
******Inra, UMR1213 Herbivores,
63122 Saint-Genès-Champanelle
*******Université de Lyon, VetAgro Sup,
UMR1213 Herbivores, 69280 Marcy-L’Étoile
********Inra, UMR1213 Herbivores,
63122 Saint-Genès-Champanelle
*********Université de Lyon, VetAgro Sup,
UMR1213 Herbivores, 69280 Marcy-L’Étoile
**********Inra, UMR1213 Herbivores,
63122 Saint-Genès-Champanelle
***********Université de Lyon, VetAgro Sup,
UMR1213 Herbivores, 69280 Marcy-L’Étoile
************Inra, UMR1213 Herbivores,
63122 Saint-Genès-Champanelle
*************Université de Lyon, VetAgro Sup,
UMR1213 Herbivores, 69280 Marcy-L’Étoile
**************Inra, UMR1213 Herbivores,
63122 Saint-Genès-Champanelle
La douleur peut être évaluée par une augmentation, une diminution ou une altération de l’activité comportementale, avec une gradation dans les signes observables par le praticien ou l’éleveur.
L’évaluation des réponses comportementales est l’une des techniques les plus fréquemment utilisées par le vétérinaire et les scientifiques pour mettre en évidence une douleur animale. Elle est non invasive et très sensible.
Il existe une gradation des stratégies comportementales des animaux face à la douleur, depuis les conduites réflexes jusqu’aux modifications de l’activité générale et du comportement social, développées pour éviter les situations douloureuses (encadré).
Les modifications du comportement apparaissent immédiatement en cas de douleur aiguë et renseignent souvent sur la localisation de la zone douloureuse. L’animal présente une réaction de défense exacerbée au toucher, adopte une posture d’évitement, ou encore gratte ou lèche la zone concernée. L’observation de tels comportements permet au vétérinaire d’identifier les régions douloureuses du corps. Cependant, certaines conduites sont peu spécifiques car elles s’expriment également dans des situations pathologiques, de stress ou d’inconfort, sans composante douloureuse. De plus, les ruminants manifestent peu ces signes de douleur. En effet, contrairement aux carnivores, il s’agit d’espèces proies, et attirer l’attention des autres bêtes peut se révéler dangereux chez ces animaux de rente, qui s’exposeraient ainsi davantage à d’éventuels prédateurs. Il convient donc que le vétérinaire reste très vigilant (tableaux 1 et 2). Enfin, l’examen clinique peut entraîner une inhibition de l’expression de certains comportements et l’éleveur représente une réelle sentinelle pour la détection des comportements anormaux de ses animaux.
Les comportements automatiques de retrait sont très fréquemment observés chez les animaux en cas de stimulation nociceptive. Par exemple, les jeunes bovins effectuent des mouvements des pattes et du corps lors de la castration, des sauts et des coups de pied pendant le marquage au fer rouge ou à l’azote liquide, et exercent des pressions plus fortes sur une cage de contention [7]. Ainsi, la réaction de l’animal à l’approche ou à une manipulation-palpation de la zone douloureuse peut être utilisée pour mettre en évidence la douleur ou vérifier l’efficacité d’un traitement antalgique (comme des tests de pression sur la patte à l’origine d’une boiterie chez la vache laitière).
Des comportements concernant directement la zone douloureuse et qui se répètent (orientation de la tête, léchages, grattages) sont faciles à interpréter par le vétérinaire. Par exemple, les veaux dirigent souvent leur tête vers la zone scrotale et la lèchent durant 6 à 7 semaines après la castration. Certains d’entre eux expriment ce comportement plus de 20 minutes par jour, alors que des veaux non castrés ne manifeste pas cette conduite. Cette attitude semble donc résulter de l’inconfort ou de la douleur liée à la castration. L’agitation de la queue est également utilisée comme un critère de douleur chez le veau après la castration [13]. Des comportements similaires sont observés après une coupe de la queue. À la suite de l’écornage, les veaux présentent souvent des mouvements vigoureux de la tête et des oreilles, qui ne sont pas présents pendant l’action de l’anesthésique local [17].
Les postures antalgiques permettent d’éviter de stimuler la zone douloureuse [8]. La démarche diagnostique du vétérinaire repose sur sa connaissance de la posture adoptée par l’animal lorsqu’il ne souffre pas (posture de référence). Le jugement du praticien se fonde sur l’examen de différentes parties du corps par rapport au tronc (port des oreilles, de la tête, de l’encolure, de la queue et des membres), sur celui de la courbure du dos et sur la vérification de la tension de la paroi abdominale (figure 1, photo). Il peut ensuite comparer l’attitude de l’animal chez lequel il suspecte une douleur à cette posture de référence.
Ainsi, le bovin ressentant une douleur adopte généralement, lorsqu’il est debout, une posture avec l’encolure, la tête et les oreilles basses, le dos voussé, les membres écartés ou ramenés sous le tronc, et la queue plaquée contre l’arrière-train (figure 2). Cette posture du corps peut s’accompagner d’un manque d’équilibre : l’animal prend appui sur des éléments de son environnement ou montre des comportements de balancement (figure 3).
Des postures couchées dites de référence (couché sternal, pattes repliées sous le corps, tête haute ou basse) et des postures antalgiques ont été identifiées chez les agneaux (figure 4) [9].
Il existe également des comportements d’évitement de la zone douloureuse. L’exemple le plus classique est la boiterie : une lésion du pied entraîne une suppression de l’appui, qui peut être évaluée par un score de boiterie. Les grilles d’évaluation de la boiterie reposent sur l’observation de la courbure de la ligne du dos de l’animal (à l’arrêt et en mouvement), l’amplitude de la foulée et la qualité de l’appui [16]. L’administration d’un traitement analgésique réduit l’intensité de la boiterie chez les bovins, démontrant ainsi l’influence de la douleur sur ce comportement [15].
Les vocalises sont très souvent utilisées pour identifier la douleur. Il a été montré que leur nombre et leurs caractéristiques étaient modifiés dans des situations douloureuses [4, 20, 21]. Par exemple, chez le veau, la fréquence de l’harmonie fondamentale, la fréquence maximale et l’intensité des cris sont augmentées chez les animaux soumis au marquage au fer rouge par rapport à des individus témoins (figure 5) [20]. Toutefois, les bovins émettent souvent des vocalises lors d’une simple manipulation, ce qui rend cet indicateur peu spécifique.
L’analyse de l’expression faciale est utilisée pour évaluer la douleur chez les jeunes enfants. Des grilles d’évaluation ont été développées chez les rongeurs de laboratoire [5]. À ce jour, certains comportements ont été identifiés comme pouvant être utilisés comme des indicateurs de douleur. Par exemple, le retroussement de la lèvre supérieure avec ou sans retroussement de la lèvre inférieure, dans un contexte autre qu’une exploration olfactive, a été décrit chez l’agneau [9]. C’est un indicateur employé dans plusieurs études [18]. Enfin, le mouvement des oreilles, indicateur de l’état émotionnel de l’animal, pourrait également être un marqueur de douleur [1]. Toutefois, pour les ruminants, aucune grille n’est disponible à ce jour, mais il s’agit d’un sujet de recherche en plein essor.
Après une intervention douloureuse, le vétérinaire et l’éleveur peuvent également observer des altérations générales du comportement.
Il s’agit par exemple, chez le veau ayant subi une castration (avec pose d’élastique), de la réduction du nombre de tétées et d’un état d’agitation (les animaux se lèvent et se couchent fréquemment) pendant plusieurs jours [13]. Dans d’autres situations, les bovins présentent une diminution de leur activité et de leur interactivité avec leurs congénères. C’est le cas de vaches laitières qui réduisent de 70 à 90 % leur activité locomotrice lors d’une douleur viscérale induite par une réticulo-péritonite traumatique [12]. Par exemple, au cours des 5 jours qui suivent l’écornage, des veaux qui ont subi cet acte sans administration d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) passent moins de temps couchés que des veaux traités avec un AINS [19].
À l’inverse, une augmentation de l’activité générale des bovins est parfois observée après des procédures douloureuses [3].
La douleur peut ainsi être révélée par l’augmentation ou la diminution de l’activité comportementale [11].
Enfin, une plus grande agressivité des animaux vis-à-vis de l’homme ou des congénères est souvent observée dans des situations douloureuses [2]. La souffrance peut modifier la tolérance à la manipulation et induire des conduites agressives qui correspondent à des attitude de défense.
Aucun.
→ Comportements automatiques, ou réflexes : ils permettent à l’animal d’échapper au stimulus nociceptif (retrait réflexe d’un membre, par exemple).
→ Comportements permettant à l’animal d’éviter de stimuler la zone douloureuse (posture antalgique, par exemple) ou, au contraire, de la stimuler (comme le léchage de la zone) afin de soulager la douleur.
→ Comportements de communication, signalant aux congénères l’existence d’une douleur (vocalisation, par exemple).
→ Modification de l’activité générale (rythmes d’activité, par exemple) et du comportement social (comme l’isolement, l’agressivité, etc.).
D’après [8].
→ Il existe une gradation des stratégies comportementales des animaux face à la douleur, des réflexes jusqu’aux modifications de l’activité générale et du comportement social.
→ Les réflexes et les postures et mouvements de soulagement permettent d’éviter de stimuler une zone douloureuse, et peuvent aider le praticien à détecter la douleur.
→ Les modifications de l’activité et du comportement social, ou encore les vocalises sont observables par l’éleveur.
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