Estimer les besoins en eau évite les gaspillages - Le Point Vétérinaire expert rural n° 342 du 01/01/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 342 du 01/01/2014

ÉLEVAGE LAITIER

Article de synthèse

Auteur(s) : Anne Boudon*, Jean-Luc Ménard**, Loïc Fulbert***

Fonctions :
*Inra, UMR 1348 PEGASE,
Domaine de la Prise, 35590 St-Gilles
**Agrocampus Ouest,
65, rue de Saint-Brieuc, CS 84215,
35042 Rennes Cedex
***Institut de l’élevage,
9, rue André-Brouard, CS 70510,
49105 Angers Cedex 02
****GDS Mayenne,
Technopole Changé,
Rue Albert-Einstein, BP 86113,
53061 Laval Cedex 9

Les référentiels et équations récemment produits permettent de suspecter des fuites ou des gaspillages, ou des conditions d’abreuvement limitantes.

L’approvisionnement en eau pourrait devenir un facteur de plus en plus limitant en élevage.

Les besoins et les apports chez les vaches laitières ont été récemment réévalués en France, notamment à la faveur d’un programme de recherche transversal (compte d’affectation spécial pour le développement agricole et rural [Casdar] n° 8109 “Maîtrise des consommations d’eau en élevage”) [10]. Les aspects quantitatifs de l’abreuvement des vaches laitières sont évoqués ici.

POURQUOI ETUDIER L’EAU D’ABREUVEMENT ?

En élevage laitier, les trois quarts de la consommation d’eau sont liés à l’abreuvement. Les volumes bus représentent 4 à 7,5 l d’eau/l de lait produit (encadré 1) [10]. Le coût de l’eau est conséquent lorsqu’elle provient du réseau public. Sa qualité est cruciale lorsqu’elle est issue de puits ou de forages privés. Les perspectives de réchauffement climatique se traduiront vraisemblablement par une augmentation de la fréquence des périodes de sécheresse dans le sud de l’Europe, y compris en France (selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

À ce jour, l’eau n’est pas toujours considérée comme un facteur potentiellement limitant de la santé ou de la productivité des troupeaux. Pourtant, une restriction partielle se traduit par une baisse notable d’ingestion et de production laitière dans les 48 heures [3]. L’eau ne doit pas être rationnée, mais elle n’est pas toujours disponible ad libitum. L’évaluation des besoins des animaux permet de contrôler que les quantités d’eau offertes ne sont pas limitantes. Les cas de sous-abreuvement pourraient être fréquents dans les exploitations laitières en France.

L’application du protocole d’estimation du bien-être animal Welfare Quality(r) aux élevages laitiers français a montré que “l’absence de soif” était respectée de façon extrêmement hétérogène sur notre territoire [4, 5].

Connaître les besoins en eau des animaux facilite la suspicion de fuites sur les réseaux de distribution des élevages laitiers. Sur six exploitations dont les consommations ont été suivies chaque semaine sur une année, deux se sont distinguées par des fuites avérées supérieures à 10 % des volumes consommés (étude dans le cadre du projet Casdar) [10]. Détecter les fuites représente sans doute le levier le plus important pour augmenter l’efficacité d’utilisation de l’eau dans les élevages. Depuis 2006, les compteurs d’eau sont obligatoires, y compris sur les puits et forages privés(1).

HIÉRARCHISER LES FACTEURS DE VARIATION DES QUANTITÉS BUES

Les besoins en eau des animaux d’élevage ont été évalués, dans de nombreuses études, sur la base de quantités bues individuellement dans des conditions variées avec une mise à disposition de l’eau ad libitumdans des abreuvoirs individuels [1]. Les corrélations entre ces observations et un certain nombre de facteurs décrivant le niveau de production de l’animal, sa ration ou les conditions environnementales ont été analysées, et doublées de régressions multiples. Diverses équations de prédiction des besoins en eau d’abreuvement des vaches laitières ont ainsi été établies (encadré 2) [1].

Les besoins en eau des bovins laitiers varient en premier lieu avec la teneur en matière sèche (MS) de la ration [1]. L’eau bue et celle contenue dans les aliments ingérés contribuent à la dilution du milieu intérieur de l’organisme et participent à la régulation hydrique. L’eau contenue dans les aliments suffit rarement pour que l’animal régule sa tonicité et son volume plasmatique. L’eau bue couvre les besoins en eau non couverts par la ration. Avec des rations à base de fourrages conservés secs, la boisson représente jusqu’à 78 à 90 % de l’eau entrant dans le bilan hydrique des vaches laitières. Avec des rations humides à base d’ensilage ou au pâturage, cette proportion peut être inférieure à 30 %.

L’acte d’ingestion d’aliments entraîne l’ingestion d’eau [8]. Le lien de cause à effet entre les deux séquences s’explique notamment par des stimuli sensoriels et d’autres, osmotiques, au niveau du tractus digestif. Une hyper­tonicité du milieu intérieur à la suite d’absorption de nutriments pourrait aussi participer à déclencher la soif. Ce processus est observé uniquement après de gros repas consécutifs à un jeûne, mais il est sûrement anticipé par l’animal après apprentissage [8].

Chez les vaches laitières, la quantité de MS ingérée est fortement corrélée à la production laitière. Les deux paramètres sont inclus dans la plupart des équations de prédiction des besoins, d’où une grande variabilité des effets de l’un et l’autre de ces facteurs lorsque les équations sont comparées : de 1,5 à 2,5 l/kg de MS ingérée et de 0,6 à 2,5 l/kg de lait produit [1].

Pour un niveau d’ingestion donné, les teneurs en électrolytes (surtout sodium, potassium) et en azote de la ration ont aussi un effet positif sur les besoins en eau de l’animal (ces facteurs augmentent de fait les pertes urinaires d’eau des vaches laitières). L’ingestion de sodium est la plus directement associée à une augmentation de l’excrétion urinaire et de la soif, mais elle est difficile à estimer chez les vaches laitières, donc à intégrer dans une équation prédictive (photo 1).

Les teneurs en potassium et surtout en azote de la ration ont aussi été intégrées dans des équations prédictives parmi les facteurs augmentant les besoins en eau. Toutefois, dans un grand nombre d’équations, l’effet de la teneur en MS de la ration prend en compte, en partie, l’effet de ces paramètres [1].

Les fortes températures augmentent les besoins en eau des vaches laitières (il s’agit de compenser les pertes par évaporation cutanée et respiratoire associées à la thermorégulation, même si celles-ci ne sont pas toujours perceptibles à l’œil nu). Une grande partie des équations de prédiction des besoins en eau publiées ont été établies dans des conditions de thermoneutralité. Un modèle permet d’estimer le surplus d’eau nécessaire à la thermorégulation (figure 2).

DES BESOINS À CONFRONTER À L’ACCESSIBILITÉ

Lorsque les prédictions des équations établies à l’UMR PEGASE ont été confrontées aux valeurs observées, les erreurs moyennes de prédiction ont été faibles sur des données issues de mesures individuelles sur abreuvoirs “bols, à tube ou à palette” [2]. En revanche, les quantités d’eau bue ont été sous-estimées pour 60 vaches laitières abreuvées en commun avec des abreuvoirs à niveau constant. Le type d’installation pourraient être mis en cause : les vaches laitières peuvent consommer 30 à 50 % d’eau supplémentaires lorsque la surface de l’abreuvoir est doublée [13]. Quelle proportion exacte représente cet écart (de l’ordre de 15 %) ? S’agit-il de gaspillage (éclaboussures, etc.) ou de réel écart d’eau bue ? Cela n’a pas été établi. La sous-estimation a été constatée uniquement pour des quantités d’eau bue faibles dans une étude du programme Casdar n° 8109 “Référentiel des consommations en eau et moyen de maîtrise”, avec des relevés hebdomadaires de compteurs d’eau dans 12 élevages équipés de bacs d’abreuvement (figure 3, encadré 3, photos 2 à 4) [10]. La confrontation de ces résultats aux prédictions a conclu à une sous-estimation de l’abreuvement pour des quantités d’eau bue faibles, sans doute par l’effet “type d’abreuvoir” précédemment évoqué. À l’inverse, une surestimation a été constatée pour les abreuvements importants. Les conditions en élevages suivis n’étaient vraisemblablement pas adaptées à un abreuvement réellement ad libitum des animaux les plus productifs ou aux moments de l’année où les besoins en eau étaient les plus importants. Le réseau d’abreuvement est à raisonner dès la conception de nouveaux bâtiments. Il convient d’éviter l’abreuvoir unique en sortie de salle de traite par exemple.

Le troupeau de renouvellement n’est pas négligeable en termes d’abreuvement. Les besoins en eau des génisses à l’échelle des troupeaux sont à prendre en compte (tableau) [10].

Conclusion

Les situations de sous-abreuvement peuvent aussi s’expliquer par une mauvaise qualité de l’eau d’abreuvement [6]. Ces aspects comme facteurs potentiellement limitant de la santé ou de la productivité des troupeaux laitiers sont évoqués dans un second article(2).

  • (1) Voir l’article L2224-12-5 du Code général des collectivités territoriales.

  • (2) Voir l’article “Comment apprécier et maîtriser la qualité de l’eau en élevage laitier” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

Références

  • 1. Boudon A, Khelil-Arfa H, Ménard JL et coll. Les besoins en eau d’abreuvement des bovins laitiers : déterminismes physiologiques et quantification. Inra Prod. Anim. 2013;26:249-262.
  • 2. Boudon A, Khelil-Arfa H, Thomas-Morel M et coll. Construction et validation d’un modèle de prédiction des besoins en eau des vaches laitières incluant l’effet de la température ambiante. Proceeding 19es rencontres recherches ruminants, Paris. 2012:177-180.
  • 3. Burgos MS, Senn M, Sutter F et coll. Effect of water restriction on feeding and metabolism in dairy cows. Am. J. Physiol. Regul. Integr. Comp. Physiol. 2001:280:R418-R427.
  • 4. Collectif. Protocole d’estimation du bien-être animal Welfare Quality. 2009:142p. Consultable en ligne sur http://edepot.wur.nl/233467
  • 5. De Boyer des Roches A, Mounier L, Coignard M et coll. Bien-être animal en élevage : problèmes majeurs rencontrés et relation avec certaines caractéristiques des fermes. Proceeding 19es rencontres recherches ruminants, Paris. 2012:277-280.
  • 6. Fulbert L. Maîtriser la qualité de l’eau de son puits ou de son forage ne s’improvise pas. Recueil Journées nationales GTV, Nantes. 2013:657-664.
  • 7. Khelil-Arfa H, Boudon A, Maxin G et coll. Prediction of water intake and excretion flows in Holstein dairy cows under thermoneutral conditions. Animal. 2012;6:1662-1676.
  • 8. Langhans W, Rossi R, Scharrer E. Relationships between feed and water intake in ruminants. In: Ruminant physiology: digestion, metabolism, growth and reproduction. Engelhardt WV, Leonhard-Marek S, Breves G, Giesecke D, eds. Ferdinand Enke Verlag, Stuttgart, Germany. 1995:199-216.
  • 9. Maia ASC, DaSilva RG et Battiston Loureiro CM. Sensible and latent heat loss from the body surface of holstein cows in a tropical environment. Int. J. Biometeorol. 2005. 50:17-22.
  • 10. Ménard JL, Lepesme M, Brunschwig P et coll. Évaluation de la consommation en eau en élevage bovins laitiers et mise au point d’un référentiel simplifié de l’abreuvement des vaches, génisses et veaux après sevrage. Proceeding 19es rencontres recherches ruminants, Paris. 2012:173-176.
  • 11. Meschy F. Nutrition minérale des ruminants. Ed. Quae, Versailles, France. 2010:208p.
  • 12. Murphy MR. Water metabolism of dairy cattle. J. Dairy Sci. 1992;75:326-333.
  • 13. Pinheiro Machado Filho LC, Teixeira DL, Weary DM et coll. Designing better water troughs: dairy cows prefer and drink more from larger troughs. Appl. Anim. Behav. Sci. 2004;89:185-193.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
La soif : un mécanisme de régulation du bilan hydrique

→ Une vache contient de 55 à 70 % d’eau selon son stade physiologique (sa masse adipeuse). À un stade physiologique donné, une perte de 20 % d’eau corporelle est fatale [12]. Les pertes d’eau corporelle sont indispensables à une multitude de fonctions vitales pour l’organisme :

– la digestion et le métabolisme : l’eau est le diluant des excrétions urinaire et fécale ;

– la régulation de la température corporelle : par la perte de chaleur latente cutanée et respiratoire lorsque la température ambiante augmente ;

– la production laitière : chaque kilogramme de lait contient en moyenne 875 g d’eau.

→ Les pertes d’eau doivent être compensées par des apports. Outre l’abreuvement, l’eau contenue dans les aliments ingérés et, plus marginalement, l’eau métabolique issue des réactions d’oxydation (figure 1) sont à prendre en compte.

Parmi les flux du bilan hydrique d’une vache laitière, l’eau bue et l’excrétion urinaire permettent d’ajuster les entrées et les sorties d’eau à l’échelle de l’organisme pour réguler la tonicité et le volume sanguin, donc la quantité d’eau du corps.

Les autres flux du bilan hydrique sont peu régulés (excrétion fécale), ou régulés par d’autres consignes que celles du maintien de l’eau corporelle (ingestion régulée par les distensions du tube digestif ou le métabolisme énergétique) et celles de l’évaporation cutanée et respiratoire (régulée pour la température corporelle) [9]. Ils sont la cause des perturbations initiales de tonicité subies par l’organisme. En effet, les pertes digestives et sudorales ou respiratoires sont hypo-osmolaires par rapport au sang : la perte d’eau excède celle des molécules dissoutes. De même, l’ingestion d’aliments s’accompagne de l’absorption par le tube digestif d’une quantité importante de molécules susceptibles de modifier la tonicité des compartiments hydriques. Une hausse de la tonicité plasmatique ou une diminution du volume sanguin entraîne une baisse de l’excrétion urinaire par l’intermédiaire d’une augmentation de la sécrétion hypothalamique de vasopressine ou ADH. Ce mécanisme de régulation ne peut restaurer le volume hydrique corporel initial à long terme sans une activation conjointe de la soif, provoquée par l’intégration par le système nerveux central de signaux hormonaux, neuronaux et chimiques périphériques.

ENCADRÉ 2
Équations de prédiction des besoins en eau des vaches laitières

Diverses propositions sont disponibles pour des températures moyennes journalières inférieures à 15 °C [2, 3]. Les analyser est la base pour hiérarchiser les principaux facteurs de variation [1]. Les équations ci-dessous ont été établies au sein de l’UMR PEGASE en 2012 (ou à l’Inra) [7].

Équation avec la MSI

→ Eau bue (l/j) = 0,83 x MS % + 3,22 x MSI + 0,92 x PL – 0,28 x CONC % + 0,037 x PV – 77,6 (R2 = 0,92, N  = 232)

Eau totale ingérée (l/j) = 3,89 x MSI + 9,4.10-3 x MATf + 0,81 x PL – 0,8 x MATc – 0,94 (R2 = 0,87, N = 232)

Équation sans la MSI

Eau bue (l/j) = 0,97 x MS % + 1,54 x PL – 0,29 x CONC % + 0,039 x PV – 41,1 (R2 = 0,86, N  = 232)

Eau totale ingérée (l/j) = 1,56 x PL + 1,9 x MATf + 43,3 (R2 = 0,82, N  = 232)

MS % : pourcentage de matière sèche de la ration ; MSI : matière sèche ingérée en kg ; PL : production laitière journalière en kg ; CONC % : pourcentage de concentré dans la ration ; PV : poids vif en kg ; MATf : matière azotée totale des fourrages ; MATc : matière azotée totale des concentrés.

Points forts

→ L’évaluation des besoins en eau d’abreuvement des vaches laitières repose sur des mesures individuelles dans des conditions non limitantes.

→ Depuis 2006, les compteurs d’eau sont obligatoires, y compris sur les puits et les forages privés.

→ Les abreuvoirs doivent être en nombre suffisant et bien positionnés pour prévenir les salissures et la gêne entre animaux.

ENCADRÉ 3
Critères d’absence de soif dans ? le protocole d’évaluation du bien-être des bovins Welfare Quality(r)

Il convient de :

– nettoyer les abreuvoirs au moins une fois par semaine et dès la présence de souillures massives ;

– garantir au moins une place pour 10 vaches (sachant qu’une place  = un bol  = 60 cm de bac accessible) ;

– veiller à des débits suffisants : au moins 10 l/min pour un bol et 20 l/min pour un bac) [4].

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